Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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24 août 2011

Life in Hell: I plout dè boûr et dè froumage.

Classé dans : Cuisine, Lieux — Miklos @ 13:51

Jeff et Akbar sont à Bruxelles une fois pour la deuxième fois en moins d’un an.

La première fois, la ville était couverte de neige à tel point qu’on (surtout Jeff) ne pouvait ni marcher sans se casser la margoulette (comme disait Flaubert si joliment) ni prendre les transports publics qui, eux aussi, ne pouvaient plus marcher sans glisser. Normal, c’était fin décembre. Jeff apprécie modérément. Akbar adore.

Là, le pays est sous l’eau (non, pas soûlot, malgré la quantité et la qualité de ses bières) : des trombes de pluie, voire de grêle, tombent sans discontinuer, jusqu’à la dévastation. Les transports publics en ville en sont encore une fois affectés. Normal ? c’est la mi-août (et malgré ce miaulement, pas de quoi mettre un chat de Geluck dehors).

S’armant de courage et de parapluies, ils partent à l’aventure dans la ville et dans le pays. Voici ce qu’ils y aiment :

– la brasserie Het Anker à Malines : ses bières Gouden Carolus (parce qu’en Belgique, une brasserie, c’est un endroit où l’on fait des bières, pas comme en France), son coucou de Malines à la bière (Jeff) et sa salade niçoise au thon (Akbar), un grand pavé épais et tendre légèrement grillé à perfection (et pas quelques miettes de thon cartonneux en boîte), son sabayon à la bière, tiède avec une boule de glace, léger, parfumé, délicieux (Jeff et Akbar) ;

– les huitres (Jeff) et la coupe de champagne au marché de la place Flagey à Bruxelles ;

– les frites de chez Antoine (bien qu’on dise que ce n’est plus comme avant, mais comme avant ils n’y étaient pas allés, impossible de savoir, et pis d’ailleurs, rien n’est jamais comme avant) ;

– les târtes al Djote chez Au p’tit boulanger de la Grand’ Place à Nivelles (ville connue aussi pour ce fameux – ou infâme, c’est selon – personnage dont on disait « être comme ce chien de Jean de Nivelle(s) qui s’enfuit comme on l’appelle » à tel point qu’il a donné lieu à des chansons dont la mélodie se retrouve chez ce bon enfant de Cadet Rousselle… Eh, Akbar, tu la refermes, cette parenthèse ? s’écrie Jeff exaspéré), pour leur goût et pour l’accueil si généreux et discret ; ils ont aussi fort apprécié la guide à la collégiale Sainte-Gertrude dont ils étaient les seuls « clients » et qui leur a consacré une heure et demi fort intéressantes à visiter cette église millénaire de fond (les églises qui l’ont précédée, depuis le VIIe siècle) en comble (la salle haute, dite impériale) ;

– la truite aux fines herbes (Akbar) et le jambonneau rôti façon Bister (Jeff) de chez La Besace à Crupet ;

– les fraises cultivées en pleine terre de Wépion, non loin de Crupet ; Jeff et Akbar sont d’accord avec Miklos, qui disait d’elles qu’elles « sont belles, d’un rouge profond qui rappelle celui de natures mortes flamandes, elles sont parfumées, elles sont tendres sans êtres molles, elles sont succulentes. Cela vous changera des succédanés stéroïdés et artificiels, rouges pâle ou blanchâtres, croquants et aqueux, sans goût, qui portent le nom de ce fruit mais n’ont aucun rapport avec lui. » ;

– les glaces naturelles à l’ancienne, chez le glacier framboisier Doré de la rue du bailli à Bruxelles : rien d’artificiel dans les couleurs, les parfums et les goûts, qui ravissent les palais pourtant si différents de Jeff et d’Akbar ;

– la brioche si tendre et les pâtisseries si légères et parfumées de la boulangerie-pâtisserie Mommaert-Derynck à Rhode-Saint-Genèse, quelques kilomètres avant cette morne plaine de Waterloo, à gauche quand on vient de Bruxelles et qu’on n’a pas fait un des multiples détours dus aux travaux qui ont la particularité de vous ramener, si on suit fidèlement les flèches, à votre point de départ, comme il l’était arrivé à Harris et à un de ses cousins de province dans le labyrinthe de Hampton-Court ;

– le café liégeois à Liège (bien que cette ville n’en soit pas à l’origine), chez le vénérable et chaleureux Amon Nanesse ; il n’a rien à voir avec celui auquel Akbar avait été habitué jusqu’ici, un café froid dans laquelle a coulé corps et biens une boule de glace et surmonté de chantilly industrielle : ici, c’est quasiment une mousse au café, c’est léger, c’est délicieux (Jeff ne peut qu’être d’accord, une fois n’est pas coutume, une fois) ;

– les gaufres, liégeoises elles aussi mais à Bruxelles, un comble, de chez Dandoy, et surtout celles de chez La Porta Pasta rue Walstraat à Bruges, petite échoppe étroite qu’on remarque à peine, mais où tout est fait maison, y compris les lasagnes végétariennes (Akbar) et bolognaises (Jeff), et où le service est fort sympathique, ma foi une fois ;

– et, ultimo ma non meno, l’accueil toujours généreux et chaleureux de leurs hôtes.

