Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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17 mars 2006

Les stéréotypes et moi

Classé dans : Danse, Politique — Miklos @ 17:18


 
Omar Porras dans le rôle de Clara
« Je n’aime pas les spectacles de travestis ». Et pourtant : même si je n’ai pas aimé La Cage aux folles, j’ai trouvé que Michel Serrault y jouait fort bien, et ai surtout apprécié le moment où il se déguise en dame respectable pour tromper les parents bien pensants du fils de son compagnon. Et pourtant on aura pu remarquer avec quelle jubilation j’ai vu Omar Porras dans le rôle de la Vieille dame de la pièce éponyme de Friedrich Durrenmatt, où, l’instant de son entrée passée, on sait qu’il est la Vieille dame. Et pourtant, j’ai tant apprécié la mezzo-soprano dans le rôle du Pèlerin de L’Amour de loi de Kaija Saariaho. Et pourtant, j’ai admiré le jeu de Michel Fau dans le rôle de la maquerelle du Balcon de Genet (« Je n’aime pas Genet », autre de mes idées reçues).


 
Anna Pavlova dans La Mort du cygne
Je ne sais donc vraiment pas ce qui m’a amené à acheter des places pour le récent spectacle des Ballets Trockadero de Monte Carlo (qui est, comme son nom ne le laisserait pas supposer – mais tout le reste oui –, une troupe de danse new-yorkaise), d’autant plus qu’il avait lieu au Châtelet, et qu’il comportait à son programme des ballets d’un classicisme que je trouve maintenant trop académique : Les Sylphides de Chopin ou La Mort du cygne de Saint-Saëns, sur une chorégraphie fort belle d’ailleurs de Michel Fokine, ou d’autres moins connus (de moi, en tout cas), dont Raymonda de Glazounov (compositeur que j’aime bien), chorégraphié par Marius Petipa.

J’avais oublié – l’avais-je d’ailleurs su ? – que cette troupe n’était composée que d’hommes. Lors de la première scène des Sylphides, 8 danseuses entrent puis évoluent gracieusement en tutu, dans la plus pure tradition des cinq positions et des enchaînement du grand ballet classique : pointes, battements, fouettés… tout y est, avec une très grande maîtrise de la technique. C’est alors que je m’aperçois qu’une partie au moins doit être du sexe dit fort (alors qu’elles l’étaient toutes) : carrure (je ne les suspectais pas d’être des nageuses est-allemandes) et taille (pour certains du moins) l’ont révélé rapidement, ainsi que la musculature, plus typique d’un homme que d’une femme : et ils en jouent, les diables. Même si la chorégraphie est généralement respectée, par moment ils la transgressent avec humour ou ironie : exagération des mouvements classiques jusqu’au ridicule, poses maniérées de grandes folles outrées… mais le tout fait de façon à amuser plutôt qu’à choquer cette majeure partie du public composée de vieilles dames très bien habillées et de vieux messieurs très distingués qui n’ont pas manqué de rire en remarquant les entorses (si je puis dire) à la tradition de la danse classique, tandis qu’une bonne partie du reste du public semblait bien plus avertie sur le deuxième niveau de lecture des gags. Dans certains ballets, une partie des danseurs est habillée en homme, et les couples qui se forment sont parfois très cocasses, tel celui où l’homme fait deux têtes de moins que « sa » partenaire – ce qui rend particulièrement difficile les moments où il doit la soulever…

Mais au-delà de l’amusement bon enfant qu’offre ce spectacle, la « transgression » des habitudes qu’il effectue amène à se poser des questions sur les stéréotypes – dans ce cas homme/femme, et à propos de son inscription dans la gestique du ballet classique : lorsque ces hommes dansent des rôles de femme, avec des habits de femme et utilisant toute la technique associée aux ballerines, et qu’on sait d’autre part que ce sont des hommes, ces repères si stables qu’ils en sont presque inconscients sont bouleversés – et ouvrent en même temps de nouvelles perspectives d’expression scénique, en l’occurrence.

