Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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31 mai 2012

Bien avant John Cage, Malevitch, Soulages et Yves Klein : Alphonse Allais

Classé dans : Arts et beaux-arts, Danse, Humour, Littérature, Musique, Peinture, dessin — Miklos @ 19:43

Tout le monde a entendu – qu’il en soit conscient ou non – 4’33”, le chef d’œuvre de John Cage en trois mouvements et à l’instrumentation particulièrement originale. Certains ont vu – qu’ils aient aimé ou non –, le Carré blanc sur fond blanc de Malevitch ou les outre-noirs de Pierre Soulages récemment exposés au Centre Pompidou, sans parler des fameux bleusÔ d’Yves Klein.

Ce qu’on sait moins c’est qu’ils n’avaient rien inventé : dans sa communication « Plaisanterie, subversion, exercice de style : quelques œuvres loufoques » lors du colloque Figures du loufoque à la fin du XXe siècle organisé en 2001 par le Cierec, Joël Gilles nous apprend qu’Alphonse Allais s’était présenté ainsi dans le catalogue de 1884 des Incohérents : « Artiste monochroïdal. Élève des maîtres du XXe siècle. ». Il poursuit (avec quelques approximations signalées entre crochets) :

Prémonition étonnante dont il est impossible de décider s’il n’y croyait pas lui-même.

Aux Incohérents de 1883, Allais expose une feuille de papier blanc, simplement punaisée au mur et titrée Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige et en 1884 un monochrome noir, le célèbre Combat de nègres dans une cave, pendant la nuit, ainsi qu’une Récolte de tomates sur les bords de la mer Rouge par des cardinaux apoplectiques.

On en conserve les reproductions, si l’on peut dire, dans l’Album Primo Avrilesque publié à Paris chez Ollendorf en 1897, auxquelles il ajoute cinq autres monochromes dont un gris, la Ronde de pochards dans le brouillard et un bleu : Stupeur de jeunes recrues devant ton azur, Ô Méditerrannée. On y trouve également le pendant musical de ces monochromes, la Marche funèbre composée pour les funérailles d’un grand homme sourd (les grandes douleurs sont muettes) [la mention entre parenthèses est absente de la partition publiée par Ollendorf, cf. ci-dessus] qu’il recommande de jouer lento rigolando et dont la partition se présente sous la forme de trois portées [faux, il y en a huit : il faut tourner la première page, comme il l’est indiqué…] sans aucune note. John Cage s’en souviendra peut-être pour sa partition de 4’33” de silence [sic] en 1952.

La plaisanterie monochroïdale n’est pas une exclusivité d’Allais, il n’en est pas l’inventeur, et d’autres après lui s’y adonneront. […]

Dès 1843, apparaît dans la Critique comique du Salon du Charivari l’Effet de nuit qui n’est pas clair… de lune, acheté subito par Mr. Robertson, fabriquant de cirage  […].

Alphonse Allais ne fait donc pas preuve d’une grande originalité, en s’inscrivant dans cette tradition, à ceci près que ses monochromes, réellement exposés, peuvent prétendre à l’aura de l’œuvre d’art. Au point que lors de l’exposition du Musée des Arts décoratifs de 1973 : « Équivoques » Peintures françaises du XIXe siècle, on pouvait voir à côté des Bouguereau, Chassériau, Carolus Durand, Géricault ou Delacroix, la reconstitution du monochrome blanc avec la précision « bristol moderne, punaises d’époque », dont la reproduction, dans le catalogue, était accompagnée d’une critique de Félix Fénéon.

Ce qui ne manquera pas de faire sourire ceux d’entre nous qui sont fâchés avec un art plastique contemporain aussi minimaliste que l’est, dans le domaine des arts de la scène, la non-danse.

L’inéluctable disparition de l’espèce humaine

Classé dans : Actualité, Progrès, Société — Miklos @ 12:38

— Bonjour et bienvenue chez notre service d’écoute personnalisée. Tapez étoile.

— J’ai dit : tapez étoile, vous ne comprenez pas le français ? OK, if you don’t speak French, press 2. If you don’t understand this message, type 3.

— Merci. Maintenant, tapez 1 si vous êtes un homme, 2 si vous êtes une femme, sinon tapez étoile.

— Avez-vous des enfants ? Si oui, tapez leur nombre au clavier en terminant par dièse, sinon tapez 0.

— Et le dièse, alors ? Même si c’est 0, tapez-le. On recommence. Avez-vous des enfants ? Si oui, tapez leur nombre au clavier en terminant par dièse, sinon tapez 0.

— Tapez le numéro de votre département suivi de dièse et immédiatement de votre numéro de sécurité sociale suivi d’étoile.

— Veuillez énoncer clairement en articulant bien et en moins de trois mots votre problème. Je vous écoute.

