Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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26 février 2010

« De l’égalité des deux sexes, où l’on voit l’importance de se défaire des préjugés »

« On prétend ici qu’il y a une égalité entière entre les deux sexes, considérés indépendamment de la coutume, qui met souvent ceux qui ont plus d’esprit et de mérite dans la dépendance des autres. (…) Si quelqu’un se choque de ce discours pour quelque cause que ce soit, qu’il s’en prenne à la vérité et non à l’Auteur : et pour s’exempter de chagrin, qu’il se dise à lui-même que ce n’est qu’un jeu d’esprit : Il est certain que ce tour d’imagination ou un semblable, empê­chant la vérité d’avoir prise sur nous, la rend de beaucoup moins incommode à ceux qui ont peine à la souffrir. » — François Poullain de la Barre, De l’Égalité des deux Sexes…, 1676.

François Poullain de la Barre (1647-1723) curé près de Laon, avait étudié la philosophie, les belles-lettres et la théologie. En 1673, il publie un traité, dont le titre est tout un programme : De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral, où l’on voit l’importance de se défaire des préjugés.

Sa thèse consiste à démontrer que les différences anatomiques entre l’homme et la femme ne portant que sur les fonctions reproductrices, elles ne s’étendent pas à d’autres parties du corps et notamment au cerveau, aux sens et aux membres. De ce fait, les femmes sont tout aussi capables que l’homme de percevoir le monde, de réfléchir, de raisonner et d’agir, individuellement et en société.

Il en découle leur égale capacité à occuper toutes les fonctions dévolues à l’homme – sciences dures et naturelles, arts, pédagogie, justice, législation, police, armée, diplomatie, gouvernement, Église… – non pas naturellement comme le prétendent ceux qui s’opposent à cette égalité, mais par la tradition, le conformisme et les préjugés véhiculés par l’éducation depuis la tendre enfance et maintenues par les structures de la société, langage (qu’on qualifierait de nos jours de sexiste) y compris.

Au moyen l’une analyse historico-sociologique (terme volon­tai­rement ana­chronique), Poullain de la Barre démontre que cette opposition vise à assurer la position de pouvoir de l’homme dans la société. Elle a des racines anciennes – Poullain cite les philosophes grecs et analyse avec finesse et ironie la psychologie de leur misogynie. Aux yeux du vulgaire, la référence à l’Antiquité justifie et donne de la valeur à ce qui n’est qu’un préjugé, d’ailleurs soutenu de façon fallacieuse par les savants et les philosophes actuels, tous hommes de par ailleurs, et donc juges et parties. Poullain ne reconnaît qu’une autorité, celle de la raison, ce qui lui permet de remettre en question toutes les autres.

On peut être frappé par l’« actualité » de bien de ses analyses : c’est dire que les évolutions concernant la place de la femme dans la société sont particulièrement lentes : en France, elles obtiennent le droit de vote en 1944, le droit d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur mari en 1965… On sourira à d’autres constats, tels celui que les savants d’alors faisaient usage de « ces termes scientifiques et mystérieux, si propres à couvrir l’ignorance », ce à quoi n’échappent pas des intellectuels d’aujourd’hui, ou du « babil des nouvellistes ».

On remarquera tout de même que le rationalisme empirique de Poullain a des limites, lorsqu’il glisse de « également capable » dans sa démonstration à propos des hommes et des femmes vers le « naturellement capable » dans son panégyrique de la femme, dont certains « dons naturels » seraient supérieurs à ceux des hommes (elles réussissent, par exemple, naturellement mieux que les hommes dans l’art de l’éloquence, elles aiment plus la paix et la justice que les hommes, il y a « un je-ne-sais-quoi de grand et de noble qui leur est naturel »). Il se rapproche, par cet aspect du moins, de la démarche explicite de Christine de Pisan visant à démontrer, trois cents ans plus tôt, non pas tant l’égalité des femmes que leur supériorité.

Il est clair que Poullain aimait les femmes et ne s’en cachait pas ; est-ce que cela a contribué à la conversion de ce prêtre catholique au protestantisme et à son mariage ? Quoi qu’il en soit, ce parti pris n’ôte rien à la force de son argumentation que l’on qualifie de nos jours, surtout outre-Atlantique, de féministe.

