Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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8 janvier 2008

Les dents de la mer

Classé dans : Géographie, Lieux, Nature, Photographie — Miklos @ 23:36

Nous venons de dire : « essayer d’aborder à Ouessant » ; c’est, qu’en effet, la mer, toujours agitée, incessamment déchirée par les écueils, rend trop souvent impossible ou extrêmement dangereux ce petit voyage de vingt-deux kilomètres.

Le passage du Fromveur, véritable torrent, plein de remous et d’inégalités, coulant avec une vitesse de sept à huit nœuds par marée ordinaire, toujours furieux, mais épouvantable au moindre souffle ; les chenaux de la Helle et du Four, détroits couvrant les vestiges de l’ancien relief du littoral, ne le cèdent point, en renommée sinistre, au raz de Sein, à la côte de Plogoff et de Penmarc’h. Partout le péril se présente, là même où il n’est pas soupçonnée par des yeux inexpérimentés (…).

Il faut encore y joindre les difficultés de la navigation dans le dédale des îlots semés en si grand nombre vis-à-vis ce point, appelé la Fin de terre (…).

« Qui voit Ouessant voit son sang ! » affirme un dicton bien connu de tous les marins et pêcheurs armoricains.

C’est l’Enez-heussa (l’île de l’Épouvante), disent en tremblant les femmes anxieuses pour le retour de leurs pères, de leurs maris, de leurs enfants. Nom bien choisi, tellement les périls de tous genre environnent ce petit coin de terre, long de huit kilomètres, large de cinq et si âprement découpé par la vague que, vu à vol d’oiseau, il emprunte l’aspect de Célèbes (Océanie), figurant plusieurs presqu’îles unies par un centre commun.

Les Ouessantais prenaient et prennent encore admirablement leur parti de la situation. Ils savent se suffire à eux-mêmes. Les vieilles mœurs vont partout s’effaçant ; néanmoins, la douceur, la probité, l’hospitalité, la moralité forment le fond du caractère des habitants (…).

Les hommes de l’île sont tous marins (…). Les femmes restent presque exclusivement chargées de travaux agricoles (…). L’orge est la meilleure des récoltes (…). Les mottes ou glonats, mélange de varechs et de détritus, sont encore un combustible très employé. (….) La chair du mouton possède une succulente renommée ; les vaches produisent un lait délicieux. Quant aux chevaux, ils étaient remarquables par leur vivacité d’allures, l’élégance de leurs formes (…).

Ouessant posséda un collège de druides, respectés, écoutés de la Gaule entière. Les étymologistes en ont conclu que le nom du pays signifierait : île des très respectables, ou, plus simplement, île très élevée, des deux mots ushant-inis, qui pouvaient être pris dans le sens littéral ou le sens figuré, tous deux parfaitement appropriés et au collège sacré et à la configuration du sol (…).

Durant les longues nuits d’hiver, quand le redoutable vent du sud-ouest soulève l’Atlantique, quand la crête des lames tourbillonne en mugissant, quand la voix sourde des récifs répond à leur clameur, quand une atmosphère opaque ou perfidement vitreuse enveloppe l’horizon, combien de capitaines ont cherché avec anxiété la lueur protectrice [du phare du Stiff] !… Depuis deux cents ans qu’elle brille, elle a successivement éclairé la route des flottes de Tourville, des escadres de Duguay-Trouin, des armées navales de d’Orvilliers, de Guichen… et de tant de vaisseaux qui, à la fin du siècle dernier, allaient chercher l’ennemi avec une carène délabrée, des mâts tenant à peine, équipage novice mais plein d’ardeur. La victoire récompensa souvent leur héroïque audace.

Valentine Vattier d’Ambroyse, Le littoral de la France, vol. 2. Paris, 1890-1892.

