Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

This blog is © Miklos. Do not copy, download or mirror the site or portions thereof, or else your ISP will be blocked. 

24 avril 2012

À propos de Luc

Classé dans : Histoire, Humour, Langue, Littérature — Miklos @ 10:58

Disons-le tout de suite, il ne s’agit pas ici de Charles de Luc, l’auteur du Recueil de tout soulas et plaisir et parangon de poésie comme épistres, rondeaux, balades, épigrammes, dizains et huictains, nouvellement composé et publié en 1552, ni de son presque-homonyme et imaginaire Charles du Luc, jésuite et héros de polars historiques d’une certaine Judith Rock, ni même de Charles Emmanuel de Vintimille de Luc, né au château de Versailles en 1741.

Il s’agit de Messire Luc, dont le nom est venu à notre attention en tombant sur le titre de ce curieux ouvrage :

Français, Françaises, vous m’avez compris. On nous trouvera peut-être culotté d’aborder ce sujet, mais de grâce épargnez-nous la déculotée.

Cet ouvrage s’ouvre par une série d’envois plus gratinés les uns que les autres, en français, en latin, en grec, en charentais, en allemand, en russe et même en yiddish :

L’un d’eux, en forme de sonnet, pourrait avoir été écrit par Brassens – qui, soit dit en passant, avait le même esprit potache et grivois – si le livre en question n’avait été publié bien avant sa naissance (en 1850, selon certaines sources) :

Le noble but que se sont fixé ses auteurs, on l’aura deviné, est celui de classer les nombreux ouvrages concernant « l’art de se débarrasser du superflu des aliments », dans un esprit qui « fournit à l’esprit un repos et un exercice salutaire ». Ils ajoutent :

Pour les personnes sédentaires, le rire est une ressource qu’on devrait utiliser ; c’est une gymnastique interne, c’est une course en dedans. […] Malheu­reu­sement nous sommes bien loin du temps où tout en France finissait par des chansons ; mais Béranger l’a dit :

On ne rit guère aujourd’hui :
            Est-on moins frivole ?

Triste constat qui vaut aussi de nos jours. On ne peut donc que vous recom­mander la lecture attentive de ce traité.

À propos de cette partie fondamentale de l’être humain, on citera une autre œuvre, poétique celle-là, publiée à Anvers (il fallait prendre ses distances) et intitulée Sur l’enlè­vement des reliques de saint Fiacre, apportées de la ville de Meaux, pour la guérison du cul de Monseigneur de Richelieu, dont on trouvera le texte intégral ici.

Il s’avère que le célèbre cardinal souffrait horriblement d’hémorroïdes (pardon my French, comme disent les Américains en proférant goulûment des mots que leur morale réprouve) et avait fait venir de Meaux, en grande pompe, les reliques de saint Fiacre, réputées pour leur effet curatif en l’occurrence. Ce qui ne fut pas le cas. (source)

Pour finir, voici une liste (qui ne vise pas à l’exhaustivité) des contextes dans lesquels on trouve ce fameux mot de trois lettres. Il est de ceux qui, seuls, peuvent offusquer les chastes oreilles des jeunes filles en fleur et des culs-bénits, mais qui, utilisés en contexte, perdent leur verdeur tout en en relevant parfois le goût, telle une pincée de poivre ajoutée à bon escient.

– bas-du-cul, bout-de-cul, cul-bas (personne petite, courtaude)

– coupe-cul, jouer à (jouer une partie de jeu sans revanche)

– cucu, cul-cul (stupide)

– cul à fauteuil (académicien)

– cul-bas, cubas (sorte de jeu de cartes)

– cul-béni(t) (personne bigote)

– cul-blanc (motteux, bécasseau, guignette)

– cul-blanc de rivière (chevalier bécasseau)

– cul-brun, cul-doré (bombyx)

– cul comme des hannetons, se tenir par le (se dit de personnes qui sont toujours ensembles)

– cul-d’âne (actinies)

– cul d’artichaud (fond d’artichaud)

– cul-de-basse-fosse (cachot creusé dans les soubassements des constructions fortifiées du moyen âge)

– cul de baril, de barrique, de bouteille, de chaudron, de chope, de flacon, de gamelle, de hotte, de panier, de poêle, de pot, de seau, de tambour, de tonneau, de verre… (base, fond de …)

– cul de chapeau (chapeau dont on a coupé tout le bord jusqu’au lien, c’est-à-dire jusqu’au bas de la forme)

