Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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18 octobre 2008

La course effrénée des médias

Classé dans : Actualité, Médias, Société — Miklos @ 12:49

Le Monde rapporte l’enquête dont ferait l’objet DSK pour « un possible abus de pouvoir » du fait de sa vie intime. S’il est légitime de s’interroger sur le fait – la personne a-t-elle bénéficié d’« émoluments excessifs » (et non pas « excessive », comme l’écrit Le Monde sans se relire, dans sa hâte à être l’un des premiers à rapporter l’affaire) eu égard à sa fonction ou a-t-elle été poussée à la démission –, l’aspect « intime » n’a rien à y voir.

Cette curiosité maladive et obsessionnelle, qui intéresse surtout les puritains américains adeptes du battage de coulpe ou du lynchage publics et la presse people (voire peephole – ce qui n’a rien de très glory), envahit la France. Elle se nourrit, il faut aussi le dire, par la propension de certains de nos grands hommes à mettre en scène leur vie privée et leurs scènes de ménage d’une façon qui, parfois, n’est pas sans rappeler les comédies de Feydau. À d’autres moments, elle peut se terminer tragiquement sous un pont de Paris au terme d’une poursuite sans relâche de paparazzi. « Livré aux chiens », avait lancé Mitterrand après la mort de Pierre Bérégovoy.

Constatant que le prix de leur exhibition est finalement trop élevé, on en voit qui font maintenant appel à la justice, cousette chargée de faire des reprises dans leur cache sexe déchiré. Un spectacle de plus pour un certain public friand de froufrous.

17 octobre 2008

La voix

Classé dans : Récits — Miklos @ 18:55

Le couloir n’en finissait pas. L’homme s’y était engagé par hasard : il déambulait dans les rues désertes de la ville ensoleillée, contemplant avec plaisir ses façades classiques, sobres et régulières, percées de fenêtres pudiquement voilées. Certaines portes cochères entr’ouvertes lui laissaient apercevoir des cours pavées menant vers de nobles bâtisses antiques aux murs craquelés qu’on pouvait distinguer sous le lierre qui les recouvrait tel de longs cheveux le visage ridée d’une grande dame. D’autres dissimulaient des jardins où l’herbe folle, les chardons et les coquelicots avaient envahi les pelouses et les sentiers autrefois tracés au cordeau et dont les bassins s’étaient irrémédiablement couverts de nénuphars.

L’une d’elles, sur le trottoir opposé, l’attira, il ne sut pourquoi. À première vue, elle n’avait rien de remarquable. Était-ce la solide beauté de son chêne vieilli ou le bas relief qui y dessinait, en son centre, une tête aux traits effacés mais qui semblait le fixer du regard depuis qu’il l’avait aperçue ? Ou peut-être le fait que son entrebâillement ne permettait de voir ce qu’elle cachait à sa curiosité ? Il franchit la rue, poussa le battant et entra.

Un long couloir sombre s’étendait devant lui. Il lui fallut un long moment pour que ses yeux se fassent à la profonde pénombre dans laquelle il était dorénavant plongé, la porte s’étant silencieusement rabattue après son passage. Il commença à distinguer l’arrondi du plafond, les parois de gros moellons, et, au loin, un point lumineux – l’extrémité de cet étrange corridor, sans doute. Impossible de se rendre compte de la distance qui l’en séparait. Intrigué, il s’engagea à pas prudents sur le chemin.

L’air était frais, agréable contraste avec la chaleur qui régnait dans la ville. Le silence, comme l’obscurité, semblait profond, et ce n’est qu’au fil de sa lente progression que ses sens, d’habitude aiguisés, s’adaptaient peu à peu à ce qui l’entourait. Il perçut d’abord le sol, qu’il ne pouvait voir : ce n’était pas de l’asphalte ou de la pierre, mais une matière plus élastique, comme un tapis de feuilles mortes légèrement humides dans un sous bois en automne. L’odeur ténue qui commençait enfin à se dégager lui rappelait d’ailleurs celle de champignons qu’il lui arrivait de cueillir aux pieds des chênes et des châtaigniers de sa forêt.

De temps à autre, il entendait un bref grattement, comme celui des griffes d’un petit rongeur, rat ou souris, qui devait habiter les lieux et qui s’enfuyait à son passage ; le floc-floc régulier d’une goutte d’eau qui devait tomber du plafond ; et puis, il lui sembla entendre, provenant de très loin, un rire cristallin, un roucoulement de plaisir. Il s’arrêta et tendit l’oreille, mais le silence était retombé. Il se remit en marche, et, comme par synchronie, la voix reprit. Cette fois, c’était un babil excité ; il ne distinguait, du fait de la distance, que des bribes de mots, s’imaginait parfois les comprendre et à d’autres moments entendre une langue étrangère.

La joyeuse mélodie exerçait sur lui une fascination difficilement maîtrisable. Douce, caressante, charmeuse, elle l’attirait comme un serpent sa proie. Il lui semblait y déceler parfois un air moqueur qui le narguait, qui le mettait au défi de la rejoindre. Tout son corps était habité par l’urgence de s’en rapprocher, et son esprit par le désespoir croissant de ne pouvoir le faire : il pressait le pas, il lui arrivait même de courir, mais avait l’impression de faire du sur-place.