— Je n’ai pas compris. Veuillez énoncer clairement en articulant bien et en moins de trois mots votre problème. Je vous écoute.

— Je n’ai pas compris. Veuillez énoncer clairement en articulant bien et en moins de trois mots votre problème. Je vous écoute.

— Je n’ai pas compris. Veuillez énoncer clairement en articulant bien et en moins de trois mots votre problème. Je vous écoute. Il ne vous reste qu’une tentative.

— Tous nos conseillers sont occupés. Veuillez rappeler ultérieurement. Nos horaires sont : de 8h15 à 8h30 et de 15h15 à 15h20 tous les quatrièmes jeudis du mois. Merci et bonne journée.

Bien que, selon l’Insee, la population de la France n’a de cesse de croître sans pour autant faire baisser celle de la planète, on est confronté à la disparition accrue des humains dans les services. Et comme, nous dit-on, nous sommes entrés de plein pied dans l’ère des services, il y a un truc, là.

Cela a commencé avec la poinçonneuse, et maintenant c’est « il n’y a plus de personne au numéro que vous demandez. » Les robots occupent une place croissante dans la vie quotidienne des quelques humains qui survivent à cette hécatombe : tondeuse à gazon infatigable ; caisse automatique aux frustres formats mais à la doucereuse voix dans les parkings, les banques ou les grandes surfaces ; métro – et maintenant voiture et camion – sans conducteur ; ouvrier qui peut travailler côte à côte avec des humains jusqu’à ce qu’il s’en débarrasse tout à fait, aide à domicile pleine d’empathie pour ses clients âgés, femme de ménage capable de faire la lessive mais pas encore de repasser, enseignant capable d’encourager ses élèves humains à se concentrer, chef d’orchestre qui ne s’énerve jamais et qui n’a pas besoin de partition, médecin au diagnostic imparable ou chirurgien au scalpel plus que précis… Et pour ceux qui se sentent vraiment seuls, les Japonais – qui d’autre ? – viennent d’inventer le minirobot portable, en attendant la prostituée-robot.

Ils sont partout. Et nous, où allons-nous ? C’est contre cette invasion- qu’un certain parti devrait s’insurger, en encourageant l’immigration, celles des humains venus d’autres contrées, pour reconquérir le terrain que nous abandonnons à ces robots par commodité, par indifférence.

Il faut écouter l’UMP…

Classé dans : Actualité, Peinture, dessin, Photographie, Politique — Miklos @ 9:09

Elle n’a eu de cesse de répéter à chaque élection législative :

« Il faut une majorité au Président de la République et au gouvernement qui a été nommé. Pour moi, c’est une démarche spontanée, naturelle. Je ne peux concevoir que l’on reparte sur une cohabitation. C’est du concubinage, du rapport de forces. Cela ne va pas dans l’intérêt de nos concitoyens. » — Josette Cazes, candidate UMP, 2002.

Lors d’une « réunion républicaine » de l’UMP, organisée mardi 29 mai au Havre dans le cadre des élections législatives, le président de la République Nicolas Sarkozy a une nouvelle fois promis d’incarner la « rupture », demandant au Français de lui « donner une majorité » à l’Assemblée nationale afin de mener à bien ses réformes. Devant les 8 000 personnes – selon les organisateurs – rassemblées dans les anciens docks du port du Havre, le président de la République a mis en garde contre « une cohabitation avec son cortège de conflits larvés et de paralysie ». — Le Monde, 29 mai 2007.

Il faut suivre leur conseil et donner maintenant une majorité au nouveau Président de la République.

« Les jeux des enfants ne sont pas jeux ; et il les faut juger en eux comme leurs plus sérieuses actions. » (Montaigne)

Classé dans : Photographie, Progrès, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 1:19

La mare aux canards stagnante du village global. La mare aux canards stagnante de Marshall McLuhan. Qui sont les canards dans la mare stagnante ? Dans tous les cas de figure, j’en fais partie. C’est moi que vous trouverez plongé dans les magazines à deux sous, les bandes dessinées à glacer le sang et les romans populaires pleins d’exploits imaginaires. Demain, vous me trouverez – moi ou mes successeurs – plongé dans les magazines électroniques à deux sous. Dans les fanzines électroniques, la sous-littérature informatisée, l’underground numérique. Dans tous les médias, quels qu’ils soient, qui font vraiment chier Grover Cleveland. Il ne sait pas trop si je ne suis qu’une raclure de caniveau ou si j’appartiens à l’« élite culturelle » – mais dans les deux cas, il ne m’aime pas. Il n’aime pas les cyberpunks. Le fait qu’il n’aime pas les cyberpunks ne vous surprendra pas beaucoup, j’en suis sûr. Mais il ne va pas aimer non plus les bibliothécaires cyberpunks. J’espère que vous ne vous faites pas trop d’illusions à ce sujet.
— Bruce Sterling, Libre comme l’eau, l’air, le savoir (traduction de Free as Air, Free as Water, Free as Knowledge, discours prononcé en juin 1992 devant LITA).

