Membert languit, Membert se meurt… Qu’a Membert ?
Dans son anthologie Humour 1900, Jean-Claude Carrière fait remonter l’art du calembour « à la plus haute antiquité ». Pour preuve, il cite « ce jeu de mots en bas latin : Ave ave aves esse aves, qui peut se traduire par : Salut grand-père ; désires-tu manger des oiseaux ? ». Il continue :
C’est sous le Consulat qu’il commit, dans des cercles encore limités, ses premiers ravages1. Un peu plus tard, le romantisme naissant le servit. Les bouleversements et l’enrichissement du vocabulaire, la révolution de la prosodie, le mélange des genres, tout favorisait son entrée furtive dans les plus nobles pièces, quelquefois même à l’insu de l’auteur. C’est ainsi qu’on trouve dans un roman de Ponson du Terrail (…) cette phrase surprenante : « En voyant le lit vide, il le devint. »
Même si Victor Hugo le méprisait (le définissant comme « la fiente de l’esprit qui vole »), il n’a pas manqué d’en produire un lot non négligeable :
« Vaurien, tu viens de prendre la taille à ma femme !
— Moi, monsieur ! Fouillez-moi ! »
ou encore :
C’est une effroyable et admirable chose qu’un incendie vu à brûle-pourpoint.
et enfin le célèbre
O Veuillot, face immonde encor plus que sinistre,
Laid à faire avorter une femme, vraiment !
Quand on te qualifie et qu’on t’appelle cuistre
istre est un ornement.
Quelques autres perles d’époque (la belle, et celle d’après) :
Les trop grandes pompes d’une religion servent à l’éteindre. (Xavier Forneret)
Une jolie danseuse disait en montrant ses jambes : « C’est avec ça que je nourris papa et maman… Aussi, ils appellent mes mollets des pattes alimentaires. » (Aurélien Scholl)
Tirer un Chinois par la queue ne constitue pas le moins du monde un attentat aux mœurs. (Jules Jouy)
Voici l’été : épousez une femme ombrageuse. (Id.)
Quant au titre de cet article, il provient de l’adorable Franc-Nohain2, à qui l’on doit de délicieux textes – prose, poèmes, théâtre – tels que Jaboune ou le livret de la pétillante Heure espagnole de Maurice Ravel.
1 C’est aller un peu vite en besogne : et le « Et le désir s’accroît quand l’effet se recule » de Corneille, alors ? Sans oublier Shakespeare, dont le « mender of soles/souls » qui ouvre Julius Caesar est une bonne raison pour apprendre l’anglais afin d’en goûter l’humour.
2 Qui a donc anticipé de plusieurs décennies et probablement inspiré l’Ami Caouette de Serge Gainsbourg.
Non seulement Victor Hugo a commis quelques calembours, mais il ne le méprisait pas.
Le texte des « Misérables » dit ceci :
« Le calembour est la fiente de l’esprit qui vole. (…) Loin de moi l’insulte au calembour! Je l’honore dans la proportion de ses mérites; rien de plus. Tout ce qu’il y a de plus auguste, de plus sublime et de plus charmant dans l’humanité, et peut-être hors de l’humanité, a fait des jeux de mots. Jésus-Christ a fait un calembour sur saint Pierre, Moïse sur Isaac, Eschyle sur Polynice, Cléopâtre sur Octave. Et notez que ce calembour de Cléopâtre a précédé la bataille d’Actium, et que, sans lui, personne ne se souviendrait de la ville de Toryne, nom grec qui signifie cuiller à pot. »
Commentaire par Jean-Yves de Lépinay — 4 janvier 2008 @ 22:36
Je ne connaissais pas la suite – merci pour la citation – ayant trouvé cette phrase dans l’anthologie « Humour 1900 » dont je parle dans l’article. Carrière y écrit :
On ne peut dire que qualifier le calembour de « fiente » (« chose dégoûtante et méprisable », selon le TLF) soit particulièrement laudateur à son égard, loin s’en faut (il est vrai que « ma petite crotte » est parfois affectueux, mais je doute que ce fut là son intention). Il est probable que, ne pouvant résister à faire un bon mot qui sonnât haut et fort, surtout aux dépens des (calembours des) autres, il l’ait aussi fait ici… Parmi ceux que cite encore Carrière, je relèverai :
En voici un de Flaubert, au sein d’une phrase qui n’a rien perdu de son actualité :
Et Chateaubriand écrivait en 1828 :
C’est en cherchant ce qu’en disait George Sand que je suis tombé sur ce portrait étincelant :
Et sur ce, je m’en vais relire Alphonse Allais qui, parlant de lui-même, avait écrit :
amusant écho au mot de VH qui a déclenché cet échange.
Commentaire par Miklos — 4 janvier 2008 @ 23:17