Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

This blog is © Miklos. Do not copy, download or mirror the site or portions thereof, or else your ISP will be blocked. 

29 octobre 2008

Life in Hell : Made in Italy

« Quand on arrive de France, et que l’on vient de traverser les Alpes de la Savoie, Turin semble une ville italienne ; quand on revient de Naples ou de Rome, on se croirait dans une ville française. Turin, la plus petite des capitales, est peut-être la plus propre et la plus régulière des villes. La plupart de ses rues sont tracées au cordeau et décorées de chaque côté d’édifices semblables. Quelques-unes sont même bordées d’une double rangée de portiques à arcades. » Frédéric Bourgeois de Mercey, « La Galerie royale de Turin », in La Revue des deux mondes, t. 28, 1841.

Le chef d’orchestre s’ennuyait. Il ne dirigeait que d’une main distraite et sans grandes nuances l’orchestre qui n’avait d’ensemble que le nom : les musiciens – peu nombreux, l’œuvre requérant une formation de chambre – devaient s’ennuyer aussi et, ne prêtant pas une attention particulière à leurs collègues, ne brillaient pas par la synchronie de leur jeu. Quant au public, il était tout aussi peu nombreux, la salle aux trois-quarts vide, programme sans doute trop contemporain pour les habitués : c’était pourtant des Danses concertantes que l’orchestre de la RAI était en train d’exécuter (littéralement), mais le nom du compositeur – Stravinsky – fait fuir encore bien des auditeurs près de quarante ans après sa mort.

L’œuvre suivante, le Concerto pour violon de Korngold avait pourtant tout pour les charmer : le néo-romantisme débordant, qui faisait se pâmer la jeune soliste qui possédait une bonne technique et une belle sonorité, mais qu’on s’attendait à se voir liquéfier d’émoi sur la scène quand elle ne se lançait pas dans des trémolos vigoureux (un regain de l’école russe de violon, que Chloë Hanslip avait suivie ?), les leitmotifs insistants limite harcèlement, le réveil de Jeffrey Tate qui se mit à diriger avec entrain, et le bref rappel hypervirtuose et néo-paganinien de John Corigliano… À l’entracte, Anna, Luca et Akbar décidèrent comme un seul homme de ne pas se soumettre aux 45 minutes de la première symphonie de Walton qui s’ensuivait et sortirent de l’auditorium de la RAI. Dommage, l’acoustique y était vraiment excellente, se dit Akbar.

Avant le concert, Anna les avait emmené manger léger – une nécessité après les délicieux repas qui avaient ponctué la conférence – dans un petit restaurant de quartier, Alla Mole, situé via Giuseppe Verdi, comme il se doit pour une soirée musicale. Sa pizza à la roquette méritait non seulement une mention particulière – dont acte – mais de revenir le lendemain soir, ce qu’Akbar n’hésita pas à faire, nonobstant son régime : la pâte fine, élastique, savoureuse et légèrement dorée et croustillante sur les bords, le sel discret à souhait ; une fine couche de mozzarella, des tomates fraîches, des feuilles de roquette et un soupçon d’origan ; chaude et généreuse tout en étant parfaitement digeste, quel plaisir !

Ce restaurant tient son nom du bâtiment qui héberge actuellement le musée national du cinéma à l’architecture aussi singulière que son histoire, et devenu le symbole de Turin : destinée à être une synagogue, la Mole Antonelliana est le fruit du délire de son architecte auquel elle doit son nom (Alessandro Antonelli) dépassant, en budget et en hauteur (113 m, et ultérieurement, 167 m), la commande initiale de la communauté juive (67 m) qui se retira du projet. L’intérieur, vide, est aménagé de façon spectaculaire en cinq niveaux sur le pourtour de l’édifice et propose une très riche histoire du cinéma, les merveilleuses inventions qui l’ont émaillée – les ombres chinoises, les lanternes magiques, la photographie, les chambres obscures, la stroboscopie… – ses metteurs en scène, ses acteurs et ses stars mythiques… Le rez-de-chaussée du musée est une immense salle de cinéma avec deux écrans géants et où trône un immense Moloch, et dont le pourtour consiste en des décors reconstituant des lieux magiques.

Turin n’a pas que la Mole de spectaculaire. On est, après tout, en Italie, et tout y est spectacle : les galeries couvertes, même celles d’immeubles plus récents, sont monumentales (sept à huit mètres de haut), les façades sont monumentales, les places sont monumentales. Les palais sont légions. Les étalages et les devantures – de pâtisseries, de glaces (Akbar préféra celle au parfum de cassate à la ricotta) –, les magasins d’habits, sont des combinaisons chatoyantes et d’une grande élégance. On est dans la mise en scène permanente.

