Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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8 mars 2006

Paris et le concert symphonique

Classé dans : Musique — Miklos @ 3:48

Les Français sont plus fâchés que les Allemands ou les Anglais avec la musique symphonique – et chorale, d’ailleurs. Est-ce dû à l’engouement français pour l’opéra dans la première moitié du 19e s., comme le relate ironiquement Pierre Lalo (fils d’Édouard) – ou à l’esprit national prétendument individualiste et frondeur ? Force est de constater que le répertoire français en est moins riche que celui de nos voisins, et que les orchestres symphoniques français ne sont pas souvent cités parmi les trois ou quatre meilleurs du monde. Cause ou effet, Paris souffre du manque de salles de concert adéquates, comme l’analysait Laurent Bayle, directeur général de la Cité de la Musique, lors d’une séance de l’Académie des Beaux-Arts en 2004. La seule qui s’en rapproche est la salle Pleyel, « aujourd’hui mal adaptée aux réalités de la vie symphonique internationale, tant en termes d’acoustique que d’accueil du public, voire surtout d’accueil des musiciens. »

On aura suivi les débats souvent vifs qui se sont tenus, il y a quelques années, autour de cette problématique : réhabiliter Pleyel (que la Ville et l’État n’avaient pu racheter lors de sa vente par le Crédit Lyonnais en difficulté, et qui était passé aux mains d’un propriétaire privé) ? construire une nouvelle salle à la Cité de la musique (comme le défendait Pierre Boulez) ? ailleurs (par exemple du côté du Grand Palais, de la Gaieté Lyrique ou de Chaillot) ? Quid de la problématique de sa localisation à Paris ? Tous ces aspects avaient été analysés par André Larquié – qui avait été président de RFI et deviendra celui de la Cité de la musique – dans un rapport que lui avait demandé Catherine Trautmann, ministre de la culture en 1999.

Eh bien, les deux premières alternatives ont été choisies : Pleyel vient d’être réhabilité et rouvrira en 2006 (avec 1900 places), et la Ville et l’État se sont finalement accordées à parité pour la réalisation d’une grande salle symphonique de 2000 à 2500 places à la Cité de la musique, avec réouverture en 2012. Et dans la foulée, un nouvel auditorium (de 1500 places) viendra remplacer le studio Olivier Messiaen dans une Maison de Radio France réhabilitée en 2010.

Ces trois annonces ont été faites par le ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres, lors de la présentation de la saison de réouverture de la salle Pleyel qui s’est tenue à la Cité de la musique lundi dernier, en présence du maire de Paris, Bertrand Delanoë – qui a annoncé pour sa part son intention de faire étendre le tramway en construction jusqu’à la Cité de la musique – , du président-directeur général de Radio-France, Jean-Paul Cluzel, du directeur général de l’Orchestre de Paris, Georges-François Hirsch et de Pierre Boulez. Pourquoi à la Cité ? Parce que Laurent Bayle préside Cité-Pleyel, la filiale de la Cité (dont les statuts ont été changés in extremis pour lui permettre d’avoir des filiales) chargée de gérer l’exploitation de la salle Pleyel.

Si le prétexte était la présentation par Laurent Bayle de la saison de réouverture de Pleyel, ce qui a retenu l’attention du public et des médias a été l’annonce de la construction de la grande salle à la Cité. Comme l’a remarqué le ministre, « Pierre Boulez n’a pas applaudi. Il attend sans doute pour le faire que la première note soit jouée dans cette salle », et si c’est le cas, il a bien raison d’être prudent. On sait le sort que des changements politiques peuvent réserver à des projets de fins de mandature, et il doit se souvenir de celui qui a été réservé à la grande salle de concert qui aurait dû être construite à l’Opéra Bastille. Enfin, on ne sait toujours pas quelle sera la participation financière de la Région dans ce projet. À ma question à ce propos, Bertrand Delanoë a répondu qu’il avait décidé que la Ville serait partenaire à parité avec l’État quand il avait constaté que la Région ne pourrait l’assumer à la même hauteur, qu’il venait de voir Jean-Paul Huchon à ce sujet, et que ce dernier allait se déterminer prochainement.

La première saison du nouveau Pleyel sera riche, très riche. Trois orchestres en résidence : l’Orchestre de Paris (résidence permanente), l’Orchestre philharmonique de Radio-France, et le London Symphony Orchestra qui y assurera tous ses concerts à Paris ; des orchestres prestigieux invités (tels l’Orchestre Philharmonique de Berlin), des solistes célèbres mais aussi la génération montante ; une dimension historique de la musique symphonie, ses antécédents baroque et classique, mais aussi d’autres genres (vocal, lyrique, chambriste) et les musiques actuelles (jazz, musiques du monde, variétés) ; une articulation avec les autres principaux orchestres parisiens et avec les régions… La Cité de la musique s’impose comme acteur majeur sur l’échiquier musical parisien.