C’est aussi une façon de (re)découvrir le ballet classique, celui que je pensais ne plus aimer regarder à moins qu’elle ne soit dansée par les meilleurs. Il aura fallu cette dérision proclamée des interprètes pour en désamorcer la mienne. Alors finalement, je dois bien aimer certains spectacles de travestis : quand ils sont bons, et celui-ci l’était.

C’est la vie, mais est-ce de l’art ?

Classé dans : Danse — Miklos @ 13:51

Six hommes sont actuellement en soins intensifs après avoir participé à un essai clinique de phase 1 qui venait d’avoir lieu en Grande Bretagne. Ils testaient un nouvel anti-inflammatoire. La petite amie de l’un d’eux, un jeune homme de 28 ans, a dit qu’il « ressemblait à Elephant Man » : un peu plus d’une heure après l’administration du médicament, il a commencé à se sentir mal ; sa tête a triplé de volume ; « ses poumons, son cœur et ses reins sont sous support, des tuyaux sont branchés sur son nez, sa bouche, son cou, ses bras et son ventre », rajoute l’amie ; tous ses autres amis ne peuvent plus supporter de le regarder. Un médecin a annoncé qu’il faudrait un miracle pour qu’il survive. « Les six patients sont tombés malades quelques minutes après la prise du médicament expérimental », témoigne Raste Khan, qui un de ceux qui ont pris le placebo. « Tout le monde vomissait sans cesse. Ils s’évanouissaient, puis reprenaient conscience. J’imagine qu’ils avaient des migraines, parce que beaucoup se tenaient la tête », a-t-il expliqué. Le porte-parole de l’association de l’industrie pharmaceutique britannique a déclaré que c’était un événement exceptionnel de mémoire d’homme. (Sources : Nicole G., The Australian, The Guardian, Le Nouvel Obs).

Ce n’est pas la seule récente nouvelle de ce genre d’« essai clinique raté», mais c’est l’une des plus terribles, et elle tombe au moment du spectacle Replacement de la chorégraphe américaine Meg Stuart au Théâtre de la Ville : sadisme, domination/soumission, tentatives d’étranglement, défiguration, masturbation, viol, sodomie, angoisse, hystérie, épisodes maniaco-dépressifs, épilepsie, tétanie, autisme, solitude, dédoublement de la personnalité, voyeurisme, cannibalisme, nécrose – les huit protagonistes, souvent victimes, parfois tortionnaires, sont l’objet de forces d’une violence paroxystique qui les poussent à ces comportements, explicitement ou non, les uns à l’égard des autres et à leur propre encontre. Décrite visuellement par leur comportement sur scène mais aussi par une vidéo sur grand écran, soulignée par une musique tout aussi violente, elle est difficilement soutenable.

Quelle en est la raison ? Sont-ils drogués ? Qui en est l’ordonnateur ? On ne le saura pas vraiment, mais une voix off indique qu’il y a une opération médicale en cours (remplacement de parties d’un corps ? clonage ? et si oui, d’un être parfait ou d’un monstre ? tests cliniques ? Combien de temps dure-t-elle, quelques heures comme le laisserait entendre une réplique, ou une centaine de jours, d’après le décompte qui s’affiche sur un des écrans ? On ne le sait. Il n’y a pas que les repères temporels qui sont bouleversés : la pièce, hexagonale, dans laquelle se tient une partie du spectacle, se mettra à basculer, puis à tourner, les parois et le plafond devenant tour à tour le sol, chavirant ceux qui y entrent ou en sortent tels des pantins désarticulés. La notion même d’intérieur et d’extérieur – de cette pièce, qui n’est qu’une partie de la scène, et qui pourrait être un laboratoire – est altérée. À la fin, les huit personnages apparaissent avec des têtes de monstres. Serions-nous tous les monstres d’une création qui aurait mal tourné ?

