Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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24 octobre 2005

Jeu de mots, tristes maux

Classé dans : Langue, Littérature — Miklos @ 1:59

Je viens de lire, dans un commentaire d’un journal en ligne :

j’ai connu son fils a Celan , a Paris, il est clown , il s’est jete dans la scene

J’y lis : Il s’est jeté dans la Seine, ce que fit Celan (père). Il y a quelque chose de poétique sur cette façon de résumer les destins tragiques des clowns (et de leurs pères), de l’appel des planches à celui de la rivière.

23 octobre 2005

Tapez moins fort, Big Brother vous écoute

Classé dans : Politique, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 23:53

La FCC américaine (Federal Communications Commission, l’équivalent de l’ANRT, en quelque sorte) vient de publier le décret d’application d’une directive qu’elle avait émise en août, étendant les provisions d’une loi de 1994 concernant les écoutes : dorénavant, celles-ci s’appliqueront aussi aux universités, aux bibliothèques, aux aéroports fournissant des connexions sans fil et aux fournisseurs d’accès à l’internet (commerciaux, publics – comme les municipalités).

La loi d’origine obligeait les compagnies de téléphone d’adapter leurs systèmes à leurs propres dépens afin de permettre aux Strasky et Hutch fédéraux d’y avoir éventuellement accès. Le nouveau décret requiert cette adaptation de la part de tous ces autres modes de communication (courrier électronique, voix sur IP) jusqu’au printemps 2007.

Les protestations les plus fortes sont venues des universités, qui indiquent que le coût qu’elles auraient à supporter s’élève à 7 milliards de $ au moins, sans pour autant assurer de pouvoir identifier les contrevenants. Elles se préparent donc à ester en justice auprès de la Cour d’appel des US, mais ne remettent pas en cause le droit du gouvernement à utiliser les écoutes pour combattre le terrorisme et la criminalité sur les campus universitaires.

Par contre, le Center for Democracy and Technology, groupe d’activistes pour les libertés civiles, va déposer plainte à l’encontre de cette tentative du gouvernement de contrôler l’internet.

Source : Le New York Times.

Un chef-d’œuvre de l’édition

Classé dans : Lieux, Livre — Miklos @ 0:35

Arte vient de diffuser un reportage sur un lieu extraordinaire. Il s’agit du monastère de Haeinsa en Corée, construit au IXe siècle, et qui conserve le Tripitaka Koreana, la plus importante collection de textes du canon bouddhique. Lors des invasions mongoles au XIIIe siècle, elle fut copiée par les moines sur 81 258 tablettes de bois de bouleau imputrescible magnifiquement gravées de caractères chinois sur les deux faces, à la demande du roi Gojong. Il s’agissait de protéger la doctrine du Bouddha, mais aussi de sauver le pays en faisant appel à la bienveillance du Bouddha, au lieu de prendre les armes.

Ces tablettes se sont parfaitement conservées jusqu’à nos jours, grâce au traitement qu’elles subirent : plongées dans l’eau de mer pendant trois ans, puis coupées en blocs et bouillies dans de l’eau salée ; pour être ensuite séchées à l’ombre, exposées aux vents pendant trois ans supplémentaires, avant d’être finalement polies ; après avoir été gravées, elles furent enduites d’une laque empoisonnée destinée à repousser les insectes, et leurs coins furent renforcés avec du métal pour leur éviter de se déformer. L’attention fut aussi donnée aux magasins destinés à les accueillir : il n’y avait pas de climatisation électrique à l’époque, mais un judicieux système de petites et grandes fenêtres qui y assuraient une bonne circulation d’air et une hygrométrie stable.

Elles servent toujours : les moines utilisent ces planches, avec les mêmes gestes de méditation vécue, communion avec vivants et morts, pour imprimer des pages sur du papier de mûrier. Cette œuvre grandiose figure sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1995.

Sources :
- l’émission d’Arte et son site ;
- le site de l’administration du patrimoine culturel coréen.

