Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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28 février 2012

La mauvaise foi des médias

Classé dans : Actualité, Médias, Politique, Racisme, Religion, Société — Miklos @ 11:52

Tout pour l’audimat : RMC, rapportant la tentative d’un père de brûler sa fille vive, l’intitule – voyez tout en haut de l’image – « Fille immolée par son père ». Ce n’est qu’en lisant l’article qu’on constate que, heureusement, il n’a pu mettre son geste à exécution.

Cette méthode qui consiste à attirer le chaland par des gros titres sensa­tionnels et de préférence gore et qualifiés comme celui-ci d’« exclusifs », est bien connue des tabloïds (Weekly World News en est un bon exemple ainsi que le récemment défunt News of the World, immolé pour de bonnes raisons, lui, par son père Molloch Murdoch).

Sur le fond, le prétexte à cette tentative de meurtre qu’on pourrait ironiquement qualifier de rituel est si tristement banal : le père musulman de la jeune femme la trouvait trop émancipée et ne supportait pas qu’elle fréquente un juif.

Par le hasard de la programmation d’un autre média, France 2 avait diffusé avant-hier Mauvaise foi, le film de Roschdy Zem, dans lequel il tient le rôle d’un jeune homme qui vit en couple avec une jeune femme. Ils vont avoir un enfant, et ne savent comment faire leur coming out à leurs parents respectifs qui ignorent tout de leur relation, ni comment gérer leurs traditions respectives : il s’avère qu’il est musulman et qu’elle est juive, et que cette composante de leur identité – jusqu’ici assumée tacitement par l’un et par l’autre (et pourtant cachée à leurs parents) qui, à juste titre, se considèrent simplement Français – ressort fortement à cette occasion ; mettre une mezouzah sur la porte, donner le prénom (arabe) du défunt père au futur fils (parce que ce sera un fils, inch Allah*), prendre parti dans le conflit judéo-musulman israélo-palestinien (et si le fils était tout simplement Français ?)… Heureu­sement, le seul problème d’essence ici semble être celui d’une camionnette qui a du mal à démarrer à un moment critique.

C’est un film gentil, plein de bonnes intentions et pour toute la famille (faut bien, pour pouvoir le diffuser en prime time) : après quelques cris et chuchotements, tout est bien qui finit bien (d’ailleurs le père n’aimait pas son prénom, ça tombe bien) et les deux familles, rayonnantes de bonheur, se retrouvent gaga autour du nouveau né. Mazal tov. Ah, si tout se passait comme ça, ce serait bien le meilleur des mondes.

Comme le montre l’information qui ouvre ce billet, ce n’est pas toujours le cas : les couples « mixtes » – que ce soit du fait d’une différence de couleur, d’âge, de religion, d’éducation, de culture, de classe… – peuvent être fort mal vus et rejetés (ou pire : « punis ») par leur entourage familial et/ou social.

C’est, plus généralement, le rejet de la différence réelle ou perçue – ce qui ne veut pas dire visible ! on ne « voit » pas forcément qu’une personne est juive, gaie, roturière ou noble – de l’individu qui fait peur : c’est un instinct qu’on retrouve dans le monde animal en général, et il n’est pas étonnant de le retrouver chez l’homme. Mais cet animal doué de raison (comme l’appelait Robert Merle) devrait pouvoir justement surmonter certains de ses instincts les plus bas, par l’éducation (à la maison, à l’école, dans la société), par la réflexion (la coopération est, à long terme, bien plus profitable que le conflit, ou, comme on le dit en mathématiques, un jeu à somme positive).

On peut toujours rêver, et c’est ce à quoi nous invite ce film.


* Ce que le film n’indique pas, c’est que cette tradition existe aussi bien chez les Juifs (mais le père de la jeune fille est bien vivant, lui)…

27 février 2012

Le Crépuscule des dieux de l’écran

Classé dans : Actualité, Cinéma, vidéo — Miklos @ 11:35

Le Washington Post, un des derniers journaux sérieux s’il en est, décrit l’atmosphère de cérémonie funèbre – celle de la mort annoncée de l’industrie cinématographique en général (du moins dans son modèle économique actuel) et de l’Académie des Oscars en particulier – qui a présidé à leur dernier gala.

