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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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27 octobre 2018

Chimères que tout cela…

Classé dans : Architecture, Arts et beaux-arts, Livre, Peinture, dessin, Sculpture — Miklos @ 8:52

Jean-Baptiste Coriolan, « Icon Monstrosaæ cujusdam Chimæræ », in Ulyssis Aldovandi Monstrorum historia, 1642. Cliquer pour agrandir.

«Voici un centaure, coiffé d’un capuchon et barbu comme un prophète : il se cabre et montre, par devant, deux pieds de cheval ; par derrière, deux pieds humains chaussés de bottes.

Un médecin, qui porte la barrette de la Faculté et étudie gravement, comme le médecin de Gérard Dow, la fiole aux urines, n’est docteur que jusqu’à la ceinture : il finit soudain en oie.

Un philosophe à tête de porc se prend la mâchoire et médite.

Un jeune maître de musique, moitié homme et moitié coq, donne une leçon d’orgue à un centaure.

Une femme à tête de veau entrouvre sa robe. Un homme, changé en chien par l’incantation de quelque sorcière, porte aux pieds une paire de brodequins, comme un souvenir de son ancienne condition. Une femme-oiseau écarte son voile et lève un doigt mystérieux.

Sur les voussures des portes et les arcades des fenêtres, aux angles des tourelles, le long des contreforts, des corniches et des galeries, se trouvent, mêlées aux plus augustes images, d’autres images grotesques ou monstrueuses : têtes d’hommes égarées sur des corps de bêtes, satyres cyniques, singes grimaçants, dragons ailés, griffons, larves et salamandres, êtres hideux qui semblent enfantés par un malade en proie à un horrible cauchemar.

D’autres fois, ce sont des sujets plus plaisants, faits pour distraire le fidèle qui devait s’habituer à la longue à ce spectacle journalier. Ainsi voyait-on, au-dessus de l’autel de la chapelle du château d’Arnboise, un singe emboucher la trompette ; à l’un des vitraux de Notre-Dame de Paris, un homme, jetant son épée, s’enfuir devant un lièvre.

Une truie joue de la vielle à l’église Saint-Sauveur, de Nevers; un lion joue du violon et un âne touche de la lyre (chapiteau de l’église de Meilles).

»À la cathédrale de Poitiers, un chien pince de la harpe et un ours joue de la viole. À Notre-Dame de Tournai, on remarque l’âne qui vielle. »

— Augustin Cabanès (1862-1928), Mœurs intimes du passé (troisième série), pp. 52-54. Albin Michel, s.d.

12 octobre 2018

Une machine à lire innovante, simple et efficace en espace et en énergie

Classé dans : Arts et beaux-arts, Histoire, Livre, Peinture, dessin, Progrès — Miklos @ 22:44

Le Diverse et Artificiose Machine del Capitano Agostino Ramelli dal Ponte della Tresia. Ingeniero des Christianissimo Re di Francia et di pollonia. Nellequali si contengono uarij et industriosi Mouimenti, degni digrandissima Speculatione, per cauarne beneficio infinito in ogni sorte d’operatione ; Composte in lingua Italiana et Francese. A parigi in case del’autore, cõ priuilegio del Re. 1588. (source) Cliquer pour agrandir.

« Ceste cy est une belle & artificieuse machine, laquelle est fort vtile & commode à toute personne qui se delecte à l’estude, principalement à ceux qui sont mal dispos & subiects aux gouttes ; car auec ceste sorte de machine vn homme peut voir & lire une grãde quãtité de liures, sans se mouuoir d’vn lieu : outre, elle porte auec soy vne belle commodité, qui est de tenir & occuper peu de place, au lieu où on la met, comme tout homme d’entendement peut bien comprendre par son dessein. Ceste rouë est faicte auec l’artifice que on voit, à sçauoir, elle est construicte de telle maniere, qu’en mettãt les liures sur les tablettes, combien qu’on tourne la dicte rouë tout autour, iamais lesdits liures ne tomberont, ni se remueront du lieu où ils sont posés, ains demeurereont tousiours en vn mesme estat, & se representeront deuant le lecteur en la mesme maniere qu’ils ont esté mis sur les tablettes. Ceste rouë se peut faire grande & petite, selon la volonté de celuy qui la faict faire, obseruant toutesfois les proportions de chascune partie des artifices de ladicte rouë, comme il pourra fort bien faire, considerant diligemment toutes les parties de ceste petite rouë, & les autres artificies qui se voyent en icelle machine : lesquelles parties sont faictes par mesures & proportions. Et pour donner plus grande intelligence & cognoissance à vn chascun qui desirera faire mettre en œuure ladicte machine, i’ay mis icy à part & descouuert tous les artifices qui sont requis en telle machine, afin qu’vn chascun les puisse mieux comprendre, & s’en seruir à son besoin. »

