Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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26 avril 2008

« Mais où sont les neiges d’antan ? »

Classé dans : Récits — Miklos @ 9:08

« Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
Jeter l’ancre un seul jour ?

Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours ! »

 
— Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, « Le Lac ».

Cela faisait trente-cinq ans qu’ils étaient mariés. Leurs trois enfants avaient grandi, étaient finalement casés, comme on dit : après de longues études, la grosse tête avait finalement décroché un poste bien rémunéré, assuré et reposant dans une administration ; sage et présentant bien, l’aînée des filles s’était mariée avec un beau parti et la cadette, la plus mignonne du lot et fort coquine, avait un train de vie qui supposait des revenus conséquents dont on ne pouvait qu’imaginer l’origine. Le père, lui, était morose et fatigué. Il avait l’impression d’avoir vécu dans une grisaille permanente, au bureau comme à la maison : les mêmes visages tristes, s’affaissant au cours des années, avaient bordé son parcours comme des portraits médiocres accrochés dans la galerie mal éclairée d’un musée vieillot. Aucun moment extraordinaire ne lui revenait à l’esprit. Quelques petites joies, une naissance ou une promotion, vite oubliées avec le retour en force du quotidien. Fatigué le soir, il n’échangeait que quelques mots – toujours les mêmes – avec sa femme, l’un et l’autre complétant dans sa tête la phrase que l’autre ébauchait ; le matin, pressé, il ne s’apercevait de sa présence que lorsqu’elle posait la cafetière sur la table.

Un dimanche, tandis qu’il feuilletait une pile de vieux magazines en regardant, d’un air absent, les images, il tomba sur une photo glissée entre les pages d’un numéro bien particulier : c’était celui de l’année de leur mariage. Le cliché suranné représentait le jeune couple alors qu’il s’avançait, riant aux éclats et des étoiles dans les yeux, vers le maire ; svelte, tout habillée de blanc, elle semblait danser ; lui, à vingt-sept ans, en costume élégant, avait l’air d’un jeune premier capable de séduire la femme la plus farouche. Il eut un coup au cœur : il se rappela alors – souvenir enfoui comme dans une profonde tombe sous le poids accumulé du temps passé – comme il l’avait aimée, comme elle avait été belle ! l’excitation qu’il éprouvait à la regarder, à la tenir dans ses bras, le plaisir qu’ils ressentaient à se raconter des n’importe quoi, à partager leurs plaisirs les plus futiles. Et toute cette joie s’était éteinte, lui sembla-t-il alors, à l’instant où le « oui » avait franchi ses lèvres. La sensation de bouleversement qui le saisit fut si puissante qu’il se retrouva littéralement transporté trente-cinq ans en arrière au moment où, encerclant la taille de guêpe de sa fiancée, il s’avançait avec elle dans la salle des mariages le long du passage qu’avaient aménagé famille et amis. Lorsque le maire lui posa la question fatidique, il répondit « non » et s’en alla.

À soixante-deux ans, après une énième rupture, il se retrouva à faire le bilan de sa vie : ses « relations » se faisaient de plus en plus courtes et rares. Nombreuses, elles lui avaient fourni une pléthore de moments grisants, mais qui commençaient à se confondre dans son esprit. Sociable, il avait des connaissances innombrables, de tous milieux. Son carnet d’adresses était très bien rempli même s’il lui arrivait de ne plus savoir à qui correspondait tel ou tel nom, voire même de se rappeler des noms de toutes les femmes qui s’étaient succédées à ses côtés. Présentant bien et faisant ce qu’il fallait pour ne pas paraître son âge, il lui arrivait encore d’être invité à des soirées enivrantes et enfumées qui se prolongeaient souvent jusqu’au petit matin, mais il se sentait seul même lorsqu’il était entouré, et ne trouvait plus aussi facilement une compagne du moment qui veuille rentrer avec lui. Il se demanda s’il avait bien fait de rompre son mariage au dernier moment pour se lancer dans une vie de célibataire, qu’il envisageait alors libre de toutes contraintes et remplie de plaisirs. La sensation de bouleversement qui le saisit fut si puissante qu’il se retrouva littéralement transporté trente-cinq ans en arrière au moment où, encerclant la taille de guêpe de sa fiancée, il s’avançait avec elle dans la salle des mariages le long du passage qu’avaient aménagé famille et amis…

22 avril 2008

Guerres de religion

Classé dans : Actualité, Religion — Miklos @ 7:05

« Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi1. Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs. (…) Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? (…) Et si vous réservez vos saluts à vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? » — L’évangile selon Saint Matthieu, 5:43-47.

