Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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21 octobre 2010

Il y a Balzac et Balzac

Classé dans : Littérature — Miklos @ 21:08

« Divin Balzac, qui par tes veilles
Acquiers tout l’honneur de nos jours,
Grand Démon de qui les discours
Ont moins de mots que de merveilles,
Dieu qui vivant avecque nous
As rendu l’Olympe jaloux,
Et toute la terre étonnée… »
— François Ogier, Apologie pour Monsieur de Balzac, 1627.

« La passion de Balzac, sa monomanie, fut de faire jaillir de la poitrine humaine ces forces primitives ou, plus exactement, ces milles incarnations de la véritable force primitive. » — Stefan Zweig, Trois maîtres : Balzac, Dickens, Dostoïevski, 1949.

Il y a évidemment le Balzac dont la silhouette immortalisée par Rodin est bien plus connue de beaucoup que l’œuvre fort importante (autant par sa qualité que par sa quantité, bien qu’il n’ait eu à sa disposition ni traitement de texte ni correcteur ortho­graphique, ni d’ailleurs de moteur de recherche et de moyens de copier-coller à la pelle). Certains auront peut-être entendu parler de La Comédie humaine (à ne pas confondre avec La Divine comédie), du Père Goriot (un marchand de vermicelle – encore un métier disparu – qu’on appelait autrefois vermicellier), du Cousin Pons (Sylvain de son prénom – et non pas Pierre – « l’auteur de célèbres romances roucoulées par nos mères ») voire de La Cousine Bette (pas Midler, l’autre). « Tous ses livres, a dit M. Victor Hugo, ne font qu’un livre ; livre vivant, lumineux, profond, où l’on voit aller et venir, et marcher, et se mouvoir, avec je ne sais quoi d’effaré et de terrible, mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine. Il arrache à tous quelque chose : aux uns l’illusion, aux autres l’espérance ; il fouille le vice, il dissèque la passion, il creuse et sonde l’homme, l’âme, le cœur, les entrailles, le cerveau, l’abîme que chacun a en soi. »

Et puis (antéchronologiquement parlant), deux cents ans plus tôt, il y avait eu l’autre, l’épistolier et essayiste Jean-Louis Guez de Balzac : il ne partage pas uniquement son nom de famille avec son très honoré successeur, puisque ce dernier a, lui aussi, produit une riche correspondance (bien avant l’invention du courrier électronique, à propos duquel on se demande quelle postérité littéraire lui sera réservée), dont les fameuses lettres à Madame Hanska. Le style classique (et donc novateur à l’époque) de celles de Guez lui avait valu admirateurs et détracteurs. Le Cardinal de Richelieu lui écrivait : « Les conceptions de vos lettres sont fortes, & aussi éloignées des imaginations ordinaires, qu’elles sont conformes au sens commun de ceux qui ont le jugement relevé ; la diction en est pure, les paroles autant choisies qu’elles le peuvent être pour n’avoir rien d’affecté, le sens clair & net, & les périodes accomplies de tous leurs nombres. » Quant à Simon-Augustin Irail (qui, en passant, mérite bien son nom, tant il raille), dans ses Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours (dont nous avions cité déjà un passage concernant l’orthographe et la prononciation), publiées justement peu avant la révolution d’où naquit la république, voici ce qu’il en dit :

C’était le coryphée des auteurs de son temps. Mais personne ne le lit aujourd’hui que pour apprendre comme il ne faut point écrire. On doit le compter sans doute parmi le petit nombre des écrivains originaux, quoique son genre soit bien insupportable à tout homme de goût & de bon sens. L’emploi qu’il faisait des figures de rhétorique, son affectation à prodiguer l’antithèse & l’hyperbole, son attention ridicule à courir après l’esprit, ses grands mots, ses longues phrases, eussent gâté le plus beau génie. Celui de Balzac le portait au grand, au sublime : mais, à force d’y vouloir atteindre, même dans les plus petites choses, il passa le but, & ne donna que dans l’emphase & le gigan­tesque. Toujours guindé, toujours maniéré ; on peut dire qu’il sentait l’art & l’auteur. Le style épistolaire est l’opposé de ce goût, & néanmoins ce fut dans ce genre qu’il s’acquit tant de réputation ; ce furent ses lettres qui le firent appeler le seul homme éloquent de son siècle.

Où l’on voit que le goût est aussi une affaire d’époque.

