Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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25 mai 2010

D’une femme bleue, des impressions des femmes en général et du triste besoin des hommes

Classé dans : Arts et beaux-arts, Littérature, Peinture, dessin, Photographie — Miklos @ 23:45

Mademoiselle Hortense. — Voyez comme le travail est régulier.

— C’est vrai ; mais la nature ne l’est pas ; elle a des accidens même dans le plus beau visage. Ici rien, tout est uni ; c’est une femme créée par M. Millet, et non pas la nature. Et puis, les chairs sont dans l’harmonie de la robe ; le bleu et le violet y abondent ; le bras droit est complétement bleu : avez-vous vu quelqu’un de ce ton-là ? Regardez les portraits qui entourent celui-là, excepté deux ou trois où le violet ardent domine, tous sont passés au bleu de Prusse. C’est dommage, car voilà des choses bien modelées : cet homme qui rit, par exemple. M. Millet voit bleu, comme M. Hesse voit gris et rose, comme M. Isabey voit rose et rouge ; ce n’est peut-être la faute d’aucun de ces artistes. Il n’y a que les partis pris contre lesquels on puisse s’élever ; ce qui est défaut d’organisation n’est qu’un malheur. Le bleu gâte cette peinture de M. Millet, que je ne mésestime pas pourtant, parce que j’y reconnais du talent ; je la voudrais d’un ton plus vrai et en même temps un peu raide : cela manque de laisser-aller, de souplesse. M. Millet a une main très-habile, un pinceau très et trop régulier même, il s’est laissé maîtriser par le métier ; et dans la miniature comme dans toutes les branches de l’art, si une bonne exécution est nécessaire, il faut qu’elle se subordonne au sentiment, à la pensée. Les points précieux des miniaturistes sont comme la rime des poètes, des esclaves qui doivent se soumettre et ne jamais prendre le pas sur la forme, la couleur et l’expression. M. Millet tient son rang dans la miniature depuis quinze ans ; il a une belle clientelle ; il a fait des portraits remarquables, et si je suis sévère en examinant avec vous ses œuvres, et surtout le portrait de madame P….., miniature capitale, c’est qu’il en vaut bien la peine. La critique ne s’attache pas à ce qui n’est pas.

Mademoiselle Hortense. — Monsieur notre directeur, j’en suis bien fâchée, mais vous ne m’avez pas convertie. Quoi que vous en disiez, je trouve délicieuse cette femme bleue.

— Tant mieux vraiment, et c’est ce qui importe au peintre. Nous autres, nous sommes des esprits chagrins, malheureux, difficiles ; vous, mesdames, vous jugez selon vos impressions, vous ne marchandez pas avec vous-mêmes. Ce qui vous plaît tout d’abord est bon ; vous n’avez pas le triste besoin de l’analyse.

Madame B. — Et nous serions bien fâchées de l’avoir; elle altère toutes vos jouissances.

— C’est vrai quelquefois ; mais aussi elle nous en donne de plus vives.

Mademoiselle Hortense. — Oh ! des jouissances de vanité, des joies de pédant ! Qui nous charme, nous, a tous les mérites ; et, sans aller plus loin, il nous importe peu de savoir si cette petite fille, appuyée sur la tête d’un chien, a les conditions que vous exigez dans une bonne peinture ; elle nous convient, nous paraît agréable ; nous l’aimerions accrochée à côté de notre cheminée : c’est tout ce qu’il nous faut.

Augustin Jal, Les Causeries du Louvre. Paris, 1833.

24 mai 2010

Paris du futur

Classé dans : Actualité, Environnement, Nature, Photographie, Récits — Miklos @ 22:50

Parions : la dernière crise n’en sera plus une, elle s’installera pour de bon et prendra un caractère endémique. Malgré les efforts des gouvernements nationaux, continentaux et mondial, l’inflation devenue incontrôlable atteindra de tels sommets que l’abandon de l’usage de la monnaie sera inéluctable avant même d’être décrété. Le troc s’y substituera là où le pillage ne régnera pas encore.

Parions : l’essence se raréfiera puis disparaîtra totalement des pompes. Les voitures rouilleront dans les garages et le long des trottoirs. L’électricité fera alors défaut, aucun moyen de transport public, de surface ou souterrain, ne sera plus en état de circuler, à l’exception des cyclotaxis et des bateaux-bus à rameurs.