La visite de la La Venaria Reale, à l’origine pavillon de chasse de la famille de Savoie, transformé en un complexe et labyrinthique palais royal, puis abandonné, voire partiellement détruit ou brûlé à diverses époques, et enfin récemment restauré de façon remarquable et agrémenté d’une mise en scène intéressante de Peter Greenaway, a constitué un splendide point d’orgue à ce bref séjour. Guidés par l’historien et le conservateur Andrea Merlotti, un homme passionné et particulièrement bien informé, Akbar et Anna ont traversé avec étonnement et plaisir, en parcourant ce très riche complexe, les quelque mille ans de l’histoire de la Maison de Savoie, celle de ses principaux personnages et de ses États aux frontières fluctuantes au fil des siècles.

Revenu à Paris, Akbar regretta le caffè, la polenta et les autres petits plaisirs quotidiens qu’il avait appréciés durant son séjour.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

21 octobre 2008

Tentation

Classé dans : Récits — Miklos @ 17:15


Michel-Ange: Adam et Eve chassés du Paradis. 1509-10.
Fresque, 280 x 570. Vatican, Chapelle Sixtine.

Samuel était un adolescent que la sexualité commençait à travailler. Un beau week-end de printemps, ses parents l’emmenèrent camper dans la forêt de Sion en compagnie de la sœur de son papa, une splendide femme dans la fleur de l’âge qui avait perdu son mari quelques années auparavant. Samuel devenait de plus en plus tourmenté à la vue de sa démarche sensuelle. Cette nuit-là, ne pouvant s’endormir, il épia la guitoune de Rosalie : il apercevait sur la paroi de toile sa silhouette se contorsionnant pour se déshabiller, et imaginait déjà voir les délicieux recoins secrets de son corps dont il n’avait eu, jusqu’ici, qu’une connaissance purement livresque mais nonobstant intense. La lumière s’éteignit. Samuel continua à guetter – un geste, un mouvement, un son… Bien lui en prit : quelques heures plus tard, Rosalie se leva, prise sans doute par un besoin pressant. Samuel joua le tout pour le tout : il se précipita hors de son sac à viande vers celui de Rosalie dans lequel il se pelotonna voluptueusement dans l’expectative de son retour imminent. Mais elle ne revient pas, étant en fait partie rejoindre son amant qui l’attendait dans une autre partie du camping.

Moralité : longue fut l’attente latente dans la tente de la tante à Sion.

20 octobre 2008

Au violon, l’assassin !

Classé dans : Actualité, Musique, Médias — Miklos @ 17:25

Dans un article fort mystérieux où il est question d’un ours et d’un policier, Le Monde rapporte la renaissance de « 24 violons », avec une illustration dont la légende parle du procès d’un assassin. Nul doute qu’il a été incarcéré par le policeman en question dans l’un des instruments (fort inconfortable, probablement, mais il l’a bien mérité) rouverts par le gouvernement. Au commentateur qui pensait qu’il s’agissait peut-être d’un violon tueur, on a signalé l’article concernant la musique qui tue.

18 octobre 2008

Le bal des voleurs et la danse du feu

Classé dans : Cinéma, vidéo, Danse — Miklos @ 22:18

Un grand salon, élégant et quelconque, années 1960, plongé dans la pénombre. Le mur du fond, vert pomme, est percé d’une très large baie opaque, au centre de laquelle on voit un immense aquarium où évoluent de chatoyants poissons exotiques et qui éclaire quelque peu la pièce ; à chacune de ses extrémités une porte ; entre celle de gauche et la baie, un tableau est accroché ; de l’autre côté de cette porte, perpendiculaires, des étagères vides. On ne peut apercevoir du mur de droite qu’un téléphone accroché au mur et on devine une troisième porte non loin de l’appareil. Un tapis orange rectangulaire est posé en diagonale sur le sol. D’un côté du tapis, un piano à queue et une batterie de jazz, de l’autre un long canapé bleu aux coins carrés y est disposé, parallèle au mur. Le même se retrouve au coin avant gauche du salon. Une silhouette mince, toute de noir vêtue, s’introduit subrepticement par l’une des multiples portes. Elle regarde attentivement autour d’elle pour voir s’il n’y a aucun danger, puis se dirige vers le tableau. Elle le soulève ; elle essaie d’ouvrir le petit coffre fort qui s’y dissimulait, mais un bruit la dérange. Elle raccroche le tableau tant bien que mal, saute sur le piano, saisit la lampe qui y était posée et s’immobilise, telle une cariatide. C’est un autre voleur qui vient d’apparaître et qui tentera, lui aussi, de s’approprier le contenu convoité. Mais il devra se cacher derrière le sofa de gauche, lorsque qu’un troisième personnage entre…