En était-il le premier, comme certains l’affirment ? Il est sans doute le premier à avoir consacré un discours méthodique et analytique à cette question, abordant tous les domaines de la connaissance et de l’action humains. Mais ces idées étaient dans l’air de son temps, et bien avant aussi (et le sont en fait de tout temps).

Une transcription moderne de ce texte intéressant, augmentée de notes, d’une postface (dont ce texte est extrait), d’une notice biographique etc., est disponible ici.

22 février 2010

Life in Hell: les retards de la SNCF

Classé dans : Actualité — Miklos @ 1:44

Jeff et Akbar décident de passer la dernière semaine de décembre à Brüsel dans l’appartement de Constanze et de son mari. Mais Akbar est contraint d’y renoncer.

Quelques jours avant ledit voyage, il se rend à l’un des guichets de la SNCF pour annuler les deux billets, justificatif à la main. Le préposé s’en saisit et lui fait remplir un formulaire. Akbar le fait soigneusement et en garde une copie, au cas où. Fin du premier acte.

Sept semaines s’écoulent lentement. Akbar trouve un jour une lettre au logo de la compagnie dans son courrier : il se dépêche de l’ouvrir, espérant y trouver un chèque. Eh non, c’est une lettre lui demandant un RIB. Il en détache un, et y joint une lettre exprimant son étonnement que le préposé ne le lui en ait pas demandé quand il avait déposé sa demande, et qu’il aura fallu près de deux mois pour le lui réclamer. À cette allure, se dit Akbar, il sera remboursé juste avant ses prochaines vacances de Noël, cela lui permettra de racheter un billet pour Brüsel sans avoir à faire des économies durant l’année qui vient, chouette. La SNCF est contente elle aussi, les petits intérêts sur tous ces retards de remboursement font les grandes rivières. Fin du second acte.

Akbar attend toujours qu’ils passent à l’acte.

Akbar doit se rendre à Toulon. Le TGV démarre à l’heure (une fois n’est pas coutume) mais s’arrête presque aussitôt à quai pour une dizaine de minutes. L’annonce de la fermeture des portes repasse comme si de rien n’était, et le train quitte enfin comme à regret la gare de Lyon. Akbar, lui, est content.

Akbar compte profiter du long voyage pour tenir son journal. Il a donc pris avec lui son ordinateur, qui, pour portable qu’il est, lui rappelle une célèbre chanson de 1946, époque qu’Akbar croyait révolue où les ordinateurs devaient encore peser ces sixteen tons. Mais rien n’a changé depuis. Or ce TGV ne propose aucune prise électrique à ses voyageurs. Ça, c’est un retard technologique et c’est bien dommage, se dit Akbar, pour mes lecteurs.

Akbar reprend à Toulon un TER qui doit le ramener à Marseille, d’où il prendra le TGV pour rentrer chez lui. Il voit, inquiet, le tableau d’affichage qui indique que presque tous les trains ont un « retard probable » de durée variable. Si c’est prévu, se demande Akbar, pourquoi ne pas l’indiquer dans la brochure des horaires ? Le sien est annoncé à l’heure. Chouette, se dit Akbar, je ne raterai pas la correspondance.

Le train part effectivement à l’heure. Lorsqu’il arrive à Marseille, une voix pleine d’aïoli et de soleil annonce que le train est arrivé à l’heure. Mais il ne faut pas vendre la peau de l’ours (surtout de l’ours, dit Akbar)… Sitôt dit, le train s’arrête avant d’arriver à quai, et reste planté là, pendant dix minutes. Silence radio de l’aïoli. Il doit être mort de honte, se dit Akbar.

Malgré toutes ces péripéties, Akbar monte enfin dans le TGV. Akbar constate avec plaisir la présence d’une prise 220v près de sa place. Il y branche son 16 tonnes, et… pas de jus ! Pas de bol, se dit Akbar contrarié. Lorsque le contrôleur passe vérifier les billets deux heures plus tard, Akbar lui signale qu’il n’y a pas d’électricité dans la prise. — C’est normal, répond l’homme. — Normal ? demande Akbar. — Oui, dans les deuxièmes classes c’est défectueux.