20 avril 2015

Ne prêtez pas…

Classé dans : Littérature, Livre, Sciences, techniques — Miklos @ 0:37


Gravure allemande.

…à Anatole France ce qui n’est sans doute pas à Anatole France, ni vos livres à personne.

Voici une savoureuse citation qui circule depuis un bon moment sur l’internet :

« Ne prêtez pas vos livres : personne ne les rend jamais. Les seuls livres que j’ai dans ma bibliothèque sont des livres qu’on m’a prêtés. » Citation d’Anatole France, Crainquebille.

(source). On a cherché dans tout Crainquebille (publié au début du 20e siècle), on ne l’y a pas trouvée. Ailleurs sur le réseau, on l’attribue à Anatole France sans indiquer une quelconque localisation, mais aucune de nos recherches n’a permis de la trouver dans son œuvre (pour autant qu’elle soit entièrement numérisée). Par contre, elle circulait déjà au 19e siècle sans aucune attribution. Ainsi, en 1898 :

On connaît la boutade attribuée à un passionné bibliophile, à qui certain visiteur, aussi téméraire que naïf, demandait un jour à emprunter un de ses trésors « Je ne prête jamais de livres. Les livres prêtés ne sont jamais rendus… Parfaitement ! Ainsi tous les livres que vous voyez là, ce sont des livres qu’on m’a prêtés et que j’ai gardés. »

(sourceMagasin pittoresque, 1898.). Ici, il ne s’agit plus de toute la bibliothèque du bibliophile, mais de ceux que son interlocuteur peut voir.

Dans une version antérieure, on a affaire à une bibliophile :

« — Comtesse, prêtez-moi donc ce volume.

— Je ne prête jamais de livres, on ne les rend pas. Ainsi, vous voyez cette bibliothèque… ce ne sont que des livres qu’on m’a prêtés. » (Figaro)

(sourceGazette anecdotique, littéraire, artistique et bibliographique, 1884, rubrique « Les mots de la quinzaine ». Le Journal de l’Ain, rubrique « Faits divers » du 2/7/1884 attribue la même version à un certain Masque de Fer.). Il ne s’agit pas ici forcément non plus de toute la bibliothèque du propriétaire, mais de celle qui se trouve devant les yeux du demandeur.

Le même Figaro auquel cette version était attribuée publiera 44 ans plus tard une variante impliquant toujours une certaine noblesse (ce qui n’étonne pas de la part de ce journal), mais de l’autre côté de la Manche :

Le Times a demandé à ses lecteurs leur avis sur le prêt des livres. Un bibliophile à qui cette enquête rappelle une savoureuse histoire en faisait part, hier, à notre confrère.

Un châtelain anglais faisait un jour les, honneurs de sa bibliothèque à ses invites.

— Prêtez-vous quelque fois vos livres ? lui demanda-t-on.

— Moi, jamais. Il n’y a que les imbéciles (fools) qui les prêtent.

Et désignant une longue rangée de reliures rares aux belles enluminures, le collectionneur ajouta :

— Ceux-là, par exemple, ont tous appartenu à des imbéciles.

(sourceLe Figaro, 9/3/1928.). Il ne s’agit plus que d’une rangée, mais d’évidence de qualité.

Ne pas rendre le livre emprunté n’est pas un phénomène récent : comme le rapporte Albert Cim dans son savoureux Amateurs et voleurs de livres (1903), qui s’ouvre d’ailleurs sur l’anecdote qui nous intéresse :

Le fait est que les emprunteurs ont été de tout temps, et bien plus que l’eau et le feu, la terreur des bibliophiles.

