Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

This blog is © Miklos. Do not copy, download or mirror the site or portions thereof, or else your ISP will be blocked. 

15 décembre 2009

Le dandy et l’ange gardien

Classé dans : Peinture, dessin, Photographie, Récits — Miklos @ 21:06

street art

Une jambe négligement croisée devant l’autre, l’homme est adossé contre un mur galeux dont une saillie lui sert de miséricorde. Un borsalino bleu ciel souligne la couleur métallique de son regard perçant, plongé dans les pages économiques du journal qu’il tient déployé devant lui. Son long pardessus flottant laisse apercevoir un costume croisé coupé à perfection qui souligne discrètement sa silhouette svelte et sa carrure musclée. Ses élégantes chaussures blanches aux pointes noires, la couleur canari de son habit, font penser plutôt à un gigolo, mais les apparences sont trompeuses : c’est indéniablement un jeune homme de bonne famille, honnête et réservé.

D’ailleurs, son ange gardien veille sur lui. Sa tâche n’est pas facile : l’être venu d’ailleurs est allergique à la pollution atmosphérique de la ville, et, qui plus est, des émanations incroyablement acides se dégagent de la poubelle de plastique vert située à quelques pas qu’il est le seul à sentir. Il a donc dû s’équiper d’un scaphandre orange équipé de bombonnes d’air raréfié qui l’alourdissent et l’empêchent de se maintenir à l’altitude préconisée par le règlement de sa corporation. Un passant extralucide le verrait se débattre pour tenter de ne pas perdre pied.

L’homme attend depuis longtemps. Les titres de la une du quotidien parlent d’un passé révolu. Hier comme aujourd’hui et sans doute demain aussi, il semble lire toujours la même page. En fait, il s’essaie sans grand succès à faire de tête les mots croisés, ce qui explique qu’il ne progresse plus dans la lecture de son journal. L’ange, de son côté, exerce toutes ses facultés télépathiques pour aider son protégé, mais celui-ci résiste, par orgueil ou plutôt par un sens de l’honneur quelque peu suranné.

C’est la pluie qui viendra les délivrer. Lessivant le mur, elle n’y laissera qu’une vague trace rouge comme une éclaboussure de sang s’écoulant vers une petite boule de papier journal qui finit de se dissoudre sur le trottoir.

street art (détail)

14 décembre 2009

L’amateur d’art

Classé dans : Peinture, dessin, Photographie, Récits — Miklos @ 22:23

street art

Le vieillard marche à petits pas, penché en avant, le dos arrondi par l’arthrose. Casquette grise enfoncée jusqu’aux oreilles, costume gris rayé de blanc, chaussures de cuir noir aux guêtres blanches, l’homme-zèbre rase les murs de si près qu’on dirait qu’il y est dessiné. Ses mains, araignées aux longues pattes, sont gantées de feutre noir. De son bras gauche il serre contre lui une grande serviette plate de cuir fatigué.

Lorsqu’il arrive devant un tableau, il n’a pas besoin de se pencher pour consulter l’affiche qui l’identifie, et ne tente pas de se redresser pour le contempler. Il reste immobile un long moment, se fond encore plus avec le décor, à tel point que les gardiens, qui pourtant l’aperçoivent tous les jours, ne le voient plus. Plus tard, il reprend son parcours dans le musée, toujours le même, à travers les salles souvent vides.

Un jour, arrivé devant l’œuvre qui le fascine secrètement depuis la toute première fois, il y a si longtemps – le mauve qui fait vibrer son âme, le titre évocateur de mystères insondables, le nom imprononçable de l’artiste slave, le cadre baroque –, il se redresse soudain, aussi rapidement qu’un ressort tendu depuis trop longtemps et qui rêve de se libérer enfin. Droit comme un i, il décroche prestement le tableau dont il se saisit avec délicatesse, et suspend à sa place la serviette de cuir. Il n’y a personne pour remarquer la substitution, et les rares visiteurs qui passeront un jour là admireront ce nouvel accrochage, les guides discourront de sa portée sociale et les critiques se déchireront à son propos.

L’homme glisse son trophée sous son bras gauche et poursuit sa visite quotidienne, comme si de rien n’était. Puis il quitte le musée, traverse la longue esplanade pavée jusqu’à l’un des grands tuyaux d’aération qu’il longe tel une ombre. Mais il ne peut s’en détacher. Depuis ce jour-là, il en fait le tour inlassablement à petits pas, penché en avant, le dos arrondi par l’arthrose. Et même ici, où pourtant la foule est souvent dense, personne ne le remarque.

street art (détail)

13 décembre 2009

Alla breve. XXIII.