Après avoir fait parler laudateurs et contempteurs, laissons s’exprimer l’un des intéressés dans son propre style, en en préservant, une fois n’est pas coutume, l’orthographe d’origine :

Soubvenez-vous aussy, criticques enraigez, hallebotteurs de mots, harpyes qui guastez les intentions et inventions de ung chascun, que nous ne rions que enfans, et, à mesure que nous voyageons, le rire s’estainct et despérit comme l’huile de la lampe. Cecy signifie que, pour rire, besoing est d’estre innocent et pur de cueur ; faulte de quoy, vous tortillez vos lèvres, iouez des badigoinccs et fronssez les sourcils en gens qui cachent des vices et impuretez. Ores doncques, prenez ceste œuvre comme ung grouppe ou statue, desquels ung artiste ne peut retraire certaines pourtraicteures, et seroyt ung sot à vingt-deux caratz, s’il y mettoyt seulement des feuilles, pour ce que ces dictes œuvres, non plus que cettuy livre, ne sont faictes pour des convents. Néantmoins, i’ay eu cure, à mon grant despit, de sarcler, ez manuscripts, les vieulx mots, ung peu trop ieunes, qui eussent deschiré les aureilles, esblouy les yeulx, rougy les ioues, deschicqueté les lèvres des vierges à braguettes et des vertus à trois amans : car il faut aussy faire aulcunes chouses pour les vices de son temps, et la périphrase est bien plus guallante que le mot ! De faict, nous sommes vieulx et treuvons les longues bagatelles meilleures que les briefves follies de nostre ieunesse, veu que, alors, nous y goustons plus long-temps. Doncques, mesnagez-moy dans vos médisances, et lisez cecy plus tost à la nuict que pendant le iour ; et point ne le donnez aux pucelles, s’il en est encores, pour ce que ce livre prendroyt feu. Ie vous quitte de moy. Mais ie ne crains rien pour ce livre, veu qu’il est extraict d’ung hault et gentil lieu, d’où tout ce qui est yssu ha eu grant succez, comme il est bien prouvé par les Ordres royaulx de la Toyson d’Or, du Sainct-Esprit, de la Jarretière, du Bain, et tant de notables chouses qui y feurent prinses, à l’umbre desquelles ie me mets.

À première vue, on attribuerait immédiatement ce texte archaïque à Guez de Balzac, même si l’orthographe et le vocabulaire – un certain vocabulaire du moins – ressemblent plus provenir de l’époque de Rabelais que de celle de Guez, cent ans plus tard. Il s’agit bien de l’introduction aux Contes drôlatiques colligez ez abbayes de Touraine et mis en lumière par le sieur de Balzac pour l’esbatement des pantagruelistes et non aultres. Mais ce titre… mais à la lecture attentive de ce passage, on est en droit de se poser des questions… Effectivement : le sieur de Balzac en question est Honoré, qui l’a escrit, pardon, écrit en 1832, exercice de style quasi oulipien, truffé de néologismes et de calembours, et surtout de moult de truculentes coquineries (à l’instar du long passage sur une braguette archiépiscopale). L’édition est magnifiquement illustrée par Gustave Doré.

Quant à l’introduction au recueil des lettres de Guez de Balzac, attribuée à son contemporain Nicolas Perrot d’Ablancourt (lui-même traducteur, et dont on avait qualifié les productions de « belles infidèles »), elle semble pleine de bon sens et en quelque sorte répond à la critique de ces lettres que fera Irail cent ans plus tard et dont on a lu un passage ci-dessus.

Le monde est plein de belles paroles. On trouve partout de la rhétorique et du haut style. Le bien dire et le bien écrire sont choses aujourd’hui aussi communes qu’elles étaient rares au temps passé. Mais de ces belles paroles dont le monde est plein, il ne se recueille d’ordinaire que peu de sens. Notre rhétorique fait souvent effort à montrer que nous sommes faibles, et notre haut style découvre notre petitesse en nous élevant. Je ne vois presque personne qui s’explique mal, et presque personne qui pense bien.

Pour finir, il y a donc de quoi confondre et se mélanger les pinceaux entre l’un et l’autre, que ce soit pour le nom ou le style, même pour un ordinateur aussi puissant que celui de Google : il attribue ainsi aux plumes combinées de Jean-Louis Guez Balzac et d’Honoré de Balzac les Œuvres diverses en prose et en vers de Jean Vauquelin, sieur de La Fresnaie, écrites, pour certaines (par exemple, l’Oraison de ne croire légèrement à la calomnie), avant la naissance du premier des deux Balzac en question.

