Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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20 avril 2009

Une crise annoncée, prévisible, prévue

Classé dans : Économie — Miklos @ 23:59

“We didn’t know at all, we didn’t see a thing.
You can’t hold us to blame, what could we do?
It was a terrible shame, but we can’t bear the blame.
Oh, no, not us! We didn’t know. ”

— Tom Paxton

En novembre 2005 je citais un extrait d’un document de travail publié par l’Orga­ni­sation inter­na­tio­nale du travail :

L’accroissement du flux financier circulant dans le monde relève plus de mouvements spéculatifs que de réels investissements dans la production. Le secteur financier se déconnecte de l’économie réelle et se présente de plus en plus comme une économie virtuelle. Un crash financier pourrait faire boule de neige et amener l’écroulement de tout le système.

Ce document mérite d’être attentivement relu. Il contient d’autres passages auxquels il aurait fallu prêter plus d’attention, par exemple :

L’une des critiques de fond que nous pouvons émettre [à propos du concept et des retombées de la globalisation] est le fait que pour les principaux acteurs de la globalisation il existe une confusion entre moyen et fin. Ainsi, c’est l’idée de libre circulation qui est érigée en finalité du processus de globalisation alors que la notion d’intérêt public est minimisée : l’intérêt public est censé s’adapter à la nouvelle réalité de la globalisation. (…)

Une deuxième critique de fond qu’il faut émettre est que tout le processus de la globalisation est censé reposer uniquement sur la suprématie des forces économiques – sans intervention politique. Cette idée rejoint celle qui fait de la globalisation un processus naturel et inéluctable, découlant d’une poussée technologique irrésistible.

Il s’agit d’un rapport datant de… mars 1998, intitulé L’impact de la globalisation sur les économies des pays de l’Océan indien. Destiné aux responsables syndicaux, il expose d’abord d’une façon particulièrement pédagogique et synthétique la problématique de la globalisation, tout en définissant clairement les concepts clé. Après une analyse des conséquences de cette globalisation dans la zone géographique étudiée, il conclut en proposant des défis majeurs à la société civile (et en particulier aux syndicats, qu’il recommande de renforcer), tout en préconisant de résister à « la pression des institutions financières internationales à démanteler ce qui est connu comme l’État providence ».

Le ver était dans la pomme.

18 avril 2009

« Ballon rouge pour la gloire ballon jaune pour la joie… » (Richard Antony)

Classé dans : Photographie, Récits — Miklos @ 11:55


Paris, années 1980

L’homme gara doucement sa voiture le long du trottoir. Après avoir éteint le moteur, il observa discrè­tement l’embrasure des rideaux en filet du modeste immeuble devant lequel il s’était arrêté. On ne pouvait voir la direction que prenait son regard : ses épaisses lunettes de myope scintil­laient et dessinaient des cercles concen­triques autour d’un petit point sombre, telle l’eau qui s’engloutit dans une bonde. Ce qu’il devait voir le satisfit : il sortit, enfila un élégant pardessus gris à col de velours noir et coiffa soigneu­sement sa tête gominée d’un chapeau de feutre anthracite à larges bords bordé d’un ruban de soie noire. Puis il ouvrit le coffre, se saisit déli­ca­tement d’un long étui de flûte traversière – noir, lui aussi – et d’un mince dossier qu’on imaginait contenir la partition qu’il allait exécuter. Il vérifia encore une fois l’adresse, rédigée d’une écriture moulée sur une éti­quette blanche aux bords bleus colée sur le carton – il remarqua que c’était au 13 de la rue, mais il n’attachait pas d’impor­tance aux signes –, et franchit la porte vitrée de l’hôtel. Il n’y avait personne à la réception. Il traversa rapi­dement l’entrée et gravit silen­cieu­sement les marches qui menaient à l’étage. Il crocheta d’un tour de main la serrure d’une porte, l’entrouvrit et s’intro­duisit dans une chambre aux persiennes fermées. Il s’immo­bilisa longtemps, jusqu’à ce que ses yeux fatigués se fussent habitués à la pénombre. La pièce était entiè­rement vide, à l’exception d’une chaise de bois placée près de la fenêtre. Il s’y assit, disposa l’étui sur ses genoux, et en souleva le couvercle. Il retira ce qui ressemblait à un long tuyau métal­lique soigneu­sement enveloppé dans un tissu soyeux. Il ouvrit la fenêtre, et observa le troittoir déses­pé­rément vide par les inter­stices du volet. Après un long moment, il vit enfin deux silhou­ettes se rapprocher du bout de la rue. Une grosse dame vêtue modes­tement mais proprement tenait à la main un petit garçon en culottes courtes, chemi­sette blanche et casquette. Dans sa main libre, l’enfant tenait un fil auquel était attaché un joli ballon bleu ciel qui flottait au-dessus de lui comme un ange protecteur. L’homme prit alors dans l’étui un petit objet et le mit dans sa bouche. Il porta le tuyau à ses lèvres et l’aligna méti­cu­leu­sement tout en inspirant profon­dément et en gonflant ses joues à bloc. Puis, d’un coup, il souffla de toutes ses forces. Une déto­nation retentit dans la rue : le ballon avait explosé. Un rire silencieux secoua l’homme. Il reposa la sarba­cane sur ses genoux, sortit un stylo à plume de la poche de son pardessus, barra une ligne de la liste qui se trouvait dans son dossier, et se remit à attendre.

