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5 mars 2007

« Tout doit sur terre / Mourir un jour »

Classé dans : Musique, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 12:47

« …Mais la musique / Durera toujours », dit la chanson. Et, semblait-il, surtout ses droits. Mais ce ne n’est plus le cas : dans un arrêt du 27 février, la Cour de cassation a décrété que « la période de 70 ans retenue pour l’harmonisation de la durée de protection des droits d’auteur au sein de la communauté européenne couvre les prolongations pour faits de guerre ». En clair, on ne pourra rajouter des années (jusqu’à 14 !) dues aux faits de guerre aux 70 années suivant la mort des créateurs durant lesquelles leurs œuvres restent protégées et fournissent une rente à leurs héritiers, qu’ils soient de la famille ou non. La Cour casse une décision de la cour d’Appel qui donnait droit à l’ADAGP (société des Auteurs dans les arts graphiques et plastiques) dans sa revendication de ce mode de calcul qui aurait continué à protéger les œuvres de Claude Monet (décédé en 1926). Le SNE, de son côté, s’est « félicité du rejet du pourvoi de l’ADAGP », saluant « une victoire » vers l’harmonisation des droits d’auteurs.

Ouf, Courteline (par exemple) restera dans le domaine public. Et Ravel devrait y entrer le 1er janvier 2008 – ce sera donc aussi une victoire de la musique – et mettra fin à l’imbroglio des droits juteux que sa musique rapporte : rien que les dividendes du Boléro s’élevaient, selon Le Guardian à plus de 2 millions d’euros par an, se rajoutant aux droits des autres œuvres enregistrées et imprimées. À qui profite cette manne ? Ce n’est pas simple. Alexandre et Jeanne Taverne avaient été le chauffeur et l’infirmière d’Édouard Ravel (le frère de Maurice et son héritier) et de sa femme. Il semble qu’Édouard avait souhaité léguer 80% de ses droits à la Ville de Paris, mais il n’en a rien fait, laissant le tout à Jeanne Taverne. Ultérieurement, les Taverne auraient cédé une partie de leurs droits à une société, Arima (Artist’s Rights International Management Agency), établie dans un quelconque paradis fiscal par un ex directeur juridique de la Sacem, Jean-Jacques Lemoine, dont le premier client, après qu’il eut quitté la Sacem, fut Alexandre Taverne.

Comme quoi, la musique classique rapporte encore, surtout celle d’une génération de compositeurs bien aimés décédés dans la première moitié du siècle dernier. C’est le cas pour les œuvres de Serge Rachmaninov (1873-1943), selon le Arizona Daily Star : Alexander Temple Wolkonsky Rachmaninoff Wanamaker, dont la longueur du nom est inversement proportionnelle à l’âge (il a 21 ans), va hériter des droits de son arrière-grand-père, qui ont rapporté quelque 50 millions de dollars ces trente dernières années. Il compte établir une maison d’édition chargée de récupérer le contrôle sur les partitions et les manuscrits du compositeur, actuellement gérés par six sociétés distinctes, et de renouveler leur copyright. Pour ce faire, il leur faudra « arranger » les œuvres – que ce soit par l’entremise de corrections éditoriales, de rajout de commentaires, ou alors d’« arrangements » qui ne manqueront pas de changer la nature même des œuvres. Selon Keith Pawlak, il serait difficile de faire mieux que les éditions actuelles (de Dover), ce qui ne laisse que l’alternative transformiste.

L’industrie du disque, qui souffre de la diffusion numérique de la musique, s’est quelque peu rattrapée dans le domaine classique, curieusement, l’année dernière avec les intégrales Bach (155 CD, Brilliant Classics) et Mozart (170 CD, Brilliant Classics) à petit prix, comprenant des interprétations parfois inégales. On a aussi eu récemment droit au presque-tout Beethoven (50 CD, EMI Classics) – avec d’excellents interprètes – et au happy-hour Chopin (30 CD, Brilliant Classics)  ce dernier a bénéficié d’une innovation dans le packaging : « l’intégrale se trouve doublée, dans le coffret, d’une large anthologie (qui n’est pas une intégrale) d’enregistrements historiques, qui propose une sélection, arbitraire comme toute sélection, des enregistrements chopiniens parmi les plus beaux de l’histoire du disque ».

