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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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7 mai 2020

Apéro virtuel XLVI : des réseaux et des labyrintes de tous ordres ; et encore : de l’amitié

Classé dans : Actualité, Arts et beaux-arts, Société — Miklos @ 18:24

L’apéro de ce soir a pris une tournure quelque peu différente des précédents : si la plupart des présents se trouvaient chez eux, souvent à proximité d’un verre garni de liquides de couleurs variables, l’un de nous – François – se promenait dans son quartier (dans le rayon autorisé) et nous faisait partager, selon son parcours et en filigrane des autres interventions, les bâtiments notables devant lesquels il passait, l’un d’eux d’ailleurs ayant un rapport avec un des auteurs cités (à tort) la veille.

Fidèle à la thématique de l’amitié, Jean-Philippe a commencé par la lecture de deux lettres du peintre Eugène Delacroix à son ami de toute une vie, Achille Piron, dont il fera plus tard son légataire universel : ils avaient fait connaissance au Lycée impérial (aujourd’hui Louis-le-Grand) où ils étaient tous deux entrés en 1806, âgés de 8 ans. Dans la première lettre, datée du 20 août 1815 (ils avaient alors 17 ans), il relate à son ami – auquel il écrira le lendemain, en post scriptum d’une autre lettre, « Je t’aime de tout mon cœur » – avoir perdu la tête au moment d’avoir revu « après des siècles, un objet qu’on croyait avoir aimé et qui était presque entièrement effacé du cœur », se décrivant en train de bâtir « des châteaux de chimères et [...] divaguant et extravagant dans la vaste mer de l’illusion sans bornes et sans rivages ». Il conclut ainsi cette lettre à son ami : « je ne suis pas encore amoureux : mais c’est à toi à décider si je dois le devenir ou non »… Cette lettre illustre de façon frappante les différences entre l’amitié absolue, l’état amoureux et la passion fantasme. Dans la seconde lettre, écrite quatre ans plus tard à ce même ami, il lui parle d’un autre ami : le livre, à propos duquel il écrit entre autres : « Les livres sont de vrais amis. Leur conversation silencieuse est exempte de querelles et de divisions. Ils vous font travailler sur vous-même, et, chose rare dans les discussions avec les amis de chair et d’os, ils vous insinuent tout doucement leur avis, et vous font goûter la raison, sans que vous vous regimbiez contre son évidence et sans que vous ayez l’air d’être vaincu à vos propres yeux. » L’une de ces deux lettres est extraite d’une anthologie de lettres intitulée Lettres vives. La correspondance, et l’autre trouvée sur Internet. On les trouvera aussi dans Lettres intimes d’Eugène Delacroix, publié par Gallimard en 1954 et réédité (même choix?) en 1995. À une question de Michel, Jean-Philippe a répondu qu’il ne savait pas ce qu’il était advenu de la passion amoureuse dont parle Delacroix dans la première lettre.

À propos de « lettre trouvée sur l’internet », Michel mentionne une citation donnée lors du précédent apéro et attribuée à Diderot : c’est en effet ce qu’on trouve (et même sur des sites « sérieux », ici celui de Ouest-France, là sur celui du Monde ! hélas…) en effectuant une brève recherche. Il a même demandé à Jean-Philippe s’il était certain de l’attribution de la seconde lettre qu’il avait lue, trouvée sur internet (et dans Facebook, même ! lieu de bien de turpitudes…), à quoi ce dernier a répond qu’elle était datée du 20 août 1815 – mais tout le monde peut mettre n’importe quelle date sur n’importe quel texte (ce qu’on a fait pour le pastiche du pastiche de la lettre de la célèbre marquise). Il a recommandé de consulter quelques bibliothèques numériques sérieuses, provenant de la numérisation d’ouvrages papier publiés ces quelques derniers siècles, à l’instar de :

  • Gallica (de la Bibliothèque nationale) ;

  • l’Internet Archive : les ouvrages proviennent aussi principalement de fonds sérieux ; en ce qui concerne les fonds contribués par « la communauté » (et identifiés comme tels), on y trouve de tout et souvent du pire (à l’instar de films de propagande néonazis..) ;

  • Google Books : on peut penser ce qu’on veut de Google, mais ce qui s’y trouve – consultable en version intégrale ou non selon les dates de publication – provient de sources référencées ;

  • en ce qui concerne des ouvrages principalement en anglais, la British Library ou Hathy Trust ;

  • Europeana pour des fonds partagés de bibliothèques, archives et musées européens (et donc souvent dans leurs langues res­pec­tives).