Le pêcheur de Paris

Classé dans : Nature, Photographie — Miklos @ 0:46


Pêcheur à Paris, années 1980

«Considérant qu’aux termes de l’art. 5, alinéa 2 de la loi du 15 août 1829 sur la pêche fluviale, il a été permis à tout individu de pêcher à la ligne flottante tenue à la main, dans les fleuves, rivières, canaux et autres fossés navigables ou flottables dont l’entretien est à la charge de l’État ou de ses ayants cause ;

Que cet article n’a fait que reproduire en cette partie les dispositions des anciennes ordonnances et des lois et arrêtés qui permettaient l’usage de la ligne flottante tenue à la main ;

Qu’en droit et en l’absence de toute définition légale de la ligne flottante, les tribunaux doivent se décider par le sens naturel des mots employés par le législateur, par le sens donné à ces mots par un usage, constant, et par les conséquences du sens adopté, qui doivent être en harmonie avec l’esprit général des lois sur la pêche ;

Considérant que, dans leur sens naturel, les mots de ligne flottante indiquent une ligne que le mouvement seul de l’eau rend mobile et fugitive, et qu’il faut que le pêcheur ramène sans cesse à lui ; qu’un usage constant a consacré cette interprétation ;

Qu’il n’est résulté de l’usage de la ligne flottante ainsi définie, aucune conséquence de nature à faire croire que l’intention du législateur a été de la prohiber, soit dans un intérêt d’ordre public, soit dans l’intérêt des fermiers de la pêche, lorsqu’elle serait garnie de quelques plombs ajoutés au poids de l’hameçon pour le maintenir perpendiculairement au liège ou flotteur indicateur, à une profondeur déterminée ;

Qu’il suffit, pour que la ligne ne cesse pas d’être flottante, qu’elle soit constamment soumise au mouvement du flot et du courant de l’eau, et, par conséquent, que l’appât ne repose pas au fond et n’y reste pas immobile ;

Que la loi exige seulement que le pêcheur tienne à la main la canne destinée à rejeter la ligne en amont toutes les fois que le courant la fait flotter en aval à une trop grande distance; que décider qu’une ligne n’est flottante que lorsqu’elle ne flotte qu’à la superficie de l’eau par le seul poids de l’hameçon serait donner un sens restrictif aux expressions de l’article 5 ci- dessus, et rendre illusoire la permission de pêche à la ligne flottante résultant dudit article ;

Que les fermiers de la pêche ne seraient pas fondés à se plaindre du préjudice qu’ils pourraient en éprouver, puisqu’il ne s’agit que de l’application d’une disposition légale qu’ils n’ont pas pu ignorer, et qu’ils se sont soumis dès lors à cette condition en se rendant adjudicataires de la pêche ;

Considérant en fait que, le 17 février dernier, Moriceau a été trouvé pêchant à la ligne tenue à la main, dans le dix-huitième canton de la pêche, sur la rivière de Seine ;

Que, s’il résulte du procès-verbal régulièrement dressé ledit jour et des aveux mêmes de Moriceau, que la ligne avec laquelle il pêchait était armée de deux hameçons et garnie de deux grains de plomb n° 4, destinés à faire plonger la ligne dans la partie inférieure de la rivière, ce poids ne pouvait suffire pour empêcher la ligne de flotter dans le courant, et que le contraire n’est pas même allégué ;

Que, dès lors, et par les motifs ci-dessus déduits, la ligne dont s’est servi Moriceau devant être considérée comme flottante, la prévention n’est pas établie :

» Met l’appellation et le jugement dont est appel au néant; émendant, décharge Moriceau des condamnations contre lui prononcées ; au principal, le renvoie des fins de la poursuite, condamne l’administration forestière et Louis Fabrège, partie civile, aux frais de première instance et d’appel.