Ce spectacle, parfois noyé dans une musique électronique d’un niveau sonore extrême (est-ce légal ?), ne laisse pas de la place à l’humour ou à la poésie. Et pourtant, la scène lors de laquelle une des femmes à l’allure de Marilyn Monroe évolue dans cette pièce tandis qu’y est projeté sa propre image de façon à ce qu’elle semble doublée, voire démultipliée, et qui évolue indépendamment du personnage « réel » tout éperdu et paraît même plus réelle que lui, est saisissante. Les premières minutes des évolutions des personnages dans (et autour de) la chambre qui s’est mise à pivoter telle une grande roue ne manquent pas aussi d’un certain humour décalé – même s’ils s’éterniseront.

Ces deux scènes sont les seules où une certaine distance est prise avec l’horreur et la violence. Ce sont donc les seules qui peuvent prétendre à la qualité d’art, finalement, de par ce recul et du passage dans le symbolique. Le reste n’est qu’un reflet fidèle de tristes réalités de plus en plus fréquentes. The Elephant Man est de l’art : sa condition est une métaphore. Le malheureux jeune homme qui a été transformé en son simulacre est une tragédie.

À lire :
Jeroen Peeters : « Les corps dansants sont des filtres », Mouvements n° 38, janvier-mars 2006.

16 mars 2006

L’Amour de loin

Classé dans : Musique — Miklos @ 1:27

Il n’a pas fallu attendre l’internet pour s’aimer de loin.

Casanova, âgé de 72 ans, devenu bibliothécaire dans un château de Bohême, aura une « liaison » épistolaire et chaste – qui l’eut cru ? – avec Cécile de Roggendorff, jeune fille de 50 ans plus jeune que lui et qu’il ne rencontrera jamais.

Bien plus tard, l’écrivain Khalil Gibran (1883-1931) ne rencontrera jamais May Ziyada, avec laquelle il aura une longue correspondance, réunie dans Les Lettres d’amour de Khalil Gibran.

Que n’êtes-vous ici pour donner des ailes à ma voix et changer mes murmures en chansons. Mais je continuerai de lire, sachant que parmi les « étrangers » qui m’entourent, une amie invisible est à l’écoute avec son sourire plein de douceur et de tendresse.

La correspondance « volumineuse et passionnée » de Tchaïkovski avec Madame Von Meck – « qui tentait du mécène, de l’amateur éclairé, du bas-bleu, de la folle hystérique » – durera quatorze ans sans qu’ils ne se rencontrent jamais, à la demande expresse de la Baronne qui y mettra pourtant fin par dépit amoureux. Encore plus extra­or­di­naire – mais chez les Russes y a-t-il autre chose que l’extra­or­di­naire ? – est la Correspondance à trois entre Rainer Maria Rilke, Boris Pasternak et Marina Tsvétaïeva, dont Liny Denis dit :

C’est ce qui donne toute sa tension à la frénésie de ces échanges. Ils ont à sur­monter le vide, à surmonter la distance, à surmonter l’épreuve de ne pas voir le visage de l’autre. Oui, ils ne se sont jamais rencontrés. Quel extra­or­di­naire éclat de passion entre ces correspondants qui ne se sont jamais vus ou qui ne peuvent plus se voir parce que l’une d’entre eux est émigrée, parce que pour l’un, des années les séparent, et pour tous trois des milliers de kilomètres les séparent.

Dans 84, Charing Cross Road, Helene Hanff retrace la correspondance, authen­tique, entre une new-yorkaise fauchée éprise de littérature et un libraire londonien ; ils s’écriront pendant plus de vingt ans sans jamais se rencontrer.