Maintenant, qu’on n’aille pas dire qu’on est toujours des râleurs, conclut Akbar après une ultime lampée de Mort subite.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

23 août 2011

Life in Hell: la RATP nous mène en bateau

Classé dans : Actualité, Sciences, techniques — Miklos @ 23:04

Akbar et la RATP, ou un problème de santé publique.

Ceux qui m’aiment prendront le train. — Patrice Chéreau.

Il ne s’agit pas du transport fluvial, mais des itinéraires que la Régie recommande électroniquement à ses usagers paumés dans la grande ville et qui souhaitent s’y déplacer rapidement et efficacement. Akbar veut se rendre d’un point – indiqué par un petit drapeau vert en haut à gauche – à un autre – signalé par un petit drapeau rouge en bas à droite.

Le problème consistant à déterminer un trajet optimal s’apparente à celui connu sous le nom de problème du voyageur de commerce (Akbar est ravi de ne pas en être, ce qui lui évite le sort tragique de Willy Loman qu’a relaté Arthur Miller), problème qui n’est pas facilement solvable en un temps raisonnable.

C’est peut-être la raison pour laquelle la Régie ne prend le temps de réfléchir et propose à Akbar le parcourt vert-bleu, qui consiste à aller prendre l’autobus n° 20 à 500 m. de son point de départ et à en descendre à une station se trouvant à quelque 300 m. de sa destination finale.

Mais Akbar, comme tout être doué de raison ou simplement paresseux, lui préfère, sans pour autant avoir fait des études approfondies en recherche opérationnelle, l’itinéraire rouge-orange avec le 29 qu’il peut rejoindre en une minute ou deux (moins de 100 m. à traverser), dans lequel il aurait à peine le temps de se prélasser, puisque son parcours est plus court que son comparse le 20 ; en plus, il arrive plus près de l’objectif visé.

Est-ce le fruit d’une alliance secrète entre la RATP et la Sécurité sociale, destinée à encourager l’activité physique chez les Parisiens trop sédentarisés, se demande Akbar ? Il se souvient des recommandations de Jean-Jacques Rousseau à M. du Peyrou affecté de la goutte, où il lui vante les vertus de l’exercice pédestre : « Contentons-nous de tâcher, comme vous faites, d’adoucir la rigueur de leurs attaques par toutes les précautions que la raison peut suggérer. Celle du grand exercice me paraît excellente ; la goutte doit son origine à la vie sédentaire ; il faut du moins empêcher sa cause de la nourrir. (…) Dans la marche à pied, toutes les articulations agissent, et le mouvement du sang accéléré excite une transpiration salutaire. Il n’est pas possible que, tandis qu’on marche, aucune sécrétion d’humeurs se fasse hors de son lieu ; marchez donc, voyagez, herborisez ; allez à Cressier à pied, revenez de même, dût quelque taureau vous faire en passant les honneurs du bois. »

Inquiet, Akbar décide donc finalement de faire ce parcours à pied, d’autant plus que le temps d’attente indiqué pour le 29 est plus long que celui du trajet pédestre. Quant à la transpiration salutaire, elle est encouragée par la canicule, et en plus il n’y a aucun taureau en vue. Et il revient de même. Il espère ainsi être dorénavant dégoutté.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

17 août 2011

L’ange gardien des ordinateurs se trouve à…

Classé dans : Architecture, Lieux, Littérature, Photographie, Sculpture — Miklos @ 10:30

Bruges: entrée du béguinage. Autres photos ici.

…Bruges, à l’entrée du béguinage (quand avez-vous effectué votre dernière sauvegarde, cher lecteur ?). La ville, à l’instar de Venise ou du Mont Saint-Michel, mérite bien son titre de Bruges-la-Morte, figée qu’elle est en grande partie dans un splendide passé, muséifiée, et conséquamment envahie de troupeaux de touristes las qui y grouillent en prêtant à peine l’oreille à un guide ou l’œil figé dans le viseur de leur caméra numérique, se déplaçant tel le flot d’une lave de boue dans les ruelles pullulant de commerces de bouche, du fast food au plat prétendument typique et surtout cher, de chocolatiers et de gaufriers, de magasins de souvenirs se succédant porte à porte.

Et malgré tout, comme l’écrit Émile Verhaeren à propos du roman Bruges-la-Morte (1892) de Georges Rodenbach,

J’entendais dire : Bruges-la-Morte n’est point le vrai Bruges que les voyageurs rencontrent en débarquant là-bas. (…) Bruges fut chantée par Rodenbach parce que, parmi toutes les villes de la terre, il la croyait le mieux d’accord avec sa mélancolie. Il lui importait peu d’être exact, il lui importait beaucoup d’être ému. Son livre est une peinture attendrie et pieuse. Des églises, des places, des palais, des canaux, des quais, des étangs, des ponts de Bruges, il avait la nostalgie, il la communiqua au public.