17 octobre 2010

Logic, gender and the Internet

Classé dans : Humour, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 11:34

The following deep (or amusing, or both, depending on your current mood) thoughts have been circulating on the Internet the way rumors or viruses do, ever so modifying itself in subtle and no-so-subtle ways and applying itself to a variety of different situations from the original one, i.e., a woman writing about men:

Men

Philosophical reasoning!

Who understands men?

The nice men are ugly.

The handsome men are not nice.

The handsome and nice men are gay.

The handsome, nice and heterosexual men are married.

The men who are not so handsome but are nice men have no money.

The men who are not so handsome but are nice men with money think women are only after their money.

The handsome men without money are after our money.

The handsome men, who are not so nice and somewhat heterosexual don’t think we are beautiful enough.

The men who think we are beautiful, that are heterosexual, somewhat nice and have money are cowards.

The men who are somewhat handsome, somewhat nice and have some money and thank God are heterosexual are shy and never make the first move!!!!!

The men who never make the first move, automatically lose interest in us when we take the initiative.

Now… who the hell understands men?

As far as we can ascertain, this text first appeared on August 10, 2000 in the Usenet group umn.ee.chatter, dedicated to “talk for/about the University of Minnesota Electric Engineering Department”, and was signed “Barbara Flora”.

No wonder: the kind of men she so aptly reasons about is often found among engineers (no offence intended), geeks, nerds and dorks. Serves her right for having studied there, if you ask me. Had she been really logical, she would have avoided that kind of department. But women are known to be illogical (no offence intended) and quite charming even just for that. To wit:

Women’s logic

You imagine you have married a creature endowed with reason: you are woefully mistaken, my friend.

Axiom.

Sensitive beings are not sensible beings.

Sentiment is not argument, reason is not pleasure, and pleasure is certainly not a reason.

“Oh! sir!” she says.

Reply “Ah! yes! Ah!” You must bring forth this “ah!” from the very depths of your thoracic cavern, as you rush in a rage from the house, or return, confounded, to your study.

Why? Now? Who has conquered, killed, overthrown you! Your wife’s logic, which is not the logic of Aristotle, nor that of Ramus, nor that of Kant, nor that of Condillac, nor that of Robespierre, nor that of Napoleon: but which partakes of the character of all these logics, and which we must call the universal logic of women, the logic of English women as it is that of Italian women, of the women of Normandy and Brittany (ah, these last are unsurpassed!), of the women of Paris, in short, that of the women in the moon, if there are women in that nocturnal land, with which the women of the earth have an evident understanding, angels that they are!

The discussion began after breakfast. Discussions can never take place in a household save at this hour. A man could hardly have a discussion with his wife in bed, even if he wanted to: she has too many advantages over him, and can too easily reduce him to silence. On leaving the nuptial chamber with a pretty woman in it, a man is apt to be hungry, if he is young. Breakfast is usually a cheerful meal, and cheerfulness is not given to argument. In short, you do not open the business till you have had your tea or your coffee.

You have taken it into your head, for instance, to send your son to school. All fathers are hypocrites and are never willing to confess that their own flesh and blood is very troublesome when it walks about on two legs, lays its dare-devil hands on everything, and is everywhere at once like a frisky pollywog. Your son barks, mews, and sings; he breaks, smashes and soils the furniture, and furniture is dear; he makes toys of everything, he scatters your papers, and he cuts paper dolls out of the morning’s newspaper before you have read it.

His mother says to him, referring to anything of yours: “Take it!” but in reference to anything of hers she says: “Take care!”

She cunningly lets him have your things that she may be left in peace. Her bad faith as a good mother seeks shelter behind her child, your son is her accomplice. Both are leagued against you like Robert Macaire and Bertrand against the subscribers to their joint stock company. The boy is an axe with which foraging excursions are performed in your domains. He goes either boldly or slyly to maraud in your wardrobe: he reappears caparisoned in the drawers you laid aside that morning, and brings to the light of day many articles condemned to solitary confinement. He brings the elegant Madame Fischtaminel, a friend whose good graces you cultivate, your girdle for checking corpulency, bits of cosmetic for dyeing your moustache, old waistcoats discolored at the arm-holes, stockings slightly soiled at the heels and somewhat yellow at the toes. It is quite impossible to remark that these stains are caused by the leather!

Your wife looks at your friend and laughs; you dare not be angry, so you laugh too, but what a laugh! The unfortunate all know that laugh.