Ce soir, c’est avec la fébrilité de Helen Hanff déballant un colis de livres envoyé par Frank Doel que nous avons ouvert le coffret contenant le DVD de 84 Charing Cross Road que la poste nous avait apporté ce matin. C’était aussi avec le souvenir émouvant du livre éponyme à partir duquel David Hugh Jones, en 1987, a tourné le film sur un scénario de l’auteur et de James Roose-Evans. Anne Bancroft et Anthony Hopkins, en même temps qu’ils tiennent leurs rôles – elle d’une lectrice américaine et lui d’un libraire londonien qui frôleront l’amour sans jamais le manifester et sans jamais se rencontrer – sont devenus à l’écran d’irrésistibles lecteurs de leurs propres lettres. Alliance sans trahison d’un livre et d’un film. C’est rare, c’est si loin du tapage que font aujourd’hui livres ou films transformés en tambours par leurs promoteurs, ce fut un régal. Nous reverrons ce petit chef-d’œuvre de temps à autre, et ce sera, j’en suis certain, avec le même plaisir qu’à chaque lecture nous procure le livre subtil de Helen Hanff…

Hubert Nyssen, Carnets, 6 septembre 2005

Il est vrai qu’un océan les séparait, mais cela n’a pas empêché l’écrivain Theodore Sturgeon d’épouser en 1969 une admiratrice au terme d’un échange de lettres passionné sans qu’ils ne se rencontrent avant de passer à l’acte (de mariage). Par contre, Pierre Girard et Alice Rivaz s’écriront de 1944 à 1951 sans jamais se rencontrer, bien qu’ils n’habitaient qu’à quelques minutes l’un de l’autre.

Un autre genre de correspondance étrange, parce que silencieuse, s’est établi en 1987 entre deux artistes, Xu Zhi Wei, photographe de Pékin, et Edith Henry, peintre lilloise, qui s’échangeront pendant dix ans des photos en noir et blanc, véritables témoins de leur pays, de leur vie et de leur époque[…] construisant petit à petit les puzzles de leurs existences parallèles. Leur Correspondance muette a été récemment exposée.

[...] il s’agit en quelque sorte, au moyen de photographies envoyées depuis le bout du monde, d’épier l’autre au travers des failles du temps. Les photographies sont des miroirs qui réfractent des fragments de la vie de l’autre. Cette réfraction n’est sans doute pas très nette, elle est parfois mal interprétée, mais c’est justement là que se trouve l’intérêt de l’échange, dans la mesure où le désir de savoir s’en trouve renforcé.

C’est l’archétype de l’amour de loin qui fait l’objet de l’opéra éponyme de la compo­si­trice finlandaise Kaija Saariaho, celui que portera Jaufré Rudel, Prince de Blaye et troubadour pour Clémence, Comtesse de Tripoli, au XIIe s. pour laquelle il écrira plusieurs chansons. Si l’histoire n’a pu déterminer si l’objet de cet amour était réel ou métaphorique et ce qu’il en est advenu, elle a inspiré plus d’un auteur à l’instar d’Edmond Rostand qui en a tiré sa pièce La Princesse lointaine.

Le livret d’Amin Maalouf, écrit en étroite collaboration avec la compo­si­trice, en donne une lecture tragique. C’est un Pèlerin qui, lors de ses pérégrinations entre Occident et Orient, parle de la belle Comtesse au Prince – « belle sans l’arrogance de la beauté, noble sans l’arrogance de la noblesse » – qui s’en éprend à tel point qu’elle occupe ses jours et ses nuits. Le Pèlerin le rapportera à la belle dame, à laquelle il chantera, tant bien que mal, les œuvres qu’elle a inspirées à son amoureux lointain, dont elle s’éprendra peu à peu. L’un comme l’autre en a une image idéalisée, et se demande, chacun de son côté, s’il y a lieu de se rencontrer, la réalité pouvant mettre un terme douloureux à ce sentiment passionné et fantasmatique – « d’être deux je n’ai point appris ». Finalement, surmontant ses craintes – « j’ai peur de la retrouver, j’ai peur de ne pas la retrouver » –, le Prince décide de franchir la mer pour aller la retrouver, car « au bout du voyage commencera ma vie ». Mais tombant malade en cours de route, il arrive mourant à Tripoli et décède la nuit suivante dans les bras de la Comtesse. Celle-ci décide alors d’entrer dans les ordres, aucun homme ne devant plus avoir le droit de l’aimer après un tel amour. La prière déchirante qu’elle adresse à Dieu semble transmuter le Prince en un Christ venu mourir pour elle et qu’elle adorera jusqu’à la fin des temps.

