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10 décembre 2007

Une comédie de boulevard au goût du jour

Classé dans : Théâtre — Miklos @ 1:29

« J’ai eu beaucoup de fils, neveux et petits-fils sur scène, et j’en ai oublié beaucoup. Cela ne m’arri­vera pas avec Loïc [Corbery]. Et si les mys­té­rieux dieux du théâtre ne sont pas trop distraits, il devrait devenir un grand. » — Yvonne Clech

Much ado about nothing. William Shakespeare

Une comédie dans une comédie : c’est celle qui se joue devant Christophe Martin, ivrogne chronique, lui-même jouet du beau monde qui l’a trouvé dans le caniveau et qui, avant de l’y faire retomber, veut lui faire croire qu’il est un des leurs. Le héros – appelons-le Pierre – est un beau mec bien roulé de sa personne et qui le sait : il porte un blouson de cuir toujours ouvert sur ses tablettes de chocolat et n’hésitera pas à se laisser entrevoir en string. Ce jeune loup veut décrocher un beau parti ; il y en a bien un : Cathy, qui n’a de pur que son prénom et qui est dotée, en plus de la grande fortune de son père, d’un sale caractère excep­tionnel. Celui de Pierre n’est pas meilleur : malgré son visage de jeune premier, c’est un macho de première. Quant à la sœur de Cathy, que l’on dit douce et qui porte le prénom virginal de Blanche, elle en a au moins les apparences, et est poursuivie par une cohorte de prétendants qui, pour convaincre le père, useront de tous moyens – inversion de rôles avec leurs domestiques, déguisements et subterfuges, et que le meilleur gagne. Tout est bien qui finit bien : après trois heures d’hystérie collective, de portes qui claquent, de séances d’habillages et de déshabillages, de poses graveleuses et de hululements de chiens en chaleur, Cathy est matée, Blanche est maquée, leur père est comblé d’en être débarrassé, et même l’amoureux éconduit trouvera une veuve à se mettre sous la dent. Ce n’est ni du Beaumarchais ni encore moins du Feydeau : c’est le sort que la Comédie-Française a fait à La Mégère apprivoisée de Shakespeare.

Ce spectacle s’ouvre dans un ossuaire où l’on pouvait distinguer les effigies de Molière et de Voltaire, et se poursuit sur une scène de théâtre construite sur la scène – il s’agit bien d’une comédie dans une comédie. Ce qui le caractérise, c’est une modernisation à outrance, autant celle des noms (Christophe Sly – dont le nom signifie « malin, roué », devient « Christophe Martin »), que celle du texte, des costumes (ce n’est que dans son discours de femme finalement soumise – qui passerait mal dans la bouche d’une femme habillée en contemporaine comme elle l’était dans le reste de la pièce – que Cathy est vêtue – comble du ridicule – comme la reine Elisabeth I) ou des situations en général, L’usage d’anachronismes sans autre fonction que celle de faire rire le public d’aujourd’hui (Christophe Martin brandit une carte d’identité pour prouver qui il est), la mise en scène et la musique soulignant lourdement le texte de peur que le sens n’en échappe aux spectateurs, l’hystérie collective des acteurs1 qui, en plus de dire leur texte, hurlent, crient, aboient, sautent et se démènent avec l’agilité d’artistes de cirque font surtout penser à une comédie poissarde qu’à une comédie de mœurs, voire à une (mauvaise) parodie de (bon) théâtre de boulevard ; car il y en a eu de l’excellent, le public dit populaire n’étant pas aussi bête qu’on veut le croire. Shakespeare le savait bien : le sien, bien plus populaire qu’il ne l’est aujourd’hui, comprenait ses jeux de mot et les quiproquos sans avoir étudié la pièce préalablement pour le bac.

Après plus de trois heures de ce traitement, on apprécie en sortant de la salle le calme de la circulation avenue de l’Opéra. On pourra se consoler en regardant la vidéo du film éponyme de Zeffirelli avec ces deux géants d’Elizabeth Taylor et Richard Burton, qui ne faisaient pas qu’y jouer un rôle, ou en relisant la pièce elle-même.


1Petruchio (que nous avons temporairement nommé Pierre) était joué par Loïc Corbery qui fend le cœur de son jeune public des deux sexes ; Catharina et sa sœur Bianca sont interprétées par Françoise Gillard et Julie Sicard et le rôle de leur père Baptista est tenu par Alain Lenglet.

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