Paris deviendra une immense ville piétonne. Les seuls véhicules encore autorisés à traverser la ville seront les chars à bœufs des halles, le nombre et la fréquence soigneusement limités pour éviter que les rues ne se transforment en fosses à purin. La plus belle avenue du monde (selon les agences de tourisme), la perle de la ville (d’après les guides), le casse-tête de la police municipale, les Champs-Élysées, se videront des embouteillages qui les caractérisaient.

Parions : la chaussée, négligée, se fissurera. Dans les interstices, les herbes folles commenceront à apparaître, et une végétation, d’abord rare puis plus dense, s’y développera. Au printemps, des pâquerettes, des lavandes et une multitude d’autres fleurs éclabousseront de leurs chatoyantes couleurs et parfumeront à l’ivresse l’avenue débarrassée des fumées noires et nauséabondes des tuyaux d’échappement d’antan. Les abeilles s’y multiplieront et produiront une variété de miel de Paris fort prisée à l’étranger.

Des jeunes pousses deviendront des arbres vigoureux : chênes, marronniers ou érables, platanes, bouleaux et cyprès, puis des espèces moins familières, leurs graines parvenues avec les vents et dans les fientes d’oiseaux de provinces de plus en plus lointaines : mûriers, figuiers ou oliviers, palmiers, épicéas, sapins et genévriers. Ensuite ce seront des espèces exotiques, pour certaines en provenance de serres de richissimes propriétaires de l’avenue, pour d’autres on ne sait trop comment : avocatiers, cocotiers et tamariniers, acajous et palissandres, baobabs et séquoias. On y verra pousser à profusion café, tabac, ananas et mangues, et on y cueillera, à la saison, mangoustans et lychees.

La forêt s’épaissira. Les seules lumières artificielles qu’on y apercevra seront les quelques feux rouges qui continueront à clignoter imperturbablement malgré la disparition des véhicules, du fait de leur alimentation par panneaux solaires, le son des klaxons remplacé par le pépiement des moineaux, le hurlement des singes, le hennissement des zèbres. Ici et là, un koala somnolera sur une branche d’eucalyptus. Les parisiens s’y aventureront avec plaisir, ce sera avant l’arrivée des loups attirés par les moutons et des ours alléchés par le miel. Il n’y aura encore aucun danger : les Indiens qui s’y réfugieront après la déforestation finale de l’Amazonie seront végétariens.

Dans les clairières tapissées de verdure fraîche, vaches et moutons paîtront placidement. Des chèvres s’attaqueront méthodiquement aux feuilles et aux branches des jeunes arbres, empêchant ainsi leur prolifération anarchique et une truie allaitera ses petits, béatement affalée à l’ombre d’un palmier. Au loin, on pourra encore apercevoir un temps le sommet de l’arc de triomphe de l’Étoile entre les cimes des arbres qui le dépasseront rapidement en hauteur.

Paris tenus ? Paris gagné ?

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23 mai 2010

La fille dans le Sentier avec une Vespa rouge et des fleurs

Classé dans : Cinéma, vidéo, Littérature, Photographie, Société — Miklos @ 9:10

Avant, le chef c’était Napo. À son actif : la plus grande gueule, les plus gros biscottos, la plus belle fille au bras.

Idem pour les voitures : une BMW, une grosse avec au moins deux pots d’échappement ! Sans oublier une Vespa rouge, pour faire comme tout le monde. Autant d’attributs de chef qui lui conféraient un pouvoir jamais contesté, tous les égards dus à son rang, et même la meilleure place sur le banc.

Activité principale : régner. Quand il ne régnait pas, il faisait du commerce : pulls, jeans, sweats… Napo, grâce à la boutique familiale du Sentier, vendait de la fripe au copains, à des prix défiant toute concurrence. Altruiste, Napo ? Certes non. Mais casser les prix à bon compte lui permettait d’asseoir plus solidement encore son pouvoir.

Serge Poignant, La baston ou les adolescents de la rue. L’Harmattan, 1998.

21 mai 2010

L’arbre voit

Classé dans : Littérature, Peinture, dessin, Photographie — Miklos @ 20:39

En latin on dit indistinctement, Petrus videt arborem ; videt arborem Petrus ; Petrus arborem videt ; arborem videt Petrus ; tandis qu’en français le régime doit se trouver après le verbe ; Pierre voit l’arbre, et pas du tout : l’arbre voit Pierre, ou voit l’arbre Pierre, ni Pierre l’arbre voit, etc.

Charles-Louis Carton, Philosophie de l’enseignement maternel considéré comme type de l’instruction du jeune sourd-muet. Bruges, 1862.

Tel sur les rives des eaux
L’arbre voit ses feuilles vertes,
De fleurs et de fruits couvertes,
Orner ses tendres rameaux.