Un sujet passé sous silence, toutefois : quelle sera l’articulation entre le Pleyel d’aujourd’hui et la grande salle de la Cité de demain ? Et dans une période qui a vu des faillites d’orchestres pourra-t-on assurer le remplissage de ces trois nouveaux lieux ? On ne peut que souhaiter une telle réussite. Peut-être entraînera-t-elle dans sa foulée un renouveau de l’écriture symphonique, comme on voit la réémergence de l’opéra.

Un sujet qui fâche, malgré tout : à peine quelques semaines plus tôt, le ministère de la culture a supprimé sa subvention pour 2005 à la branche française de l’AIBM (l’association internationale des bibliothèques, archives et centres de documentation musicaux) et ne compte pas la reporter pour 2006. Cette association fédère la profession en France, encourage la coopération inter-bibliothécaire et représente ses membres au niveau international ; elle organise des journées de travail, et publie des ouvrages de référence, autant sur papier qu’en ligne. Les bibliothèques musicales sont une charnière essentielle dans la vie musicale, autant pour les amateurs que les professionnels. Si le ministère affiche une volonté forte de l’encourager, il serait important que cela ne se fasse pas uniquement dans une optique de centralisation et de concentration.

Les Français et la tradition orchestrale

Classé dans : Musique — Miklos @ 1:18

Edgar Degas : Musiciens à l’orchestre

Au commencement de notre siècle, les chefs d’orchestre étaient en Allemagne, selon le témoignage et les souvenirs de Wagner, d’excellents et fermes batteurs de mesure, solidement instruits dans la tradition musicale du siècle précédent, mais qui tout naturellement se trou­vaient un peu décon­certés lorsqu’ils se trouvaient en présence d’œuvres nouvelles, d’une archi­tecture plus complexe et d’une instru­men­tation plus touffue ; par œuvres nouvelles il faut entendre non pas seule­ment celles de Wagner lui-même, mais la plupart des parti­tions de Beethoven, et parti­cu­liè­rement les dernières. Tout au moins ces vieux musiciens étaient-ils des chefs parfai­tement sûrs, exacts et minutieux ; leur manière de diriger était « aussi précise et aussi puissante qu’il se peut souhaiter ; on voyait que tous leur obéissaient comme à des hommes qui n’entendent pas la plaisan­terie et qui tiennent sérieu­sement leur monde dans la main ». En France les choses allaient à peu près de même façon ; seulement, comme il était naturel en un pays où l’on avait avec la symphonie moins de familiarité qu’en Allemagne, le savoir et le métier étaient plus faibles. S’ils avaient des défauts, les chefs de cette époque avaient donc de fortes qualités ; ils formaient une excellente école, qui semblait devoir se développer naturellement.


Edgar Degas : L’Orchestre de l’Opéra

Par malheur, l’opéra italien survint ; et quelque opinion qu’on puisse avoir de sa valeur, il est du moins un fait incon­tes­table, c’est que l’instru­men­tation italienne de ce temps-là fut la plus misérable, la plus plate et la plus nulle qui ait existé dans toute l’histoire de l’art. La faveur du public imposa rapi­dement à tous les théâtres les produc­tions de l’Italie. Les vieux chefs, que rebutait l’obli­gation de diriger cet orchestre indigent et creux, cette musique asservie aux voix des chanteurs, cédèrent presque partout la place à des gens moins graves, moins convaincus, parfai­tement dépourvus de connais­sances musicales, et dont tout le savoir allait jusqu’à accom­pagner les vocalises d’une canta­trice, ou bien encore jusqu’à composer pour elle des points d’orgue à grand effet. Ce fut une époque déplorable, où l’intelligence des chefs-d’œuvre classiques, et la valeur de leur interprétation orchestrale, furent réduites à néant. Les opéras de Gluck, ceux de Mozart, n’étaient plus considérés que comme des recueils de morceaux de chant. Quant aux musiciens nouveaux, tels que Berlioz en France et Wagner en Allemagne, leurs œuvres, difficiles même pour les Kapellmeisters de l’ancienne école, étaient simplement inabordables pour ceux de la moderne. L’un et l’autre en firent plus d’une fois la triste expérience. On remplirait un volume du récit des démêlés que l’auteur de Lohengrin et celui de la Damnation eurent avec des chefs incapables ou malveillants. Car ces praticiens insuffisants, aux prises avec des partitions trop compliquées pour eux, ne se contentaient pas toujours de les exécuter selon leurs moyens et leurs connaissances, médiocrement mais de bonne foi ; il leur arrivait souvent d’y porter de la mauvaise volonté et de la perfidie, et par des fautes préméditées de rendre incompréhensibles les ouvrages qu’ils devaient présenter au public. Et Berlioz constate qu’en pareil cas l’on n’attribue jamais le désastre à son véritable auteur : « on dit : les choeurs sont mal écrits, l’orchestre n’a pas d’aplomb, l’harmonie est confuse, l’auteur ne sait pas son métier… mais le mauvais chef d’orchestre trône, avec tout le calme d’une mauvaise conscience, dans sa scélératesse et son ineptie » .


