La Russie à la française
La chaîne Mezzo vient de diffuser un concert dans lequel le chef franco-belge André Cluytens dirigeait d’une main de maître, avec élégance, précision, clarté et intensité Les Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgsky, orchestrés par Maurice Ravel. Sous le bâton de ce très grand chef français mort en 1967, j’ai été frappé de constater que cette œuvre splendide sonnait plus française que d’habitude, non seulement dans ses couleurs si chatoyantes mais pourtant bien moins orientales que celles auxquelles j’étais habitué et que mon atavisme russe attend toujours, mais aussi dans le phrasé plus coulé et policé auquel il manquait l’ombre de la folie et de la violence slaves inscrites dans cette musique, enfin par cette splendide clarté de cristal qui n’est pourtant pas caractéristique des clairs-obscurs dostoïevskiens de l’âme russe. Mais c’était un moment grandiose.
Cluytens restera à jamais pour moi celui qui a donné le meilleur enregistrement du Requiem de Gabriel Fauré, avec Victoria de Los Angeles et Dietrich Fischer-Dieskau et l’orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, qu’il préférait, et a dirigé de 1942 à sa mort. Œuvre de tristesse apaisée, intérieure et recueillie.
La cantatrice Anja Silja qui l’avait connu depuis 1963 et qu’il a aimée après le décès de Wieland Wagner avec lequel elle avait vécue, raconte qu’il était « élégant, raffiné, délicat, poétique », ce qui ne veut pas dire maniéré. Elle ajoute : « C’était un chef extraordinaire, l’un des plus grands que je connaisse. Pas seulement dans sa façon de diriger, mais en tant qu’homme. Les relations entre un chef et son orchestre ne sont pas toujours simples. Lui ne travaillait jamais en force, n’élevait jamais la voix. Il n’y avait jamais de conflit. Il demandait très poliment : “S’il vous plait, pourriez-vous jouer ceci comme cela ?” C’était un “grand seigneur”. »
Oui, étonnamment, je partage cette impression. Quelque chose de français dans le son de cet orchestre si particulier. Que l’on entend dans ses enregistrements d’opéra, aussi : les Contes, le Boris avec Kristoff.
Bien le bonsoir, mon cher.
Commentaire par furt — 7 mai 2005 @ 22:39