Ce bal silencieux, chassé-croisé d’un nombre indéfini d’ombres sinueuses, est le prélude de Comedy (première partie), spectacle créé par le chorégraphe Nasser Martin-Gousset au Théâtre de la Ville. Les voleurs s’éclipsent, la pièce s’illumine, quatre musiciens entrent et commencent à jouer du jazz et de la variété sixties – Brubeck, Desmond, Mancini, Legrand… – tandis que reviennent les visiteurs du soir en grande tenue, cette fois, l’hôtesse, un garçon serveur… Ils se coupleront et se découpleront, s’agglutineront, danseront – on remarquera de très beaux pas-de-deux négligemment tendres entre deux des hommes – discuteront, trépideront, s’enivreront de champagne (et notamment le serveur), s’affaleront sur les sofas ou sur le sol, avec élégance et d’un air faussement détaché – après tout, chacun souhaite subtiliser le contenu du coffre, objet de leur convoitise. Au cours de cette party déjantée mais maîtrisée et réglée comme du papier musique, ils passeront dans la pièce arrière et l’on verra alors leurs silhouettes dessiner sur la paroi du fond une pantomime merveilleuse d’apparitions, de disparitions et de transformations, où, se trucidant mutuellement, ils se suivront transpercés à la queue leu leu comme ces misérables dans La Parabole des aveugles de Breughel. L’éclairage – partie intégrale de la magie de ce spectacle – transformera plus tard les couleurs du salon, de ses meubles et de ses personnages en une étrange symphonie de gris. On en sort avec des bulles dans la tête et le sourire aux lèvres, et on attend impatiemment la seconde partie.

Par une étrange synchronicité, on a retrouvé les couleurs, la danse et l’hyperréalisme déjanté le lendemain dans Rumba, le film de, et avec, Dominique Abel et Fiona Gordon, dont on avait adoré L’Iceberg. Le couple Dom et Fiona enseignent l’un la gym, l’autre l’anglais, dans une école années sixties, sans doute, mais dans un milieu plus modeste que celui de Comedy. Ils sont fans de rumba, ont monté un pas-de-deux entraînant, et vont participer au concours communal. Une scène cocasse parmi d’autres : partis en retard, ils se changent en habits de scène tout en conduisant leur petite voiture dans des chemins de campagne, évitant tracteurs et négociant les lacis de la route. De catastrophe en catastrophe – suicide raté de Gérard causant un accident de voiture où Dom perd la mémoire et Fiona une jambe, incendie de leur maison (causé par Fiona, qui, dans l’Iceberg était obsédée par la glace et le froid…) – ils se perdront l’un l’autre pendant un temps mais jamais le sourire ni le goût de vivre. Dom sera recueilli par Gérard, Fiona le retrouvera un an plus tard (Gérard tentera évidemment de se resuicider, en se jetant à la mer une bouée autour du corps).

Là comme dans L’Iceberg, les protagonistes qui se cherchent se croisent et se frôlent sans s’apercevoir, ne parlent que peu – on n’est pas loin de Tati, de Charlie Chaplin et de Buster Keaton, tradition dont ils sont de très dignes représentants. C’est une chorégraphie tout aussi précise et déjantée que celle de Comedy – mais qui n’exclut pas des plans fixes qui, eux, rappellent Magritte –, qui exprime une profonde tendresse, retenue et sans sentimentalisme. On se souviendra par exemple du moment où l’on voit les deux handicapés, Fiona dans son fauteuil roulant et Dom l’amnésique assis par terre derrière elle dans un parking, devant un mur sur lequel se projettent leurs ombres ; soudain, celles-ci s’animent, et reprennent leur pas-de-deux sur le mur, tandis que les deux personnages sont assis, immobiles. Comment ne pas être attendri par ce film pudique et émouvant, qui relate, finalement, l’histoire d’un couple qui, au-delà des épreuves quasi initiatiques et des transformations irrémédiables de l’un et de l’autre, reste soudé ?

Mondes parallèles

Classé dans : Récits, Sculpture — Miklos @ 14:54

Une dame d’un certain âge regarde d’un air pincé – désapprobateur ou envieux ? – le jeune couple enlacé qui vient de sortir du cadre de l’image. Un étincelant extra-terrestre ferrugineux, qui porte en son sein sa descendance destinée à peupler la Terre et qu’il protège de son bras gauche, contemple la dame qui ne peut le voir. Son autre bras dissimule derrière son dos l’instrument dont on aperçoit l’extrémité avec lequel il se prépare à conquérir la terra nullius qu’il vient d’aborder. Il va se pencher avec curiosité sur les deux livres disposés contre le mur et surmontés d’un dessin qui lui rappellera la mère de ses enfants qu’il a dévorée après leur conception. Au-dessus de lui, son ange gardien l’observe d’un œil lacté : il l’empêchera de réaliser son plan en le figeant à jamais dans cette posture. Mais les hommes ne le savent pas encore : on en voit un, en haut à gauche, s’enfuir.

The Blog of Miklos • Le blog de Miklos