Cet opéra aborde des thèmes essentiels et universels, mais qui doivent particulièrement toucher ses créateurs. Il s’agit tout d’abord de l’ailleurs – On rêve tous d’outremer – de la confrontation de l’Occident et de l’Orient et de l’exil – de l’espoir, mais aussi de la culpabilité qui habite celui qui part : « Votre pays a-t-il mérité que vous l’abandonniez ainsi ? » On ne peut s’empêcher de penser à la compo­si­trice finlandaise et à l’écrivain libanais, vivants chacun en France, s’appropriant sa culture et notamment sa langue, l’une dans le chant l’autre dans l’écrit.

Quant au processus de la création artistique, l’opéra fait ressortir la tension qui ne doit manquer d’exister entre l’aspiration de l’auteur (ou du compositeur) à la perfection et la matérialité de l’interprétation de l’œuvre qui ne peut jamais être « aussi parfaite » que son modèle (le texte, la partition) : le Prince, qui a passé ses nuits à composer ses chansons, souffre de la façon approximative dont le Pèlerin les a chantés à la Comtesse. L’œuvre idéale existe-t-elle ailleurs que dans l’esprit de son créateur ?

Enfin, ce que l’amour courtois, puis romantique, a semé dans le cœur de tant d’amoureux : l’être idéal existe-t-il ? Et lorsqu’on le rencontre, la réalité ne vient-elle pas briser ce qui n’était qu’un rêve, l’autre correspond-il à l’image que l’on s’en est fait, et suffit-il de vouloir être deux pour savoir le faire ? Et finalement, l’amour absolu et parfait est-il de ce monde ? Et s’il ne l’est pas, vaut-il la peine d’aimer ? La théologie chrétienne du péché originel ne laisse pas de place pour l’espérer, et ce n’est que dans l’ordre des choses – son ordre – que le Prince mourra sitôt arrivé et que la Comtesse se donnera à Dieu.

La musique est splendide. La structure générale de l’opéra est lumineusement simple, et alterne les scènes de façon souvent binaire : tout d’abord A/B – « Jaufré Rudel » / « Le Pèlerin » (acte I), « Clémence » / « L’amour de loin » (acte II), « Au château de Blaye » / « À Tripoli » (acte III), puis A/B/A – « Mer indigo » / « Songe » / « Tempête » (acte IV), tandis que la forme du cinquième acte suggère la forme A/B/A/B : « Le jardin de la Citadelle » (l’attente) / « Si la mort pouvait attendre » (avant la mort) / « J’espère encore » (une autre forme d’attente) / « Vers toi qui si loin » (au-delà de la mort). Le grand orchestre – prolongé par le chœur – offre des mélodies et des sonorités riches, chatoyantes et expressives sans aucun maniérisme ni pathos, tout en sachant aussi se faire discret et délicat. Ancrée solidement dans un certain XXe s. classique mais sans aucun académisme, la partition sait aussi faire référence à la musique médiévale tout en y intégrant des éléments très contemporains – notamment dans l’inoubliable chanson du Troubadour que le Pèlerin interprète pour la Comtesse. L’orchestre ne noie pas les voix, qui passent du sprechgesang au chant et reviennent à la parole au fil de l’œuvre, ponctuée par le leitmotiv sur les paroles « L’amour de loin », qui revient comme une formule incantatoire, illustrant les moments les plus poignants de l’œuvre : l’espoir, l’amour, la mort, la transfiguration.

