Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

This blog is © Miklos. Do not copy, download or mirror the site or portions thereof, or else your ISP will be blocked. 

6 juin 2008

À l’eau, le téléphone portable !

Classé dans : Progrès, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 2:15

« La facilité nous tue ». — Liliane Bourdin, in Agora Vox, 28 décembre 2007.

Le téléphone portable : une servitude tristement volontaire. © Miklos, 2008On s’en doutait : le téléphone portable permet de – et donc servira à – tracer les déplacements de son utilisateur (on l’a évoqué encore récemment) même lorsqu’il n’est pas utilisé. Voilà qui est fait : le journal Nature vient de rapporter les résultats d’une étude faite par l’université américaine Northwestern qui concerne les patterns1 de déplacements quotidiens de citadins. Pour ce faire, les chercheurs se sont procuré une liste de six millions de communications téléphoniques passées durant une période de six mois par des abonnés d’une compagnie de téléphonie cellulaire et des informations à propos des relais qui avaient transmis ces messages. Ils en ont tiré au hasard 100.000 numéros (anonymisés par le fournisseur), qu’ils ont alors étudiés. Il en ressort que près de 75% de la population étudiée était restée dans un rayon d’une trentaine de kilomètres autour de leur maison sur une période de six mois, et se déplaçait relativement peu, tandis qu’une minorité parcourait de grandes distances en peu de temps. Pour ces chercheurs, les conclusions détaillées de leurs travaux sont nécessaires pour une meilleure conception des transports publics ou pour l’étude épidémiologique des maladies contagieuses.

Ce que l’on trouve curieux n’est pas cette conclusion, qu’on laissera à l’analyse des sociologues, et à propos de laquelle on aurait aimé savoir à quelle période de l’année elle avait été menée et où : dans un pays tel que les États Unis, bénéficiant de peu de congés payés ou dans un pays à l’image conservatrice, tel que l’Allemagne ? Que nenni : elle a eu lieu dans « une nation industrielle non identifiée » (selon c|net) choisie pour n’être pas très à cheval sur la protection des informations personnelles ; tout ce qu’on sait, c’est qu’elle n’a pu été menée ni en Allemagne ni aux États-Unis, où les lois interdisent ce genre de collecte d’information personnelle à l’insu des individus concernés.

Ce qui est curieux, c’est qu’une université ait décidé de contourner ainsi les lois de son pays. On savait que l’industrie pharmaceutique n’avait pas hésité à délocaliser sa recherche « dans les pays d’Afrique et d’Inde, où ils trouvent des cobayes humains en grand nombre et à moindre coût : non-respect des conventions internationales, essais réalisés avec placebos, expérimentations menées sans le consentement des patients… la réalité dépasse la fiction évoquée dans La Constance du jardinier de John Le Carré. Les essais pharmaceutiques concernent des millions de personnes et sont indispensables pour la mise au point de nouveaux médicaments. Mais ils posent de nombreux problèmes éthiques, économiques et sociaux. »2

Mais l’université ? CNN confirme que les chercheurs en question n’avaient pas consulté un comité d’éthique. Pour eux, ce n’était qu’une affaire de statistiques. Qu’ils n’aient pas eu accès aux données nominatives ne change en rien le fait que ces listes existent, et qu’elles pourront passer, intentionnellement ou non, en d’autres mains – peut-être moins délicates – sans avoir été préalablement délestées des informations personnelles qui y sont attachées. À ces moyens de traçabilité se rajoutent la carte bancaire qui permet de savoir où l’on se trouve et quand (magasin ou distributeur), les puces RFID, à l’instar des passes Navigo… La facilité d’utilisation et l’économie (de temps, d’argent) qu’ils offrent est une tentation à laquelle l’homme moderne, inscrit dans une société qui encourage le désir de consommation immédiate, a bien du mal à résister. On pourrait reprendre le mot de Claude Lévi-Strauss, cité par Évène : « La fonction primaire de la communication écrite est de faciliter l’asservissement » et l’appliquer aux moyens de communications numériques écrits ou vocaux, qu’on avait déjà identifiés comme agents d’une servitude bien tristement volontaire.


1 « Sc.hum. Modèle simplifié d’une structure de comportement individuel ou col­lec­tif (d’ordre psychologique, sociologique, linguistique), établi à partir des ré­pon­ses à une série homogène d’épreuves et se présentant sous forme sché­ma­tique. » — Trésor de la langue française.
2 Présentation de l’éditeur de l’ouvrage Cobayes humains : le grand secret des essais pharmaceutiques de Sonia Shah, Demopolis, 2007. Cf. aussi l’article du Monde diplomatique à ce sujet par le même auteur.

Mary Howitt: The Spider and the Fly

3 juin 2008

De l’importance de la casse

Classé dans : Langue, Sciences, techniques — Miklos @ 21:29

« Cadence innovation un an après la casse. » — La Voix du Nord, 3 juin 2008.

« Je vous passe la casse, passez-moi le séné. » — Proverbe (cité par le TLF).

« Les grands seaux où l’on va puiser l’eau avec la casse en cuivre rouge. » — Ramuz, Aimé Pache, peintre vaudois, 1911 (cité par le TLF).