Les lieux saints n’incitent pas à l’union, à la communion ou à l’angélisme, bien au contraire2 : les guerres qui se sont livrées autour de Jérusalem depuis des temps immémoriaux en sont bien la preuve. Ah, si la Jérusalem n’était que céleste ! La presse israélienne rapporte un récent conflit plutôt original, mais lui aussi aux racines profondes, qui a opposé, dimanche dernier, prêtres arméniens et grecs orthodoxes ainsi que leurs ouailles respectives qui en sont venues aux mains. La raison ? Venus célébrer le dimanche des Rameaux au Saint Sépulcre, ils ne pouvaient s’accorder sur le « partage » des lieux, régi pourtant très précisément – espaces et horaires – pour éviter que la multiplicité des dénominations qui revendiquent le lieu ne s’y croisent. À tel point que l’accès y est contrôlé, depuis des siècles, par… des musulmans, qui ne sont pas partie prenante (c’est bien le cas de le dire) pour cette parcelle d’histoire sainte.

Selon un prêtre arménien, l’échauffourée a commencé lorsque des prêtres grecs orthodoxes ont insisté pour être présents lors de la cérémonie arménienne près du Saint Sépulcre. « Nous ne pouvions supporter la présence d’un prêtre grec durant notre office », poursuivit le prêtre arménien, « alors nos prêtres sont entrés et l’ont envoyé balader de là-bas ». Selon des témoins, l’expulsé aurait été jeté au sol et roué de coups.

Quant au patriarche grec orthodoxe de Jérusalem, il affirme que ce sont les arméniens qui seraient à l’origine de cet incident, en voulant changer le statu quo régissant le lieu en vue d’obtenir des droits d’accès égaux malgré leurs effectifs plus réduits. Comme quoi, les minorités ont toujours tord.

Ce n’est pas la première fois que des bagarres rangées ont lieu entre ces deux communautés : l’année dernière, ils ont utilisé pierres et bâtons, armes ancestrales, pour régler un conflit tout aussi ancestral à l’église de la Nativité à Bethlehem. Pour une fois que l’on n’accuse pas les juifs de tous les maux…


1 « La deuxième partie de ce commandement ne se trouve pas telle quelle dans la Loi, et ne saurait s’y trouver. Cette expression forcée d’une langue pauvre en nuances (l’original araméen) équivaut à : “Tu n’as pas à aimer ton ennemi.” (Note de la Bible de Jérusalem)
2 Le judaïsme orthodoxe – ou du moins une de ses branches les plus intellectuellement rigoureuses, représentées par l’étonnant Yeshayahou Leibowitz – ne reconnaît pas l’existence de lieux saints. Elle considère que ce concept s’apparente à l’idolâtrie.

18 avril 2008

Carpe à la russe

Classé dans : Cuisine — Miklos @ 15:31

1 carpe de 700-800 gr.
1 grande carotte coupée en rondelles
1 oignon moyen coupé en rondelles
1 tomate coupée en tranches
1 cuiller à café de sucre
1 cuiller à soupe d’huile
2 cuillers à soupe de vinaigre
1-2 feuilles de laurier
quelques grains de poivre anglais (piment de la Jamaïque ou quatre-épices)

Écailler la carpe et ôter les ouïes, la débiter en tranches moyennes, garder la tête et la queue.
Bien rincer, saler et mettre au réfrigérateur pendant 24h.
Disposer dans une grande cocotte ovale en fonte en alternant des couches de carottes, de tomates, d’oignon et de carpe (les poser à l’horizontale).
Rajouter le vinaigre, l’huile et la feuille de laurier.
Couvrir à ras d’eau.
Fermer la cocotte et porter doucement à ébullition. Laisser mijoter à très petit feu en vérifiant régulièrement que l’eau de cuisson n’ait pas trop réduit.
Au bout de 3h30, goûter et rajouter du sel si besoin.
Après 7h de cuisson, rajouter le poivre anglais.
Poursuivre la cuisson encore une heure.
Laisser refroidir entièrement avant de sortir délicatement les tranches de poisson avec une spatule. Mettre au réfrigérateur.
Servir avec du raifort.

