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21 juillet 2015

Le grand lion et son petit chien

Classé dans : Littérature, Nature — Miklos @ 13:52


Heinrich Leutemann, „Von den großen Katzen. Menagerie-Bilder. Nr. 5”,
in Die Gartenlaube n° 18, 1863. Cliquer pour agrandir.

«Sous le règne de Guillaume III, roi d’Angleterre, tous les étrangers qui allaient à Londres se rendaient à la tour pour voir le grand lion et son petit chien ; l’affluence du peuple était si grande, que le garde se procura en peu de tems une petite fortune. Cet animal était si prodigieux, qu’on l’appelait le roi des lions. Tandis qu’il se promenait dans les étroites limites de ses États ; il était suivi par un joli petit épagneul noir qui gambadait autour de lui et souvent même le mordillait, tandis que le noble animal, avec un air de complaisance, baissait sa tête formidable, et se prêtait au badinage du roquet. Voici son histoire telle qu’elle a été racontée par le gardien :

Il était d’usage que ceux qui se présentaient pour voir les lions de la tour, lorsqu’ils ne voulaient ou ne pouvaient donner six sous, apportassent ou un chien, ou un chat comme une offrande à l’animal, au lieu d’argent. Un particulier ayant un jour apporté ce petit chien qu’il avait trouvé dans la rue, le jeta dans la cage du lion ; on vit cette petite bête, a demi morte de frayeur, renversée sur le dos, la langue hors de la gueule et les pattes en l’air, en un mot dans une attitude suppliante et semblant demander merci à un si redoutable maître. À ce spectacle le lion, loin de le dévorer ainsi qu’il avait fait des autres, se contenta d’abord de le regarder d’un œil grave, puis s’approchant doucement de lui, de le sentir, de le tourner tantôt d’une patte, tantôt de l’autre, et comme voulant caresser une espèce de joujou qui avait su lui plaire. Le gardien, aussi surpris que les spectateurs, alla chercher le dîner du lion ; alors on vit avec un surcroît d’étonnement ce redoutable animal se retirer dans le fond de sa cage les yeux fixés sur le petit chien, et l’invitant pour ainsi dire, à faire l’essai du met qu’on lui servait. L’épagneul enfin un peu remis de sa frayeur, et sentant son appétit réveillé par l’odeur de la bonne chère, s’approcha d’abord en rampant, et, quoique tremblant encore, se hasarda de manger un peu. Le lion alors s’approcha doucement, mangea avec le petit chien, et le repas finit entr’eux de la manière la plus amicale.

À dater de cet instant, le petit chien devenu cher à son souverain, s’apprivoisa tellement avec lui, que sa familiarité fut poussée au point de risquer de l’impatienter par ses aboiements, et quelquefois même par des morsures ; mais le magnanime lion, loin de jamais en paraître irrité se prêtait avec grâce à toutes les folies de son ami et semblait même l’en aimer davantage. Environ un an après, l’épagneul étant mort d’un poison qu’un autre gardien jaloux de la prospérité de son confrère, lui avait, dit on, administré, le lion d’abord parut croire que son favori dormait un peu trop longtemps, ensuite il le flaira à différentes reprises ; puis le retourna de tous cotés, et enfin, traversant sa cage d’un air inquiet et d’un pas précipité, il revint au petit animal le fixa d’un œil aussi tendre que douloureux, éleva sa superbe crinière et fit entendre un hurlement prolongé qui, pendant quelques minutes, affecta les cœurs de tous les assistant. On tenta sans succès d’ôter de dessous lui la carcasse du petit chien ; on lui offrit vainement les mets qu’il aimait le mieux : on lui jeta plusieurs autres petits chiens ; mais il les mit en pièces, ne voulut essayer d’aucun, et ses rugissements, ainsi que ses efforts pour briser les barres de sa cage, devinrent si terribles que ses forces s’étant insensiblement» épuisées, on le trouva mort le cinquième jour au matin, sur le cadavre de son petit ami. Ils furent enterrés ensemble et vivement regrettés.

Francis Benjamin Gardera, Le lecteur français de la jeunesse, ou Choix d’historiettes morales, anecdotes, fables en prose et en vers, &c, &c., Northampton (Mass), 1826.

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