 

S’il est impossible d’empêcher les pneumatiques de fuir, peut-être est-il possible de les empêcher de se dégonfler, ce qui revient pratiquement au même. C’est ce que s’est dit ou a dû se dire un inventeur allemand, M. Bernhard Kraus, de Mayence, avant d’inventer le dispositif original que nous allons présenter à nos lecteurs. Cet inventeur dispose dans l’enveloppe de la roue un pneumatique en forme de saucisse repliée sous forme d’une circonférence, mais dont les extrémités ne se rejoignent pas. Dans le vide ainsi ménagé, il dispose un fort ballon de caoutchouc fonctionnant à la façon d’un soufflet, et communiquant, par des soupapes convenablement combinées, alternativement avec l’air extérieur ou l’intérieur du pneumatique. Chaque fois que, par la rotation de la roue, le ballon est amené à la partie inférieure, le poids du cycliste comprime le ballon et refoule un peu d’air dans le pneu. Lorsque le ballon n’appuie plus sur le sol, il reprend sa forme, aspire de l’air extérieur qui sera refoulé au tour suivant et ainsi de suite jusqu’à ce que la pression à l’intérieur du tubepneumatique soit assez élevée pour que l’air ne puisse
Nature, volume 25. Dunod, Paris, 1896.

29 mai 2012

Life in Hell : coucher sur le papier

Classé dans : Langue, Peinture, dessin — Miklos @ 11:43

Pour oublier ce quotidien, il s’était mis à coucher sur le papier un monde meilleur. — Frédéric Gaillard, « Un sang d’encre », in Nocturnes, les charmes de l’effroi – encre et ténèbres, n° 1. Printemps 2011.

S’il y en a qui se réfugient des déceptions et des turpitudes de ce monde dans le sommeil pour y rêver d’un meilleur, Akbar préfère rêver éveillé, prendre la plume et laisser cours à son sens aigu de l’observation – que certains qualifient fort injustement de râlerie et qu’un sien lointain cousin à la fine moustache appelait paranoïa critique – qui, combiné à une curieuse mémoire sélective mais qui remonte dans le temps bien en deçà de sa propre vie, lui permet de replier le temps et l’espace, de faire des rapprochements incongrus ou de remarquer d’étranges coïncidences, le tout mâtiné d’une imagination incontrôlée parce qu’incontrôlable et dont il ne connaît les ressorts. Mais il n’en a cure : sa curiosité inextinguible s’applique surtout au monde extérieur tel qu’il est ou tel qu’il se le reconstruit.

Ce n’est pas l’inspiration qui lui manque. Les idées arrivent sans aucune régularité et donc imprévisibles et à l’improviste, seules ou accompagnées. C’est un air qui lui revient en mémoire, une image impossible, un mot désuet ou inexistant, une phrase qui ne semble pas faire sens ou une citation célèbre, une expression curieuse. Ce peut être un détail quasi invisible ou un ensemble complexe qui suggère une forme particulière. Une combinaison de sonorités. Une peinture de rue qu’il remarque ou un jeu d’ombres. Un raisonnement imparable basé sur des hypothèses farfelues, ou, à l’inverse, une logique étrange et pourtant convaincante.

Il lui faut d’abord la cerner, s’en saisir, la fixer puis la dégrossir toutes affaires cessantes, sinon elle s’estompe ou disparaît aussi soudainement qu’elle est apparue, telle un nuage fantasque qui n’a de cesse de se transformer avant de s’effacer tel le Chat de Cheshire, ou une bulle de savon ondoyante aux couleurs chatoyantes qu’un enfant poursuit tandis qu’elle glisse dans les airs et qui fait pouf ! au moment où il pensait l’attraper.

Il la prend, l’observe, l’étire, la creuse, la renverse, la noue ou la délie. Il en trouve parfois une autre qui lui fait curieusement écho, et c’est alors cet écho dont il cherche à se saisir.

Jusque là, tout se passe dans sa tête. C’est le passage à l’acte – d’écriture – qui est aussi imprévisible que l’apparition de l’idée. Voire impossible. Mais parfois, sa main se met à écrire toute seule, les phrases s’alignent, des images se présentent pour les illustrer. Ou alors, c’est une image qui se compose et les mots arrivent après.

C’est ainsi que se tisse un bout de tapisserie qui s’empile avec les autres et qu’il retrouve parfois bien plus tard, étonné d’avoir produit cet objet si étranger et si familier à la fois.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

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