Ce n’est qu’un au-revoir… (autres photos)

24 novembre 2007

Le Havre vu de Paris, le soir

Classé dans : Lieux, Photographie — Miklos @ 12:58

22 octobre 2007

L’Opéra de Sydney

Classé dans : Architecture, Lieux, Musique, Photographie — Miklos @ 6:40


 

 

 

 

Autres photos

13 octobre 2007

« Pollution, pollution… »

Classé dans : Actualité, Environnement, Nature, Politique, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 22:51

See the halibuts and the sturgeons
Being wiped out by detergents.
Fish gotta swim and birds gotta fly,
But they don’t last long if they try. (…)
Pollution, pollution,
Wear a gas mask and a veil.
Then you can breathe, long as you don’t inhale.

— Tom Lehrer, Pollution (ca.1965)

’Cause when love is gone,
there is always justice,
And when justice is gone,
there is always force
When force is gone,
there is always Mom.
So hold me Mom
in your long arms
Your petrochemical arms
Your military arms
In your electronic arms…

— Laurie Anderson, O Superman (1981)

Si la terre perdait son repos, elle s’écroulerait.
— Lao Tseu, Tao Te King, ch. 39.

L’américain qui aurait dû recevoir le prix Nobel pour avoir mis le doigt sur les maux de la planète bien avant Al Gore est Tom Lehrer malgré son opinion sur cette distinction.1 Ce génie – qui a décroché son diplôme en mathématiques de Harvard avec grande distinction à l’âge de 18 ans – est surtout connu comme chansonnier, ce qui est encore plus méritoire aux US, pays qui en a eu bien moins que de vice-présidents : satire politique et sociale subtile et grinçante, fine, décapante et pince-sans-rire sur une musique pastorale ou joyeuse contrastant violemment avec la gravité de la cible : pollution, racisme, course à l’armement…

Quelque peu prémonitoire aussi est O Superman de Laurie Anderson. Écrite en 1981, cette chanson post-moderne à la mélodie minimaliste et cool et au rythme lancinant atteint le statut de tube malgré ses paroles à références2. Elle – et, plus généralement Big Science, l’album dont elle fait partie, ainsi que d’autres œuvres d’Anderson – évoque hypertechnologie et course à l’armement culminant en l’arrivée d’avions d’attaque made in America. Smoking or non-smoking ? poursuit-elle ironiquement.

L’accumulation de la pollution résulte de la saturation de la capacité de la nature et de l’homme à éliminer ou à recycler les déchets dus à une surproduction industrielle destinée à satisfaire une consommation toujours en croissance ; elle menace de nous étouffer. La pollution existe aussi dans le virtuel : les pourriels (ou spams) engorgent les réseaux et les boîtes à lettres électroniques, occasionnent une perte croissant du temps requis pour trier la multiplicité des messages, rendent de plus en plus difficile l’identification et la consultation des messages pertinents et transforment ce qui était au départ un outil de communication efficace en un immense dépotoir.

L’une comme l’autre de ces pollutions provient principalement des pays industrialisés ou en voie d’industrialisation. Les statistiques mondiales varient selon la période et le secteur analysé. Sophos plaçait, pour le second trimestre 2006, les Etats-Unis en tête de la source des spams, suivi par la Chine (presque à égalité) et la Corée, puis par la France, la Pologne et l’Espagne, le Brésil, le Japon, le Royaume Uni et Taiwan. À l’échelle continentale, ce serait l’Asie le principal pollueur électronique, suivi par l’Europe et par l’Amérique du Nord. Ce palmarès est globalement confirmé par Spamhaus. Lorsque l’on consulte les chiffres récents de Spamcop, on constate toutefois que les premières sources de pourriel sont asiatiques : les deux Chines, la Corée, la Thaïlande, le Japon et l’Inde ; puis (curieu­sement) les Pays-Bas, (moins curieu­sement) la Russie et l’Ukraine, les États-Unis et le Mexique.

Or selon le Blacksmith Institute, les sites les plus pollués au monde se trouvent en ex-URSS (Russie, Azerbaïdjan, Ukraine), en Chine, en Inde, au Pérou et en Zambie. Quant aux responsables des émissions de gaz à effet de serre, ce sont, au premier chef, le Canada, les États-Unis, la Russie et l’Australie, selon la base de données d’indicateurs climatiques de l’institut des ressources de la planète. On retrouve ici les principaux pollueurs électroniques.