Si c’est aussi prévu comme ça, se demande Akbar, pourquoi ne pas indiquer que c’est une prise non-électrique ? Mais – est-ce le fait d’en avoir parlé – le fluide se met alors à y circuler, par intermittences, il est vrai.

Et c’est pourquoi, chers lecteurs et chères lectrices, vous pouvez lire la relation de ma journée, conclut Akbar, malgré cet autre retard technologique.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

21 février 2010

De quelques rues de Paris aux noms originaux et de l’origine de leurs noms

Classé dans : Lieux, Littérature, Théâtre — Miklos @ 0:21

Voici l’étymologie de quelques-unes des rues de Paris au XVIIe siècle (voir aussi les rues du Paris coquin un siècle plus tôt), selon un extrait du Supplément du Théâtre italien, ou recueil des scènes françaises qui ont été présentées sur le Théâtre italien de l’Hôtel de Bourgogne, lesquelles n’ont point encore été imprimées (1697), où on a rajouté quelques notes pour en faci­liter la lecture. La plupart ont été supprimées.

 

Le vieillard.

Mon ami que vends-tu là ?

Arlequin, vendeur d’Almanachs.

Toute sorte de bons Livres : Pierre de Provence, la Belle Maguelone, Robert le Diable, Richard sans Peur, Roland le Furieux, Tiel l’Espiègle, les quatre fils Aimon, les Rues de Paris en Vers Burlesque et leur étymologie.

Le vieillard.

Voyons, je te prie, ce livre des rues de Paris ?

Arlequin.

Tenez, Monsieur, les voilà. Écoutez :

Rue d’Hablon.

Rue des Coquilles.

Rue des deux Portes.

Rue des Poupées…

Le vieillard.

Dis-moi un peu, d’où vient que ces rues-là se nomment comme cela : me le diras-tu bien ?

Arlequin.

Oui-da, Monsieur, je vous le dirai, avec plaisir.

Le vieillard.

Pourquoi la rue d’Hablon1 ?

Arlequin.

C’est la rue de Paris la plus passante, et comme il y passe beaucoup de Hâbleurs, on la nommée rue d’Hablon.

Le vieillard.

Pourquoi rue des Coquilles2 ?

Arlequin.

C’est une Rue où logeaient beaucoup de menteurs, et lorsqu’ils faisaient leurs mensonges on leur disait ; à qui vendez-vous vos coquilles3. C’est de là qu’est venu ce nom.

Le vieillard.

Rue des deux Portes4 ?

Arlequin.

Cette Rue est où demeurent tous les méchants Payeurs, lesquels ont chacun deux Portes à leurs maisons, et quand on leur vient demander de l’argent par une porte, ils sortent par l’autre, pour éviter leurs créanciers.

Le vieillard.

Et que veut dire celle-ci, Rue Poupée5 ?

Arlequin.

C’est où demeure une partie des Précieuses6 de Paris.

Le vieillard.

Rue Jean Pain-mollet7 : Celle-ci est drôle, vraiment ?

Arlequin.

C’est où demeurait un Garçon Boulanger lequel s’appelait Jean, et ne faisait que du pain mollet ; c’est pourquoi cette rue portait son nom.

Le vieillard.

Rue Princesse8, que veut dire celle-ci ?

Arlequin.

C’est une Rue où demeurait la Maîtresse de Jean Pain-mollet, et Jean Pain-mollet l’appelait toujours, en lui faisant l’amour, ma Princesse ; et ce nom est demeuré à la rue.

Le vieillard.

Oh ! par ma foi, en voici une drôle, je ne sais ce que tu pourrais dire pour son étymologie : Rue Jean Tison9 ?

Arlequin.

Dans cette Rue il y demeurait un garçon qui s’appelait Jean, et portait tous les matins à la Princesse un tison pour allumer son feu, et cette rue fut nommée la Rue Jean Tison.

Le vieillard.

Rue des Andouilles10 : Oh ! oh ! voilà une drôle de Rue ?

Arlequin.

C’est où furent achetées les Andouilles pour donner à la Princesse le jour de la Fête, par Jean Pain-mollet.

Le vieillard.

Rue du Pied de Bœuf11 ?

Arlequin.

C’est où fut acheté le Pied de Bœuf, que jean Tison donna à la Princesse pour sa Fête.