Psaumes I:3. Trad. Fénelon.

Avant le lever du soleil, l’arbre se délecte à l’odeur des herbes humides de la rosée matinale. Les poissons, à dos vert, nagent dans l’atmosphère de l’aube ; l’arbre étend vigoureusement ses bras. Les oiseaux à peine tirés de leur sommeil volent laborieusement et forment un tapis aérien gris argent. L’arbre aussi sort de son sommeil, range son lit, se lave les cheveux, au calme, avant le lever du soleil. La hache, qui a frappé ses épaules dans l’obscurité, est abandonnée dans le fourré. L’arbre regarde en silence le manche de la hache. La lame de la hache brille d’un éclat métallique. À se faire sécher les cheveux par le vent froid de l’aube, l’arbre se sent heureux. Bientôt, il fera jour et le matin parlera d’une nouvelle journée.

You-Joon Jeong, Contemplations de l’arbre. Trad. du coréen par Heun Bong-Geum. L’Harmattan, 2007.

Bhrgu dit :

11. La surface des feuilles altérée par la chaleur, les fruits et les fleurs flétries par le froid, montrent qu’ici, le toucher existe bien.

12. Les fleurs et les fruits sont endommagés par le fracas du vent, du feu et du tonnerre. Or les bruits sont captés par l’oreille. Donc les arbres entendent.

13. La liane enveloppe l’arbre et s’étend de tous côtés. Or on ne peut tracer son chemin si l’on ne voit pas. Donc les arbres voient.

14. Grâce à des arômes bons ou mauvais ou même à des encens, les arbres sont en bonne santé et fleurissent. Donc les arbres sentent.

15. Ils boivent l’eau par leurs racines. Quand les maladies apparaissent, cela permet de les soigner. Donc l’arbre possède le sens du goût.

16. De même qu’avec sa bouche on peut aspirer de l’eau grâce à une tige creuse de lotus, de même l’arbre, avec l’aide du vent, boit grâce à ses racines.

17. Parce qu’ils sont sensibles au bien-être et à la détresse, parce qu’ils croissent à partir de boutures, je vois que la vie chez les arbres ne manque pas d’intelligence.

Le Mahabharata, XII – 177. Trad. Gilles Schaufelberger et Guy Vincent. Presses de l’Université Laval, 1992.

Car Platon a bien appelé l’homme arbre céleste, comme étant dressé contremont, qui est la tête.

Plutarque, Dialogue sur les oracles de la prophetisse pythie, XXVI. Trad. Jacques Amyot (1559). Paris, 1803.

L’arbre du champ c’est l’homme même.

Deutéronome, XX:19. Trad. du Rabbinat.

Oculi sunt in amore duces

Classé dans : Littérature, Photographie — Miklos @ 6:43

Without going so far as the Frenchman who maintained that speech was given to us to conceal our thoughts, it is certain that we may, even now, convey them pretty accurately without the intervention of the tongue. To a certain extent every body talks with his own countenance, and puts faith in the indications of those which he encounters. The basis of physiognomy, that the face is the silent echo of the heart, is substantially true; and to confine ourselves to one feature—the eye —I would ask what language, what oratory can be more voluble and instinct with meaning than the telegraphic glances of the eye? So convinced are we of this property, that we familiarly talk of a man having an expressive, a speaking, an eloquent eye. I have always had a firm belief that the celestials have no other medium of conversation, but that, carrying on a colloquy of glances, they avoid all the wear and tear of lungs, and all the vulgarity of human vociferation. Nay, we frequently do this ourselves. By a silent interchange of looks, when listening to a third party, how completely may two people keep up a by-play of conversation, and express their mutual incredulity, anger, disgust, contempt, amazement, grief, or languor. Speech is a laggard and a sloth, but the eyes shoot out an electric fluid that condenses all the elements of sentiment and passion in one single emanation. Conceive what a boundless range of feeling is included between the two extremes of the look serene and the smooth brow, and the contracted frown with the glaring eye. What varieties of sentiment in the mere fluctuation of its lustre, from the fiery flash of indignation to the twinkle of laughter, the soft beaming of compassion, and the melting radiance of love. “Oculi sunt in amore duces,” says Propertius, and certainly he who has never known the tender passion knows not half the copiousness of the ocular language, for it is in those prophetic mirrors that every lover first traces the reflection of his own attachment, or reads the secret of his rejection, long before it is promulgated by the tardy tongue.

H., “The Eloquence of Eyes”, in The New Monthly Magazine and Literary Journal, vol. V. London, 1822.

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