Quoi qu’il en soit, Al Gore a contribué à la médiatisation et à un début de prise de conscience, à un niveau individuel et politique, de ce processus qui nous menace tous. Il n’aura pas été le premier (James Lovelock, qui a l’âge de Doris Lessing, aurait pu en être récompensé), mais il arrive peut-être au bon moment. On ne peut que le souhaiter.


1 « Political satire became obsolete when Henry Kissinger was awarded the Nobel Peace Prize. »
2 « O Superman, O Judge, O Mom and Dad » fait écho à l’aria de Chimène « Ô souverain, ô juge, ô père » dans le Cid de Massenet, et la phrase en exergue de cet article rappelle ce passage du trente-huitième chapitre du Tao Te King de Lao Tseu : « Une fois perdue la voie, reste la vertu ; perdue la vertu, reste l’humanité ; perdue l’humanité, reste la justice ; perdue la justice, reste le rite. Le rite n’est que l’écorce de la droiture et de la sincérité, c’est la source du désordre. »

7 octobre 2007

Mes voyages en Inde

Classé dans : Architecture, Cuisine, Lieux, Musique, Sciences, techniques — Miklos @ 21:44

La vie est un mystère qu’il faut vivre, et non un problème à résoudre.

Commencez par changer en vous ce que vous voulez changer autour de vous.

Le bonheur c’est lorsque vos actes sont en accord avec vos paroles.

Mon exigence pour la vérité m’a elle-même enseigné la beauté du compromis.

Il y a assez de tout dans le monde pour satisfaire aux besoins de l’homme, mais pas assez pour assouvir son avidité.

La haine tue toujours, l’amour ne meurt jamais. — Gandhi

Je fis mes premiers pas en Inde en compagnie de Jules Verne et de Kipling. J’y découvris avec émerveillement son immensité géographique, sa variété ethnique et la complexité de sa société, sa richesse culturelle, sa profondeur historique, sa faune et sa flore exubérantes, ses goûts et ses couleurs.

« Personne n’ignore que l’Inde — ce grand triangle renversé dont la base est au nord et la pointe au sud — comprend une superficie de quatorze cent mille milles carrés, sur laquelle est inégalement répandue une population de cent quatre-vingts millions d’habitants. (…) Aussi l’aspect, les mœurs, les divisions ethnographiques de la péninsule tendent à se modifier chaque jour. Autrefois, on y voyageait par tous les antiques moyens de transport, à pied, à cheval, en charrette, en brouette, en palanquin, à dos d’homme, en coach, etc. Maintenant, des steamboats parcourent à grande vitesse l’Indus, le Gange, et un chemin de fer, qui traverse l’Inde dans toute sa largeur, en se ramifiant sur son parcours, met Bombay à trois jours seulement de Calcutta. »1

Ce sont Les Cinq cents millions de la Bégum qui me firent entrevoir le faste et la richesse inimaginables de ses maharadjas et l’enchantement des titres et des mots de ce monde-là dont la musique des sons ne manquait de me fasciner, décrits avec un humour british et une profondeur psychologique2 que je ne percevrai que bien plus tard, comme quoi il y a des livres que l’on peut relire à tout âge :

« Sir Bryah Jowahir Mothooranath, dit-il, en prononçant ces noms avec le respect que tout Anglais professe pour les titres nobiliaires, je suis heureux de vous avoir découvert et d’être le premier à vous présenter mes hommages ! (…) Vous êtes, à l’heure actuelle, le seul héritier connu du titre de baronnet, concédé, sur présentation du gouverneur général de la province de Bengale, à Jean-Jacques Langévol, naturalisé sujet anglais en 1819, veuf de la Bégum Gokool, usufruiter de ses biens, et décédé en 1841, ne laissant qu’un fils, lequel est mort idiot et sans postérité, incapable et intestat, en 1869. »

