Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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30 mai 2008

La porte dans le mur

Classé dans : Lieux, Peinture, dessin — Miklos @ 1:41


La Haye : Panorama Mesdag. Cliquer pour agrandir.

Les rues de la ville étaient presque vides et silencieuses : une voiture de temps à autre, des bicyclettes, évidemment. Les maisons de brique aux faîtes pointus les bordaient méthodiquement mais sans monotonie. C’était une belle journée de printemps, l’air frais caressait doucement le visage. En entrant dans le musée où m’avait emmené mon accom­pa­gnateur, je fus déçu : les toiles qui ornaient les murs des premières salles représentaient des paysages souvent maritimes, étaient convenues, d’une facture honnête et fidèles au style de leur époque, fin xixe – début xxe. Qu’elles aient été peintes par l’artiste auquel le musée était de toute apparence consacré ou par sa femme, elles ne dénotaient pas un caractère particulier. Je me disais que cela faisait petit musée de province, et à mon interlocuteur, qui me demandait mon avis, je répondis que c’était très sympathique. Les barrières de la langue contribuèrent au soin que je mis à garder pour moi mon impression. Nous continuions notre progression. À l’issue de la seconde salle, je fus étonné de voir un couloir noir se profiler devant nous. Nous l’empruntâmes, pour arriver au bas d’un escalier en colimaçon, que je gravis.

« Au-delà de Schveningen est l’hôtel des voyageurs élevé sur une montagne de sable qui domine la dune. C’est là que se réunissent en été les étrangers conduits par la curiosité, ou forcés par une ordonnance de médecins de venir chercher ici des bains de mer. On se réunit le soir sur la terrasse pour causer, prendre le thé, fumer des cigares de Havane ; et la mer est magnifique à voir, au moment du reflux, quand les derniers rayons du soleil la dorent. On voit au loin le bâtiment arrondi de la Hollande qui s’incline, se relève, plonge avec la lame, puis remonte avec elle, tandis que sur le bord les bateaux qui ont déjà fait leur pêche débarquent à la hâte, et jettent sur le sable le thon et les sardines, le merlan et les coquillages. Les femmes arrivent avec leurs grandes corbeilles. Le partage se fait ; le butin part pour la ville, et l’expédition recommence le lendemain. » — X. Marmier, « Souvenirs de voyages », Revue de Paris, tome XI, p. 204. 1834.Au sommet, ce fut le saisissement : j’étais arrivé sur une plateforme de bois, circulaire et bordée d’une rambarde. Elle se dressait au sommet d’un promontoire de sable blanc parsemé ici et là de quelques touffes d’herbe jaunie, d’un filet de pêcheur et d’un panier en osier, d’une vieille chaise en bois, d’un mât brisé. Au-dessus de la plateforme, un baldaquin en tissu un peu décrépi protégeait du soleil d’été qui illuminait le paysage. Au-delà de la dune sur laquelle nous nous trouvions s’étendait une longue plage. Une troupe de cavaliers la parcourait au pas. On distinguait quelques individus ici et là, des enfants, une femme assise devant un chevalet et en train de peindre la mer. On entendait les cris de quelques mouettes et le bruit du ressac. Des vaguelettes jaunâtres venaient s’échouer sur le sable, et, plus au loin, l’eau d’un bleu profond traçait une ligne presque parfaite à l’horizon, où elle rejoignait le ciel d’un bleu plus clair parsemé de nuages blancs et roses que traversait un oiseau. Des barques et des voiliers, plus nombreux sur la plage que sur la mer, contribuaient à l’aspect hors du temps de la scène. Le regard qui avait suivi la plage vers le nord la quittait pour se porter alors sur une belle maison de maître qui se trouvait à quelque distance de l’eau cachant partiellement une usine. Plus à l’intérieur des terres, de l’autre côté du promontoire, s’étendait une petite ville. Les ruelles étaient bordées d’échoppes et de petites maisons d’habitation d’un ou deux étages, toutes en briques, dont les fenêtres étaient discrètement couvertes de rideaux en dentelle blanche. La plus lointaine, à l’orée de la ville, était un dancing. Elle se trouvait au bord d’un canal tiré au cordeau qui se terminait au pied de la dune sur laquelle se trouvait le promontoire. Le regard se posait alors sur le clocher d’une église, et rejoignait le côté sud de la plage qui s’éloignait à perte de vue.