Gerald Hoffnung : Le Chef d’orchestre

Peu à peu, tandis que diminuait l’engouement dont toute l’Europe avait été possédée pour l’art italien, on revint à de plus saines idées et à de meilleurs usages. La France mit longtemps à s’amender. Pendant cinquante ans, il n’exista chez nous qu’un seul orchestre digne de mention : celui du conservatoire, d’abord dirigé par le célèbre Habeneck ; les chefs qui lui succédèrent ne le valaient pas ; mais, soit à force de travail, soit grâce au mérite des artistes qu’ils conduisaient, ils parvinrent quand même à des exécutions excellentes, au moins par leur qualité matérielle. Cette unique société ne pouvait pourtant suffire à faire l’éducation du goût en France : ses auditeurs étaient trop peu nombreux, et formaient un cercle à peu près fermé. On se rendra compte de cet état de choses, si l’on se rappelle que Pasdeloup, dont on ne peut trop louer la bonne volonté et le dévouement à la musique, mais dont les exécutions furent parfois presque comiques à force d’imprécision et de fantaisie, parut presque à tout le monde, il y a vingt-cinq ans, un chef d’orchestre fort satisfaisant. Ce furent pourtant ses tentatives qui causèrent enfin un progrès dans nos orchestres ; c’est grâce à lui que le goût et le sens de la musique symphonique se répandirent graduellement dans un public de plus en plus nombreux et de plus en plus instruit.

Pierre Lalo (1866-1943): La musique, pp. 367-370

La British Library et Google

Classé dans : Livre, Sciences, techniques — Miklos @ 0:27


British Library. © Miklos 2005

Après avoir annoncé en novembre dernier son projet de numérisation avec Microsoft, la British Library fait maintenant affaire avec Google : il s’agit du référencement dans Google Scholar des contenus de son service de fourniture d’articles de recherche, British Library Direct.

Cette base référence environ 9 millions d’articles tirés des cinq dernières années de 20.000 des périodiques les plus demandés (dans des domaines tels que la médecine, les sciences et technologies, l’économie, l’environnement, le droit ou l’éducation) à la BL. Une partie des articles est téléchargeable immédiatement, le reste est numérisé à la demande. Les articles sont fournis au format PDF crypté contre versement d’un droit de copie (en sus d’un coût pour le service) qui permet de les conserver au maximum trois ans (ou moins, selon l’article). Le service n’est pas donné : un article de deux pages dans le Computer Music Journal (par exemple) revient au minimum à 12£ (17,50€), un autre de la même longueur dans Music and Letters revient à plus de 20£ (30€), quand bien même il est déjà numérisé et disponible pour téléchargement immédiat.

De son côté, Google Scholar est un service de référence de littérature savante qui permet de localiser des articles, des thèses, voire des livres, dans de nombreux domaines. L’accès au contenu des articles eux-mêmes dépend de leur fournisseur : certains requièrent un abonnement, d’autres un paiement à l’unité, tandis qu’il en existe aussi que l’on peut télécharger gratuitement. En s’y faisant référencer, la British Library augmente ainsi la visibilité de son service payant.

5 mars 2006

« Tout doit sur Terre / Mourir un jour »

Classé dans : Musique — Miklos @ 22:22

« Voix au timbre grave mordante et chaude comme la vibration d’une corde de violoncelle » (Vicomte de Vogüé : Les morts qui parlent)

Tous les quatre ans, à Paris, le con­cours de violon­celle Rostropovitch accueille des candi­dats du monde entier, toujours en pré­sence du maître. Les éditions précé­dentes ont déjà révélé de nombreux artistes désor­mais reconnus comme Han-Na Chang ou Tatjana Vassilieva. Arte propose (redif­fusion le 11 mars à 8h) de décou­vrir des extraits de l’édition 2005, avec de jeunes musi­ciens qui inter­prètent notam­ment les Suites pour violoncelle seul de Bach. Avec, pour clore la remise des prix, un grand concert des lauréats accom­pagnés par l’Orchestre de Paris. Diman­che 12 mars à 19h, Arte dif­fusera le Concerto pour violoncelle de Schumann, interprété par Mischa Maïsky lors du Festival de Verbier en 2003.