Les couvertures originales en couleur des Voyages extraordinaires de chez Hetzel, où se mêlent une foison de cornues et d’appareils photographiques, de compas et de longues vues, d’un gouvernail, de bouées et de cordes surmontés d’un globe terrestre traversé par une ancre, sur un fond de plantes tropicales verdoyantes laissant paraître des bouts d’un ciel bleu où l’on aperçoit au loin des poteaux de fils électriques, des toits d’usines et une montgolfière, le tout entouré d’une chaîne à laquelle sont suspendues deux affiches, l’une donnant le nom de l’auteur et l’autre le titre évocateur, Tribulations d’un Chinois en Chine. Cinq Cent Millions de la Bégum — comment ne pas être émerveillé par ce livre, dont les gravures intérieures en noir et blanc illustrent le propos dans un clair-obscur souvent saisissant : ce n’est que bien plus tard, en reprenant ce livre, que je remarquai son côté prémonitoire ; il suffit de regarder l’image de « Stahlstadt, la Cité de l’Acier » pour se rappeler de celles, apocalyptiques, ouvrant Le Désert rouge d’Antonioni. Les circuits de l’information, sa démultiplication et ses métamorphoses à la face du monde sont ceux d’aujourd’hui, à la vitesse près :

Mais il convient de laisser le Congrès à cette occupation pratique (…) pour suivre pas à pas, dans un de ses innombrables itinéraires, la fortune du fait-divers publié par le Daily Telegraph.

Dès le 29 octobre au soir, cet entre-filet, textuellement reproduit par les journaux anglais, commençait à rayonner sur tous les cantons du Royaume-Uni. Il apparaissait notamment dans la Gazette de Hull et figurait en haut de la seconde page dans un numéro de cette feuille modeste que le Mary Queen, trois-mâts-barque chargé de charbon, apporta le 1er novembre à Rotterdam.

Immédiatement coupé par les ciseaux diligents du rédacteur en chef et secrétaire unique de l’Echo néerlandais et traduit dans la langue de Cuyp et de Potter, le fait-divers arriva, le 2 novembre, sur les ailes de la vapeur, au Mémorial de Brême. Là, il revêtit, sans changer de corps, un vêtement neuf, et ne tarda pas à se voir imprimer en anglais. Pourquoi faut-il constater ici que le journaliste teuton, après avoir écrit en tête de la traduction : Eine übergrosse Erbschaft, ne craignit pas de recourir à un subterfuge mesquin et d’abuser de la crédulité de ses lecteurs en ajoutant entre parenthèses : Correspondance spéciale de Brighton ?

Quoi qu’il en soit, devenue ainsi allemande par droit d’annexion3, l’anecdote arriva à la rédaction de l’imposante Gazette du Nord, qui lui donna une place dans la seconde colonne de sa troisième page, en se contentant d’en supprimer le titre, trop charlatanesque pour une si grave personne.

C’est après avoir passé par ces avatars successifs qu’elle fit enfin son entrée, le 3 novembre au soir, entre les mains épaisses d’un gros valet de chambre saxon, dans le cabinet-salon-salle à manger de M. le professeur Schultze, de l’Université d’Iéna.4

C’est un monde en mouvement que Jules Verne décrit, lancé avec l’invention de la machine à vapeur dans une course à l’accélération vertigineuse dans une tentative toujours insatisfaite de nourrir l’avidité infiniment croissante et perpétuellement encouragée du consommateur occidental. Du temps de Jules Verne, l’Asie du Sud-Est semblait figée dans son passé impérial et hiératique, image d’Épinal rassurante pour les amateurs d’exotisme. Maintenant, elle devient une puissance économique avec laquelle il faut composer, son « indice de développement humain » croissant plus vite que celui de l’OCDE et susceptible de le rattraper bien avant le milieu du siècle présent.

