« Tout se perd fors que le bien fait », ou, quelques conseils aux puissants passés, présents et surtout à venir
Seigneurs, pas n’êtes d’autre aloi
Que le pauvre peuple commun.
Faîtes-vous sujets à la loi,
Car certes vous mourrez comme un
Des plus petits, ne bien aucun
Pour vrai ne vous en gardera.
Chacun son âme à garder a.
Mais quand un prince fait devoir
D’œuvrer en sa vacation,
Selon sa puissance et savoir,
Laissant toute vacation
Et mauvaise application,
On ne le peut trop honorer.
Le prince est fait pour labourer.
Non pas du labours corporel,
Ainsi que les gens de village,
Mais gouvernant son temporel
Loyalement, sans aucun pillage.
Avoir ne doit le cœur volage,
Soit attrempé, net, chaste et sobre.
La fin des pécheurs est opprobre.
Si pape, empereur, rois et ducs
Aimaient bonté en tous endroits,
Tels ont été et sont perdus
Par non tenir les chemins droits
Qui connaîtraient vertus et droits
En prenant à eux exemplaire.
Plus doit que folie sens plaire.
…
Peuple, savez-vous pourquoi est-ce
Que vous avez seigneurs divers ?
Je vous en donnerai adresse
En moins langage que dix vers.
Rebelles êtes et pervers,
Pécheurs, vers Dieu pleins de barat1 ;
Et pourtant à mau chat mau rat.
…
Nous tenons une femme à folle
Qui son corps et son honneur vent
Pour argent ; mais ceci m’affole
Car vous faites pire souvent.
Vos langues tournent comme vent
Au plus donnant, c’est grand diffame.
Il perd assez qui perd son âme.
Jean Meschinot, Les Lunettes des princes.
Éditions : de 1522, de 1890 (avec préface, notes et glossaire).
1 « Vieux mot français, & hors d’usage, qui signifiait autrefois tromperie, fourbe, mensonge. » — Jacques Savary des Brûlons, Dictionnaire universel de commerce, Paris, 1723.