Le son du violoncelle, « déchirant et pro­longé, mélan­colique et cares­sant » (Huysmans), procure souvent une sensation particulière, une émotion profonde, bien plus personnelle que celle des autres instru­ments : l’attaque, le timbre, la vibration et la résonance font écho à des voix chères enfouies en nous, qui d’un parent, qui d’un ami. Lorsqu’il s’éteint, on croit en entendre encore le souvenir éva­nescent, comme suspendu dans l’air. Tendre et puissant, sérieux ou triste et parfois léger et enjoué mais toujours sur un fond de gravité, il exprime toute sa richesse, que ce soit dans la musique de chambre ou en soliste dans le concerto : Vivaldi, Haydn, Beethoven, Schumann, Brahms, Saint-Saens, Bruch, Dvořák, Fauré, Elgar, Vaughan Williams, Bloch, Hindemith ou Britten ont écrit des pages splendides pour l’instrument, et les plus grands interprètes n’ont pas manqué de les honorer : Pablo Casals, Emmanuel Feuermann, Jacqueline Du Pré, Gregor Piatigorsky, Mischa Maïsky, Leonard Rose, Janos Starker, Paul Tortelier…

Ce répertoire culmine certainement en un sommet de la musique, les Six Suites pour violoncelle seul de Bach, « quintessence de la création de Bach […] lui-même quintessence de toute musique » (Casals) où la voix de l’instrument, seule ou démultipliée en une extraordinaire polyphonie, s’adresse à notre for intérieur en des monologues et des conversations à deux. Si ce sont des études composées de mouvements de danse stylisés, eh bien ce sont des chefs-d’œuvre sublimes, dont l’interprétation historique de Casals (que j’ai eu la chance d’entendre live et que l’on peut écouter ici) est une référence inoubliable, sans pour autant invalider des approches plus contemporaines.

Ce sont trois de ces suites – la deuxième en ré mineur, la troisième en ut majeur et la sixième en ré majeur – qui ont été le prétexte musical au ballet In den Winden im Nichts de Heinz Spoerli, directeur du Ballet de Zurich qu’on a pu voir – et entendre, avec la belle interprétation en live du violoncelliste Claudius Hermann – hier au Châtelet. La toute première image a donné le ton pour la scénographie du reste du spectacle, sobre et abstrait : un immense rideau noir tombait simplement des cintres sur toute la largeur de la scène tout en ménageant une ouverture dans laquelle se tenait un danseur simplement habillé en un tricot de corps et un slip de la même couleur, une lance à la main. À le voir ainsi, on ne pouvait s’empêcher de penser au Doryphore de Polyclète ou à ce dessin de cet autre grand génie, Leonard de Vinci – ce que soulignera, plus tard, le grand cercle qu’on verra sur le mur du fond de la scène. Le solo du tout premier Prélude était, comme de nombreux moments du reste du spectacle, une vraie prouesse physique, à tel point qu’on se serait cru devant un mouvement de gymnastique plutôt que de ballet, souligné par la musculature athlétique du danseur. Puis, selon les mouvements, se sont succédés des pas de deux, de trois ou de quatre, des interventions de tout le corps de ballet, alternant avec d’autres soli.

C’est d’évidence de la danse classique, ou néo-classique : les postures des corps (voire même leur scultpure !), les pas, les enchaînements, les entrées et les sorties. Cela n’empêche pas d’innover – les possibilités de combinaison des gestes, même codifiés, sont infinies –, et Spoerli ne manque parfois pas d’humour, même si, finalement, il est difficile de garder l’attention durant le spectacle (qui ne dure que 1h15), particulièrement durant la première Suite, hésitant entre un certain académisme maniéré et un esprit cool, froid et détaché. Ce sont surtout les mouvements unisexe (pour hommes uniquement, ou pour femmes uniquement) et ceux pour tout le corps de ballet où l’intérêt et l’excitation repartent : le Prélude de la Suite n° 6, dans lequel les mouvements d’ensemble sont superbement désynchronisés à l’œil tout en faisant écho à chaque note de la musique en était un très bel exemple. Les danseurs sont presque toujours irréprochables tout au cours du spectacle, tout comme la scénographie et les costumes. Mais finalement, c’est la musique qui reste, après que la dernière note se soit éteinte.