Ce que l’on remarquera dans cet intéressant article c’est que le grand lauréat de la soirée n’est mentionné qu’en passant et dans une parenthèse, comme pour en souligner l’insignifiance, tandis que l’auteur de l’article, Hank Stuever, ne se prive pas de s’en prendre à l’atmosphère nostalgique et désuète (d’où sans doute le choix d’un film muet et de surcroît en noir-et-blanc comme grand lauréat), larmoyante et sirupeuse de ce gala pour maison de retraite, ponctué de blagues convenues et d’où se détache notamment le prix finalement accordé à Meryl Streep.

En passant, on relèvera aussi qu’il nous informe que, dans les longs discours de remerciements des lauréats (qu’il propose dorénavant de mettre en ligne, ce qui éviterait des tirades ennuyeuses), on trouve Dieu en quatrième place (ou en cinquième, selon le New York Times).

25 février 2012

2012, une année très olé-olé

Classé dans : Actualité, Langue, Médias — Miklos @ 14:21

À la fin du 12/13, le journal télévisé national de France 3, aujourd’hui. Jean-Marc Souami parle de la météo de la semaine à venir, qui comprend comme on le sait, un 29 février. Mais comme on ne s’en souvient pas forcément, il précise :

« Alors, la semaine : je vous rappelle que nous sommes dans une année bisexuelle » –, la présentatrice Catherine Matausch éclate alors de rire tandis qu’il se reprend : « bissextile, pardon », et rajoute in peto « non c’était peut-être le whisky… ». Cuite, pardon, suite d’une météo bien arrosée ?

Il semblerait que notre gai présentateur ne soit pas étranger à ce type de lapsus, révé­lateur on n’en sait rien, mais orienté (on peut encore le voir ici affirmer gauloi­sement : « Vous avez dû sortir votre instrument comme tout le monde… »), si beau qu’en cette période de Césars et d’Oscars, on lui accorde sans conteste le titre de Lapsus lazuli du mois.

22 février 2012

Ces chères grandes Mesdames de Scudéry, de Lespinasse, de Maupin, Julie…

Classé dans : Actualité, Langue, Littérature — Miklos @ 9:37

« Vous savez que le mot miss en Angleterre veut dire mademoiselle. Mais vous savez qu’il veut dire aussi ratage. » — Hervé Lauwick.

Dorénavant, le mot Mademoiselle nous manquera (ou, comme dira flegmatiquement ce Britannique en débarquant sur la Promenade des Anglais pour rejoindre sa maîtresse, I miss my miss in Nice, now) : il se rajoutera à la longue liste des mots bannis de notre langue.

Pourquoi, au lieu d’appauvrir encore notre langue, n’en a-t-on pas profité, au contraire, pour remettre au goût du jour un mot autrefois utilisé, mondamoiseau (qu’on aurait pu moderniser en mondemoiseau, terme qui rime hypo­co­ris­ti­quement avec mon ’tit oiseau) ? Patricia Niedzwiecki écrivait à son propos dans Le langage au féminin : les mots pour la dire (Castells, 2000) :

À l’origine cependant, jeunes femmes et jeunes hommes se trouvaient sur un pied d’égalité, les unes portant le titre de « mademoiselle », les autres de « mondamoiseau ». Pour les deux sexes, ce titre indiquait l’état de célibat, la disponibilité. Il n’était pas que les demoiselles à représenter « un bon parti ».

On en viendra bientôt à supprimer aussi les articles « il » et « elle », dont le virulent sexisme qu’ils suggèrent a causé la disparition de leurs équivalents aux Etats-Unis il y a déjà belle lurette et leur remplacement par they, pluriel asexué qui n’a pas d’équivalent en français.

Nous, on a on, c’est une chance maintenant, comme ça on se trompera pas sur la quantité. Il ne sera pas facile de s’adapter : quand on était môme, pardon, quand nous étions petits, nos parents nous décourageaient de l’utiliser, mais maintenant c’est plus pareil, ça change, ça change, comme le chantait Boris Vian.