Poisson de rivière, la carpe était naturellement un mets commun des populations d’Europe centrale et orientale. Selon une tradition juive séculaire1 (et non pas une prescription), il était méritoire de consommer du poisson aux repas du Sabbath. Il était naturel que la carpe devint l’un des plats traditionnels de fête du judaïsme ashkenaze2. Sa chair délicate (ou fade, selon les opinions…) et la quantité impressionnante de petites et grandes arêtes en compliquent sérieusement une préparation classique (lever les filets, par exemple). De ce fait, plusieurs types de recettes plus pratiques se sont développés. La longue cuisson de la carpe à la russe (qui n’est pas sans rappeler celle du gigot de sept heures – dont la fonction était de rendre plus tendre la viande d’animaux âgés…) a pour avantage de confire les arêtes et de les rendre aussi tendres que la chair. Or celle-ci étant déjà très tendre, il est important de s’assurer d’une cuisson très douce pour éviter l’effritement des tranches.

Un autre type de préparation a produit ce qui est connu génériquement en yiddish sous le nom de gefilte fisch, ou poisson farci3 : la chair est moulue et mélangée avec du pain, ce qui a pour avantage de réduire les petites arêtes en poussière et d’allonger la farce avec un ingrédient encore meilleur marché que le poisson, et ainsi de nourrir plus de personnes avec le même poisson. Cette farce est réintroduite dans le poisson vidé, ou carrément servie sous forme de croquettes.

Les populations modestes ne pouvaient se permettre le luxe de jeter des parties moins nobles d’un animal ou d’un légume comestible : ce n’est pas pour rien qu’on appelle le croupion « sot-l’y-laisse » ou que Geppetto dit à Pinnochio, qui refuse de manger une poire non épluchée ou son trognon : « Dès le plus jeune âge, en ce bas monde, il faut s’habituer à manger de tout. On ne sait jamais ce qui peut arriver, car tout est possible. ». Les juifs ashkenazes mangeaient aussi les queues et les têtes des poissons. Avec l’humour qui les caractérisaient, ils prétendaient que ces dernières rendaient plus intelligents, argument équivalent au « mange ta soupe, tu grandiras ».

On raconte qu’un juif et un Polonais4 se trouvaient dans un train traversant la Pologne. À l’heure du déjeuner, chacun déballe ce que lui a préparé sa femme. Le Polonais aperçoit, dans le papier quelque peu graisseux de son compagnon de voyage, des têtes de hareng. Il l’interpelle :

– « Juif, on dit que manger ces têtes ça rend plus intelligent, c’est vrai ? », demande-t-il.

– « Peut-être que oui, peut-être que non… », répond le juif talmudiquement.

– « Tu me les vendrais ? », demande le Polonais après un court moment de réflexion.

– « À voir… », répond le juif évasivement, sans décourager ni encourager le Polonais, et se préparant à déguster la première tête.

Le Polonais, inquiet de voir la disparition annoncée de la nourriture miraculeuse, engage une rapide négociation, renchérit devant le silence de l’autre, et finalement achète le tout à un prix assez conséquent. Après avoir mangé le tout, il attend un bon moment. Ne sentant aucun changement particulier, il dit à son compagnon de voyage :

– « Dis-donc, c’est drôlement cher, pour des têtes de poisson !

– Tu vois, ça a eu de l’effet, tu deviens intelligent… ! »

“Carp are very long-lived: the pond in the garden of Ema­nuel College, Cam­bridge, con­tained a Carp that had been an inha­bitant of it more than seventy years; and Gesner has men­tioned an instance of one that was a hundred years old. They are also extre­mely tena­cious of life, and will live for a great length of time out of water.” — William Bingley, Animal bio­gra­phy, or, Pop­ular zoo­logy; Illus­tra­ted by Authen­tic Anec­dotes of the Eco­nomy, Habits of Life, Ins­tincts and Saga­city, of the Animal Crea­tion, vol. III. London, 1829.Pour en revenir à la carpe : c’est un poisson très vivace : W. Bingley (1774-1823) parle d’une carpe ayant vécu plus de 70 ans dans l’étang du jardin de l’Emmanuel College à Cambridge, et mentionne Gesner, qui avait cité le cas d’une carpe centenaire. Mieux encore : l’Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers de Diderot et d’Alembert, écrit, à l’article Accrois­sement : « On voit des carpes chez M. le Comte de Maurepas, dans les fossés de son château de Pontchartrain, qui ont au moins cent cinquante ans bien avérés, & elles paroissent aussi agiles & aussi vives que des carpes ordinaires. ». La légendaire longévité de celles du Grand Canal de Fontainebleau les ferait remonter à un passé historique que nous aurions tous aimé connaître sans finir dans une marmite en fonte. Cette vitalité se manifeste aussi de façon parfois impressionnante : j’ai vu à plusieurs reprises une tête de carpe, plus d’une heure après sa séparation du corps, ouvrir et fermer la gueule… Muette comme une carpe, peut-être, mais expressive ! Quant à son poids, il atteindrait des records tout aussi légendaires (180 kgs.). Il est, en tout cas, préférable d’acheter une carpe de taille moyenne (jusqu’à 1,5 kg. ; plus grosse, elle est parfois – selon la saison – remplie d’œufs allant parfois jusqu’à la moitié de son poids ; ils sont comestibles, mais bien moins goûteux que la chair).