– cul-de-chaudron (néflier amélanchier)

– cul-de-cheval (actinie)

– cul-de-chien (nèfle)

– cul-de-jatte (personne sans jambes ni cuisses)

– cul-de-four (voûte en quart de sphère)

– cul-de-lampe (clef pendante, support en encorbellement d’une statue ou d’une colonne ; petit ornement gravé qu’on met à la fin des livres, des chapitres ou d’autres endroits d’un ouvrage imprimé ; esp. de coquille univalve)

– cul-de-mulet (variété de figue et parfois de la coquille nommée gondole)

– cul-de-plomb (bureaucrate, personne qui ne prend pas d’exercice, ou très assidue à son ouvrage ; personne moralement immobile)

– cul de porc (épissure d’arrêt formant le bout du filin)

– cul-de-poule (moue où l’on avance les lèvres la bouche fermée)

– cul-de-sac (voie sans issue)

– cul-de-singe (coquille de genre buccin)

– cul-de-Vénus (actinie)

– cul d’or (esp. de merle d’Afrique)

– cul et de tête, y aller de (s’employer avec ardeur et sans précaution pour faire réussir quelque chose ; on rajoute parfois comme une corneille qui abat des noix)

– cul et chemise, être (se dit de deux personnes qui sont complices, solidaires)

– cul goudronné (matelot)

– cul-jaune (esp. de cassique)

– cu(l)-levé ou lève-cul, jouer à (jeu à deux où celui qui perd, s’en va pour laisser sa place à un autre)

– cul levé, tirer au (tirer le gibier au moment où il prend son vol)

– cul luisant (femelle du ver luisant)

– cul-nu (amour représenté tout nu)

– cul par-dessus tête (culbuté, à la renverse, la tête vers le bas)

– cul pour des chausses, prendre (se tromper grossièrement)

– cul-rond (sorte de grand bateau de pêcheur en forme de gondole)

– cul-rouge (variété d’épeiche et du rossignol de muraille)

– cul-rousset (sorte de fauvette)

– cul sec (boire, vider un verre d’un seul coup)

– cul sur pointe (Montaigne : sans-dessus-dessous)

– cul-terreux (paysan)

– cul tout nu (mendiant)

– cul-tout-nu (colchique)

– écorche-cul, à (au jeu : en glissant, en se traînant sur le derrière ; au figuré : de mauvaise grâce, avec répugnance)

– faux cul (culot, masse de matière qui se forme sur les pilons des moulins de poudre à canon ; au figuré : hypocrite)

– gratte-cul (rosier sauvage, églantier)

– petit cul, gros cul, vieux cul (personne méprisable, très antipathique)

Et puisqu’en France tout se termine par une chanson :

23 avril 2012

À propos de Roch

Classé dans : Littérature — Miklos @ 1:59

Le prénom Roch (ou Rocco, en italien), qu’on dit provenant du francisque, a acquis une certaine notoriété (voire notoriété certaine) dans quelques communautés : les discophiles sont fans de Roch Voisine, les cynophiles ne jurent que par Saint Roch et les cinéphiles adorent Rocco et ses frères, film dans lequel Alain Delon tient le rôle titre. Le même Alain Delon s’est d’ailleurs appelé Rocco Siffredi dans Borsalino, et voilà que c’est devenu le nom de scène (torride) d’une star incontestée et dure comme roc d’un certain cinéma de genre.

Avec tout ça, on aurait pu s’attendre à une plus grande popularité de ce prénom, mais il n’y a en moyenne qu’une vingtaine d’enfants prénommés Roch chaque année en France, et encore, la belle époque pour ce prénom était il y a près d’un siècle, avec un pic remarquable en 1928 : cinquante deux !

Mais il y a eu un autre Roch, quasiment ignoré de tous et même de ceux qui devraient le connaître, les bibliomanes, bibliophiles, biblio­graphes et bibliothécaires : il s’agit de Roch Santa Maria, à qui l’on doit Les Aventures de Barnafinus, publiées en 1936 chez Albin Michel, dont l’illustrateur, Ray-Lambert, est plus connu que l’auteur (et à qui l’on doit aussi les si jolies et amusantes illus­trations des Contes des cent et un matin d’Ernest Pérochon dont j’ai un exemplaire)…

Et pourtant : Roch Santa Maria n’est autre que José Corti dont la maison d’édition épo­nyme ne s’est jamais compromise pour faire du chiffre, et a publié des auteurs tels que Julien Gracq, Paul Éluard, Gaston Bachelard… Rien de commun, comme l’affirme sa devise. « Ces trois petits mots traduisent seulement une certaine volonté de ne publier rien qui ne soit qu’ordinaire », écrit Corti dans ses souvenirs.