Classé dans : Actualité, Alla breve, Musique — Miklos @ 23:09

[162] Le compositeur York Höller lauréat du prix Grawemeyer. Le compositeur allemand a gagné ce prix annuel dans la catégorie composition musicale pour son œuvre orchestrale de 40 minutes, Sphaeren. Parmi les lauréats précédents : György Kurtág (2006, Concertante Op. 42), Unsuk Chin (2004, Concerto pour violon et orchestre), Kaija Saariaho (2003, L’Amour de loin), Pierre Boulez (2001, Sur Incises), György Ligeti (1986, Études pour piano). (Source)

[163] André Previn lauréat d’un Grammy 2010. Le chef d’orchestre recevra un prix pour l’œuvre de sa vie – avec Leonard Cohen, Michael Jackson, Loretta Lynn, entre autres. Il a déjà reçu 10 Grammys pour ses enregistrements avec des orchestres prestigieux (le New York Philharmonic, le Philharmonique de Vienne…). Quant à Pierre Boulez, il est « nominé » dans la catégorie « meilleurs solistes instrumentaux avec orchestre » pour les trois concertos de Bartók (avec Pierre-Laurent Aimard, Yuri Bashmet, Gideon Kremer…). (Source)

[164] Jimmie LeBlanc gagne le prix Jules Léger. Le jeune (32 ans) compositeur et guitariste classique québécois, encore étudiant à l’université McGill de Montréal, décroche ce prix pour L’Espace intérieur du monde, pièce pour quinze musiciens et électronique.En 2008, il avait gagné le prix Lutoslawski pour Nos Cercles brisés. (Source)

[165] La folie Chopin. La Folle journée 2010 sera consacrée à Chopin. Comme il n’a composé que 22 heures de musique, on y entendra aussi ses compositeurs favoris (Bach, Händel, Mozart, Hummel), ses amis (Berlioz, Liszt – et non pas « List » comme l’écrit le journaliszt d’Ouest-France – Mendelssohn…). Parmi les interprètes : Barbara Hendricks, Abdel Rahman El Bacha, Brigitte Engerer, le chœur Accentus. La billetterie ouvrira sur l’internet le 10 janvier (et la veille sur place). (Source)

[166] Cinquantenaire de la mort de Heitor Villa-Lobos… Radio France a programmé ce weekend à la mémoire de ce compositeur brésilien prolifique – plus de mille partitions dans tous les genres classiques possibles. Même ceux qui n’ont jamais entendu parler de lui ont probablement entendu la très belle Bachiana brasileira n° 5 (« cantilena »), dans une merveilleuse interprétation de Victoria de Los Angeles, œuvre qui « sonne » si simple et est pourtant si difficile à interpréter, certains passages se chantant la bouche fermée. Bien d’autres œuvres méritent l’écoute. (Source)

[167] … et de celle d’Ernest Bloch. Encore un grand ignoré. Il y a quelques jours, la Radio suisse romande consacrait son émission Pavillon suisse à Ernest Bloch. Son œuvre prolifique comprend entre autre un Concerto pour violon, et la splendide rhapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre, Schelomo. La violoncelliste Sonia Wieder-Atherton et la chef d’orchestre Dalia Atlas ont enregistré (séparément) ces derniers temps des disques consacrés à ses œuvres. Écoutez-les, c’est une musique qui touche… (Source)

[168] Bollywoodez-vous ! Si vous voulez composer votre propre musique de film genre Bollywood, une bibliothèque de sons et d’effets libres de droits, composée par Gaurav Dayal sur des instruments authentiques, vous sera peut-être utile. (Source)

L’embouteillage

Classé dans : Progrès, Récits, Société — Miklos @ 21:03

« Automobile adj. (du préf. auto, et de mobile). Se dit d’appareils qui ont en eux leur moteur propulsif : chariot auto­mobile. N. m. Voiture qui marche à l’aide d’un moteur à vapeur, à l’électricité, au pétrole, à air comprimé, à gaz, etc. : un automobile. » — Claude Augé (éd.), Le Larousse pour tous : nouveau dictionnaire encyclopédique. S.d. (début du XXe siècle).