1 Citée dans la Mishna, recueil de textes rabbiniques remontant au IIe s.
2 Originaire de, ou établi principalement en Europe centrale et de l’Est (Russie, Pologne, Hongrie, Allemagne).
3 Contrairement à ce qu’affirme la Wikipedia française – qui fournit aussi une transcription fantaisiste du terme en russe – et une traduction correcte en hébreu – on se demande bien pourquoi, le terme étant en yiddish), il n’y a pas de viande dans le gefilte fisch : la tradition juive préconise la séparation de la consommation du poisson et de la viande « à cause du danger » (on suppose que c’est le danger de tomber sur des arêtes tandis qu’on pense manger de la viande).
4 Expression ironique ou péjorative, selon l’intention du locuteur, qui signifie « un Polonais juif et un Polonais non-juif », quel qu’ait été le nombre de générations depuis lequel la famille du premier se trouvait dans le pays du second.

15 avril 2008

Ellul, Anders, Illich – inconnus au bataillon ?

Classé dans : Environnement, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 2:10

« Dans l’immensité de cette forge monstre, c’était un mouvement incessant, des cascades de courroies sans fin, des coups sourds sur la basse d’un ronflement continu, des feux d’artifice de paillettes rouges, des éblouissements de fours chauffés à blanc. Au milieu de ces grondements et de ces rages de la matière asservie, l’homme semblait presque un enfant. » — Jules Verne, Les Cinq cents millions de la Bégum, 1879.

« Mais il faut en tout cas retenir le fait essentiel que c’est toujours, dans toutes les branches, la technologie la plus moderne, la plus avancée qui détermine la tendance. Ici encore nous retrouvons l’automatisme du choix qui se fait imman­quablement. » — Jacques Ellul, Le Système technicien, 1977 (réed. 2004).

Si certains grands singes semblent savoir utiliser des objets en tant qu’outils – voire en fabriquer –, « la technique est une compétence fondamentale de l’homme »1 depuis la nuit des temps. Elle occupe dans sa vie une place croissante, notamment depuis la révolution industrielle, et inéluctable depuis l’entrée dans l’ère numérique.

Le constat de la sujétion de l’homme à la machine n’est pas récent : il suffit de relire la description de la Cité de l’Acier dans Les Cinq cents millions de la Bégum de Jules Verne ou de revoir Les Temps modernes de Charlie Chaplin. Mais c’est après la Seconde guerre mondiale, avec le développement de l’informatique puis de la cybernétique2 vers 1948 qu’une approche théorique permet d’analyser la technique en tant que système3 et de penser son autonomie et son asservissement de l’homme.

C’est ce que fera Jacques Ellul dès 1954 avec La Technique ou l’enjeu du siècle (traduit en anglais dix ans plus tard grâce à sa découverte par Aldous Huxley, et récemment republié en français), puis dans nombre d’autres ouvrages parmi lesquels on citera son maître-livre4 Le Système technicien.

En 1956 – deux ans après la sortie de l’ouvrage fondateur de Jacques Ellul –, Günther Anders (qui ne semble pas avoir eu connaissance de l’œuvre d’Ellul) publie L’Obsolescence de l’homme, qui n’aura été traduit en français que près de 50 ans plus tard. L’un comme l’autre – sous une approche différente, Ellul plus sociologique et Anders plus philosophique – s’inscrivent contre l’utopie technicienne, dans laquelle ils perçoivent la perte de la liberté de l’homme pour l’un, de son humanité pour l’autre. Dix ans plus tard, Ivan Illich5 (ami de Jacques Ellul) développera une approche pédagogique à sa critique de la technique et du capitalisme.

