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1 août 2006

Nestor et la script girl négligente

Classé dans : Cinéma, vidéo, Shoah — Miklos @ 18:30

Pour le chrétien que trouble la chose juive, un ghetto est toujours plein d’énigmes. Celui de Paris est enjolivé d’enseignes ravissantes, de réclames pour pensions yddisch de Deauville, d’affiches relatives à quelque théâtre juif, rehaussées de ferrures et d’ornements architecturaux. C’est un département humain immonde et splendide, peint, criard, ouvragé, rembourré de richesses clandestines, d’accumulations singulières, d’où partent des cours et des ruelles difformes et fangeuses, de sentiers de maison puantes, bordées de magasins dont les inscriptions hébraïques composent un paysage graphique aussi biscornu que ténébreux. Léon-Paul Fargue, Un Piéton de Paris, cité par Nina Gorgus.

Ténébreux indeed. Ce n’est que le zapping fortuit d’une après-midi pluvieuse de vacances qui donne l’occasion de tomber sur les exploits de Nestor Burma et de Florimont Faroux, l’archétype du couple détective privé – commissaire de police, à l’instar de Poirot et de Japp ou de Sherlock Holmes et de Lestrade (voire du trio, si l’on compte leurs assistants Zavatter, Hastings et Watson). L’humour généralement fin et parfois guilleret mais jamais vulgaire, le décor réaliste et quelque peu désuet des années 50-60 en clair-obscur, le jeu au second degré de chat et de souris de Guy Marchand et de Pierre Tornade – excellents dans leur caractérisation truculente et intelligente des personnages, l’un fin et l’autre enrobé – leur donnent un air très frenchie, léger et pétillant : tout est dans l’atmosphère et dans les détails, et les détails y sont soignés, sans pour autant être cousus de trop de fil blanc.

Pourtant, c’est par là que péchait l’épisode diffusé aujourd’hui (« Du Rebecca rue des Rosiers ») et réalisé par Maurice Frydman. L’intrigue se passait dans le vieux quartier juif du Marais (avec un clin d’œil anachronique amusant à sa faune de nuit actuelle), plus connu par les cognoscenti sous le nom de pletzl. Y convergeaient les fils d’une histoire de déportés et de miliciens, de nazis réfugiés en Amérique du sud et de trafiquants, pour culminer en meurtres et enlèvements. Jusqu’ici, rien d’inhabituel pour le genre.

Mais voilà. Burma découvre dans le sac d’Esther Abramovitch assassinée (à l’aide d’un poignard nazi, indice très subtil surtout lorsqu’il s’agit d’une victime juive dans le Marais) une grosse clef à laquelle est attachée une étiquette portant une inscription qu’il ne peut déchiffrer. Non seulement c’est de l’hébreu pour lui, ça l’est pour tout le monde, puisque c’est la langue dans laquelle sont écrits ces quelques mots. C’est la fille des Blums, patrons de la librairie Bibliophane de la rue des Rosiers, qui la lui lira : 7 rue Vieille-du-Temple (quasiment au coin de la rue du Renard). Or l’œil d’un hébraïste averti aurait remarqué qu’elle indiquait 7 rue du Bourg Tibourg… Même quartier, mais pas du tout la même maison : cette dernière se trouve près de la rue du Roi-de-Sicile. Et pourtant, la clef ouvrira la porte d’une cave rue Vieille-du-Temple (immeuble tagué de graffiti plus années 90 que 60), où Burma découvrira une partie du pot aux roses.

Quant à l’enveloppe de la lettre envoyée de Caracas à la poste restante de la rue de Moussy à l’intention de Mr Ramovi (le Moriarty de l’affaire), elle n’indiquait même pas le pays. Comment aurait-elle pu arriver à temps pour permettre à Burma de l’intercepter sous le nez de son destinataire et de subtiliser les trois millions de dollars que la belle Sheila devait remettre à Ramovi ? Ce milicien, tortionnaire à l’infâme 93, rue Lauriston (siège de la « Carlingue », ou « Gestapo française », durant l’occupation) et assassin alors comme aujourd’hui, avait la curieuse mais commode habitude de s’installer dans les résidences de ceux qu’il éliminait (grâce à quoi Burma le retrouvera facilement avant la fin des quatre-vingt-dix minutes de cet épisode) – à commencer par la cave d’Abramovitch pour finir par l’appartement du journaliste trop curieux qui l’avait traqué : Esther était sa petite amie, et elle voulait savoir ce qu’il était advenu à son grand-père.

D’ailleurs, on peut se demander (on ne le saura jamais) pourquoi Ramovi avait tué Abramovitch en 44, tandis que l’intrigue fait comprendre qu’il l’avait protégé en tant qu’« assurance vie » pour l’après-guerre (s’il avait un ami juif, il ne pouvait pas être si pourri que ça), mais on en n’est plus à une contradiction près, et ça ne change rien au suspense. Et les trois millions ? Burma devait les remettre à leur légitime propriétaire, un truand vénézuélien auquel Ramovi les avait subtilisés et qui tenait Hélène, la secrétaire de Burma, en otage. Il fera d’une pierre deux coups : il laisse Florimont cueillir la fleur de la pègre sud-américaine, et donne le gros du pactole, après y avoir prélevé ses frais, aux Blums (qui avaient adoptés Esther, vous suivez toujours ?) pour leur permettre de partir s’installer en Israël, ce qu’ils souhaitaient faire après ces malheureux événements.

Et cet épisode plein de bruit et de fureur se clôt sur une bonne histoire juive bien authentique, celle-là :

Burma : Mr Blum, pourquoi êtes-vous venu de Pologne en France, c’est à cause de l’antisémitisme ?
Blum : Non, je ne pouvais pas me plaindre.
Burma : Alors à cause de l’argent ?
Blum : Oh non, je ne pouvais pas me plaindre.
Burma : Mais est-ce à cause de la nourriture ?
Blum : Mais non, je ne pouvais pas m’en plaindre.
Burma, exaspéré : Mais pourquoi donc êtes-vous venu de Pologne, si vous ne pouviez vous y plaindre de rien ?
Blum : Parce qu’en France j’ai le droit de me plaindre de tout ça.

Un commentaire »

  1. Votre site est intéressant..et très dense
    Amitiés

    Commentaire par Michelle Goldstein — 27 mars 2007 @ 15:43

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