Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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26 septembre 2006

Être informé de tout et condamné ainsi à ne rien comprendre, tel est le sort des imbéciles.

Classé dans : Environnement, Nature, Société — Miklos @ 8:32

Selon le magazine Nature, l’ad­mi­nis­tration Bush aurait bloqué la dif­fu­sion d’un rapport qui suggère que le réchauf­fement global contri­bue à la fré­quence et à l’inten­sité des tornades. Ce rapport avait été préparé en mai par des clima­tologues de l’Admi­nis­tration natio­nale océa­no­gra­phique et atmos­phé­rique amé­ri­caine. Au moment où il allait être publié, un courrier élec­tro­nique éma­nant du Ministère du commerce, tutelle de ce dépar­tement, leur aurait été envoyé indi­quant que le rapport devrait être rendu « moins tech­nique » et non publié. (Source : Live Science). Ce ne serait pas la pre­mière fois : James Hansen, de la Nasa, affirme avoir été muselé depuis les années 80 par l’admi­nis­tration amé­ri­caine lorsqu’il aborde le sujet du réchauf­fement climatique.Ce triste constat de Bernanos pourrait s’appliquer en général au monde de surin­for­mation dans lequel nous vivons (et on n’a encore rien vu), mais il est d’une brûlante actualité, si l’on peut dire, lorsqu’on se voit confirmer, de plus en plus fréquemment, l’avenir que nous sommes tous en train de faire et dont nous commençons à subir les conséquences.

Un article publié hier par la revue de l’Académie nationale des Sciences américaine (signalé par le Nouvel Obs) révèle que la température de la Terre n’a pas été aussi élevée depuis le Holocène, et qu’elle n’est qu’à un degré de la température la plus élevée du million d’années passées. Les chercheurs relèvent d’autre part que le journal Nature a rapporté que 1.700 espèces de végétaux, d’animaux et d’insectes se sont déplacées vers les pôles à une vitesse d’environ 6,5 kilomètres par décennie durant la deuxième moitié du 20e siècle.

L’auteur principal de cet article, James Hansen, directeur de l’institut Goddard des études de l’espace de la Nasa, affirme qu’il ne reste que dix ans pour réagir avant que des cataclysmes ne se déchaînent sur la terre.

Quant à James Lovelock, autre chercheur de renommée mondiale, il prévoit qu’« en 2020-2025, on pourra voguer en voilier jusqu’au Pôle Nord. L’Amazonie sera devenu un désert, les forêts de Sibérie brûleront et dégageront encore plus de méthane, et les épidémies réapparaîtront », avec, à la clé, sècheresse et tornades dévastatrices, migrations de centaines de millions d’humains vers les zones polaires, conflits et morts.

Ce qui était le sujet de romans de science-fiction de Ballard devient un futur annoncé. Le futur que nous collaborons tous à faire. Où est le politicien, qui tel un Churchill, nous annoncerait « I have nothing to offer but blood, toil, tears, and sweat. We have before us an ordeal of the most grievous kind. We have before us many, many months of struggle and suffering. » (Je n’ai rien d’autre à vous offrir que le sang, le dur labeur, les larmes et la sueur. Nous devons faire face à une épreuve terrible. Nous avons devant nous de nombreux mois de conflit et de souffrance). Et s’il s’en trouvait un, serait-il élu ? « On ne subit pas l’avenir, on le fait. » (Bernanos)

25 septembre 2006

Journalisme comparatif

Classé dans : Société — Miklos @ 7:01

Le regroupement électronique d’articles de la presse consacré à un même sujet montre en général un traitement identique, presque au mot à mot : pas étonnant, les sources des principales informations sont limitées à quelques agences, et les journaux n’hésitent pas à les reprendre telles qu’elles.

On est d’autant plus surpris quand on lit dans deux journaux une chose et son contraire. C’est le cas avec l’annonce de la découverte d’une bactérie, l’entérocoque résistant à la vancomycine (ERV) dans les hôpitaux de la région parisienne, et qui aurait contaminé 313 personnes en deux ans. Jusqu’ici, tout le monde s’accorde. Mais voici ce qu’affirme Libération :

En deux ans, elles ont réussi à contaminer, sans pour autant les rendre malades, 313 personnes dans les hôpitaux de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris. Et « il n’y a aucun décès survenu à l’hôpital dont on puisse dire “ L’ERV l’a tué ” »,précise Vincent Jarlier, responsable des infections nosocomiales pour l’AP-HP.

tandis que L’Express – à l’instar d’une dizaine d’autres publications – titre « Une bactérie a fait 3 morts dans les hôpitaux d’Île-de-France » en citant Reuters :

Parmi elles, 53 ont développé une pathologie sous forme d’infections urinaires. L’établissement le plus touché serait le CHU de Bicètre, où la souche a contribué depuis août 2004 au décès de trois patients, selon un bilan effectué par l’Institut de veille sanitaire.

