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10 novembre 2005

C’est Boulez qu’on assassine

Classé dans : Musique — Miklos @ 2:05

J’ai parlé ailleurs de la malédiction du Châtelet. Pourtant, c’est dans cette salle que j’avais découvert Wagner, à peine adolescent et grâce à mon professeur de piano, lors de concerts pour les jeunes, qui s’y tenaient le dimanche à 11h du matin ; étaient-ce les concerts Colonne, dirigés parfois par Pierre Dervaux ? Wagner soulevait mon enthousiasme juvénile pour sa musique bien plus que pour les ébats de ces centaures féminins qu’étaient les Walkyries armées et cravachées telles qu’on les voyait sur les couvertures des magazines du début du siècle dernier que je trouvais dans les armoires de mes quasi grands-parents et que je dévorais avec délectation. Je ne connaissais alors rien du personnage et de la récupération de ses œuvres, et mes parents se gardaient bien d’influencer mes choix : ils proposaient, je disposais. Quelques années plus tard, habitant alors en Israël, je découvris le profond ressentiment, rationnel ou non, que ce compositeur provoquait. Je ne l’ai plus écouté que rarement, nous devions bien avoir un ou deux 33T comprenant le hit parade de ses œuvres : la Chevauchée des Walkyries, l’ouverture du Vaisseau fantôme (que j’aimais beaucoup). Avec le temps, mes goûts musicaux m’avaient porté ailleurs, de toute façon, et je n’étais plus attiré par ces paroxysmes, ni d’ailleurs par la mythologie omniprésente. Il y avait bien quelques productions que j’aurais aimé voir (celle de Boulez/Chéreau, dont la vidéo ne peut donner qu’une bien pâle idée, ou celles, historiques, des Fürtwängler, Knappertsbusch et autres, mais je n’avais pas l’âge), mais voilà, il fallait des moyens que je trouvais démesurés pour y assister.

Depuis, il m’était arrivé d’assister – rarement – à des concerts au Châtelet, sur des sièges souvent inconfortables ou avec « visibilité réduite », et je me détournai aussi de cette salle, lui préférant de loin celle du Théâtre de la Ville qui lui fait face. C’est donc avec grand plaisir que j’avais assisté, il y a quelques semaines, à la répétition générale de La Walkyrie sous la direction d’Eschenbach – qui est d’ailleurs loin d’être mon chef préféré : j’étais tout d’abord très curieux de voir l’opéra (que je n’avais jamais vu) ; de le voir dans la mise en scène de Bob Wilson (dont j’avais tant aimé Alcestis en 1982 ou Einstein on the Beach en 1992, puis m’étais lassé de ce qui me semblait devenu un procédé au succès assuré, mais qui avait cessé de me fasciner).  ; mes goûts avaient-ils évolué ? J’étais disposé à me laisser convaincre, j’y suis allé sans réels préjugés, mais sans avoir oublié ce que j’avais vu et entendu.

Les places que j’avais reçues étaient sans conteste excellentes, au centre de l’orchestre, à l’aplomb du premier balcon, là où l’on trouve en général la crème de la crème du tout-Paris : visibilité parfaite, son excellent. C’était la réussite de la soirée. Quant à l’œuvre, je ne regrette pas de l’avoir finalement vue ; au-delà du fatras mythologique de ce rififi au Walhalla, c’est un opéra qui touche à quelques thèmes éternels : la lutte des hommes pour le contrôle et le pouvoir sur les autres hommes ; la relation de couple ; la relation parent-enfant, celle où le premier cherche à mettre au monde celui qui accomplira ce que lui n’a pu faire ; l’amour plus fort que la morale, dans la fratrie et, extrêmement, dans la gémellité. En ce qui concerne la mise en scène, pas de surprise, finalement : Wilson est (trop) égal à lui-même, reprend des images éprouvées auparavant (j’ai une excellente mémoire visuelle), alternant entre le ridicule (comment qualifier autrement une scène dans laquelle Siegmund chante à Sieglinde « laisse-moi contempler ton visage » en lui tournant le dos, cette dernière semblant être perpétuellement en train de se changer dans une cabine d’essayage portative, ou un groupe de Walkyries anorexiques ?) et le (trop rare) sublime. Quant à l’interprétation, binaire pour le chef, inégale pour les artistes.

Ce soir, j’avais été invité au concert qui s’y donnait au bénéfice de la Médiathèque musicale Mahler, lieu merveilleux qu’il faut connaître pour ses richesses insoupçonnées. Boulez allait diriger, j’étais impatient d’y aller ; le programme ne pouvait manquer de plaire au public d’un tel concert (auquel on n’aurait pu vraiment vendre du Webern) : Ma Mère l’Oye de Ravel, trois Nocturnes de Debussy (Nuages, Fêtes et Sirènes), et, pour finir, L’Oiseau de feu (ballet intégral) de Stravinski. Sous sa direction, qui sait faire ressortir le diaphane sans sombrer dans le maniérisme, qui suit les lignes de force des œuvres sans effets de manche, qui sait être précise sans mécaniser l’interprétation, ces œuvres prendraient toute leur mesure.

Je me suis rarement autant ennuyé : je ne comprenais pas ce que j’entendais, un orchestre plat, sans relief, à la dynamique étrange : impossible d’entendre les pianissimi, tout sonnait du même acabit – sauf, parfois, les cuivres ou les tutti dans Stravinski. Je n’avais jamais entendu ça sous la direction de Boulez. Il me fallut du temps pour comprendre ce qui se passait : ma place était d’apparence très bonne : à l’orchestre, visibilité parfaite, mais elle se trouvait à quelque deux mètres de retrait sous le balcon, de côté, et l’effet en a été dévastateur. Il me semblait percevoir le son comme parvenant du fond d’un entonnoir, directement des instruments, sans aucun effet de salle. En plus – ce que me confirma un collègue qui avait assisté à la générale assis dans des conditions similaires – ce type de place semble filtrer les fréquences, en en éliminant les basses et les hautes… Il n’y eut que le finale de L’Oiseau de feu qui permit d’apprécier à une plus juste mesure l’interprétation.

Elle est maudite, celle salle.

Post scriptum (15/11/2005)

Dans sa critique de ce concert publiée dans Le Monde du 12 novembre, Renaud Machart écrit :

Ce 9 novembre, au Théâtre du Châtelet, c’est un soir « sans ». Les cinq pièces de Ma mère l’Oye défilent dans un son ténu, contré, contrit. C’est un Ravel bonsaï, atone, sous cloche de verre. On se dit que c’est une option et que cela ne mettra que plus en valeur les colorations dionysiaques de ce qui suit, les Trois nocturnes de Debussy. La déception y est encore plus forte : cela ne « décolle » jamais. L’inéluctable progression du fameux cortège de trompettes, dans « Fêtes », avance par gradations calculées, artificielles. C’est si corseté et tendu que l’une des trompettes « accroche ».
 
Dans le ballet complet de L’Oiseau de feu, de Stravinsky, la direction sans saillances ni liés de Boulez donne l’impression qu’il ne se passe rien pendant la première demi-heure des 45 minutes de la partition. On se prend à regretter la danse.

Ce n’était donc pas qu’un effet de ma place dans la salle, ou est-ce l’effet Machart…?

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