À voir :
Base de données de violoncellistes

2 mars 2006

La marque et la trace

Classé dans : Sciences, techniques, Société — Miklos @ 11:58

Le code français de la propriété intellectuelle reconnaît à l’auteur le droit (dit moral) « perpétuel, inaliénable et imprescriptible » de contrôler la diffusion de ses œuvres. Il lui accorde le droit de divulgation, ou, à l’opposé, celui du retrait et du repentir. Ainsi, même après qu’une œuvre ait été publiée, son auteur peut la retirer de la circulation.

Mais ce n’est pas si simple, surtout lorsqu’il s’agit du Web, et encore plus lorsqu’il s’agit de Google. En effet, ce moteur de recherche qui parcourt la quantité astronomique et toujours changeante de la toile en effectue une copie (dans un espace appelé mémoire tampon, ou cache, en anglais) pour rendre plus efficace l’analyse qu’il en fait, autant pour répondre aux requêtes que pour sa stratégie de publicité (ce qui peut aussi poser problème aussi au regard du droit de reproduction). Or l’immensité des contenus visités est telle qu’il n’y revient pas forcément souvent (la fréquence de visite est fonction de divers critères qu’il serait intéressant de connaître) : en conséquence, il arrive souvent que des copies de pages retirées par leurs auteurs soient toujours disponibles (il suffit de cliquer sur le lien « En cache » placé auprès de la réponse). Elles n’en disparaîtront ou ne seront réactualisées que lorsque le site aura été rebalayé dans une visite ultérieure, parfois plusieurs mois plus tard.

Google n’est pas le seul à effectuer ce type de copie : l’Internet Archive s’est donné comme objectif d’archiver tout le Web depuis quasiment ses débuts, ce qu’il fait plus ou moins bien ; à la différence de Google, toutefois, il ne fournit pas qu’une copie – la dernière – des sites qu’il a visités (ce que fait Google), mais toutes les photographies qu’il en a prises au fil des années. Certaines pages de Google y sont d’ailleurs archivées, la plus ancienne en étant la version beta qui remonte à la nuit des temps (avant que Google n’apporte la lumière au monde en 1998). Il existe une procédure « humaine » pour se faire déréférencer de la mémoire tampon de Google, mais elle n’est pas immédiate et requiert parfois de nombreux allers-retours.

Une récente décision de la justice américaine conforte Google dans ces pratiques, qui remettent régulièrement en question la notion même des droits de la propriété intellectuelle : l’auteur qui les avait attaqué pour avoir violé ses droits (de reproduction, en l’occurrence) en copiant ses œuvres en ligne dans leur mémoire tampon a été débouté.

Dans leur analyse, le tribunal indique l’utilité de cette copie pour permettre de constater comment un site a évolué dans le temps – argument fallacieux, la copie étant unique et non datée, à l’opposé de ce que fait l’Internet Archive (et d’ailleurs, la possibilité de faire un tel constat prime-t-elle sur le droit de faire respecter ses choix de publication ?) ; il précise encore la méthode que chaque auteur doit suivre pour s’opposer, a priori et a posteriori, à la réalisation de cette copie – ce qui nécessite une intervention technique au niveau de la structure même de la page Web (rajout d’une métadonnée de type « robots no-archive »), bien au-delà des connaissances techniques de la plupart des utilisateurs-auteurs du Web, et qui ne sont souvent pas conscients de la trace qu’ils laissent malgré eux.

En d’autres termes, c’est aux auteurs de porter le poids de défendre leurs droits, et non pas aux autres de les respecter. Par analogie, on pourrait dire qu’une personne qui entre chez vous sans autorisation n’est pas coupable si la fenêtre était ouverte ou la porte non verrouillée.

Le tribunal a aussi déterminé que Google n’a qu’un rôle passif dans la distribution de l’œuvre : c’est l’utilisateur qui, en cliquant, la fait se dupliquer et arriver à son écran. Curieux argument : un libraire qui vendrait des ouvrages interdits n’aurait-il donc aucune responsabilité ?

Enfin, leur analyse selon laquelle la mémoire tampon est un espace de stockage temporaire de l’ordre de 14 à 20 jours qui satisfait ainsi à la loi dite DMCA est aussi étrange, au vu de la durée (que j’ai pu constater) de la survie de contenus dans cet espace des mois après la disparition des contenus originaux.

Quoi qu’il en soit, une personne avertie en vaut deux, bien mal acquis ne profite jamais (sauf aux grands), et demain sera un autre jour.

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