Le vieillard.

Rue Tireboudin12 : Oh ! voilà une plaisante rue ?

Arlequin.

C’est où la Princesse leur donna un bon morceau de bon Boudin pour payer sa Fête, l’un le tira par un bout, l’autre par l’autre : c’est pourquoi cette rue porte le nom de Tireboudin.

Le vieillard.

Rue du Sabot13, que veut dire celle-ci ?

Arlequin.

C’est où Jean Pain-mollet jeta son Sabot à la tête de Jean Tison.

Le vieillard.

Rue des Orties14 : et celle-là que veut-elle dire ?

Arlequin.

C’est que la Princesse passant dans un jardin elle tomba sur des Orties, qui lui piquèrent les fesses.

Le vieillard.

La Rue de la Moignon15 : oh ! en voilà une drôle ?

Arlequin.

C’est où Jean Pain-mollet prit le couperet d’un Boucher dont il coupa le poing à Jean Tison, et ne lui resta que le moignon : c’est pourquoi on la nomme la Rue de la Moignon.

Le vieillard.

Rue du Pet au Diable16 : oh ! foi d’homme d’honneur en voilà une qui est drôle ?

Arlequin.

C’est que la Princesse en courant, cria arrête de par tous les Diables ; en criant elle s’efforça et fit un pet : c’est pourquoi on la nomme la Rue du Pet au Diable.

Le vieillard.

La Rue de la Femme sans Tête17 : oh ! oh ! voilà une drôle de rue ?

Arlequin.

C’est comme Jean Pain-mollet étant aveuglé de colère ne prît pas garde où il frappait, et coupa la tête à la Princesse.

 

1 Il s’agit de la rue d’Ablon (l’auteur a rajouté un h pour justifier l’étymologie fantai­siste qu’il en donne), actuellement rue Saint-Médard. Son nom provient « du territoire d’Ablun, sur lequel il y avait des vignes appar­tenantes à l’Abbaye Sainte Gene­viè­ve » (Dictionnaire historique de la ville de Paris et de ses environs, 1779).

2 Actuellement partie de la rue du Temple. Source : nomenclature officielle des voies publiques et privées, Ville de Paris (NOVP)

3 « On dit proverbialement à un homme qui en veut tromper un autre aussi fin que lui, ou lui débiter quelque chose dont il ne fait pas grand cas, ou lui en faire accroire en des choses qu’il sait mieux que ceux qui lui en parlent. À qui vendez-vous vos coquilles ? portez vos coquilles à d’autres, portez vos coquilles ailleurs. C’est vendre des coquilles à ceux qui viennent de saint Michel. On dit prov. qu’Un homme vend bien ses coquilles, fait bien valoir ses coquilles, pour dire, qu’Il fait bien valoir ses denrées et son travail. Ce Marchand là vend bien ses coquilles. » (Dictionnaire de l’Académie Française, 1694)

4 Actuellement partie de la rue des Archives, entre les rues de Rivoli et de la Verrerie. Dès la fin du XIIIe siècle, on l’appelait rue Entre Deux Portes et rue des Deux Portes, ou aussi rue Percée ; au XVIIe siècle, on la désignait sous le nom de rue de la Galiace. (NOVP)

5 Supprimée par l’ouverture du boulevard Saint-Michel. Elle commençait rue de la Harpe et finissait rue Hautefeuille. Elle avait porté anciennement le nom de Laas ou de Lias. En 1200, on la nommait Popée. En 1300, Poupée. On a aussi écrit Poinpée et Pompée. (NOVP)

6 « Précieuse, est aussi une épithète qu’on a donné ci devant à des filles de grand mérite et de grande vertu, qui savaient bien le monde et la langue : mais parce que d’autres ont affecté et outré leurs manières, cela a décrié le mot, et on les a appelées fausses précieuses, ou précieuses ridicules ; dont Molière a fait une Comédie, et de Pures un roman. » (Antoine Furetière, Dictionnaire universel, 1690)

7 Supprimée par l’ouverture de la rue de Rivoli. Elle commençait rue de la Coutellerie (supprimée) et finissait rue des Arcis (rue Saint-Martin). Avant sa suppression elle avait été réunie à la rue des Ecrivains. Sauval prétend qu’elle s’est appelée rue du Croc. Sur le plan de la Tapisserie on lui donne le nom de la Radrerie. (NOVP)