Le trafic n’avait cessé de croître dans la ville. Rien n’y faisait : augmentations vertigineuses des prix des sources d’énergie et des taxes, normes anti-pollution de plus en plus contraignantes et changeant aussi rapidement que les gouvernements, rétrécissements croissants des chaussées et des espaces de stationnement au profit des transports publics, des bicyclettes et des piétons. La circulation semblait en être stimulée ; autrefois, elle se faisait rare les nuits de semaine et les dimanches matin, mais ce n’était plus le cas. Le ronronnement constant des moteurs s’étendait sur la ville comme un lourd nuage gris déchiré par les klaxons stridents des conducteurs frustrés.

Inutile de chercher des détours, aucune rue n’était épargnée, des plus étroites aux grandes artères. Les feux ne servaient plus à rien : ils pouvaient passer au vert sans que les véhicules ne puissent avancer, et, quand enfin l’interminable ver solitaire métallique qui emplissait ainsi les boyaux de la ville se mettait à bouger lentement de quelques mètres, les voitures se pressaient d’en profiter et de griller les feux rouges. Les policiers, rares, n’étaient plus que des figurants immobiles et impuissants.

Pare-choc contre pare-choc, cette farandole mécanique ne facilitait pas la tâche des piétons qui voulaient traverser la chaussée. Les plus sportifs se risquaient à escalader les capots. Ils se faisaient souvent insulter mais n’en avaient cure. Les autres empruntaient les passages du métro là où il y en avait, ou attendaient. Même les trottoirs n’offraient plus un refuge sûr : des conducteurs y lançaient leurs véhicules pour tenter d’avancer à tout prix, mais bientôt ces métastases avaient acquis les mêmes caractéristiques que ce qui se passait sur la chaussée.

Il n’y avait plus que quelques grands magasins qui étaient approvisionnés : les livraisons s’effectuaient de nuit, par métro. Ceux qui ne se trouvaient pas à proximité d’une station exhibaient des étagères vides, comme autrefois dans certains pays de l’Est : l’ironie de l’inversion des causes – un capitalisme devenu fou ici, un communisme à bout de souffle là – ne consolait personne. Quant à quelques services d’extrême urgence, ils se faisaient par hélicoptère, dont le vrombissement se rajoutait au brouhaha de la ville.

Un beau jour, la circulation s’arrêta pour de bon et ne reprit plus. Une multiplicité de thèses savantes écrites dans les années qui s’en suivirent en offrit autant de raisons contradictoires. Mais il est probable que ce furent les voitures tombées en panne de moteur ou à sec qui ne pouvaient libérer les voies et les bloquaient ainsi définitivement, y compris toutes les sorties de la ville.

Maintenant, les rues sont remplies de carrosseries rouillées. À travers les pare-brises et les vitres sales on peut distinguer les silhouettes des passagers affalés sur les sièges comme endormis ou le visage angoissé collé aux fenêtres. Ils n’avaient pu sortir, toutes les portes étant bloquées par les véhicules voisins, au côte à côte.

Paradoxalement, un semblant de normalité s’est installé dans la ville. Le bruit omniprésent a cessé, l’air s’est éclairci. Un ingénieux retraité qui avait vécu les inondations du passé s’était inspiré des solutions d’alors et vient de suggérer de construire des passerelles posées sur les toits des voitures immobilisées, avec un pan incliné aux extrémités, ce qui permettrait aux piétons et aux livreurs de réinvestir tous les quartiers. On parle même de construire de nouveaux véhicules qui pourront emprunter ces passages.

La femme-chat

Classé dans : Peinture, dessin, Photographie — Miklos @ 14:52


Femme-chat allongée au porte-cigarette (street art)

«La femme chat est un motif très sollicité pour évoquer une posture feminine, comme dans la nouvelle d’Edmond Lepelletier, “À l’Élysée Montmartre”,» lorsque Gladia “s’étire sur les coussins sordides du char numéroté comme un chat qui ronronne et se pâme sous la main qui la gratte”.

Bénédicte Didier, Petites revues et esprit bohème à la fin du XIXe siècle (1878-1889) : Panurge, Le Chat noir, La Vogue, Le Décadent, La Plume. L’Harmattan, 2009.


Femme-chat allongée au porte-cigarette (street art). Détail.

The Blog of Miklos • Le blog de Miklos