« Ite ad vendentes ! » avait fait graver Scaliger sur le fronton de sa bibliothèque. Oui, « allez en acheter », et laissez-moi les miens.

« Que le diable emporte les emprunteurs de livres ! » C’était une des plaisantes devises dont le cynique et savant peintre du Moutier avait, à l’époque de Louis XIII, orné la porte de son cabinet sous les combles du Louvre.

C’est bien le diable qui doit être à l’œuvre ici, et ce n’est donc pas étonnant que l’on trouve dans le Tableau abrégé des principaux devoirs d’un prêtre en forme de règlement et d’examen (1814) la confession suivante :

« N’ai-je pas gardé les livres qu’on m’a prêtés, négligeant de les rendre, ne cherchant pas avec assez de soin ceux à qui ils appartenaient ? (Le cas est plus grave quand ce sont de grands ouvrages dont on retient un volume.) »

L’union faisant la force, et pour rester dans les publications religieuses, on citera pour finir ce passage dans le numéro du 3 octobre 1911 de La Croix :

Une Ligue vient de se fonder, dont les adhérents prennent l’engagement de ne plus prêter un seul volume de leur bibliothèque à qui que ce soit.

Le but en est de donner du courage à ceux qui en manque et qui n’oseraient pas, s’ils ne se sentaient tenus par des engagements sérieux, refuser de prêter un livre à un ami étourdi.

Ainsi un amateur de livres montrait un jour sa bibliothèque, fort bien garnie d’ailleurs, à un visiteur qui semblait apprécier les richesses exposées à ses yeux. Avisant un volume, il en sollicita le prêt pour quelques jours.

— Mille regrets, dit vivement le propriétaire de la bibliothèque, mais la chose que vous me demandez est impossible. Je ne prête jamais de livres ; c’est, chez moi, un principe.

— Pourquoi ?

— Pourquoi ? Livre prêté, livre perdu.

— Pas en ce qui me concerne ; je vous promets de le rendre.

— C’est là une promesse que l’on fait toujours et que l’on ne tient jamais.

— Mais si, je vous assure…

— Non, non, je sais ce que je dis… Et la preuve, c’est que tous les livres que vous voyez là sont des livres prêtés.

Même si la Ligue n’est qu’un prétexte, ce sera toujours quelque chose.

Mais évidemment, si votre bibliothèque est numérique, vous ne pourrez la montrer d’un geste à votre interlocuteur en montrant qu’elle ne consiste que de livres empruntés… D’où l’avantage certain de la matérialité du livre (comme on l’avait déjà vu) malgré ce danger d’emprunt-sans-retour qu’elle comporte, et qui est sans comparaison avec ceux qui menacent les bibliothèques électroniques, capables de s’effacer entièrement d’un seul coup et bien plus rapidement que celle d’Alexandrie.

15 mai 2014

Devinette pas uniquement à l’intention des amateurs de danse

Classé dans : Danse, Livre — Miklos @ 21:44

De quoi s’agit-il dans cette description ?

« Un pas en avant. Un pas en arrière. Un pas à droite. Un pas à gauche. Double-passe en avant. Double-passe en arrière. Volte-face à droite. Volte-face à gauche. »

(voir la réponseMouvements d’escrime à la baïonnette effectués par des tirailleurs, in Jean Baptiste Soyer, Exercices et manœuvres d’infanterie, 1846.)

26 mars 2014

Quand ActuaLitté rature

Classé dans : Actualité, Livre, Médias — Miklos @ 12:45


Les bibliothèques d’Érik Desmazières

« Table ronde autours du PNB en Europe », « elle date ddu projet Gutenberg », « le rôle social de l’“e-bibliothèqe” », « Tout  ce que nous faisons à la librairie » (il s’agit évidemment de « bibliothèque », faux ami notoire), « Ll’idée de la bibliothèque virtuelle », « fichiers chronodégradable », « …pourquoi un ebook peut-être indisponible à un moment », « la bibliothèque de Grenoble a ainsi pu apprendre à maîtriser les outils numériques, tester les réactions des inscrits, voir les demandes », « la même signifation sociale », « les bibliothèques le plus ouvertes possible ».