En cette époque de prise de conscience croissante de la finitude des ressources et de la gabegie croissante induite par leur surconsommation, suscitée par une course en avant nécessaire à la survie des entreprises engagées dans la bataille de plus en plus féroce d’une « destruction créatrice » accélérée (phénomène identifié par l’économiste Joseph Schumpeter dans les années 1940), l’œuvre de ces trois penseurs est plus que jamais d’actualité.


1 François Jourde.
2 À laquelle la WP attribue, fort curieusement, la genèse de l’électronique et de l’informatique, bien que celles-ci l’aient précédée : « Sous l’impulsion de Norbert Wiener, la cybernétique fut créée en tant que “théorie de la communication” dans les années 1940 et donna naissance à l’électronique, l’informatique (…) » (article « Systémique »), tout en écrivant que l’électronique est apparue en 1904 dans l’article qu’elle lui consacre ; quant au premier ordinateur, il date de 1941, la cybernétique ayant été fondée en 1948…
3 Dont l’âme serait l’information… ?
4 Selon Jean-Luc Porquet.
5 À propos duquel la WP française écrit confusément : « Il devient ensuite, entre 1956 et 1960, vice-recteur de l’Université catholique de Porto Rico, où il met sur pied un centre de formation destiné à former les prêtres à la culture latino-américaine. En 1956, il est nommé vice recteur de l’université catholique de Porto Rico. » Quant à Günther Anders, elle ignore totalement son œuvre pour ne parler brièvement que d’un aspect méthodologique secondaire, qu’elle agrémente d’une bibliographie. Elle est mieux fournie, toutefois, que celle en anglais, qui ne lui consacre qu’une ligne (plus facile à trouver que l’article français, du fait de l’établissement d’une page de désambiguation). Il faut se rabattre sur la version allemande pour y trouver des informations utiles sur la richesse de son œuvre et son influence (notamment sur la pensée de Jean-Paul Sartre). Étonnant pour cet élève de Husserl, mari de Hannah Arendt, cousin de Walter Benjamin et l’un des tous premiers critiques de Heidegger (Sur la pseudo-concrétude de Heidegger), et dont l’analyse de la modernité aborde Auschwitz et Hiroshima, la technique déshumanisante comme finalité en soi et la faculté prométhéenne et autonome des machines (voire des systèmes) créées par l’homme.

8 avril 2008

Le facteur sonne toujours deux fois

Classé dans : Histoire, Sciences, techniques — Miklos @ 1:14

« La société est composée d’hommes qui apostrophent grossièrement les auteurs, d’autres qui critiquent les ouvrages, et enfin d’autres qui se contentent de faire des réflexions ; c’est dans cette dernière classe que je me range. (…) Le fondement est mal fait ; l’édifice est donc mal assuré ; c’est donc par cette raison qu’on est obligé d’y retoucher souvent, et même de le refaire continuellement ; si les architectes qui s’en sont occupés ont péché par ignorance, je ferai la prière qui est bien connue : Grand Dieu, pardonnez-leur ! etc. S’ils ont péché par négligence, ne devroient-ils pas, pour dédommager le public, donner leur nouvelle réparation gratis. » – G. A. Delorthe, Paris, le 22 décembre 1781.

C’est ainsi que commence une « lettre qui a été insérée dans le Courrier de l’Europe », où l’auteur fait quelques réflexions au sujet d’un article de l’Encyclopédie Méthodique. Le titre de la gazette dans laquelle Delorthe a publié ses remarques incite a poursuivre la réflexion au sujet de l’article « Courrier » d’une autre encyclopédie, la Wikipedia (sans s’attarder, comme le fait Delorthe, sur la qualité de ses fondements ni sur les péchés de ses architectes). Cette dernière comporte une entrée, « Courier de l’Europe » consacré à un bihebdomadaire à propos duquel la Bibliographie historique et critique de la presse périodique française d’Eugène Hatin (1866) écrit :

Courrier de l’Europe, gazette anglo-française, par Serre de Latour, Morande, Brissot1, le comte de Montlosier. Londres et Boulogne, 1776-1792, 32 vol. in-4°.