Dans la foulée de la nouvelle directive, est-ce que le ministère de la culture va renommer dans les livres de classe les noms de la Grande Mademoiselle et de ses consœurs, Mesdemoiselles de Scudéry, de Lespinasse, de Maupin, Julie ou Chanel et tant d’autres célébrités du passé ? On se souvient du sort qui a frappé un roman d’Agatha Christie, qui a subi deux purges de son titre, l’original Ten Little Niggers devenant Ten Little Indians puis And Then There Were None, sort qui a épargné le célèbre roman de Conrad, The Nigger of the “Narcissus” (sans doute du fait de sa relative obscurité en comparaison avec les polars de la reine du crime).

On (pardon, maman) s’est donc intéressé aux usages anciens de ce mot-dorénavant-imprononçable. Voici les quelques premières réponses de Google Books concernant les ouvrages publiés de 1400 à 1600 et comprenant ce terme :

La première réponse ne manque pas de surprendre, un style si moderne et une préface d’André Maurois (1885-1967) à ce roman d’un auteur québécois plus jeune de vingt ans que Maurois, dans un livre publié en 1564, du temps où le Québec, colonie française de la Nouvelle-France, s’appelait encore Canada ? La machine à voyager dans le temps a donc bien été inventée !

On a regardé de plus près la couverture du livre, et tout s’explique : tout en bas, il est indiqué l’adresse de l’éditeur : 1564, rue Saint-Denis. Montréal. On n’ose imaginer qu’un catalogueur humain ait pris ce nombre pour la date d’impression, et on laissera le lecteur imaginer le coupable.

Le suivant concerne l’un des nombreux ouvrages d’histoire de l’abbé Jean-Chrysostôme Bruslé de Montpleinchamp (1641-1724), et publié 150 ans avant sa naissance. La page de garde porte effectivement comme date de publication M.CD.XCI. au lieu de M.DC.XCI. Il est vrai qu’on peut facilement se tromper dans ce système dans lequel l’inversion de deux lettres indique une soustraction…

Quant au Veau d’or, il ne s’agit pas de celui fondu au pied du mont Sinaï, mais d’un roman de Frédéric Soulié (1800-1847) qui commence par ces mots : « Au mois de septembre 184., durant une nuit pluvieuse, il se passait au bois de Boulogne un événement dont les journaux parlèrent beaucoup. » Outre le fait que les journaux parlent toujours beaucoup du bois de Boulogne qui semble coutumier de faits pas très catholiques, cette phrase n’aurait pu être publiée en 1582, ni du fait de son orthographe ou son style, ni du fait de la date (à moins que ce ne fut un roman d’anticipation)… Et pourtant, c’est ce que la couverture du livre indique, au lieu de 1852 (comme on peut le voir dans d’autres éditions). On n’a pas trouvé de circonstance atténuante.

Mais pour en revenir à ce mot désuet par décret, on citera l’extrait d’une célèbre et nonobstant tragique histoire publiée en 1956, pardon, en 1596 dans XVIII. histoires tragiques extraictes des œuvres italiennes de Bandel, & mises en langue françoise. Les six premieres, par Pierre Boisteau, surnommé Launay, natif de Bretaigne. Les douze suyuans, par François de Belle-forest, Comingeois. Il s’agit de celle de « Deux amants qui moururent en un mesme sepulchre, l’un de poison, l’autre de tristesse ». Vous voyez de qui il s’agit ? Lisez donc ce passage (où on a modernisé l’orthographe à l’excepté du mot obsolète en question, en espérant ne pas être poursuivi pour ce double délit) :

