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6 septembre 2010

Le grand absent

Classé dans : Actualité, Cinéma, vidéo — Miklos @ 23:05

S’il y a une excellente raison d’aller voir Des hommes et des dieux qui sort sur les écrans mercredi, c’est bien le jeu en tous points remarquable des acteurs : en premier lieu celui de Michael Lonsdale, et secondairement, de Jacques Herlin, mais aussi celui, collectif, des huit principaux protagonistes. Ce film, lauréat du Grand prix du Festival de Cannes 2010, relate un fait réel, la longue marche vers la mort d’une communauté de moines trappistes dans l’Atlas aux prises avec le terrorisme dans les années 1990.

Le scénario « colle » à l’histoire tel que la relate Dom Armand Veilleux en 1996, après leur enlèvement et peu avant leur assassinat. Il montre avec sensibilité les relations de la communauté avec le monde extérieur – les habitants des environs tous aussi affectés par la terreur, les terroristes devant lesquels le supérieur, interprété par Lambert Wilson, ne plie pas sans pour autant les rejeter quand ils viennent demander une assistance médicale – et entre eux, en tant que communauté, alternant doutes et peur du futur, foi en Dieu et espoir en un monde meilleur, ou, tout simplement, la conviction que leur choix de vivre ici est inéluctable et qu’un berger n’abandonne pas son troupeau lorsque survient le loup.

Ce qui dérange dans le film c’est… l’image. Elle frappe par sa trop grande beauté : que ce soit les immenses et splendides paysages ou les scènes intimistes telle celle entre frère Luc (Michael Lonsdale) et une jeune fille au beau visage qui l’interroge sur la découverte de l’amour, voire celles de recueillement des moines parfaitement habillés de leurs blancs surplis dans leur chapelle, cette perfection est trop contradictoire avec l’idéal d’humilité de la vie monastique, et avec la pauvreté de la population locale (contraste qui rappelle, mutatis mutandis, celui de l’esthétisme des corps égorgés lors de la Saint Barthélémy dans La Reine Margot de Patrice Chéreau).

Le film est aussi trop explicite : dans sa construction (les alternances régulières de l’événement et des scènes de prière collective dans la chapelle), dans son symbolisme (les rayons de soleil frappant l’un des moines à travers un vitrail de la chapelle), et surtout dans sa profusion d’allusions et de références volontaires ou non (le corps du terroriste soigné par les moines suggère lourdement, par sa plastique, son voilage et sa perspective le célèbre tableau de Mantegna, l’expression gradu­el­lement joyeuse des moines au début de leur cène rappelle celle des convives du dîner dans le Festin de Babette à la différence qu’ici elle se décomposera au cours du repas de façon un peu trop mélodramatique, leur longue marche en file dans la neige fait écho aux Aveugles de Pieter Bruegel…).

Mais revenons aux acteurs, principal atout du film. La caméra sait nous faire voir toute la gamme d’expressions de leurs visages ravinés par l’âge, de leurs yeux cernés et soulignés par de lourdes poches qui cherchent à voir au-delà de la réalité et contrastant avec celui, lisse et presque trop beau, de Lambert Wilson dans le rôle du supérieur, qui, après un temps d’hésitation, poursuivra avec une conviction inébranlable son chemin, entraînant avec lui sa petite communauté au-delà de leurs doutes.

Le grand présent est Michael Lonsdale, dans le rôle du médecin des uns et des autres ; fatigué par son grand âge et son asthme, épuisé par le nombre de consultations croissant qu’il donne inlassablement chaque jour (150 !), il émane de son jeu très subtil une force spirituelle tout à la fois simple, discrète, et éminemment solide, une bonhomie tendre et affectueuse.

Le grand absent est Dieu, vers lequel les regards des moines se tournent, pour tenter de comprendre, de l’entendre. Il n’en fera rien. Le seul signe venant du ciel sera un hélicoptère tournoyant de façon menaçante au-dessus du monastère. Les moines finiront par disparaître lors de leur ascension finale vers leur calvaire.

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