Ce paysage est une étonnante peinture circulaire sur le dôme du musée réalisée en quatre mois par Hendrik Willem Mesdag, l’un des artistes les plus fameux de l’École de La Haye – les paysages, le ciel, ne sont pas sans évoquer Ruysdael –, avec l’aide de sa femme et de quelques-uns de ses amis. La dune sur laquelle se trouve la plateforme est réellement de sable, et elle s’étend jusqu’au tableau, dont on ne voit ni le bord inférieur ni le sommet, caché par le baldaquin. Le rayon de cette demie sphère est de 14 mètres, et la circonférence – la longueur du tableau – de 120 mètres, chiffres qui donnent la dimension objective de cet ouvrage spectaculaire et de la performance de sa réalisation, mais qui ne signifient finalement rien : tous nos sens nous affirment que l’on est au bord de la plage de Scheveningen en 1881 par une journée d’été, qu’on entend les oiseaux, et que le regard s’étend à des kilomètres à la ronde. Ce n’est pas une illusion des sens, c’est une conviction, de celles que l’on peut avoir au théâtre ou au cinéma lors d’un spectacle envoûtant, où l’on se laisse prendre au jeu, et que l’on est transporté ailleurs tout en restant assis dans son fauteuil, sans drogue, sans autre artifice que la magie du créateur.

Le retour dans la ville a été tout aussi déroutant que l’entrée dans le panorama du musée Mesdag. On en ressort avec un sentiment de nostalgie, cette sorte de tristesse qu’éprouve Lionel Wallace après avoir quitté le jardin enchanté qu’il avait découvert enfant en franchissant une porte entr’ouverte dans un mur, dans la nouvelle éponyme de H. G. Wells, porte qu’il ne retrouvera jamais, adulte. (Autres photos ici)

24 mai 2008

Un record de l’informatique

Classé dans : Sciences, techniques — Miklos @ 13:24

Cornell est une grande université américaine, membre de la Ivy League, située dans une région splendide par sa faune et par sa flore au bord d’un des plus beaux lacs Finger, le Cayuga. Elle excelle dans de nombreux domaines : sciences, arts, droit, services… La réputation de ses centres de recherche – en médecine, en exploration de l’espace, en astronautique, en physique fondamentale – n’est plus à faire. Nombre de lauréats de prix Nobel (40), Turing, Fields, Pulitzer… y enseignent ou y ont enseigné, ainsi que de grands écrivains et essayistes, tels Vladimir Nabokov (qui, en sus des œuvres sulfureuses pour lesquelles il est connu, a aussi traduit Alice au pays des merveilles en russe) ou Allan Bloom. Parmi ses anciens élèves on compte Pearl Buck et Toni Morrison (toutes deux lauréates du prix Nobel), E. B. White, Thomas Pynchon et Kurt Vonnegut Jr. pour la littérature, le compositeur Steve Reich et Robert Moog, l’inventeur des célèbres synthés éponymes, l’architecte de l’Empire State Building (Richmond Shreve), le Dr Spock – non pas celui de Star Trek, mais le pédiatre auteur du Comment soigner et éduquer son enfant, depuis cinquante ans la bible universelle de générations de mères inquiètes…

Les anciens élèves de cette prestigieuse institution occupent ou occupaient en général des postes importants : politiciens – présidents de Cuba et de Taiwan, premier ministre d’Iran, ministres américains (le controversé Paul Wolfowitz et Janet Reno, première femme à avoir occupé le poste de ministre de la justice aux États-Unis) –, juges de la Cour suprême (Ruth Ginsburg) –, acteurs – le superhomme Christopher Reeve –, hommes d’affaires – fondateurs et/ou à la tête de sociétés nationales ou internationales (on ne leur fera pas de la pub)… Il n’est donc pas surprenant qu’ils soient la cible des campagnes provenant de leur alma mater, dont le but est de récolter quatre milliards de dollars sur dix ans.