D’où me vient cette information ? D’abord, on peut lire à la page 4 de Barnafinus une dédicace de l’auteur :

À mon Doumé, et à sa maman,
Notre bonne fée.

                              R. S-M.

Or voici le début de la dédicace des Souvenirs désordonnés (….-1965) de Corti (publiées sous son nom) :

À Dominique, mon fils unique, notre Doumé,
           13 janvier 1925 - ?? 1944.

dédicace poignante, qui se termine par « À ma femme, dans la communion de l’inguérissable blessure », celle d’avoir perdu leur fils Dominique. Sous-lieutenant Jocco dans le réseau Marco-Polo, Dominique Corti est arrêté à 19 ans et déporté à Buchenwald puis à Ellrich où il meurt (source). René Char lui rendra hommage dans un texte publié en 1947 dans Cinq parmi d’autres aux Éditions de Minuit et que l’on peut lire dans la référence ci-dessus.

Mais aussi : mon exemplaire des Aventures de Barnafinus, livre pour enfants (Doumé avait 11 ans), porte cette dédicace manuscrite de l’auteur à ma mère :

Bien que non datée, elle ne peut avoir précédé la publication du roman, en 1936. La dédicataire avait alors 23 ans… On y reconnaît sans peine l’écriture de Corti, comme on peut le voir ici dans une lettre qu’il lui écrira en 1943 :

Quant à la signature, si le nom est différent, la forme en est identique :

C’est d’ailleurs Corti qui la mettra en relation avec Julien Gracq, comme on a pu le voir précédemment ici dans certaines traces.

Enfin, si Roch Santa Maria n’a pas eu la carrière des auteurs que Corti a publiés, il y a finalement une bonne raison à cela, qu’il donne dans ses Souvenirs :

J’ai eu deux vocations. Il va se soi que je n’ai pu en suivre aucune, encore que ma carrière se soit faite, ait été comme appelée par l’une d’elles. J’ai donc eu deux vocations. Pour l’une, je l’ai sacrifiée en me rendant aux objections de mon père ; pour l’autre, de ma propre volonté. Je rêvais d’écrire, ambition haute. Mon esprit s’affermissant assez tôt, j’ai eu la chance de savoir être – du moins en cette matière – le clairvoyant juge de moi-même. Il s’en est suivi que, de bonne heure, j’ai consommé mon propre sacrifice ; je me suis fait libraire. Cet état m’a apporté des satisfactions, souvent des joies qu’aucune amertume n’est jamais venue gâter. Je me suis voué aux livres des autres. Au terme de ma vie, je sais que le choix fut bon. La réputation qu’on m’accorde, toute excessive qu’elle soit, n’excite aucune envie, ne peut prêter à aucune critique. S’il arrive qu’on me loue, ce n’est qu’à raison de quelque vertu de persévérance que l’on me reconnaît ; que parce que l’on sait que je ne doit rien qu’à mon travail, et qu’il est constant que mes choix n’ont jamais été commandés par l’intérêt et que, lorsqu’il était facile, et profitable, de vendre des livres à succès, je m’installais au poste avancé de la brèche surréaliste où il n’y avait guère à glaner, défrichais les terres ingrates de la littérature de cinéma et plus hautement, révélais un Bachelard encore inconnu, un Bachelard qui forgeait les armes de la critique nouvelle, à une époque, 1942, où on le refusait ailleurs (Gallimard) ; c’est que je bénéficie aussi du prestige d’auteurs, parmi les plus grands et les meilleurs, qui sont venus, spontanément, m’apporter leurs livres et qui m’ont ensuite accordé leur amitié. À moins que de posséder un talent d’écrivain de premier rang, quels écrits m’auraient valu une considération sans jalousie ? Mon nom s’inscrit sur la couverture de livres, comme je le rêvais autrefois ; mes vœux sont exaucés. Sans doute règne-t-il en pied au lieu de trôner en tête et la différence est-elle grande. J’en conviens. Qu’on m’accorde, en revanche, et c’est ce qui compte, que les livres sont toujours bons.