C’est Le Nouvel Obs, citant l’agence Associated Press, qui propose un article plus détaillé que ses confrères.

À la lecture de ces quotidiens, on est frappé que l’AP-HP (selon Libé) semble nier la létalité de cette bactérie dans ses hôpitaux à l’opposé de l’Institut de veille sanitaire (selon les autres sources) – les termes utilisés par ces deux organismes ont dû être attentivement choisis –, et qu’aucun de ces journaux n’ait soulevé cette apparente contradiction.

19 septembre 2006

Paradis perdus

Classé dans : Littérature, Musique, Nature — Miklos @ 8:19

The snake told her things about the world. He told her about the time there was a big typhoon on the island and all the sharks came out of the water. Yes. They came out of the water and they walked right into your house with their big white teeth. And the woman heard these things. And she was in love. (Laurie Anderson, Langue d’amour)

Les textes des chansons de Laurie Anderson sont encore plus étranges et extraordinaires que sa musique. Ils dénotent un sens aigu de l’observation, la capacité à trouver des analogies surprenantes entre des phénomènes apparemment distincts, une familiarité avec le patrimoine littéraire et culturel qui ne peut être due qu’à leur longue fréquentation – qualités qu’elle met au service du regard critique qu’elle porte sur la modernité et sur ses aspects aliénants et mortifères, et qu’elle illustre avec une ironie cool et pince-sans-rire en s’accompagnant de technologies sophistiquées, fruits de cette culture qu’elle analyse lucidement.

L’homme n’a jamais été innocent, et l’histoire est la longue trace de ses échecs. À l’origine de sa chute, le péché originel. C’est ce que relate Langue d’amour (dans l’album Mister Hearbreak1) : un homme et une femme sur une île, pas très futés mais heureux : innocents. Un serpent parcourt cette île à pied : il ne faut pas s’étonner, des textes apocryphes très anciens prétendent que ce reptile, qui symbolise le désir sexuel et le mal, en possédait, et qu’il les perdit après le malheureux incident que l’on sait et qui se soldera par l’expulsion de l’homme du Paradis tel un bébé du ventre de sa mère, et la fin de l’acte de création qui n’aura été qu’une longue suite de différentiations : celle du ciel de la terre, celle du jour de la nuit… Avant, c’était l’âge de l’innocence et des ambiguïtés : un autre texte affirme que le premier être que Dieu créa était en fait un hermaphrodite (exégèse sur le verset « …et les créa mâle et femelle »).

Anderson poursuit : ce serpent était très intelligent, il commence à bavarder avec la femme, et ils deviennent amis. Très bons amis. La femme l’adorait, d’autant plus qu’il faisait de drôles de petits bruits avec sa langue avec laquelle il se pourléchait légèrement les babines et qui ressemblait à une flammèche jaillissant en dansant de sa bouche. L’inévitable arriva : elle trouva son mari de plus en plus ennuyeux, d’autant plus que le serpent lui racontait des histoires extraordinaires à propos du monde. Comme celle de ce grand typhon qui avait balayé l’île, suite à quoi les requins étaient sorti de la mer et avaient marché sur terre jusqu’aux maisons où ils étaient entrés…

C’est en lisant la toute récente annonce de la découverte au large de l’Indonésie d’une cinquantaine d’espèces animales marines jusqu’ici inconnues que je me suis souvenu du texte de cette chanson. Car parmi elles, il y a un requin qui marche sur ses ailerons, étrange clin d’œil au texte d’Anderson. De là à retrouver la porte du Paradis le chemin doit être plus long (et nous semblons plutôt poursuivre le chemin opposé, de plus en plus vite). On s’en consolera en écoutant Mister Hearbreak le cœur brisé et en lisant le très beau conte élégiaque de H. G. Wells, La Porte dans le mur


1 Titre que l’on pourrait traduire par Mr Crèvecœur. C’est, curieusement, le nom d’un des tous premiers écrivains américains, le « cultivateur américain » John Hector St Jean de Crèvecœur (1735-1813) et celui d’un village en Auge.

17 septembre 2006

Apocalypse now

Classé dans : Littérature, Théâtre — Miklos @ 22:12

[Le Seigneur] dit qu’il raserait de dessus la terre l’homme qu’il avait créé, et non seulement l’homme, mais aussi les bêtes et serpents et oiseaux, tant se repentait-il de les avoir faits. — Genèse, 6:7.

