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19 septembre 2006

Paradis perdus

Classé dans : Littérature, Musique, Nature — Miklos @ 8:19

The snake told her things about the world. He told her about the time there was a big typhoon on the island and all the sharks came out of the water. Yes. They came out of the water and they walked right into your house with their big white teeth. And the woman heard these things. And she was in love. (Laurie Anderson, Langue d’amour)

Les textes des chansons de Laurie Anderson sont encore plus étranges et extraordinaires que sa musique. Ils dénotent un sens aigu de l’observation, la capacité à trouver des analogies surprenantes entre des phénomènes apparemment distincts, une familiarité avec le patrimoine littéraire et culturel qui ne peut être due qu’à leur longue fréquentation – qualités qu’elle met au service du regard critique qu’elle porte sur la modernité et sur ses aspects aliénants et mortifères, et qu’elle illustre avec une ironie cool et pince-sans-rire en s’accompagnant de technologies sophistiquées, fruits de cette culture qu’elle analyse lucidement.

L’homme n’a jamais été innocent, et l’histoire est la longue trace de ses échecs. À l’origine de sa chute, le péché originel. C’est ce que relate Langue d’amour (dans l’album Mister Hearbreak1) : un homme et une femme sur une île, pas très futés mais heureux : innocents. Un serpent parcourt cette île à pied : il ne faut pas s’étonner, des textes apocryphes très anciens prétendent que ce reptile, qui symbolise le désir sexuel et le mal, en possédait, et qu’il les perdit après le malheureux incident que l’on sait et qui se soldera par l’expulsion de l’homme du Paradis tel un bébé du ventre de sa mère, et la fin de l’acte de création qui n’aura été qu’une longue suite de différentiations : celle du ciel de la terre, celle du jour de la nuit… Avant, c’était l’âge de l’innocence et des ambiguïtés : un autre texte affirme que le premier être que Dieu créa était en fait un hermaphrodite (exégèse sur le verset « …et les créa mâle et femelle »).

Anderson poursuit : ce serpent était très intelligent, il commence à bavarder avec la femme, et ils deviennent amis. Très bons amis. La femme l’adorait, d’autant plus qu’il faisait de drôles de petits bruits avec sa langue avec laquelle il se pourléchait légèrement les babines et qui ressemblait à une flammèche jaillissant en dansant de sa bouche. L’inévitable arriva : elle trouva son mari de plus en plus ennuyeux, d’autant plus que le serpent lui racontait des histoires extraordinaires à propos du monde. Comme celle de ce grand typhon qui avait balayé l’île, suite à quoi les requins étaient sorti de la mer et avaient marché sur terre jusqu’aux maisons où ils étaient entrés…

C’est en lisant la toute récente annonce de la découverte au large de l’Indonésie d’une cinquantaine d’espèces animales marines jusqu’ici inconnues que je me suis souvenu du texte de cette chanson. Car parmi elles, il y a un requin qui marche sur ses ailerons, étrange clin d’œil au texte d’Anderson. De là à retrouver la porte du Paradis le chemin doit être plus long (et nous semblons plutôt poursuivre le chemin opposé, de plus en plus vite). On s’en consolera en écoutant Mister Hearbreak le cœur brisé et en lisant le très beau conte élégiaque de H. G. Wells, La Porte dans le mur


1 Titre que l’on pourrait traduire par Mr Crèvecœur. C’est, curieusement, le nom d’un des tous premiers écrivains américains, le « cultivateur américain » John Hector St Jean de Crèvecœur (1735-1813) et celui d’un village en Auge.

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