Arrêt du 20 mai 1851 de la Cour d’appel de Paris, cité par Alphonse Karr in La pêche en eau douce et en eau salée. Histoire, mœurs, habitudes des poissons, crustacés, testacés, etc., lois, usages, procédés, ruses et secrets des pêcheurs. Paris, 1860.

17 avril 2009

Miss.Tic ou mistake ?

Classé dans : Arts et beaux-arts, Peinture, dessin, Photographie — Miklos @ 1:03


Mur de Paris, années 1980

Les peintures au pochoir ne sont pas une invention récente. Le Bulletin monumental, ou collection de mémoires et de renseignements sur la statistique monumentale de la France de 1851, parlant de l’abbaye de St.-Sauveur à Évreux, écrit :

[Ses] murs intérieurs (…) sont encore couverts d’un semis de fleurs de lis et de monogrammes ainsi décalqués sur la pierre. Un écrivain célèbre du XVIe siècle [il s’agit de Montaigne] raconte, comme il suit, la manière dont on l’employa [l’emporte-pièce, ou pochoir], en sa présence, pour décorer un édifice : « Le pavé y fut peint en un instant de divers ouvrages en rouge, aiant premièremant enduit le planchier de quelque plastre ou chaus, et puis couchant sur ce blanc une pièce de parchemin ou de cuir, façonnée à pièce levée des ouvrages qu’on y vouloit ; et puis atout (avec) une époussette teinte de rouge, on passoit pardessus ceste pièce et imprimoit-on au travers des ouvertures ce qu’on vouloit sur le pavé, et si soudeinement qu’en deus heures la nef d’une église en seroit peinte ».

Les années 1980 ont vu foisonner le street art (terme plus spécifique qu’art mural) sous forme d’affiches et d’affichettes (on pense à l’excellent Paella Chimicos), de peintures au pochoir (les silhouettes blanches de Mesnager, qu’on a retrouvées à Paris, à Rome ou à Amsterdam, épousant avec poésie l’espace où elles apparaissaient), à la bombe ou au pinceau… Humoristiques, littéraires, philosophiques, poétiques, révoltées – ces œuvres éphémères ne manquaient pas d’intérêt, qui, pour certains, s’est transformé en intérêt commercial, via leur récupération par le marché lucratif de l’art.

Le Monde dresse aujourd’hui le portrait de Miss.Tic, dont les peintures au pochoir sont apparues à cette époque et que l’on peut trouver encore aujourd’hui à Paris, mais aussi à l’étranger. Elle est établie : site Web et livres publiés, œuvres acquises par de grands musées, commandes… Il faut avouer que l’on n’a pas été touché, ni alors ni maintenant, par ses aphorismes rappelant dans leur style les calembours – parfois creux et souvent répétitifs, osons le dire – d’un Devos (auquel on préférait de loin un Fernand Raynaud) : au début, on est surpris, amusé ; et puis on se lasse du genre. Ce qui n’est pas le cas des créateurs dont on a parlé plus haut, et qui ont su se renouveler tout en gardant un style bien distinctif.


Paris, années 1980 – Barcelone, 2008

15 avril 2009

“In my end is my beginning” (T. S. Eliot, East Coker)

Classé dans : Récits — Miklos @ 11:41

“Do not go gentle into that good night
Rage, rage against the dying of the light.”

– Dylan Thomas

Le vieil homme respirait avec une difficulté croissante. L’infirmière avait disposé avec sollicitude un oreiller sous son dos, puis s’était rassise près du transistor d’où s’échappaient les notes du quintette pour clarinette de Brahms qu’il aimait tant écouter. Mais en était-il encore capable, tout occupé à l’effort de trouver encore un peu d’air ? Le temps, arrêté, lui pesait infiniment. Puis la musique se tut. Il ouvrit les yeux. Dans la pénombre de sa chambre, son regard voilé aperçut les silhouettes d’un jeune couple qui s’était détaché du groupe d’amis silencieux qui l’entouraient. Quand ils s’approchèrent de son lit, il reconnut ses parents. Il tenta en vain d’esquisser un geste. La femme se pencha vers lui, souriante, et prit tendrement dans ses bras le bébé qui lui tendait ses petites mains du fond de son berceau. Enfin rassuré, il s’endormit.

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