Oh les beaux jours de Samuel Beckett, The Unclear Age d’Anaïs et Olivier Spiro, Quartett, de Heiner Müller1 : ces spectacles ont pour particularité de mettre en scène un couple dans un paysage de désastre dont ils semblent être parfois les derniers survivants, situation que l’on retrouve plus souvent dans la littérature et dans l’art. Les peurs apocalyptiques sont vieilles comme l’homme : le Déluge en tant que tentative de Dieu d’effacer les traces de sa création ou les textes de Saint Jean, les paniques eschatologiques de l’An mil (et celles, actualisées, de l’an 2000), les tableaux de Bruegel ou de Bosch, jusqu’au Docteur Folamour de Stanley Kubrick ou Le dernier rivage de Nevil Shute témoignent de cet effroi au fil des âges et mettent en scène plutôt la société dans son ensemble que des destins individuels. Catastrophes naturelles ou induites par l’homme, épidémies ou guerres, les alternatives pour la mort de la terre (titre d’un très beau roman de Rosny Aîné qui date de 1910) ne manquent pas.

Or ici, c’est le couple face à lui-même, personne d’autre sur scène ou ailleurs, et ce qui se joue ici, c’est le no future. Même à deux, chacun est seul et incapable de communiquer. Essayent-ils vraiment ? Winnie, certainement : elle s’adresse à Willie tout au long de la pièce, et même s’il ne peut que répondre rarement et par monosyllabes et ne se déplacer qu’à quatre pattes, ce n’est pas vraiment un monologue, mais un échange ancré dans la profonde intimité qui les lie, le souvenir des innombrables gestes du quotidien, de l’infime au sublime, qui ont tissé la solide trame de leur amour. Ce n’est pas non plus la peur du lendemain – qui ne peut être que pire – qui domine, mais le constat que l’immense capacité de l’homme à s’adapter est merveilleuse, et la joie au ressenti du « beau jour que ça aura été, encore un ! Malgré tout ! ». Il y a donc un espoir, malgré tout : celui que l’on saura encore tirer un bout de bonheur du jour qui vient, tant que l’autre est auprès de soi.

Ce n’est certainement pas le cas des protagonistes des deux autres spectacles, qui évoluent dans une décharge publique dans The Unclear Age (dont j’ai parlé ailleurs), et dans un cimetière en ruines après la Troisième guerre mondiale dans Quartett. Le couple de la pièce de Müller n’est pas n’importe qui : il s’agit du Vicomte Valmont et de la Marquise de Merteuil, les personnages des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. De précieux il ne leur reste que des bribes de discours et des lambeaux de costumes, et de raffiné leur cruauté qui cache finalement un vide de sens qui les fera basculer ; du fantasme et du virtuel : plus rien, il n’y a que la réalité. Mais même s’ils sont finalement face à face et parfois corps à corps – ce qui n’a rien d’un ébat amoureux, mais d’un rapport de domination et de manipulation – ils ne peuvent que continuer leur combat de chien et de chat quelle que soit la position ou le costume qu’ils adoptent, l’un cherchant à remplacer l’autre pour mieux le supplanter, et arriver finalement au constat de leur incapacité fondamentale à communiquer même s’ils se sont aimés. De loin. Et leur rencontre – dans laquelle la vaine tentative de faire tomber les masques et les barrières aura échoué, se terminera par la mort de l’homme2 ; cette disparition ne libérera pas la femme de son adversaire3 : elle reste avec son cancer.

Ce n’est pas que l’amour n’existe pas, mais il est vrai qu’en littérature drame et tragédie offrent plus de tension, d’intérêt et de variantes que le « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », et que l’enfer fascine plus le public que le paradis. Quant à Quartett, c’est le lieu où désir de conquête et de domination prime sur le partage et le don de soi, où le miroir renvoie le regard imaginé de l’autre qu’on ne veut pas voir tel qu’il est, et où il est plus facile de mettre à nu son corps que son visage et son âme. C’est donc une arène de combat, et il ne peut y avoir qu’un vainqueur. Dans le monde qui l’entoure et qui se meurt, sa victoire ne pourra être que courte et futile, mais c’est tout ce qui lui reste comme raison de vivre.

La capacité au bonheur n’est-elle pas finalement bien plus forte dans l’acceptation de la réalité pour ce qu’elle est que dans le fantasme et dans l’imaginaire, aussi beaux soient-ils ?


1 La pièce se joue ces jours-ci au Théâtre de la Ville dans une mise en scène de Matthias Langhoff.

2 Sort que partage d’ailleurs Jaufré Rudel dans L’Amour de loin de Kaija Saariaho, quand il rencontre finalement Clémence, dont il est tombé amoureux à distance.