Sur ces entrefaites, François nous a montré la fontaine Molière (rue Thérèse) devant laquelle il passait, et nous a lu une plaque – de circonstance, il s’avère ! – apposée sur un immeuble à proximité : « Diderot, philosophe et littérateur, principal auteur de l’Encyclopédie, né à Langres, le 5 octobre 1713, est mort dans cette maison, le 31 juillet 1784. » Il s’agit de l’ancien hôtel de Bezons, que Catherine II avait loué pour Diderot, au 39 de la rue de Richelieu. En face, au numéro 40, une autre plaque porte : « Ici s’élevait la maison où Molière, né à Paris le 15 janvier 1622, est mort le 17 février 1673. » (l’immeuble actuel date de 1765). À ce propos, on a évoqué le fait que Molière était né simultanément dans plusieurs endroits distincts : 96 rue Saint-Honoré, 33 rue Pont-Neuf… En ce qui concerne de telles plaques, Françoise (C.) nous a montré son exemplaire du livre Sur les murs de Paris. Guide des plaques commémoratives d’Alain Dautriat, et qui en reproduit deux mille, parmi lesquelles cinq concernant Molière. Ensuite, François nous a montré un vieux tacot qui a rappelé à certains d’entre nous les taxis G7 d’antan. Françoise (P.) a raconté qu’elle en prenait un tous les jeudis, et qu’il y avait une vitre entre les passagers assis à l’arrière et le conducteur. Jean-Philippe a rappelé le terme « cab «  qui dénotait cette cabine du conducteur et dont il avait récemment parlé. Enfin, François nous a montré une dernière plaque, au 9 rue de Beaujolais : « Dans cette maison, Colette a vécu de 1927 à 1929 et de 1938 jusqu’à sa mort, le 3 août 1954. » Il devrait y avoir un nombre élevé de plaques la concernant, au gré de ses multiples déménagements…

Françoise (C.) nous a lu un dialogue qu’elle venait de recevoir par mail, celui opposant Virus et Chloroquine, et inspiré de Racine, que l’on trouvera ici à la suite d’un « Ô rage, ô désespoir, ô virus ennemi » fortement cornélien, tous deux de la plume de Philippe Zard.

Michel a alors projeté un diaporama consacré tout d’abord à l’étymologie et à l’évolution des sens du mot réseau, puis à une liste des quelques principaux réseaux informatiques qui se sont succédé jusqu’à la victoire de l’internet sur tous ses prédécesseurs et/ou concurrents. Il a terminé cette partie de sa présentation par le mot « nable » (vous en connaissez Bouchon qui ferme le trou de vidange percé dans le fond d’un canot ; p. méton., ce trou lui-même.le sens ?), non pas tellement à cause de sa signification, mais pour Réseau… nableune raison que Jean-Philippe a été le premier à trouver, et qui faisait écho à la proposition initiale de la thématique de cette soirée, « réseaux – raison », suivi par la citation fort à propos du Devil’s Dictionary d’Ambrose Bierce, illustrant la fin de ce compte-rendu, et enfin une devinette sur la preuve de l’origine du SARS-CoV-2 dans l’empire perse, entre 559 et 539 av. J.-C. (bon, C’est parce qu’entre ces années y régnait VI-rus (VI = 6…).OK…).

À ce moment, François se trouvait devant non pas le bœuf sur le toit, mais le veau sur le toit : il s’agit en fait de la devanture d’un fromager, La Fermette (au 86 rue Montorgueil), au sommet de laquelle trône un jeune bovin.

Sylvie a alors pris la parole, en mentionnant que ce veau faisait une liaison parfaite avec l’histoire de taureau qu’elle allait nous raconter, et pas n’importe laquelle : il s’agissait de la légende de Minos et de Pasiphaé, punis par Neptune de ne pas lui avoir sacrifié un magnifique taureau blanc : Pasiphaé s’éprend dudit taureau et ils mettent au monde le Minotaure, que Thésée va finalement tuer, tombant amoureux d’Ariane, fille (humaine, elle) de Minos, mais qu’il abandonnera sur une île, et rentre en bateau chez son père, Égée, qui lui avait demandé de mettre un drapeau blanc en cas de victoire. Thésée ayant la tête ailleurs, c’est le voile noir qui flottait dans l’air, et Égée se jette dans la mer. Thésée devient le roi d’Athènes (on peut se demander si ce n’était pas ce qu’il voulait, en fait, et qu’il avait la tête sur les épaules). Par coïncidence, le fond d’écran de Michel illustrait cette légende – lui comme Sylvie ayant fait l’association réseau – labyrinthe. Jean-Philippe a montré une jolie statue de Minotaure en sa possession.

François arrivant alors à la place des Victoires, Michel a demandé à la cantonade si quelqu’un savait quelles étaient les statues qui entouraient par le passé celle de Louis XIV à cheval. François a répondu qu’il s’agissait en fait des quatre nations enchaînées (appelés Quatre captifs, ou Quatre Nations vaincues) se trouvant au musée du Louvre. La statue du roi, ayant été fondue à la Révolution, celle actuellement présente sur la place date de 1816.

À l’occasion de l’anniversaire de feu son mari, Françoise (P.) a parlé de deuil et d’amitié : il est plus facile en général de faire son deuil d’une personne disparue que d’une amitié rompue. Quant aux réseaux : à l’occasion d’un anniversaire de son mari, c’est avec l’aide de réseaux sociaux que Françoise et sa fille sont arrivés à identifier un correspondant allemand de son mari (dont elles ne connaissaient même pas le nom) qu’il adorait, et à le faire venir avec sa femme à la fête organisée en la circonstance.

L’apéro s’est terminé par une promenade (virtuelle) grâce à François devant la Bourse, qui n’a plus aucune activité boursière, cette dernière étant devenue aussi virtuelle. Jean-Philippe a dit alors que la mairie de Paris avait l’intention de transformer le bâtiment en un musée de l’activité économique…

Sur ce, après avoir levé le coude, on leva la séance.

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