Your son, moreover, gives you a cold sweat, if your razors happen to be out of their place. If you are angry, the little rebel laughs and shows his two rows of pearls: if you scold him, he cries. His mother rushes in! And what a mother she is! A mother who will detest you if you don’t give him the razor! With women there is no middle ground; a man is either a monster or a model.

At certain times you perfectly understand Herod and his famous decrees relative to the Massacre of the Innocents, which have only been surpassed by those of the good Charles X!

Your wife has returned to her sofa, you walk up and down, and stop, and you boldly introduce the subject by this interjectional remark:

“Caroline, we must send Charles to boarding school.”

“Charles cannot go to boarding school,” she returns in a mild tone.

“Charles is six years old, the age at which a boy’s education begins.”

“In the first place,” she replies, “it begins at seven. The royal princes are handed over to their governor by their governess when they are seven. That’s the law and the prophets. I don’t see why you shouldn’t apply to the children of private people the rule laid down for the children of princes. Is your son more forward than theirs? The king of Rome—­”

“The king of Rome is not a case in point.”

“What! Is not the king of Rome the son of the Emperor? [Here she changes the subject.] Well, I declare, you accuse the Empress, do you? Why, Doctor Dubois himself was present, besides—­”

“I said nothing of the kind.”

“How you do interrupt, Adolphe.”

“I say that the king of Rome [here you begin to raise your voice], the king of Rome, who was hardly four years old when he left France, is no example for us.”

“That doesn’t prevent the fact of the Duke de Bordeaux’s having been placed in the hands of the Duke de Riviere, his tutor, at seven years.” [Logic.]

“The case of the young Duke of Bordeaux is different.”

“Then you confess that a boy can’t be sent to school before he is seven years old?” she says with emphasis. [More logic.]

“No, my dear, I don’t confess that at all. There is a great deal of difference between private and public education.”

“That’s precisely why I don’t want to send Charles to school yet. He ought to be much stronger than he is, to go there.”

“Charles is very strong for his age.”

“Charles? That’s the way with men! Why, Charles has a very weak constitution; he takes after you. [Here she changes from tu to vous.] But if you are determined to get rid of your son, why put him out to board, of course. I have noticed for some time that the dear child annoys you.”

“Annoys me? The idea! But we are answerable for our children, are we not? It is time Charles’ education was began: he is getting very bad habits here, he obeys no one, he thinks himself perfectly free to do as he likes, he hits everybody and nobody dares to hit him back. He ought to be placed in the midst of his equals, or he will grow up with the most detestable temper.”

“Thank you: so I am bringing Charles up badly!”

“I did not say that: but you will always have excellent reasons for keeping him at home.”

Here the vous becomes reciprocal and the discussion takes a bitter turn on both sides. Your wife is very willing to wound you by saying vous, but she feels cross when it becomes mutual.

“The long and the short of it is that you want to get my child away, you find that he is between us, you are jealous of your son, you want to tyrannize over me at your ease, and you sacrifice your boy! Oh, I am smart enough to see through you!”

“You make me out like Abraham with his knife! One would think there were no such things as schools! So the schools are empty; nobody sends their children to school!”

“You are trying to make me appear ridiculous,” she retorts. “I know that there are schools well enough, but people don’t send boys of six there, and Charles shall not start now.”

“Don’t get angry, my dear.”

“As if I ever get angry! I am a woman and know how to suffer in silence.”

“Come, let us reason together.”

“You have talked nonsense enough.”

“It is time that Charles should learn to read and write; later in life, he will find difficulties sufficient to disgust him.”

Here, you talk for ten minutes without interruption, and you close with an appealing “Well?” armed with an intonation which suggests an interrogation point of the most crooked kind.

“Well!” she replies, “it is not yet time for Charles to go to school.”

You have gained nothing at all.

“But, my dear, Monsieur Deschars certainly sent his little Julius to school at six years. Go and examine the schools and you will find lots of little boys of six there.”

You talk for ten minutes more without the slightest interruption, and then you ejaculate another “Well?”

“Little Julius Deschars came home with chilblains,” she says.

“But Charles has chilblains here.”

“Never,” she replies, proudly.

In a quarter of an hour, the main question is blocked by a side discussion on this point: “Has Charles had chilblains or not?”

You bandy contradictory allegations; you no longer believe each other; you must appeal to a third party.

Axiom.

Every household has its Court of Appeals which takes no notice of the merits, but judges matters of form only.