22 avril 2012

Comment on effectue les sondages à Paris

Classé dans : Actualité, Histoire, Photographie, Politique — Miklos @ 11:23


Appareil de sondage utilisé pour les fondations de la Tour Eiffel (1887)
(
source)

Votez, même si aucun candidat ne vous paraît représenter l’idéal : l’idéal n’existe de toute façon pas, et le droit de vote ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Exprimez-vous dans l’urne, pas dans les sondages.

Pisser de la musique

Classé dans : Langue, Littérature, Musique, Peinture, dessin — Miklos @ 1:42

Cette estampe, qui fait partie du volume 27 de la collection De Vinck, Un siècle d’histoire de France par l’estampe, 1770-1870, volume consacré à l’Ancien régime et à la Révolution française, illustre fort littéralement cette expression quelque peu cavalière : examinez donc en détail le jet (les boutons pour zoomer s’y trouvent en haut à droite)…

J’aime, Gavroche bruxellois,
Rêver auprès de ta fontaine
Dont le bassin est grand, à peine,
Comme une coquille de noix.
Que d’esprit, petit dieu sans gêne,
Dans le franc sourire narquois
Que tu décoches au bourgeois,
En montrant ta gente bedaine.
Ta vue offense le regard
De tous les Tartuffes de l’art ;
Devant toi le dévot se signe !
Gamin charmant, libre penseur.
Tu me plais, ton geste farceur
Dit « zut » à la feuille de vigne !

Henri Liesse (1848 ?- ?)
Secrétaire de la rédaction de l’Art libre,
17 rue Montagne-de-Sion, Bruxelles.

Cette gravure vous en rappelle d’autres ? Elle est bien de son époque, qui a donné notamment cet Habit de musicien de Nicolas de Larmessin (1640-1725), auteur d’une série d’Habits de… tous aussi fantaisistes qu’imaginaires – et assez malcommodes à porter sans doute :

Dans le même genre tarabiscoté mais un peu plus mettable, le costume que représente cette estampe de Jean Berain (1640-1711) et Jean Lepautre (1618-1682), auteurs d’une autre série d’Habits :

Encore plus simple, dans celle-là, datée des années 1720 :

On trouvera là un clin d’œil contemporain à ces accoutrements.

Playdoyers pro SMS

Classé dans : Littérature, Sciences, techniques — Miklos @ 0:44

Une minute est chère, et pour la ménager,
Jusqu’aux syllabes même, il faut tout abréger.
[…]
Boileau dit seulement en ses instructions :
« Soyez vif et pressé dans vos narrations ! »

François de Neufchâteau (1750-1828), Fables dédiées à Ésope. Prologue du livre septième.

Soyez clair, et surtout soyez bref.

Jules Sandeau, Un héritage. 1856.

Les écrivains Juifs & les copistes ne se contentent pas de faire des abréviations comme les Grecs et les Latins, en retranchant quelques lettres ou syllabes dans un mot ; souvent il n’en mettent que la première lettre. Ainsi ר signifie Rabbi, & א signifie אב, אדרבי, ou אמד, selon l’endroit où il se trouve. Ils prennent souvent les premières lettres de plusieurs mots de suite, & en y ajoutant des voyelles, ils font un mot barbare qui représente tous les mots dont il est l’abrégé.

Diderot et d’Alembert, Encyclopédie. 1751.

Il est certain que les fonctionnaires, en prenant le style ordinaire, allongent de beaucoup leurs dépêches, et de l’aveu des gens compétents il serait possible, en employant le style télégraphique, d’en réduire la longueur des trois quarts. En forçant chaque ministère, chaque administration à payer ses propres dépêches, sauf ensuite à en faire compte avec le ministère de l’intérieur, on corrigerait certains abus et on donnerait satisfaction au public. Chaque fonctionnaire, obligé à cette reddition effective de comptes, deviendrait plus sobre, n’enverrait que les dépêches nécessaires, et les traduirait en style laconique. Il en résulterait plus de rapidité dans les transmissions ; les bureaux seraient moins absorbés par le service administratif et les dépêches privées parviendraient plus vite à destination.

Baron Eschassériaux, séance du 11 juillet 1870 de la session ordinaire de 1870 du corps législatif.

L’instant est cher et mon sort en dépend.

Henri Lambert de Thibouville (1710-1784), Calixte, cité par C.S. Favart in Mémoires et correspondances littéraires, dramatiques et anecdotiques, 1808.

« Remember that time is money. »

Benjamin Franklin, Advice to a Young Trades­man, 1784.

The Blog of Miklos • Le blog de Miklos