8 Ouverte en 1630. Doit son nom à une princesse de la maison de Guise. (NOVP)

9 Doit son nom à Jean Tison, bourgeois du XIIIe siècle. Cette voie existait en 1205. Une partie de cette voie, comprise entre la rue de Rivoli et la rue des Fossés Saint-Germain l’Auxerrois (actuellement rue Perrault), a été supprimée pour le dégagement du Louvre et des Tuileries (1854). (NOVP)

10 Il doit s’agir de la rue pavée d’Andouilles, ou Pavée. Actuellement rue Séguier. (NOVP)

11 Supprimée en 1813 pour la formation de la place du Châtelet. Elle commençait rue de la Tuerie (sup.) et finissait rue de la Joaillerie (sup.). Elle se continuait autrefois jusqu’à la rivière et a été souvent confondue avec la rue de la Triperie. (NOVP)

12 Actuellement rue Marie Stuart. (NOVP)

13 Nom tenant son origine d’une enseigne. C’était au XVIe siècle, la rue Copieuse ; rue de l’Arpenteur en 1595 et déjà rue du Sabot sous Louis XIII. En 1723, rue aux Vaches. Elle aurait aussi porté le nom de rue Saunet le Breton. (NOVP)

14 Ou Orties Saint-Honoré. Supprimée par l’ouverture de l’avenue de l’Opéra. Elle commençait rue d’Argenteuil et finissait rue Sainte-Anne. (NOVP)

15 Ou Lamoignon. Supprimée par une ordonnance royale de 1840. Elle était située dans le Palais de Justice. (NOVP)

16 Supprimée par l’agrandissement de l’Hôtel de Ville. Elle commençait rue du Martroi (sup.) et finissait rue de la Tixeranderie (sup.). Elle a porté les noms de rue du Chevet Saint-Jean, du Cloître Saint-Jean, du Sanhédrin. En 1815, elle prit le nom de rue du Tourniquet. (NOVP)

17 Actuellement partie de la rue Le Regrattier (4e arrondt.). (NOVP)

15 février 2010

Le ghetto de Paris

Classé dans : Judaïsme, Langue, Lieux, Littérature, Médias — Miklos @ 19:31

Il n’est jamais trop tard pour bien faire : la revue Livres Hebdo fait découvrir à ses lecteurs Cyrille Fleischman (qu’elle orthographie une fois Fleischman et une autre Fleishman), depuis plus de vingt ans chantre du yiddishland parisien, le quartier du Marais d’antan, celui des immigrés juifs modestes venus ici avant « la » guerre parce dans le vieux pays on disait « heureux comme Dieu en France ».

Ils en avaient apporté leurs vieilles fringues et l’art de les rapiécer à l’infini, leur cuisine typique (celles des pauvres, qui savent accommoder les modestes ingrédients en rajoutant du pain pour donner plus de volume et voilà la carpe farcie) et variée (ce n’est pas la même en Galicie et en Bessarabie, non Monsieur), et recréé dans le Marais – destination des marginaux de tous temps, quartier habité par les Juifs depuis le Moyen Âge1, et où passait la rue des Juifs (actuellement rue Ferdinand-Dival, pardon, Duval) – une sorte de shtetl avec son pletzl, où l’on pouvait encore voir il n’y a pas si longtemps des hommes avec leurs shtreimel et leurs kapote (pas de celles utilisées actuellement dans ce quartier) accompagnés de leurs femmes la tête couverte (c’était avant l’interdiction des niqabs) et d’une ribambelle de rejetons, angelots aux payès étonnement longs et bien graissés de schmaltz.

Les anciens résidents étaient devenus des israélites et s’habillaient comme tout le monde (c’est-à-dire tâchant de paraître Français de souche), tandis que les plus récents n’étaient que des juifs plus reconnaissables encore à leur accent et à leurs habits que s’ils portaient une étoile jaune. Ce sont eux d’ailleurs qui seront raflés, plus tard. Après, ce seront ceux d’Afrique (il est souvent question de fric, chez les Juifs) du nord qui rempliront les vides et déborderont dans d’autres quartiers de Paris, avec leurs accents et leur cuisine si différentes. Puis les homos. On est toujours le Juif de quelqu’un.