The nurse is sent for. She comes, and decides in favor of your wife. It is fully decided that Charles has never had chilblains.

Caroline glances triumphantly at you and utters these monstrous words: “There, you see Charles can’t possibly go to school!”

You go out breathless with rage. There is no earthly means of convincing your wife that there is not the slightest reason for your son’s not going to school in the fact that he has never had chilblains.

That evening, after dinner, you hear this atrocious creature finishing a long conversation with a woman with these words: “He wanted to send Charles to school, but I made him see that he would have to wait.”

Some husbands, at a conjuncture like this, burst out before everybody; their wives take their revenge six weeks later, but the husbands gain this by it, that Charles is sent to school the very day he gets into any mischief. Other husbands break the crockery, and keep their rage to themselves. The knowing ones say nothing and bide their time.

A woman’s logic is exhibited in this way upon the slightest occasion, about a promenade or the proper place to put a sofa. This logic is extremely simple, inasmuch as it consists in never expressing but one idea, that which contains the expression of their will. Like everything pertaining to female nature, this system may be resolved into two algebraic terms—­Yes: no. There are also certain little movements of the head which mean so much that they may take the place of either.

Honoré de Balzac (1799-1850), Petty troubles of married life. Transl. from the French by Katharine Prescott Wormeley.

16 octobre 2010

La crise, ou, quand le baryton va…

Classé dans : Actualité, Histoire, Littérature, Progrès, Société, Économie — Miklos @ 20:54

Prendre quelque chose à quelqu’un et le garder pour soi, ça c’est du vol… Prendre quelque chose à quelqu’un et le repasser à un autre, en échange d’autant d’argent que l’on peut, ça c’est du commerce… Le vol est d’autant plus bête qu’il se contente d’un seul bénéfice, souvent dangereux, alors que le commerce en comporte deux, sans aléa… — Octave Mirbeau, Le Jardin des supplices, 1899.

La crise. La crise. Est-ce d’abord une crise, ou plutôt un nouvel (dés)équilibre ou (dés)ordre dans lequel nous sommes entrés depuis quelque temps, d’abord subrepticement, puis de plus en plus violement, pour s’installer enfin (mais c’est loin d’être la fin) dans une sorte d’état flottant entre résignation (les banques se sont-elles réformées ? non ; les a-t-on réformées ? non plus ; rien de nouveau sous le soleil) et promesses politiciennes d’un avenir meilleur (les élections se rapprochent). Est-ce nouveau ? Non. Un exemple frappant : ce texte qu’Octave Mirbeau, dont Zola disait qu’il était « le justicier qui a donné son cœur aux misérables et aux souffrants de ce monde », publiait en 1884, en plein milieu de la longue crise économique qui a frappé l’Europe à la sortie de la guerre de 1870. Sans vouloir faire des parallèles forcés entre la misère d’alors et les souffrances d’aujourd’hui, crève-la-faim et sans-abri, on ne peut qu’être frappé de l’incapacité que la société a, malgré la croissance des connaissances dans tous les domaines – de la médecine et l’agriculture à l’économie – à éviter ces « crises » endémiques ou à les résorber.

Quant le baryton va…

J’ai eu hier un moment de joie profonde. Je lisais, dans Le Figaro, ainsi que tout bon Français doit faire, quelques menues histoires de M. Jules Prével, l’écrivain de ce temps le plus curieux à consulter, le plus fécond en surprises de tout genre, celui qui tâte le plus exactement les pulsations de son siècle – le siècle de Jules Prével – et j’ai vu ceci : M. Lassalle , le baryton de l’Opéra, engagé pour l’Amérique, à raison de dix mille francs par soirée, de cinq cent mille francs par six mois, d’un million par an, le tout garanti devant notaire, par M. Maurice Strakosch lui-même. Voilà, j’espère, un baryton qui ne doit pas dodeliner de la tête quand il s’agit de barytonner dans ces prix-là. J’en demeurai tout ébloui et j’eus un accès de fierté patriotique, rien qu’à penser que j’étais d’un pays où les barytons coûtaient si gros. Voilà de la gloire, ou je ne m’y connais pas.