Il est, par contre, quelque peu curieux de constater que, lorsque l’on clique sur le lien indiqué dans l’appel afin de se désinscrire de leur liste de bienfaiteurs en puissance, la réponse qui s’affiche est : “Your form has been successfully submitted. Please allow 4-6 weeks for your information to be updated in our system.” Quatre à six semaines pour que l’informatique se mette à jour, quand on sait que, depuis 1985, l’université possède un centre de supercalcul ? On proposera donc une nouvelle variante de son hymne célèbre :

Far above Cayuga’s waters
There’s an awful smell:
It’s Cornell alums’ computers.
They’re as slow as snail.

23 mai 2008

Anniversaire

Classé dans : Actualité, Histoire, Politique — Miklos @ 22:22

Selon l’Encyclopædia Britannica, c’est aujourd’hui l’anniversaire de l’annexion officielle du Tibet par la Chine en 1951 (ou ce que l’ambassade de Chine en France appelait sa « libération pacifique »).

À lire :
• l’article de fond (en anglais) que consacre cette encyclopédie au Tibet : géographie physique et humaine, histoire, références.
• une chronologie (en français) de la longue et complexe histoire de ce pays.

21 mai 2008

N’en faisons pas tout un film

Classé dans : Cinéma, vidéo, Littérature, Sciences, techniques — Miklos @ 22:19

האומר דבר בשם אומרו מביא גאולה לעולם
Qui rapporte une parole au nom de celui qui l’a dite, apporte la délivrance au monde.
— Ordre Nezikin, Traité des Pères, VI:6,
Ordre Moed, traité Megilah 15a

La Wikipedia française consacre ½ ligne au scénariste britannique Jack Pulman (décédé en 1979) surtout connu pour le feuilleton télévisé I, Claudius (Moi, Claude Empereur) tourné en 1976 et basé sur le roman éponyme et sur sa suite Claudius the God de Robert Graves, biographie de ce conquérant tous azimuths (de l’Angleterre à la Palestine), tyran, mari d’Agrippine, père adoptif de Néron et oncle de Caligula.

La filmographie (partielle) fournie dans l’article mentionne un autre de ses scénarios, celui de Portrait of a Lady, et redirige vers la fiche consacrée au film qu’en a fait Jane Campion en 1996… Or le scénariste du film de Campion était une scénariste, l’australienne Laura Jones, tandis que Pulman (décédé en 1979) avait adapté ce célèbre roman de Henry James pour un feuilleton télévisé de six épisodes, réalisé en 1968 par James Cellan Jones. Ce n’est pas la même chose.

En ce qui concerne un autre de ses scénarios, Jane Eyre, la WP dirige cette fois vers la page qu’elle consacre au non moins célèbre roman de Charlotte Brontë, et où sont mentionnés les films qui s’en sont inspirés : on retrouve bien la série télévisée à laquelle Pulman a participé. Mais lorsque l’on consulte la page consacrée à son réalisateur, Delbert Mann, on s’aperçoit que le lien indiqué dans sa filmographie pour ce titre mène vers une page inexistante…

Quant à la biographie de Henry James, elle mentionne que « The Portrait of a Lady est souvent considéré comme une conclusion magistrale de la première manière de James » tout en redirigeant vers la fiche consacrée au film de Campion. Elle ne consacre aucune page au roman de James, pourtant autrement plus important que celui de Charlotte Brontë qui y bénéficie d’une page. Pour quelqu’un qui chercherait des informations sur l’œuvre en question, la WP ne fournit qu’un résumé (d’ailleurs fort mal écrit) de ce film, où Henry James n’est mentionné qu’à propos du scénario, ce qui est un comble.