Il le fit aussi dans un autre roman, Le Carillonneur (1897) – métier encore très vivace en Belgique, où l’on peut même entendre les cloches d’une cathédrale sonner un tango argentin… – :

À s’isoler, à fuir sans cesse dans la tour, Borluut ne goûta plus que la mort.

Du haut du beffroi, la ville apparaissait plus morte, c’est-à-dire plus belle. Les passants s’effaçaient. Les bruits cessaient en route. La Grande Place s’allongeait, grise et nue. Les canaux reposaient ; leurs eaux n’allaient nulle part ; ils étaient veufs de tout bateau, inutiles aussi, et semblaient posthumes.

Au long des quais, les demeures étaient closes. On aurait dit que, dans chacune, il y avait un mort.

Impression funéraire, unanime ! Borluut exultait. C’est ainsi qu’il voulut Bruges. Naguère il ne se voua à restaurer, éterniser toutes ses vieilles pierres qu’avec la conscience et la joie de sculpter son tombeau.

Le carillon lui-même, il l’ambitionna et l’accapara pour mieux célébrer et annoncer la mort de la ville aux horizons. Maintenant encore, quand il jouait, promenant ses mains sur le clavier, il se faisait l’effet à lui-même de cueillir des fleurs, de les arracher, avec de durs efforts, à des tiges résistantes, s’obstinant quand même, complétant sa moisson, saccageant le parterre des cloches, et alors d’effeuiller des corbeilles pleines, des bouquets de son, des guirlandes de fer, sur la ville au cercueil.

Ne fallait-il pas qu’il en fût ainsi ? C’était la beauté de Bruges d’être une morte.

Et c’est ainsi qu’on l’avait vue, une fois en plein hiver, sous la neige. Pas un chat, pas un touriste. Un silence, non pas de mort mais de paix, recouvrait la ville, à l’exception de l’église du béguinage, d’où sortait le chant des bénédictines. Le temps s’était arrêté.

Bruges : le béguinage. Autres photos ici.

15 août 2011

Le cœur de l’Europe

Calendrier pour l’année 1871 (détail). Béguinage d’Anderlecht.

Bruxelles est la capitale d’une Europe qui, à l’image de la Belgique, n’a pas les coutures très solides : ses deux ventricules ne s’accordent pas. Dans ses Commentaires sur la Guerre des Gaules, Jules César aurait pu aussi bien écrire Belgium est omnis divisum in partes tres (en comptant la petite région germanophone). Il ne l’a pas fait et a plutôt vanté le courage de ce peuple : Horum omnium fortissimi sunt Belgae. Près de deux millénaires plus tard, un certain Jean Le Mayeur chante la gloire de ce pays :

Je chante ce pays rival de l’Italie,
Par son agriculture et par son industrie ;
Pays à qui l’Anglais doit le plan de ses lois ;
Le Français, son ClovisFils de Childéric, roi des Francs de Tournai, et trois souches de Rois ;
L’Europe, des héros d’une valeur sublimeOn pense évidemment à Tintin et au commissaire Maigret. ;
L’Asie, un conquérant, seul vainqueur à SolymeJérusalem. Il s’agit de Godefroy de Bouillon ;
La terre, le bienfait de mille inventionsLa gaufre et la bière, principalement.,
Transmises de nos bras aux autres nations ;
La mer, sur tous les bords où s’étend le commerce,
L’un des premiers essais des trésors qu’il nous verse.

Jean Le Mayeur, La Gloire Belgique, poème national en dix chants. Louvain, 1830.

On pourra voir ici quelques photos de son palais royal.

14 août 2011

Fluctuat nec mergitur

Classé dans : Lieux, Photographie — Miklos @ 9:11


Une façade à Liège. D’autres photos ici.

Les Belges n’y vont pas par quatre chemins, ils n’y vont pas non plus par trois, même pour ces dames : ils ont carrément nommé une de leurs villes Liège. Ce n’est pas qu’un matériau « remarquablement isolant et résistant » (Arts et litt., 1935) – caractéristiques dont peut s’enorgueillir l’ex capitale de la principauté éponyme, détruite en 1468 par Charles le Téméraire (et le très sanguinaire), sujette à des révoltes intérieures puis à la « bienheureuse révolution » qui lui fait incorporer la France en 1792 dont elle est séparée en 1815 et intégrée à la Hollande pour finalement faire partie d’une Belgique indépendante en 1830, et récipiendaire de la Légion d’honneur en 1919 – mais surtout connu pour sa légèreté et sa capacité à flotter sur l’eau, qualités essentielles en cet été pourri où il pleut jour et nuit sans discontinuer en Wallonie. Comme on dit chez eux, S’i plût, dju frans coume a Pari, dju lêchrans plûre, tout en souhaitant à nos chers lecteurs parisiens qu’il ne pleuve pas à Paris autant qu’à Liège.

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