Qu’est-ce qu’on disait donc ? Que le commerce souffre, que l’usine chôme et s’éteint, que les affaires languissent, que la misère s’étend, de plus en plus sinistre et noire, de l’atelier, où le travail manque, au petit intérieur bourgeois obligé de rogner sur toutes choses, sur la nourriture, la toilette et le plaisir ? Qu’est-ce qu’on disait donc ? Que la faillite entre dans les maisons jadis prospères, vide les caisses qui autrefois tintaient le joli carillon de l’or joyeusement gagné et débordaient de billets de banque ? Qu’est-ce qu’on disait donc ? Que les riches eux-mêmes et les heureux, en face des préoccupations du présent et des menaces de l’avenir, diminuent chaque jour leurs dépenses, décommandent leurs fêtes, vendent leurs chevaux, renvoient leurs domestiques, économisent sur le bijoutier et le fleuriste ? Qu’est-ce qu’on disait donc ? Que la banqueroute allonge sur notre pays son ombre affolante ? Erreurs que tout cela, mensonges d’économistes, calomnies d’industriels sans ouvrage, vengeances d’artisans sans pain !

Quel est aujourd’hui, avec nos transformations sociales, nos besoins nouveaux, le développement de nos progrès scientifiques, quel est le criterium de la richesse d’un peuple ? Le prix du baryton, n’est-ce pas ? Or, quand le baryton va, tout va. Et puisque le baryton va comme il n’a jamais été ; puisque, malgré le choléra et la peur qu’il engendre, le baryton atteint des prix qu’il n’a jamais atteints, c’est donc que la France est heureuse, plus heureuse que ne le fut jamais la Bourgogne qui n’avait point de barytons, à ce que nous dit l’histoire, et par conséquent ne pouvait déposer des millions à leurs pieds. Il faut donc nous réjouir que les millions pleuvent sur les barytons et que les barytons pleuvent dans les millions, car la crise économique me semble absolument conjurée de cette façon, et même j’imagine que toute la question sociale peut être résolue par l’élévation du tarif des barytons.

Quand le baryton va, tout va…

J’en appelle à tous les pauvres êtres grelottants, que la faim, le soir, agenouille, l’œil suppliant et la main gourde, sous les portes cochères ; j’en appelle à tous les ouvriers que l’atelier fermé chasse dans le brouillard des rues glacées et qui pleurent de rage, les poings crispés, au fond de leurs mansardes sans charbon et sans pain ; j’en appelle aux petits employés qui travaillent toute la journée, courbés sur la besogne éternellement pareille, et qui les nourrit à peine, eux et leurs petits ; j’en appelle aux déshérités, aux va-nu-pieds, aux crève-la-faim, aux porte-besace, aux traîne-misère, et même aux ténors, qui ne gagnent que cent mille francs par an.

Quand le baryton va, tout va…

Il a erré, pendant tout le jour, sa balle sur le dos, le long des routes effondrées par la pluie et gluantes de boue. Dans les villages où il s’est arrêté, aucun ne lui a acheté ni une image, ni un bout de ruban, ni une pelote de fil. Sa bourse est vide, et devant les auberges où il a passé, humant de bonnes odeurs de ragoût et de cidre fraîchement tiré, il a serré d’un cran la boucle de sa ceinture pour étouffer les lamentations de son pauvre ventre qui crie la faim.

Et la nuit est venue, une nuit humide et froide qui le glace et qui l’effare. Il frappe à la porte d’une ferme, pour demander un asile dans le fanis ou dans la grange ; mais on l’a chassé comme un voleur, comme un vagabond dangereux, comme ceux-là qui font aboyer les chiens et mettent le feu aux meules de blé. Et le voilà qui repart, les jambes raidies par la fatigue, le dos meurtri par son fardeau. Où trouver un abri ? À droite et à gauche, de grandes plaines s’étendent, toutes sombres ; aucune lumière n’apparaît, et d’ailleurs les lumières ne veulent pas de lui, ni le coin de table où l’on apaise sa faim, ni le coin du feu où l’on se réchauffe et se sèche. Il s’affaisse sur un tas de pierres, dispose sa balle en oreiller, et, claquant des dents, pelotonné comme un chien frileux, maudit des hommes et abandonné de Dieu, il s’endort, tandis que la bise enfle sa blouse de petites rafales, et que la pluie s’égoutte doucement au long de son corps.

