Latin fantaisiste, par Georges Maurevert (1928)
Caesarem legato alacrem eorum. Sumpti dum est hic apportavit legato.
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«L’autre jour, au cercle, de vieux bacheliers, licenciés, voire docteurs ès-lettres, que la vie a mués en avocats, médecins, avoués, notaires, professeurs… ou rentiers, s’amusaient à se pousser des « colles » de potaches. L’un d’eux, par exemple, qui portait à la boutonnière le macaron de notre Ordre national, n’avait pas honte de solliciter hypocritement la traduction de cette phrase d’apparence impeccablement latine : Sumpti dum est hic apportavit legato alacrem eorum.
Et des hommes sérieux, chenus, ne craignaient pas de chausser leurs besicles, et d’appeler à eux tous leurs souvenirs classiques, le Père Sengler, et Noël comme Chapsal. Au bout d’un instant, les prenant en pitié, le questionneur fournit cette traduction :
« Son petit domestique apporta vite les gâteaux à la crème et au rhum » !…
Quies quiam angelum lætorum? Cædes quos ac quiem laurum.
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Un autre membre, ex-président du tribunal civil, se piqua au jeu et de-manda la traduction de ce distique qu’il prétendait avoir trouvé aux marges d’un Gradus ad Parnassum :
Quies quiam angelum lætorum? Cædes quos ac quiem laurum.
Question et réponse se « traduisaient » ainsi :
« Qui est-ce qui a mangé l’omelette au rhum ? C’est des cosaques qui aiment le rhum. »
Seu quo templa curiosi te appella vir oves Tibulli mobile solido post
similiter causaque ego ambo te fumant cum de suis.
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Et de rire !… Ces petites drôleries excitèrent la verve d’un vice-président qui soumit à la docte assemblée ce texte impressionnant :
Seu quo templa curiosi te appella vir oves Tibulli mobile solido post similiter causaque ego ambo te fumant cum de suis.
Tibulle lui-même, dont il est ici parlé, en eût perdu son latin, bien qu’il eût pu reconnaître tous les mots de sa langue. Cette macaronée équivaut à ceci :
« Ceux qu’au temple la curiosité appela, virent au vestibule, immobiles et solides au poste, six militaires cosaques, égaux en beauté, fumant comme des Suisses. »
Alors, ce fut une joyeuse émulation d’insanités, une ruée vers la version la plus baroque. Quelqu’un envoya chercher le petit Larousse. On l’ouvrit aux pages roses, et chacun proposa une traduction subsidiaire aux séculaires citations. Jugez-en plutôt par ces spécimens :
Audaces fortuna juvat. « Les audacieux font fortune à Java. »
Non licet omnibus adire Corinthum. « Non, Lisette, vous n’irez pas en omnibus à Corinthe. »
Numero Deus impare gaudet suscita deux traductions : d’abord, une adresse : « N° 2, impasse Gaudet » — ensuite, cette opinion discutable : « Le numéro deux se réjouit d’être impair » !
Apparent rari nantes in gurgite vasto.
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Virgile eût, sans aucun doute, trouvé singulière cette application de son vers de l’Enéide : Apparent rari nantes in gurgite vasto, qui devient, sous l’inspiration de nos beaux esprits : « Il paraît qu’à Nantes les rats rient à gorge déployée. »
Si vis pacem para bellum détermina cette phrase anti-locarnienne : « Si tu veux vivre en paix, paie-toi un bel homme. »
Et c’est peut-être le directeur des postes qui souffla cette translation osée : « Le commis des postes est un animal triste » d’une citation paraphilosophique que ma chaste plume s’oppose positivement à rappeler.
Tot capita, tot sensus, recueillit l’unanime adhésion : « Autant de capitalistes, autant de sangsues » ; — parallèlement avec Motu proprio qui devint « Silence, propriétaire ! »
Sol licet omnibus devint naturellement : « Le soleil éclaire les omnibus » — alors que Panem et circenses se mua en cette devise de décrotteur : « À Paname on cire sans cesse !… »
Des gastronomes soutinrent que Ora pro nobis signifiait : « On aura deux fois des pruneaux » — que Summum jus, Summa injuria correspondait à « Le jus de saumon, c’est la suprême injure » ; que Carpe diem annonçait que « la carpe est du jour » ; et qu’enfin l’expression d’Ovide : Rudis indigestaque moles pouvait parfaitement faire entendre que « le radis mou est indigeste ».
À nouveau Virgile eût été fort surpris que la phrase qu’il met dans la bouche de Laocoon : Timeo Danaos et dona ferentes, fût ainsi translatée : « Je crains les Danois et Dona Ferentès» (une grande dame espagnole, sans aucun doute !…)
Impavidum ferient ruinæ.
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Quant à cette pensée d’Horace : Impavidum ferient ruinæ, ces messieurs en composèrent ce bref dialogue de péripatéticiennes : « Hein pas vu d’hommes ? — Fais rien… Ruinée !… »
Mme Lavichère elle-même n’eût pas réprouvé cette explication de Labor omnia vincit improbus : « Le laboureur peut tout faire sans probité » — non plus qu’un directeur de music-hall, cette traduction de Non liquet : « Sans chemise ! » ou celle de Pro forma : « Pour les formes ! »
Et l’on rappela l’indignation de ce brave militaire en écoutant un prône où les secula se mêlaient obstinément aux secundum…
Enfin, un collègue belge rappela qu’il existe sur la grand’place de Bruxelles un édifice appelé « Broodhuys », c’est-à-dire la Maison de pain, qui porte en lettres capitales la suivante inscription : A peste, fama et bello, libera nos, Maria pacis, ce qui veut dire : « De la peste, de la famine et de la guerre, délivre-nous, Marie de paix » — mais que M. Beulemans préfère ainsi traduire : « Ah ! peste ! la femme est belle ! Libre à nous de la marier à »Pâques ! »
Si vous le voulez bien, nous en resterons pour aujourd’hui sur cette version sensationnelle.
Les illustrations, rajoutées pour cette publication en ligne, sont le fruit de Miklos.