3 On pense, là aussi, à la parole ambiguë de Dieu créant la femme et la qualifiant de celle qui est face/à l’encontre de l’homme, tout à la fois amie et adversaire, aide et ennemie.

15 septembre 2006

Nous sommes tous des serial killers

Classé dans : Environnement, Politique, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 23:30

Un récent reportage rediffusé à la télévision tentait de cerner le profil des serial killers, ces individus qui, souvent sous l’emprise d’un besoin irrépressible et d’une froide détermination, torturent et tuent avec un plaisir total et une jouissance absolue ; ils ne vivent vraiment qu’à ces moments-là et pour ces moments-là. Interviewés dans leurs prisons, ils ont l’air de Monsieurs Tout-le-monde, semblent reconnaître l’horreur de leurs actes – mais en sont-ils vraiment convaincus, dans leur for intérieur, et récidiveront-ils, s’ils étaient libérés ? on en doute, eux aussi.

En regardant cette émission, je ne pouvais m’empêcher de penser aux récents avertissements des dangers du réchauffement climatique dont le caractère de plus en plus alarmiste ne peut laisser indifférent : James Lovelock est loin d’être le seul à en parler ; James Hansen, directeur de l’institut Goddard des études de l’espace de la Nasa affirme qu’il ne reste que dix ans pour réagir avant que les cataclysmes ne se déchaînent sur la terre :

« Les glaces y fondront rapidement, faisant monter le niveau de la mer au point que la plus grande partie de Manhattan sera sous l’eau. Les sécheresses prolongées et les périodes de canicule se multiplieront, de violents ouragans se formeront dans des régions où ils étaient jusque là inconnus et il est à prévoir que 50% des espèces disparaîtront. ».

Ses thèses – qui ne sont pas récentes et qui ne font que se préciser dans le temps – ne font pas plaisir aux industriels et donc aux politiciens qui en dépendent : dès 1981, l’administration Reagan avait réagi à ses avertissements sur le réchauffement en lui coupant équipe et fonds, tandis que les fonctionnaires politiques de la Nasa le censurent et lui limitent l’accès aux médias.

Demain est presqu’aujourd’hui. Même si le futur est ce qu’il est le plus difficile de prédire avec certitude, il semble acquis – du moins pour le commun des mortels qui n’a pas d’intérêts politiques ou industriels particuliers – qu’il faut agir ici, partout et maintenant.

Mais est-ce vraiment le cas ? Le monde occidental est pris dans une logique d’hyperconsommation et de course en avant qui ne pas prêtes de s’arrêter par la seule volonté du consommateur de mettre fin à sa fringale, et par celle de ceux qui la nourrissent d’en tirer les bénéfices à court terme, financiers ou politiques : « ce que la science donne d’un côté en espérance de vie, l’hyperconsommation enlève de l’autre en dévorant les ressources de la planète » (Miklos), phénomène connu depuis plus de cinquante ans.

Mais il ne suffit pas de savoir pour vouloir ni pouvoir : qui est disposé à réduire ici et maintenant son train de vie et son confort – qui dépassent de loin le minimum vital, pour une bonne partie de la population du monde occidental ? Et comme il ne suffit pas de l’action de personnes isolées pour que cela ait un quelconque effet – d’abord sur l’industrie et donc sur l’économie – et sur le système global, il y en a qui se demandent, avec fatalisme ou cynisme, à quoi bon. Les autres, mañana.

Où sont les médias, qui relèguent souvent ce genre d’informations dans leurs pages intérieures, et mettent à la une ce qui attirera les regards et augmentera les ventes ? Ils pourraient mobiliser l’opinion, s’ils s’y mettaient. Où est le politicien qui fera fi des promesses mensongères d’un avenir toujours plus confortable nécessaires à assurer son élection, et qui saura entraîner tout un peuple, toute une planète, vers la sobriété et l’abstinence nécessaires à sa survie ? S’il est si difficile pour l’individu de renoncer à des comportements compulsifs nocifs (tabac, alcool, drogue…), comment ne le serait-il pas pour tout le monde ? Eh bien, l’émulation mutuelle pourrait jouer, une fois l’étincelle allumée.

La satisfaction du plaisir et le besoin de pouvoir de l’individu sont des moteurs éminemment humains. C’est, finalement, ce qui nous différentie des animaux, qui ont un comportement souvent bien plus social. Et nous continuons tous à consommer avidement, serials killers des générations qui grandissent sous nos yeux désabusés ou aveuglés.

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