Quand le baryton va, tout va…

Voilà huit jours que le père est mort. Des hommes l’ont rapporté sur un brancard, le corps broyé par la machine, le corps qui n’était plus qu’une plaie hideusement saignante. Et la mère est malade, toute pâle et maigre, dans son lit que des loques recouvrent à peine… Quatre petits enfants, en tas, le derrière nu et crottés, geignent, demandent à manger et grelottent devant la cheminée toute noire. Pas un sou à la maison, et pas un morceau de pain, et le dernier meuble et la dernière nippe s’en sont allés là-bas, au mont de piété. Les voisins sont pauvres aussi et personne ne vient. On entend dans le couloir des claquements de sabots qui passent et ne s’arrêtent jamais devant la porte ; de la rue, monte le chantonnement de la marchande des quatre saisons. Alors, essuyant ses yeux, qui se remplissent de larmes, éperdue et sans espoir, la mère se demande s’il ne vaudrait pas mieux en finir tout de suite, elle et les enfants, et elle regarde avidement un bout de corde qui pend du plafond, toute droite, immobile et sinistre.

Quand le baryton va, tout va…

On s’est battu toute la journée, pourquoi ? Il n’en savait rien, le petit soldat, mais il a marché tout de même, en avant, dans la fumée rouge et parmi les balles sifflantes. Et il est tombé tout à coup sur la terre, la poitrine trouée, avec une mousse d’écume rose aux lèvres. Il entend, comme dans un rêve, des cris, des galops de chevaux, des grondements sourds de canon, il ne sait pas quelles sont ces grandes ombres qui passent près de lui et le frôlent, comme des ailes immenses de chauve-souris. Et, la face tournée vers le ciel, où commencent de briller les étoiles, le cœur remué par les ressouvenirs des années tranquilles et des bonheurs promis, il meurt .

Quand le baryton va, tout va…

Et le poète, qui a passé sa nuit à étreindre les beaux rêves et les nobles chimères, pour les fixer vivants dans ses vers, et qui ne sait pas s’il dînera le lendemain ; et l’artiste, qui meurt de faim devant un tableau où il a mis toute son âme ; et le savant, qui vient d’arracher un des secrets à la vie ; et tous ceux-là qui créent, qui produisent et qui travaillent, qui tirent, non point une note de leur gosier, mais une forme, mais un progrès, mais une idée, n’importe quoi de beau et d’utile, de leur cerveau et de leur génie, et qui s’en vont, le ventre creux, à peine vêtus, méprisés et honnis comme des pauvres, comme ils doivent être heureux de savoir qu’un baryton peut gagner, avec une chanson qu’il n’a pas faite, un million par an ; et comme cela doit apaiser leurs souffrances et les consoler de l’injustice de la vie !

Quand le baryton va, tout va…

Octave Mirbeau. La France, 4 décembre 1884.

8 octobre 2010

Life in Hell: Ô Liberté ! que de crimes on commet en ton nom !

Akbar trouve ce mot de « liberté » très, très lourd : s’il n’était déjà si surchargé d’espoirs et de désespoirs, il serait impossible à porter du fait de son poids, mais aussi de la différence de sens parfois si profonde qu’il peut avoir d’un pays à l’autre. Car il s’agit bien évidemment d’un concept qui caractérise les rapports humains : entre les individus, entre l’individu et les pouvoirs, les organisations, les marchés… Et c’est ainsi, par exemple, que la liberté d’expression, aux Etats-Unis, autorise des agressions verbales d’une virulence qu’interdit la loi chez nous, tandis que leur morale puritaine interdit des comportements que l’on trouve ici très bons pour la santé.

Ce terme si noble est récupéré – comment en serait-il autrement ? – par les politiciens et les idéologues, par les financiers et par les marchands, qui l’accommodent à toutes les sauces et lui font dire tout et son contraire. Non seulement il ne s’agit donc pas de liberté pour tous – celle de l’un est souvent l’esclavage de l’autre – mais, comme l’avait si bien vu George Orwell dans 1984, « la guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ». La liberté des marchés, on le constate depuis des siècles, va trop souvent de pair avec l’esclavage des individus et des nations. C’est ainsi que d’idéal social (auquel on adhère ou non), ce terme devient alors un outil démagogique et manipulateur pour une finalité égoïste.

Akbar a suivi assez de cours d’anglais pour savoir que le nom de son fournisseur d’accès à l’internet signifie « libre » dans cette langue (bien que ledit fournisseur soit français) : quand on se lie à lui, on est libre de tout faire sur l’internet ! Effectivement, le fournisseur en question a un sens des valeurs très élevé : il refuse d’envoyer des mails d’avertissement à ses abonnés ayant violé la loi Hadopi ; il défend ainsi leur liberté d’échanger entre eux tout contenu quel qu’en soit le créateur. Quelle noblesse de sentiments que ce refus d’obéir à une loi qu’il trouve sans doute inique au regard d’une loi plus élevée.