13 mai 2008

Recettes d’antan : vins factices et eaux cordiales

Classé dans : Cuisine — Miklos @ 22:15

Les quelques pittoresques recettes ci-dessous, qui demandent du temps, des ressources et de l’espace, proviennent du Cuisinier étranger, pour faire suite au Parfait cuisinier ; contenant une notice raisonnée de tous les mets étrangers qu’on peut trouver sur une table française, par Un gastronome cosmopolite, qui affirme en exergue : « J’ai visité les Cuisines de tout le globe, et j’ai écrit ces recettes » ; il rajoute, dans son introduction, que « quelques gourmands (…) prétendent, et non sans raison, qu’une table diversifiée par quelques mets étrangers, en est plus pittoresque et plus appétissante ». Cet ouvrage a été publié en 1825 chez un éditeur au nom assez curieux pour un livre de recettes : Haut-Cœur et Gayet Jeune… À ceux qui souhaiteraient consulter un livre plus récent, on conseillera le Élixirs & boissons retrouvés de Gilbert Fabiani. Ce livre est joliment illustré d’affiches anciennes et d’illustrations des 170 arbres et plantes, de l’abricotier à la violette, pour lesquelles il propose plus d’un millier de recettes variées (sirops, infusions, bières, apéritifs, vins, liqueurs, cafés…), qui se lisent avec plaisir et sans modération, et doivent se consommer avec modération mais non moins de plaisir.

Eau de Lait

On hache un peu de la rue, du chardon béni, de l’absynthe, deux grosses poignées de chaque, quatre poignées de menthe, autant de baume et d’angélique, et on les met dans un alembic au bain-marie ; on verse trois pintes de lait par-dessus : on pousse vivement le feu jusqu’au moment où la distillation commence, ensuite on le ralentit. On peut distiller deux litres d’eau de lait ; le premier litre peut se conserver toute l’année.

Shrub à l’orange

On met quatre-vingts litres d’eau, cent livres de sucre concassé, on fait bouillir cette eau jusqu’à ce que le sucre soit fondu ; on l’écume bien, et on la laisse refroidir dans une cuve. Quant elle est refroidie, on la tire dans un tonneau ; on y ajoute cent vingt litres de rhum de la Jamaïque et soixante litres de jus d’orange : on a soin de passer le jus d’orange, afin qu’il ne s’y trouve point de pépins. On mêlera le tout ensemble ; ensuite on bat six blancs d’œufs, on les mêle avec le shrub ; on le laisse s’éclaircir pendant une semaine ; ensuite on le tire en bouteilles.

Eau digestive

Cette eau, qui est de la première nécessité pour un gastronome de profession, se compose de la manière suivante :

On prend de la civette, de la sauge, du baume, de la menthe, de la rue, de l’absynthe romaine, du cochléaria, de la berle, du cresson de fontaine, une poignée de chaque, deux poignées de capillaire, un demi-quart de boisseau de pavot, s’il est frais, moitié moins s’il est sec, de la cochenille et du safran, une once, des anis, des graines de carvi, de la coriandre et des graines de cardamome, une once de chaque, deux onces de réglisse râpée, une livre de figues fendues, une livre de raisins secs débarrassés de leurs pepins, une once de graine de genièvre pilée, une once de noix-muscade concassée, une once de macis pilé, une once du graine de fenouil pulvérisée, et un peu de fleurs de romarin, de souci et de sauge. On met tout cela dans un pot de grès, et on verse par-dessus douze litres de bonne eau-de-vie. On bouche bien le pot, on le laisse près du feu pendant trois semaines ; on le remue tous les deux jours, et on le bouche bien chaque fois. Ensuite, on passe la liqueur et on la met en bouteilles. On verse encore sur ces ingrédients une bouteille de bonne eau-de-vie ; on laisse cela infuser pendant une semaine, en le remuant une fois par jour. On distille alors toute la liqueur au bain-marie, et on aura une belle eau blanche propre à prévenir et à guérir les indigestions.

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