Le point lumineux scintillait au loin. Il en jaillissait parfois des reflets jaunes dorés, verts et ocres, puis il retrouvait l’aspect impassible d’une étoile distante et froide. À force de le fixer, l’homme commençait à halluciner : le point semblait grossir comme la lune à l’horizon certaines nuits d’été, et on pouvait imaginer voir s’y dessiner la silhouette d’une personne – était-ce la voix qui n’avait de cesse de l’attirer ? – puis il reprenait rapidement sa taille initiale. Les yeux de l’homme se brouillaient ; le point se dédoublait, puis se multipliait à l’infini, comme une suite interminable de points de suspension.

Le couloir n’en finissait pas. L’homme fatiguait. La voix continuait, imperturbable. Il se boucha les oreilles, mais il l’entendait encore, elle était dans sa tête, et la rengaine qui l’avait charmée au début le poursuivait impitoyablement comme la mélodie d’un disque rayé qu’on ne peut arrêter, qui, de splendide, en devient détestable à force de se répéter sans fin à l’identique. Épuisé, il s’arrêta pour reprendre son souffle. Ses jambes ne le portaient plus. Il se laissa tomber sur le sol accueillant et s’y allongea. Sa respiration irrégulière se calma, se ralentit, s’espaça. Dans un dernier moment de lucidité, il se sentit soulagé : il était enfin arrivé à destination, il pouvait se reposer. Puis il cessa de respirer. La voix poussa un long sanglot et se tut.

Plus tard, elle reprit son rire cristallin : un homme venait d’entrer dans le couloir.

11 octobre 2008

Life in Hell : le guide des égarés

Classé dans : Actualité, Humour — Miklos @ 22:19

Akbar émerge du métro Étienne-Marcel. Trois touristes, l’air perdu, tournent un plan de Paris dans tous les sens.

– “Excuse-me, do you speak English?”, s’enquiert l’une des personnes poliment, tout en dissimulant difficilement son anxiété.

– “Yes. And you?” répond-il imperturbablement.

Rire. Le stress de la touriste égarée baisse perceptiblement.

– “Could you tell me please where Nawter Dayme is?

– Sure: walk straight ahead past this avenue until the white house you see at the far end and turn right. You can’t miss it.

– Thank you! Can you please show me where we’re on the map?” profite-t-elle pour demander.

Akbar s’empresse de le faire. La dame rajoute, souriante :

– “We are Australians. You must be American!

– No, I am French, born and bred here. Aille canne spique ouize ze Frentche accent tout, iou nau”, répond Akbar, toujours aussi imperturbable mais intérieurement flatté.

Rires.

Peu après, Akbar voit les Australiens tourner dans le boulevard de Sébastopol, au lieu d’emprunter la rue qu’il leur avait indiquée.

– “Well, we actually want to go to Saint Michael,” avouent-ils, un peu gênés.

– “Be sure not to miss Nawter Dayme!”, leur lance Akbar, convaincu que le Boul’ Mich’, tout célèbre qu’il soit, ne mérite pas qu’on ignore la non moins célèbre maison du Bossu. Il ne manquerait plus qu’ils la confondent avec l’un des décors de Disneyland.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

8 octobre 2008

We build too many walls and not enough bridges. (Newton)

Classé dans : Architecture, Littérature, Photographie — Miklos @ 7:36

Before one goes through the gate
one may not be aware there is a gate
one may think there is a gate to go through
and look a long time for it
without finding it
one may find it and
it may not open
If it opens one may be through it
As one goes through it
one sees that the gate one went through
was the self that went through it
no one went through a gate
there was no gate to go through
no one ever found a gate
no one ever realized there was never a gate
 
— R. D. Laing, Knots

7 octobre 2008

Syntagme

Classé dans : Récits — Miklos @ 0:03

Las estrellas de los cielos,
una y una se hacen dos.
Non tienen tanta firmeza
sigún tenemos los dos.
Balade séfarade

La place, bruyante de la circulation effrénée des véhicules qui la traversaient anarchiquement, grouillait de monde. La foule massée sur les larges trottoirs regardait passer le temps ou discutait avec véhémence. La nuit était tombée et les terrasses des cafés et des restaurants commençaient à se remplir. L’homme était un peu perdu dans ce brouhaha. Soudain, à quelques pas de lui, un sourire éclatant se matérialisa, illuminant la nuit. Deux étoiles s’allumèrent dans les yeux en amande qui semblaient, eux aussi, sourire. Il aperçut les boucles folles qui surmontaient, telle une sombre canopée, le visage clair qui se dessinait progressivement. Une voix, harmonieuse et chaleureuse, accom­pagnait la main qui se tendait accueillante, préliminaire à des gestes que ni l’un ni l’autre ne pouvaient déjà imaginer, mais auxquels ils avaient rêvé depuis des temps immémoriaux. Au fur et à mesure de leur découverte mutuelle, les bruits environnants s’estompaient, étouffés par un brouillard caressant qui les enveloppait progressivement. Ils ne s’étaient jamais vu et pourtant ne se sentaient pas étrangers l’un à l’autre. Quand, bien plus tard, ils se quittèrent, le sourire resta suspendu, attente et promesse d’un futur inéluctable.

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