Mais une autre circonstance que celle qui occupe les médias dans ce dernier bras de fer amène Akbar à se poser des questions sur la nature de cette loi plus élevée.

Du fait de son abonnement librement pris chez ce fournisseur, il bénéficie d’une ligne téléphonique ADSL qui lui permet de téléphoner gratuitement – il remarque en passant qu’en anglais, on (con)fond « libre » et « gratuit » – à bien des destinations (quand ça marche). En ouvrant la ligne, il l’a inscrite sur liste rouge et n’en a révélé le numéro qu’à Jeff.

Or hier voici que le téléphone sonne. Akbar se précipite sur le combiné et lance un vigoureux « Hello ! » (ou est-ce « allô ! », on ne saurait dire). Il est stupéfait d’entendre une voix inconnue qui lui répond joyeusement :

— Ici Marion de Canal Sat en partenariat avec Free, je suis ravie de vous entendre.

— Pas moi, rétorque froidement Akbar en claquant le téléphone.

Ce n’est pas la première fois ; en 2008, même appel. Si ce n’était pas Marion c’était sa sœur, mais en tout cas c’était déjà Canal Sat en partenariat avec ce fournisseur d’accès dont nous taisons toujours le nom.

Akbar en déduit que ce fournisseur se sent libre de refuser d’obéir à la loi qui permet à tout citoyen de demander que son numéro de téléphone ne soit ni publié dans l’annuaire universel ni cédé à de tierces parties pour quelque raison que ce soit, et, plus généralement, de contrôler la confidentialité des données le concernant.

Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, conclut Akbar. Ayant étudié la métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie de la bouche de Pangloss, il sait qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin : ledit fournisseur doit trouver cette loi inique au regard de celle du marché. En effet, ce dernier lui permet ainsi d’établir des partenariats qui le renforcent financièrement et qui bénéficient donc évidemment à tous ceux qui en subissent volontairement la servitude. Et, secondairement, permettent à son patron d’acheter sa part d’actions dans le contrôle du journal Le Monde via une société qui s’appelle… Akbar vous en donne cent, il vous en donne mille : Le Monde libre.

Ah, pauvre Madame Roland ! Ah, pauvre de moi, soupire Akbar.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

7 octobre 2010

Du droit et du devoir d’ingérence

Classé dans : Actualité, Politique — Miklos @ 14:08

La presse rapporte aujourd’hui les états d’âme de Bernard Kouchner, qui « aurait pensé » à démissionner du gouvernent du fait de « l’inflexion sécuritaire » et de la « fin de l’ouverture » toutes deux en contradiction avec les principes hautement affichés par le ministre.

À cela, on peut dire d’abord que la différence parfois hautement phénoménale entre les principes et les actes est un phénomène humain, trop humain : verba volant, actiones manent, serait-on tenter d’écrire. À choisir – pour ceux pour lesquels le choix se pose toutes autres choses étant égales –, il est donc préférable de la fermer, ce qui évite d’avoir à s’asseoir sur ses principes, à faire une gymnastique d’acrobate ou à faire appel à la dialectique (selon ses compétences) pour tenter de démontrer qu’il n’y pas contradiction entre les uns et les autres.

On peut rajouter que ce qui était ouvert, en début de mandature, c’était la nasse qui a servi ainsi à effectuer ces « belles prises » que sont ces stars d’une certaine gauche et qui, une fois les poissons par l’appât alléchés, se referme sur les proies. Des mauvaises langues pourraient utiliser une autre image animalière, celle de rats – quittant un navire qui semblait alors en perdition, celui du PS d’alors – et de souricière, mais il semblerait que l’analogie avec les poissons convient mieux : dans la situation où ils se trouvent, ils doivent la fermer et rester muets comme des carpes.

Mais ce qui dérange aussi le ministre en question, selon les mêmes sources, ce serait la main pas si cachée que ça de l’Élysée : celle de Levitte, « véritable maître d’œuvre de la politique extérieure de Sarkozy », et plus récemment celle de Claude Guéant, « d’abord sur l’Afrique, puis au Proche-Orient ».

Bernard Kouchner doit maintenant bien se rendre compte de l’effet du droit d’ingérence – concept qu’il a inventé – en l’occurrence, celui de l’Élysée – qui a vraiment tous les droits – dans les affaires du gouvernement. Est-ce un devoir ? certains en doutent. Mais le devoir de Kouchner, dans tout cela… ?

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