Voici une sélection de phrases d’un article du site ActuaLitté – les univers du livre qui vise à rapporter le contenu d’une table ronde consacrée au prêt de livres numériques en bibliothèque, et qui s’était tenue en début de semaine au Salon du livre. Ce texte ne se contente pas de bafouer l’orthographe et la syntaxe – un comble, vous l’avouerez, dans le contexte du livre et de la lecture –, il en transforme aussi les faits. Voici quelques mises au point.

 « Le Centre National du livre a organisé une table ronde réunissant trois femmes ».

Non, c’est le service du livre et de la lecture au ministère de la culture qui l’a organisée, en réunissant quatre personnes, dont une n’était pas une femme (je peux en témoigner personnellement).

 « L’idée n’est pas jeune. Les intervenants ont rappelé qu’elle date ddu [sic] projet Gutenberg lancé à l’initiative de Michael Hart en 1971 ».

La confusion entre « livre électronique », « bibliothèque numérique », « prêt électronique de livres » est totale… L’intervenant, moi en l’occurrence, a dit en l’espèce que :

- le livre numérique, inventé vers 1949, existe de façon exploitable depuis le début des années 1960 ;

- la première bibliothèque numérique apparaît sans doute avec le projet Gutenberg qui démarre en 1971 ;

- le prêt de documents électroniques commence avec l’apparition du disque compact dans les années 1980 ;

- et enfin, le prêt en ligne de documents numériques (musicaux) démarre, lui, en 2003 au Danemark.

 Le journaliste cite Madame Andrea Krieg, qu’il intitule « directrice de la bibliothèque Karlsruhe en Allemagne », et lui fait dire : « Nous proposons maintenant 350 000 titres différents. Ils sont consultables sur tout type de support, ordinateurs, tablette ou smartphone, et sont chronodégradables. »

D’abord, il ne s’agit pas d’une quelconque bibliothèque nommée Karlsruhe, mais de la bibliothèque d’État de Karlsruhe (c’est un peu comme s’il appelait notre BnF « la bibliothèque Paris »).

Ensuite, là aussi confusion totale (et données erronées) entre la taille du fonds physique de la bibliothèque – 311 942 documents – et son fonds numérique disponible en ligne – 7204 documents.

 La relation que le journaliste fait de l’intervention de Madame Fiona Marriott de Luton Culture est aussi plus qu’approximative : elle ne mentionne pas qu’il s’agit d’un organisme à but non lucratif et d’utilité publique (en anglais, « registered charity ») récemment créé (en 2008), plutôt qu’un organisme d’État, à la différence des deux autres bibliothèques représentées ici.

Ensuite, l’article ne dit pas – information centrale, pour ce débat – que le fonds numérique (comparable en volume avec celui de Karlsruhe) est fourni par OverDrive, société américaine qui détient d’ailleurs quasiment le monopole du prêt électronique d’ouvrages aux États-Unis et dont l’offre ne correspond pas toujours aux besoins de bibliothèques britanniques.

Enfin, les problèmes avec Penguin ont commencé bien plus tard, quand OverDrive a fait affaire avec Amazon et permis le télé­char­gement d’ouvrages sur le Kindle, ce qui a causé le retrait de l’éditeur de son offre dans OverDrive en 2011 (et son retour en septembre 2013).

 En ce qui concerne la bibliothèque de Grenoble, aucune mention de Numilog, fournisseur d’un petit fonds de livres électroniques à cette bibliothèque municipale depuis 2005, puis les raisons de la réorientation vers le projet PNB passées sous silence. À ce propos, le journaliste semble confondre l’acronyme de ce projet – un nom propre, donc – avec l’expression « prêt numérique en bibliothèque » en tant que nom commun, qui décrit ces nouvelles modalités de circulation.

Enfin, il prétend que cette bibliothèque « désirait construire sa propre interface numérique » (mes italiques), ce qui est une incompréhensible incompréhension… : à ma question, Madame Brigant avait expliqué (en français, elle) que PNB, à l’encontre par exemple de la solution OverDrive, ne fournissait pas d’interface à ses services mais des APIs (méthodes de connexion informatiques) ce qui nécessitait ce développement.

Je ne peux qu’espérer que le reste du public de la table ronde aura compris, lui.

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