Un des recueils les plus importants à consulter, non-seulement pour l’histoire politique, mais encore pour l’histoire morale et littéraire du siècle dernier. Intéressant surtout pour l’histoire des colonies anglaises. « Le Courrier de l’Europe, dit Brissot dans ses Mémoires, est peut-être le seul monument qu’on devra un jour consulter pour connaître l’histoire de la révolution d’Amérique. » « L’abondance des matières qu’on y traite, lit-on dans les Mémoires secrets, lui procure nécessairement beaucoup plus de lecteurs qu’aux autres gazettes, d’autant que l’on s’y permet de fréquents écarts et une liberté infiniment plus grande qu’ailleurs ; mais aussi il en résulte une frayeur continuelle de la voir supprimer. » C’est ce qui arriva en effet. Ce n’était pas sans difficulté que l’introduction en France en avait été permise. Le ministre n’avait cédé qu’en considération de l’utilité dont ce journal pourrait être pendant le cours de la guerre qui allait s’engager : il vaudrait, lui disait-on, cent espions au gouvernement, et il lui rapporterait au lieu de lui coûter. Mais il était difficile qu’un journal écrit à Londres n’oubliât pas la mesure qui convenait de l’autre côté du détroit. Dès le second numéro il était proscrit en France ; mais ses entrepreneurs obtinrent, à force de protestations, la levée de l’interdit. Les premiers numéros avaient paru au mois de juillet 1776 ; la distribution en fut de nouveau permise à Paris à partir du 1er novembre. Le titre porte alors : « Courrier de l’Europe, ou Gazette des gazettes, continuée sur un nouveau plan, le 1er novembre 1776. Il se publiait à Londres, et était réimprimé pour la France, avec l’assentiment et sous la censure du gouvernement à Boulogne, où son éditeur, le fameux Swinton, dépensait annuellement deux mille louis qu’il aurait voulu aller dépenser — plus librement — à Ostende, ainsi que cela résulte d’une requête par lui adressée le 5 oct. 1780 au gouvernement des Pays-Bas, requête qui fut rejetée. (…)

Dans un autre de ses ouvrages, Les Gazettes de Hollande et la presse clandestine aux xviie et xviiie siècles (1865), Hatin fournit une description plus détaillée et fort intéressante des démêlés, des accords, des compromissions de ce magazine avec le pouvoir politique et de son instrumentalisation par ce dernier. Enlevez « politique » et on retrouve la problématique oh combien actuelle des rapports souvent ambigus de la presse à l’égard des pouvoirs.

Comme on peut le constater, le titre même du magazine, « Courier… », est orthographié le plus souvent « Courrier… » dans les textes qui en discutent, même à l’époque où il paraissait (d’ailleurs, une des références citées dans l’article de la WP utilise cette variante, ce qui aurait mérité la création d’un renvoi). Or (ce que ne mentionne pas la WP), il a existé d’autres Courrier de l’Europe – il suffit de consulter le catalogue de la Bibliothèque nationale de France pour le constater –, plus ou moins éphémères, à la fin du xviie et durant le xviiie s. Hatin (vid. sup.) parle ainsi du Postillon de la guerre, publié à partir du 26 avril 1792, qui devient en août Gazette générale de l’Europe, puis Messager du soir, pour reprendre, après une suspension, sous le nom de Courrier de l’Europe, revenir à son ancien titre, puis derechef à ce dernier selon les interdictions dont il faisait l’objet. Il est réuni (avec le Journal des curés et d’autres périodiques) au Journal de Paris qui agrandit son format et rallonge son titre en 1811. Plus tard, on trouvera Le Courrier de l’Europe. Écho du continent (qui devient Courrier de l’Europe auquel est réuni l’Observateur français, « fondé par l’ancien rédacteur du Figaro », toujours selon Hatin, vers 1841 (en fait, juin 1840) et qu’on retrouve encore en 1886 ; le Courrier de l’Europe et des spectacles dans la première moitié des années 1800 ; le Courrier de l’Europe. Journal politique et littéraire en 1868, etc.


1 Que la WP anglaise appelle « Brissotte » à une reprise dans l’article qu’elle lui consacre – fruit d’un vandalisme récurrent qui frappe cet article, en place depuis quatre mois sans être corrigé, et qui met à mal la thèse selon laquelle la WP s’autocorrige instantanément (comme on l’avait déjà remarqué ailleurs).

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