Une autre coquille, plus malheureuse, s’est glissée dans l’article de Livres Hebdo : la rue des Écouffes s’y voit appelée « la rue des Étouffes ». De mauvaises langues rajouteront « chrétiens » ; ce qui n’est d’ailleurs pas mieux que le sens original de son nom : escoufle dénote le milan royal, oiseau (fort) rapace, qui servait d’enseigne aux prêteurs sur gage et n’était donc pas très apprécié : au XIVe s., Gilles li Muisis le compare au diable2 :

Escoufles vole haut et souvent apriès frape ;
Or advient a la fois aucuns qu’il en escape,
Et il le voit tantost, si le prend et hape
Plus tost et plus errant qu’uns charpentier se hape.

L’escoufle, c’est Sathan !

Quant à la rue, elle existait déjà au XIIIe s., et René Descartes y avait logé (chez l’abbé Picot, comme quoi il n’y avait pas que des Juifs dans ce quartier) en 1644. Trente ans plus tard, le peintre Philippe de Champaigne y décède au n° 20, maison qui avait appartenu à sa famille, et qui jouxte l’oratoire israélite Roger Fleischman (au 18), fondé par le père de Cyrille. Ses nouvelles méritent d’être lues, si vous aimez le gefilte fisch ou le gâteau au pavot et bien d’autres delicatessen du vieux pays, l’accent d’un Popek (qui parle très bien français quand il ne joue pas) ou, à défaut, Madame Sarfati. C’est tout ce qui reste : le goût et la mélodie d’un monde deux fois disparu. Et de beaux petits textes amusants, tendres et nostalgiques.


1 L’histoire de Jonathas, un Juif de la rue des Jardins, dans le Marais, en est une des traces – tragiques : en 1290, il fut accusé d’avoir fait bouillir une hostie dans une chaudière. Il fut condamné à être brûlé vif et sa maison rasée. Sur son emplacement s’élève l’église et le cloître des Billettes.

2 Source : Jelle Koopmans et Paul Verhuyck, Sermon joyeux et truanderie (Villon – Nemo – Ulespiègle), Rodopi, 1987.

Télérama et la Culture

Classé dans : Actualité, Arts et beaux-arts, Médias — Miklos @ 11:37

Le magazine de la culture bon chic bon genre rapporte l’histoire – ahurissante il est vrai – de l’œuvre d’une artiste ôtée à la hâte peu après son accrochage sur la façade de l’École des Beaux-Arts de Paris, « à la demande de son directeur Henry-Claude Cousseau ». Ce dernier devait être paniqué par son caractère subversif, voire révolutionnaire, puisqu’il consistait en quatre mots choc : « travailler moins gagner plus » répartis sur quatre panneaux à fond noir comme un faire-part de décès de notre art de vivre si vanté par le passé et qui, malgré sa disparition annoncée, attire encore des touristes qui s’imaginent le trouver ici. À chacun ses fantasmes.

Monsieur le directeur craignait-il l’ire de l’ultra-gauche qui n’aurait manqué de sauter sur l’occasion d’occuper l’école comme en ce bon vieux temps de 1968, sous prétexte que l’École servirait de panneau publicitaire à l’Élysée ? Ou alors, pensait-il que le Palais allait le limoger pour avoir utilisé une formule brevetée sans en avoir payé les droits, et de surcroit pour l’avoir laissé être dénaturée par cette découpe ? Il est probable qu’on ne saura jamais le fin mot de l’histoire. L’article explique qu’il est encore traumatisé – il y a de quoi – par une poursuite pour « diffusion d’images porno­graphiques de mineurs » à l’occasion d’une exposition d’art contemporain, il y a dix ans. Certains trouveront que ce slogan-ci a effectivement un côté porno­graphique.

Mais rassurez-vous, Français et Françaises de droite comme de gauche (et du centre, s’il en reste), Télérama nous annonce, dans une mise à jour de l’article, qu’« à la demande du ministre de la Culture François Mitterrand (…) les bannières ont été raccrochées sur la façade ». François Mitterrand, dites-vous ? Un de ces dinosaures qui lisent Télé­rama même outre-tombe ?

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