Quant à Kipling, ce fut d’abord la lecture du Livre de la jungle qui me fit faire connaissance avec Mowgli et son monde d’animaux doués de parole (tels ceux des Contes du chat perché, de Marcel Aymé, autre écrivain que j’aime tant), sages et moins sages à l’instar de l’espèce humaine, tentant de cohabiter tant bien que mal dans cette jungle tout aussi sociale que botanique : le brave ours Baloo pas si balourd que cela et très attachant, la panthère noire Bagheera, Kaa le serpent, le tigre Shere Khan ou les Bandar Log… Mais c’est surtout le « personnage » de la mangouste Rikki-Tikki-Tavi, dans la nouvelle éponyme de ce recueil, qui me reste en mémoire : courageuse, vive, intelligente, elle mène un combat (victorieux) contre le couple de serpents Nag et Nagaina, qui veulent tuer la famille qui avait recueilli Rikki-Tikki, afin de s’en approprier le territoire et pouvoir calmement y pondre leurs œufs. Plus tard, ce seront Les Histoires comme ça, merveilleusement illustrées par l’auteur, qui m’enchanteront : Le Papillon qui tapait du pied et ses difficultés conjugales, Le Chat qui s’en va tout seul et qui ne se laisse pas apprivoiser — les titres en sont déjà tout un programme, et les contes enchanteurs et plein de cet humour fin et pince-sans-rire qui décrivent des animaux attachants et faillibles, à l’instar de cet Enfant d’Élephant à l’insatiable curiosité (« Mon père m’a donné la fessée, ma mère m’a donné la fessée ; tous mes oncles et tantes m’ont donné la fessée pour mon insatiable curiosité, n’empêche que je veux savoir ce que le Crocodile mange au dîner ! ») dont les conséquences presque fatales mais inattendues feront le bonheur de son espèce.

Ce sont les cours d’histoire de l’art au lycée qui me révèleront l’architecture fantastique de ce pays à l’enchevêtrement extrême et à la grâce sinueuse et sensuelle. Depuis, il m’arrive de rêver de visiter des temples perdus dans la jungle (ou, à défaut, le Taj Mahal à Agra) sans pour autant me prendre pour un Indiana Jones à la recherche des cinq pierres de Shankara ou un Stewart Granger à Bhowani Junction, dans ce continent qui n’a de cesse de me fasciner et qui me paraît pourtant inatteignable.

C’est à l’université, lors de mes études en théorie des nombres (le domaine qui m’a le plus fasciné à ce jour) que je découvris Ramanujan, l’extraordinaire mathématicien indien autodidacte (1887-1920), dont le perspicace Hardy sut apprécier le génie à sa juste mesure, malgré les circonstances étranges dans lesquelles il se révéla à lui : en 1913, il reçut une lettre de dix pages d’un employé inconnu à Madras, qui contenait plus d’une centaine de théorèmes d’une très grande originalité. Hardy la montra à son collaborateur Littlewood, et ils en conclurent que ces résultats étaient véridiques. Rama­nujan était l’antithèse du mathé­ma­ticien uni­ver­sitaire typique, dérivant ses conclusions plus par intuition et induction que par un processus rigoureux de démons­tration. Hardy, qui collabora avec lui pendant cinq ans, dit qu’il n’avait d’égal que le suisse Euler (1707-1783), le plus grand mathématicien du dix-huitième siècle, et le plus prolifique de tous temps (avec le hongrois Paul Erdös, dont j’ai eu l’immense chance de suivre les cours) et l’allemand Karl Jacobi (1804-1851).

C’est dans les plats de ma mère que je découvris les saveurs du curry — ce qui ne dura pas longtemps : en ayant une fois malencontreusement versé bien plus que d’habitude dans un plat, elle en fut dégoûtée à jamais — et dans les restaurants de Londres mes premiers repas indiens ; c’est dans cette ville que je vis des femmes en sari et des hommes enturbannés, dont les traits harmonieux des visages cuivrés et la démarche fluide me parurent d’une extrême élégance et d’une étrange noblesse. C’est ensuite aux Etats-Unis que j’appris à faire mes premiers chutneys et rencontrai des collègues indiens dont l’anglais était mâtiné d’un accent si caractéristique, doux et charmeur.