20 octobre 2005

Le web comme hégémonie de l’amateurisme, ou Wikipedia sous les feux croisés

Classé dans : Livre, Progrès, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 0:37

Dans un récent article lumineux, Nicholas G. Carr1 analyse les valeurs New Age que le Web nouvelle géné­ration – celui de l’« intel­ligence col­lec­tive » symbo­lisée par Wikipedia et les blogs – repré­sente : « par­tici­pation, collec­ti­visme, commu­nautés virtuelles, ama­teu­risme », avec, comme corrélats, « superfi­cia­lité, préfé­rence des humeurs aux faits, écholalie, encou­ra­gement à l’extrémisme idéo­lo­gique et au commu­nau­ta­risme ». Prenant comme cas d’espèce le manque de qualité et de fiabilité de la Wikipedia2 (qu’il analyse avec exemples à l’appui), il en conclut que l’Internet bouscule l’économie de la culture d’une façon qui en réduira les options plutôt que les élargira : le choix est clair, entre (par exemple) l’Ency­clopédie Britan­nica et la Wikipedia, on choisira ce qui est gratuit, et ce qui s’y trouve sera répliqué à l’infini sur le Web, quel que soit sa qualité. En réponse à Kevin Kelly, qui affirme qu’« à cause de la facilité de création et de diffusion, la culture en ligne est la culture », il dit : « J’espère qu’il a tort, mais je crains qu’il ait raison ».

Il semblerait que même au sein de la Wikipedia on commence à avoir des doutes. Dans un autre article, Andrew Orlowski rapporte que Jimmy Wales, l’un des co-fondateurs, reconnaît finalement l’existence de problèmes réels de qualité. Orlowski soulève d’autres problèmes au-delà de la fiabilité, ceux, par exemple, de grammaire et de syntaxe de nombreux articles. La solution à ce problème particulier ? Des experts – de l’édition, des contenus – ce qui la ferait converger vers les « vraies » encyclopédies actuelles. Mais l’idéologie des contributeurs (en sus du problème économique) pourrait être un frein insurmontable.

Sous-jacent à ces articles est le constat que le Web est passé de l’utopie à la « vraie vie », et elle n’est pas si rose que cela. Philippe Breton l’avait déjà clairement décrit3 pour d’autres médias. C’est aussi ce qu’a affirmé Claude Perdriel, PDF du Groupe Nouvel Observateur, dans la leçon inaugurale qu’il a donnée mardi 18 aux élèves du Centre de formation des journalistes (CFJ) : « Internet est le plus grand danger pour l’éthique et la défense de ce à quoi nous croyons. [... N]’importe qui peut créer des sites, diffuser des rumeurs. Quand les gens de Google disent « Nous sommes le premier média au monde », personne n’a parlé des règles professionnelles de Google. ».4 Ni de celles de la Wikipedia, d’ailleurs.

Dans un très bel article consacré à Giorgio Agamben et Gianni Vattimo5, Michel Guérin s’interroge sur la « mondialisation » (ses guillemets) :

La post­mo­dernité montre deux visages : la menace et la bonace. Par un aspect, elle défait, délocalise, déracine, sape les liens tradi­tionnels ; par un autre, elle comble le désir, au-delà même de ce qu’il aurait pu souhaiter. Ce qu’elle n’autorise plus, c’est l’intermédiaire, qui est à la fois l’essence de l’Eros platonicien et celle de l’autorité protectrice, tutélaire, de la loi qui, jusqu’ici, défendait dans la double acception du mot.