Il ne s’agit pas, en l’occurrence, d’un événement récent dans une banlieue chaude, ni d’une « longue gousse de légumineuse, dont la pulpe a des propriétés laxatives douces », voire même d’une lèche-frite – trois des sens du substantif casse selon le TLF. On parlera ici de ses hauts et de ses bas, qui concernent non pas la psychanalyse mais la typographie, art en voie de disparition avec l’usage croissant des SMS et autres modes de communication écrite instantanée qui développent l’agilité de notre pouce à l’instar de celui d’autres primates.

Une récente annonce ne manquera pas d’intéresser les vieux de la vieille de l’informatique – ceux qui se définissent comme « adeptes de la ligne de commande1 » – mais aussi ceux qui sont las d’avoir à secouer la souris et à cliquer de nombreuses fois pour un résultat qu’on aurait pu autrefois obtenir à bien moindre effort (et sans tendinite), en ne bougeant que quelques doigts sur le clavier. Il s’agit de l’apparition récente de GooSH, site dont le nom est déjà tout un programme : il combine la première syllabe du nom de notre ami2 à tous, et « sh », le raccourci canonique de shell (coquille, en anglais), terme qui désigne l’environnement informatique permettant de piloter des programmes informatiques par ligne de commande, autrement dit uniquement à l’aide du clavier, et sans avoir à utiliser la souris.

Cette astucieuse invention de Stefan Grothkopp permet d’interroger très simplement une partie des services en ligne en question. Ainsi, si vous voulez savoir où se trouve Saint-Michel-Chef-Chef, vous tapez :

place saint michel chef chef

et la carte géographique s’affiche immédiatement (si vous voulez la voir en plus de détail, il vous faudra avoir recours à la souris pour cliquer dessus). Pour avoir des renseignements à propos de la localité, tapez alors :

wiki saint michel chef chef

et vous obtiendrez la liste des quatre premières pages de la WP (anglaise) qui en parle. Un clic, et vous lisez la page. Et maintenant, pour voir le blason et des photos de ce lieu :

image saint michel chef chef

Si les quatre réponses ne vous suffisent pas et vous souhaitez voir la suite, il suffit de dire :

more

et votre désir devient réalité.

Ce site n’est évidemment pas consacré à la géographie. Vous pouvez chercher ce qui vous chaut ; les dernières nouvelles à propos d’Hillary ?

news clinton

Si les réponses – principalement américaines – ne vous intéressent pas, et que vous souhaitez voir ce que Le Monde en dit, lancez :

in www.lemonde.fr hillary

Et enfin, pour la voir en vrai (sur l’internet),

video hillary

Bien d’autres services sont accessibles par l’entremise de cet outil sobre et efficace. Mais ce n’est pas l’état de la campagne de l’ex première dame américaine qui nous a fait évoquer la casse. L’un des services auxquels on peut accéder ainsi rapidement est celui de traduction automatique qu’on a récemment évoqué. Faites-donc pour voir :

t en fr I love you

(ce qui veut dire « traduire d’english en français “I love you”). Le résultat ne se fait pas attendre. Cette rapidité nous a permis d’expérimenter les connaissances linguistiques de l’outil, et l’on a constaté avec un certain étonnement que son aptitude à traduire plus ou moins fidèlement dépend fortement de l’utilisation correcte de la casse (majuscule/minuscule). Voici le résultat de la traduction en anglais d’une phrase somme toute assez courante en français, puis, pour le fun (« rigolo », selon le traducteur), sa retraduction dans la langue de Molière (ou plutôt de Villon ou de Verlaine) :

Original Fr → En En → Fr
va te faire foutre will make you foutre vous fera foutre
Va te faire foutre Va te faire foutre Va te faire foutre
va te faire foutre! will make you spunk! vous fera foutre!
Va te faire foutre! Will make you sperm! Vous fera sperme!
Allez vous faire foutre Go get foutre Go get foutre
allez vous faire foutre will make you foutre vous fera foutre
Allez vous faire foutre! Go fuck you! Allez vas te faire encule!
allez vous faire foutre! go fuck you! allez vas te faire encule!

Où l’on constate que le sens3 varie selon que l’on ait mis une majuscule ou non au début de la phrase et un point d’exclamation final. Le traducteur ne se sera réellement rapproché du sens correct que lorsque l’on est particulièrement poli avec lui (vouvoiement, majuscule initiale, point d’exclamation final), tandis qu’il rétorque en ignorant royalement les règles de bienséance (tutoiement, vulgarité) et de grammaire. Curiouser and curiouser, comme disait Alice. On en a profité pour tester sa compétence à traduire les deux phrases attribuées à Groucho Marx que nous avions citées :

t en fr Time flies like an arrow.
t en fr Fruit flies like a banana.

eh bien, c’est raté pour la seconde, qu’elle soit en majuscule ou minuscule initale.


1 Aucun rapport avec la hiérarchie militaire.
2 On trouvera ici un développement de l’acronyme.
3 Le terme spunk possède (si l’on peut dire), en argot britannique, le même sens que foutre en français. On suspecte que le traducteur a utilisé la Wiktionary pour trouver cette équivalence, sans pour autant y trouver la traduction (plus correcte) de l’expression que nous avons utilisée dans nos expériences linguistiques suscitées.

The Blog of Miklos • Le blog de Miklos