C’est enfin au Théâtre de la Ville que j’assistai à des concerts de musique classique indienne. Si j’en avais entendu parler dans un cadre professionnel, rien ne remplace l’expérience du spectacle vivant. Deux récents récitals qui s’y sont donnés ont permis de confronter des aspects finalement très différents des musiques de ce pays, perceptibles même pour des incultes (comme je le suis) à ces traditions séculaires alliant des principes musicaux stricts (une multiplicité de ragas, de notes et de tempéraments, une structure cyclique complexe) et de l’improvisation à un contexte religieux et à une interaction avec un public de connaisseurs – avec des différences de style importantes entre l’Inde du Nord et celle du Sud. Dimanche dernier, c’était Hariprasad Chaurasia, très grand flûtiste, accompagné de deux autres flûtes, d’un pakhawaj (double tambour indien) et d’un tampura (instrument à quatre cordes fournissant le ton de basse continue), en un concert fascinant qui présentait surtout la musique hindoustanie (celle de l’Inde du nord), où les instruments semblaient parler telles des voix humaines et raconter une histoire qui remontait à la nuit des temps. On a pu aussi entendre quelques œuvres de l’Inde du sud, bien plus instrumentales dans leur nature, et tout aussi intéressantes. L’atmosphère simple et bon enfant qui semblait partagée par les musiciens pourtant concentrés dans leur travail artistique et spirituel contribuait à ce sentiment de bien-être et de plaisir que l’on ne pouvait manquer de ressentir. À l’opposé, le concert de la semaine suivante, celui de Ramani, flûtiste représentant l’Inde du sud et sa musique carnatique. Le maître est entré en scène suivi de ses musiciens, s’est installé, ajustant son habit de soie blanche aux boutons en diamants, regardant de temps à autre sa montre tout en or, jetant parfois des regards agacés à la personne chargée de contrôler le tampura électronique, puis, après des apprêts qui auront duré de longues minutes, se mit finalement à jouer. Brillante performance de virtuose, dialogue et défi avec le violon de Santhanam Varadarajan – qui, lui, paraissait ravi de jouer sans prendre des airs de maître malgré les nombreux titres et prix qu’il a récoltés déjà à un très jeune âge –, improvisant et se répondant l’un et l’autre selon des principes stricts. Mais finalement, c’était l’ennui qui a pesé tout le long de ce concert.

Je ne suis encore jamais allé en Inde.


1 Jules Verne, Le Tour du monde en quatre-vingt jours, J. Hetzel et Cie, [s.d.].
2 « Octave Sarrasin, fils du docteur, n’était pas ce qu’on peut appeler proprement un paresseux. Il n’était ni sot ni d’une intelligence supérieure, ni beau ni laid, ni grand ni petit, ni brun ni blond. Il était châtain, et, en tout, membre-né de la classe moyenne. Au collége, il obtenait généralement un second prix et deux ou trois accessits. Au baccalauréat, il avait eu la note “passable”. Repoussé une première fois au concours de l’École centrale, il avait été admis à la seconde épreuve avec le numéro 127. C’était un caractère indécis, un de ces esprits qui se contentent d’une certitude incomplète, qui vivent toujours dans l’à peu près et passent à travers la vie comme des clairs de lune. Ces sortes de gens sont aux mains de la destinée ce qu’un bouchon de liége est sur la crête d’une vague. Selon que le vent souffle du nord ou du midi, ils sont emportés vers l’équateur ou vers le pôle. C’est le hasard qui décide de leur carrière. »
3 On remarquera la pique. La tension entre la France et l’Allemagne – surtout depuis la guerre de 1870 et l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine – se reflète explicitement chez Jules Verne (ainsi que chez bien d’autres auteurs de son époque). Prémonitoire, aussi, ce personnage, à propos duquel l’auteur écrit : « D’ailleurs, ce projet n’était pour Herr Schultze que très secondaire ; il ne faisait que s’ajouter à ceux, beaucoup plus vastes, qu’il formait pour la destruction de tous les peuples qui refuseraient de se fusionner avec le peuple germain et de se réunir au Vaterland. »
4 Jules Verne, Les 500 millions de la Bégum, J. Hetzel et Cie, [s.d.].

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