Ce texte s’achève sur un question­nement, destiné à éviter, d’une part, « la vitupération d’une époque mal bâtie, la nôtre » en sombrant dans « passéisme et nostalgie ennemis d’une pensée dont la tâche est toujours le présent », et, d’autre part, « l’anti-humanisme et le cynisme déclarés ». Sans le repère de la croyance au progrès, « Comment trouver notre voie propre entre un sens qui nous fuit en nous faisant courir le risque de l’irréalité et le virtuel qui nous cerne en menaçant d’occuper le lieu de la réalité ? »


1 Auteur, entre autres, de Does IT Matter? Information Technology and the Corrosion of Competitive Advantage, Harvard Business School Press, 2004. ISBN: 1591394449.
2 Cette critique n’est pas récente (voir, par exemple, l’article de Hiawatha Bray de juillet 2004 [dont j’avais parlé il y a un an]). Ce qui est frappant, c’est, qu’avec le temps — la Wikipedia existe depuis plusieurs années — ces problèmes s’aggravent au lieu de se résoudre. Une preuve de plus s’il en fallait que la technologie ne fait que fournir des cadres à l’activité humaine et ne peut garantir une quelconque qualité des résultats.
3 Voir, par exemple, cet entretien dans lequel il décrivait il y a une dizaine d’années déjà l’homo communicans comme prototype du manipulateur, la recherche du plus petit commun dénominateur, l’enfermement dans le « village planétaire » qu’est l’Internet, etc.
4 Cité dans Le Monde du 20 octobre 2005.
5 « Après la modernité. Hommage à Giorgio Agamben et Gianni Vattimo », La Bibliothèque de Midi.

6 octobre 2005

Voisins de château

Classé dans : Littérature — Miklos @ 0:28

J’étais encore enfant quand j’ai découvert les ouvrages de Julien Gracq dans la bibliothèque de mes parents – nous habitions alors bien loin de la France – qui m’était ouverte sans restriction, ce dont je ne manquais pas de profiter. Pendant un temps, je l’ai confondu avec Julien Green – proximité des noms oblige – ou avec Horace Walpole, dont le romantique Château d’Otrante ne se trouvait qu’à quelques centimètres du Château d’Argol dans l’étrange géographie de cette bibliothèque merveilleuse qui forgea une bonne partie de ma vie. Ce livre, « drame de la fascination », me fascinait, non pas uniquement pour son intrigue (qui ne manquait pas de m’intriguer), voire ses qualités littéraires (que je commençais à peine à percevoir), mais aussi pour la dédicace, écrite et illustrée, à l’intention de ma mère. L’image me semblait faire partie intégrale du livre, et ce n’est que bien plus tard, jeune adolescent, que je compris qu’il y avait là une curieuse particularité que je retrouvais dans les autres livres que nous avions de lui et dont j’appris rapidement la raison. Je découvris alors avec délectation tout un fonds de lettres couvertes de son écriture si fine autant dans sa graphie que dans son style ; il avait suffi que je pose une question pour en avoir la réponse, mais si je ne l’avais fait, qu’en serait-il advenu ? Depuis, je ne peux m’empêcher de penser à lui comme à un être composé, personne-livres-lettres hors du temps commun mais intégré à mon univers personnel.

J’ai fini aujourd’hui L’amour du yiddish. Écriture juive et sentiment de la langue. 1830-1930, de Régine Robin (que j’avais commencé hier ; 288 pages sans compter les notes, tout de même). Très informatif, malgré les partis pris (idéologiques) sur lesquels elle ne sait s’asseoir (ou du moins distiller plus discrètement), les inégalités de traitement (Sutzkever en note uniquement !), les redites et les lourdeurs de syntaxe (pas de relecteur/éditeur ?). Dans le chapitre sur Kafka (qui vient un peu comme un cheveu sur la soupe), j’ai appris avec stupéfaction que Kafka voulait dire choucas (qu’elle écrit « chouca ») en tchèque, à propos de qui elle parle du Chasseur Gracchus en rapprochant ce nom de « Gracchio qui signifie “chouca[s]” ». Je n’ai pu m’empêcher de rapprocher le son de ce nom de celui de Gracq (pour lequel « Kafka n’est pas un de ses auteurs de chevet », même si « Le Procès [l]’a beaucoup marqué »), et Le Château de l’un au Château d’Argol de l’autre…

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