Créé en 2000 à Salzbourg, l’opéra vient d’être donné en version concert au Châtelet, avec l’Orchestre symphonique allemand de Berlin et les Chœurs de la radio de Berlin sous la direction de Kent Nagano, dont la prestation était irréprochable. La très belle voix de mezzo-soprano de Marie-Ange Todorovitch et son excellente interprétation servaient particulièrement bien le personnage du Pèlerin, tandis que Magali de Prelle a interprété avec aisance le rôle souvent difficile de la Comtesse. L’accent américain et le timbre parfois trop métallique de Daniel Belcher convenaient moins au rôle de Rudel. La réalisation vidéo conçue par Jean-Baptiste Barrière (mari de la compositrice) fournissait une illustration discrète et efficace à l’intrigue. Souvent abstraite, elle suggérait la mer, ses vagues et la tourmente des amants. Parfois plus réaliste, mais floutée comme en un rêve, elle montrait parfois des manuscrits médiévaux qui ancraient le récit dans sa période ou la silhouette d’une ville orientale, la Tripoli de la Comtesse.

Une grande soirée en compagnie d’une grande compositrice, dont l’opéra suivant, Adriana Mater, sera donné dans quelques jours à l’Opéra-Bastille. On en reparlera.

À lire, à voir :
• Amin Maalouf : L’amour de loin, Grasset et Fasquelle, 2001.
• Kaija Saariaho : L’amour de loin (DVD). Avec Dawn Upshaw, Gerald Finley, Monica Groop et le Finnish National Opera Orchestra dirigé par Esa-Pekka Salonen, mise en scène de Peter Selars. Deutsche Grammophon.

10 mars 2006

La malédiction de Faust

Classé dans : Musique, Société — Miklos @ 21:55

J’ai découvert Faust et l’opéra quand mes parents m’emmenèrent voir cette œuvre à l’Opéra de Paris ; je n’avais pas encore 10 ans, j’en revins la musique plein la tête et saisi, ému et bouleversé par ce que j’avais vu, de mes yeux vu : la tentation, la faute, la punition, le diable, le ciel… Je chantais ce dont je me souvenais et n’eus cesse d’écouter le 33T que nous avions et que j’usai à force de le remettre sur la platine, inter­pré­tation si française donnée par ces grands musiciens inter­na­tionaux que sont André Cluytens (belge), dirigeant les chœurs et l’orchestre de l’Opéra de Paris, Victoria de los Angeles (espagnole qui n’avait, à ma surprise, rien du rossignol milanais, la célèbre Bianca Castafiore), Nicolai Gedda (suédois) et Boris Christoff (bulgare). Si, depuis, mes goûts musicaux ont évolués, j’ai un souvenir particulièrement tendre pour cette œuvre (et cet enregistrement).

C’est avec d’autant plus de dégoût que je viens d’apprendre la suspension de Tresa Waggoner, institutrice américaine qui enseigne la musique, au prétexte qu’elle a montré à ses élèves de cours élémentaire un extrait de la vidéo de Faust réalisée il y a une trentaine d’années et présentée par la grande soprano Joan Sutherland. En leur passant cette séquence d’une dizaine de minutes interprétée par des marionnettes, elle souhaitait éveiller l’intérêt de la classe et leur faire comprendre ce qu’étaient ténors et sopranos ; elle a attiré l’ire des parents, qui l’accusent de lesbianisme et de promotion de l’homosexualité (l’immoralité de cet opéra et de l’œuvre de Goethe, sans doute) ainsi que de satanisme (à cause de ce pauvre vieux Méphisto). Cette mère de deux enfants, ex cantatrice d’opéra qui passe une partie de sa vie à chanter du gospel dans les églises de la région a décidé de porter l’affaire devant les tribunaux, au cas où elle serait limogée. Cela se passe ces jours-ci au fin fond du Colorado, dans l’Amérique profonde, profondément conservatrice et étriquée, qui ne voit nul mal dans la diffusion à la télévision de films réalistes d’une violence parfois extrême et dans la possession d’armes à feu, ni dans la violence à l’égard des Noirs et des homosexuels (supposés ou réels).

9 mars 2006

Un spectacle à voir : la gouaille et la tendresse de Betty

Classé dans : Musique — Miklos @ 23:49

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