Quant à la musique qui reste sous droits et qui se multiplie sur l’Internet, le débat autour des DRM (dispositifs numériques de gestion des droits) n’a pas fini de faire couler de l’encre électronique. Steve Jobs, patron d’Apple, s’est fendu récemment d’une déclaration fracassante sur la problématique que ces dispositifs soulèvent – sans pourtant les supprimer d’iTunes. Entre temps, on apprend qu’Universal France va commencer à distribuer de la musique en ligne au format MP3 sans protection. Il y a tout de même un petit point qu’on a tendance à négliger dans ce débat : le format MP3 est de qualité moindre que celui fourni sur CD, lui-même moins bon que le vinyle, pour les audiophiles1. L’institut Fraunhofer, inventeur du MP3, vient d’ailleurs d’annoncer au dernier Midem le format MP3 Surround en flux. Utilisant une diffusion multi-canal, il donnera la sensation d’enveloppement sonore (ou de spatialisation) lors de l’écoute sur un système adéquat (de type 5.1) ; sur casque ou sur une paire d’enceintes, il se réduira à l’effet stéréo traditionnel, sauf si l’on utilise un logiciel fourni par Fraunhofer destiné à produire de la spatialisation virtuelle (binaurale). Tout ceci ne rajoutera pas à la qualité intrinsèque du son, mais uniquement à l’effet d’immersion dans l’ambiance sonore, ce qui risque de séduire plus le consommateur.


Note :
1 Il ne faut donc pas s’étonner d’apprendre que le label Testament, spécialisé dans les enregistrements historiques, vient de sortir le Ring de Wagner version Bayreuth 1995 sur vinyle : quatre coffres pour un total de 19 disques. Non seulement les interprètes (Hans Hotter, Wolfgang Windgassen, Astrid Varnay, Ramon Vinay, Josef Greindl et Paul Kuen) et le chef (Joseph Keilberth) sont excellents, mais le son aussi : enregistré à l’origine en stéréo par l’équipe technique de Decca dirigée par Peter Andry.

3 commentaires »

  1. Un correspondant me signale :

    Le cas de la musique est encore particulier par rapport au droit général de la propriété littéraire et artistique.

    En effet, Jack Lang a fait allonger la durée de protection des oeuvres musicales à 70 ans dès 1985, bien avant la transposition de la directive européenne en France (loi de 1997).

    A la date du 1er juillet 1995 (« point fixe » retenu pour l’harmonisation), les ayant droits des compositeurs bénéficiaient donc de 70 ans, plus les prorogations de guerre à calculer en fonction de la date de publication de l’oeuvre concernée. L’arrêt de la cour de Cassation n’a pas remis en cause les droits déjà acquis.

    Pour le fameux Boléro, composé en 1928, seule la prorogation de la seconde guerre mondiale compte (8 ans et 120 jours). Ce qui donne donc 1937 + 70 ans + 8 ans = 2015, voir 31/12/2016 : il y a une règle précise concernant le terme des années échues dont j’ai oublié le détail.

    Il serait donc risqué d’encourager vos correspondants à mettre les oeuvres de Ravel en ligne, pour ne parler que des partitions. Quant aux interprétations, elles ont aussi leurs règles de durée de droits, que je ne maîtrise pas.

    Commentaire par Miklos — 12 mars 2007 @ 13:38

  2. présidente d’une association, j’ai organisé un concert avec le Requiem de gabriel Fauré mort en 1924 et pour lequel la sacem me réclame 315 € 88 (somme que je trouve injuste d’autant plus que notre concert était fortemebt déficitaire)
    pour quoi ajouter 14 ans et 272 jours aux 70 ans après le décès? comment se fait ce calcul? on m’a dit que cette prolongation allait être ou était supprimée…qu’en est-il?
    merci pour votre réponse.J.O.Hagniel

    Commentaire par hagniel — 17 juin 2007 @ 18:15

  3. Bonsoir,

    Comme il est indiqué dans le commentaire précédent : la date de publication de l’oeuvre étant de 1890 (environ), deux guerres mondiales prorogent les 70 ans suivant la fin de l’année de la mort du compositeur.

    En clair :
    • Fauré est mort en 1924, donc rajoutez 70 ans.
    • Le Requiem a été composé avant la première guerre mondiale, rajoutez donc :
      a) pour la première guerre mondiale, 6 ans et 152 jours selon la loi du 3 Février 1919.
      b) pour la deuxième guerre mondiale, 8 ans et 120 jours selon la loi du 21 septembre 1951.
    Donc se rajoutent 6+8 = 14 ans, et 152+120=272 jours aux 70 ans suivant la mort du compositeur. Ceci nous mêne, pour Fauré, à 1925 (1er jour suivant l’année de sa mort) + 70 + 14 = 2009 + 272 jours, donc quelque part en octobre 2009.

    Plus d’informations ici.

    Je n’ai pas entendu parler de suppression, mais je ne suis pas un spécialiste du domaine.

    Commentaire par Miklos — 18 juin 2007 @ 22:29

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