Notes sur la Côte d’Azur, par Alphonse Allais (1899)
«
… Le docteur australien nous en a raconté une bien bonne, ce matin, au déjeuner.
On parlait de la grande discussion qui passionne, en ce moment, certains milieux :
« Est-il indispensable que les médecins sachent le latin pour vous prescrire un gramme d’antipyrine ou pour vous couper la jambe ? »
— Cette discussion, dit le docteur, me rappelle le plus extraordinaire pharmacien que j’aie vu de ma vie. En voilà un qui n’avait pas fait son éducation à Oxford ni à Cambridge, ni même à Cantorbery, comme Max Lebaudy ! Il ignorait le latin, le grec et n’était pas bien reluisant sur l’orthographe anglaise… Ceci se passait dans une petite ville d’Australie de fondation récente. Notre homme… s’était établi apothicary, comme il se serait établi marchand de copeaux, tout simplement parce qu’il n’y avait pas d’apothicary dans le pays. Ses affaires prospérèrent assez bien, d’ailleurs. Au cours d’un voyage qu’il fit à Melbourne, le potard improvisé remarqua une magnifique pharmacie sur la devanture de laquelle était peinte cette devise latine : Mens sana in corpore sano, qui le frappa fort. À son retour, il n’eut rien de plus pressé que d’orner sa boutique de cette merveilleuse sentence qu’il élargit à sa manière, et bientôt les habitants de Moontown purent lire, à leur grand ébaubissement, cette phrase en lettres d’or :
Mens and Womens
Sana in Corpore Sano.
»(Mens and womens, en dépit d’une légère faute d’orthographe, bien excusable aux antipodes, signifie hommes et femmes.)
Les illustrations, rajoutées pour cette publication en ligne, sont le fruit de Miklos.