Cependant que les choses étaient en cet état, on se prépara à Vérone pour faire les obsèques de Juliette. Or ont une coutume, qui est vulgaire en Italie, de mettre tous les plus apparents d’une lignée en un même tombeau, qui fut cause que Juliette fut mise en la sépulture ordinaire des Capulets, en un cimetière près l’église des Cordeliers, où même Thibaut était enterré. Et ses obsèques parachevées honorablement, chacun s’en retourna, auxquelles Pierre serviteur de Roméo avait assisté, car comme nous avons dit ci-devant, son maître l’avait envoyé de Mantoue à Vérone faire service à son père, & l’avertir de tout se qui se bâtirait en son absence à Vérone. Et ayant vu le corps de Juliette enclos dedans le tombeau, jugeant comme les autres, qu’elle était morte, prit incontinent la poste, & fit tant par sa diligence, qu’il arriva à Mantoue, où il trouva son maître en sa maison accoutumée, auquel il dit (ayant ses yeux tous mouillés de grosses larmes) : « Monseigneur, il vous est survenu un accident si étrange, que si ne vous armez de constance, j’ai peur d’être le cruel ministre de votre mort. Sachez Monseigneur, que depuis hier matin madamoiselle Juliette a laissé ce monde pour en chercher repos en l’autre, & l’ai vue en ma présence recevoir sépulture au cimetière de Saint François. » Au son de ce triste message, Roméo commença à mener tel deuil qu’il semblait que ces esprits ennuyés du martyre de sa passion dussent à l’instant abandonner son corps, mais forte amour qui ne le peut permettre faillir jusqu’à l’extrémité lui met en sa fantaisie que s’il pouvait mourir auprès d’elle, sa mort serait plus glorieuse, & elle (ce lui semblait) mieux satisfaite.

On en connaît l’issue fatale.

Avant que de nous quitter, on recommandera aux lectrices militantes la lecture de La furieuse et effroiable guerre des masles contre les femelles, représentant en trois dialogues les prérogatives et dignitez tant de l’un que de l’autre sexe avec les meslanges poétiques du Sieur de Cholières, publié originellement en 1588 (avec privilège du Roy) et récemment réédité.

Et sur ce, Madame, Mademoiselle, Monsieur, bonsoir !

21 février 2012

Philippe Tesson : « Nicolas Sarkozy a une façon suicidaire de conduire les affaires de l’État »

Classé dans : Actualité, Médias, Politique — Miklos @ 15:41

C’est ce que l’auto-proclamé moraliste Philippe Tesson a affirmé au micro de Radio Classique dans le débat qui l’opposait à Bruno Roger-Petit lors du Club de la presse du mardi 21 février (il ne faisait pas ainsi preuve d’ori­gi­nalité et d’ailleurs l’intéressé s’en fout, comme l’écrivait L’Essentiel Online quelques jours aupa­ravant). Ce n’est pas la première fois que ce supporter de l’occupant actuel de l’Élysée s’exprime à propos de sa santé mentale : en 2009, il avait affirmé que « Sarkozy est un cas psychiatrique. Il relève de psychiatrie. Il n’est pas équilibré. » À se demander ce que ce soutien révèle de quoi relève Philippe Tesson lui-même (l’amour est-il si aveugle que ça ? si oui, c’est peut-être du ressort de l’ophtalmologie), mais ce n’est pas le propos de ce billet.

Le sujet de l’émission en était l’affaire qui agite actuellement les médias, l’annonce de la nomination prévue de Jean-Louis Borloo à la tête de Veolia. Tesson qui, comme Saint Thomas, ne croit que ce qu’il voit – il l’affirme haut et fort (et donc son opinion médicale à propos de Sarkozy doit se baser sur des certificats médicaux) –, tout en reconnaissant que Sarkozy y a sans doute pensé et qu’il le croît « capable de faire une telle connerie », n’accorde aucun crédit à cette information (qui n’en est pas une pour lui, « croustillante et non avérée ») et d’ailleurs, tout l’establishment a démenti et il ne s’est rien passé, ah, ces journalistes qui disent n’importe quoi (il en est un, de journaliste, il doit le savoir).

Bruno Roger-Petit lui a rétorqué que cette nouvelle était le fait d’infor­mations recoupées et confirmées par des médias sérieux, Les Échos et Libération, d’une part – tout en émettant le doute que son interlocuteur les ait lues –, et que le revirement à ce propos, suite au tollé général, n’était pas preuve que cette nomination ne se concoctait pas dans les antichambres du pouvoir au moment où on l’a révélée au grand jour ; il a rappelé l’information que Ben Bradley avait publiée dans les années 60, sur l’intention de l’admi­nistration américaine de Kennedy d’envahir Cuba, qui a été démentie et qui a mis fin à ce projet bien réel : au moment où elle a été publiée, elle était vraie.

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