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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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3 janvier 2008

Membert languit, Membert se meurt… Qu’a Membert ?

Classé dans : Humour, Littérature — Miklos @ 8:37

Dans son anthologie Humour 1900, Jean-Claude Carrière fait remonter l’art du calembour « à la plus haute antiquité ». Pour preuve, il cite « ce jeu de mots en bas latin : Ave ave aves esse aves, qui peut se traduire par : Salut grand-père ; désires-tu manger des oiseaux ? ». Il continue :

C’est sous le Consulat qu’il commit, dans des cercles encore limités, ses premiers ravages1. Un peu plus tard, le romantisme naissant le servit. Les bouleversements et l’enrichissement du vocabulaire, la révolution de la prosodie, le mélange des genres, tout favorisait son entrée furtive dans les plus nobles pièces, quelquefois même à l’insu de l’auteur. C’est ainsi qu’on trouve dans un roman de Ponson du Terrail (…) cette phrase surprenante : « En voyant le lit vide, il le devint. »

Même si Victor Hugo le méprisait (le définissant comme « la fiente de l’esprit qui vole »), il n’a pas manqué d’en produire un lot non négligeable :

« Vaurien, tu viens de prendre la taille à ma femme !
— Moi, monsieur ! Fouillez-moi ! »

ou encore :

C’est une effroyable et admirable chose qu’un incendie vu à brûle-pourpoint.

et enfin le célèbre

O Veuillot, face immonde encor plus que sinistre,
Laid à faire avorter une femme, vraiment !
Quand on te qualifie et qu’on t’appelle cuistre
        istre est un ornement.

Quelques autres perles d’époque (la belle, et celle d’après) :

Les trop grandes pompes d’une religion servent à l’éteindre. (Xavier Forneret)

Une jolie danseuse disait en montrant ses jambes : « C’est avec ça que je nourris papa et maman… Aussi, ils appellent mes mollets des pattes alimentaires. » (Aurélien Scholl)

Tirer un Chinois par la queue ne constitue pas le moins du monde un attentat aux mœurs. (Jules Jouy)

Voici l’été : épousez une femme ombrageuse. (Id.)

Quant au titre de cet article, il provient de l’adorable Franc-Nohain2, à qui l’on doit de délicieux textes – prose, poèmes, théâtre – tels que Jaboune ou le livret de la pétillante Heure espagnole de Maurice Ravel.
 


1 C’est aller un peu vite en besogne : et le « Et le désir s’accroît quand l’effet se recule » de Corneille, alors ? Sans oublier Shakespeare, dont le « mender of soles/souls » qui ouvre Julius Caesar est une bonne raison pour apprendre l’anglais afin d’en goûter l’humour.

2 Qui a donc anticipé de plusieurs décennies et probablement inspiré l’Ami Caouette de Serge Gainsbourg.

2 commentaires »

  1. Non seulement Victor Hugo a commis quelques calembours, mais il ne le méprisait pas.
    Le texte des « Misérables » dit ceci :
    « Le calembour est la fiente de l’esprit qui vole. (…) Loin de moi l’insulte au calembour! Je l’honore dans la proportion de ses mérites; rien de plus. Tout ce qu’il y a de plus auguste, de plus sublime et de plus charmant dans l’humanité, et peut-être hors de l’humanité, a fait des jeux de mots. Jésus-Christ a fait un calembour sur saint Pierre, Moïse sur Isaac, Eschyle sur Polynice, Cléopâtre sur Octave. Et notez que ce calembour de Cléopâtre a précédé la bataille d’Actium, et que, sans lui, personne ne se souviendrait de la ville de Toryne, nom grec qui signifie cuiller à pot. »

    Commentaire par Jean-Yves de Lépinay — 4 janvier 2008 @ 22:36

  2. Je ne connaissais pas la suite – merci pour la citation – ayant trouvé cette phrase dans l’anthologie « Humour 1900 » dont je parle dans l’article. Carrière y écrit :

    Victor Hugo — hélas — a défini le calembour « la fiente de l’esprit qui vole ». Ce mépris avoué s’accompagne, le plus naturellement du monde, d’une abondance extrême de calembours tout au long d’une œuvre immense, depuis le célèbre « Car le mot c’est le verbe, et le Verbe c’est Dieu ! »

    On ne peut dire que qualifier le calembour de « fiente » (« chose dégoûtante et méprisable », selon le TLF) soit particulièrement laudateur à son égard, loin s’en faut (il est vrai que « ma petite crotte » est parfois affectueux, mais je doute que ce fut là son intention). Il est probable que, ne pouvant résister à faire un bon mot qui sonnât haut et fort, surtout aux dépens des (calembours des) autres, il l’ait aussi fait ici… Parmi ceux que cite encore Carrière, je relèverai :

    À propos des enfants de Jean-Jacques Rousseau et de Thérèse Levasseur : « Thérèse les enfantait, Jean-Jacques les enfan-trouvait. »

    A propos du mariage de Napoléon III : « L’aigle se marie avec une cocotte. »

    En voici un de Flaubert, au sein d’une phrase qui n’a rien perdu de son actualité :

    L’adoration de l’humanité pour elle-même et par elle-même (ce qui conduit à la doctrine de l’utile dans l’Art, aux théories de salut public et de raison d’état, à toutes les injustices et à tous les rétrécissements, à l’immolation du droit, au nivellement du beau), ce culte du ventre, dis-je, engendre du vent (passez-moi le calembour), et il n’y a sorte de sottises que ne fasse et qui ne charme cette époque si sage.

    Et Chateaubriand écrivait en 1828 :

    Allons-nous rendre des arrêts contre la conspiration des épigrammes et ajouter gravement au code criminel le titre Des bons mots et des quolibets ? Ce serait une grande misère que de voir l’irréligion dans un calembour, et la calomnie dans un logogriphe.

    C’est en cherchant ce qu’en disait George Sand que je suis tombé sur ce portrait étincelant :

    L’archevêque avait sa laideur toute crue et pas plus d’expression qu’une grenouille qui digère. Il était, avec cela, ridiculement gras, gourmand ou plutôt goinfre, car la gourmandise exige un certain discernement qu’il n’avait pas ; très-vif, très-rond de manières, insupportablement gai, quelque chagrin qu’on eût autour de lui ; intolérant en paroles, débonnaire en actions ; grand diseur de calembours et de calembredaines monacales ; vaniteux comme une femme de ses toilettes d’apparat, de son rang et de ses priviléges ; cynique dans son besoin de bien-être ; bruyant, colère, évaporé, bonnasse, ayant toujours faim ou soif, ou envie de sommeiller, ou envie de rire pour se désennuyer, enfin le chrétien le plus sincère à coup sûr, mais le plus impropre au prosélytisme que l’on puisse imaginer.

    Et sur ce, je m’en vais relire Alphonse Allais qui, parlant de lui-même, avait écrit :

    Ayant pris le matin une purgation forte,
    Le jeune Alphonse à chaque instant courait,
    Se levait, s’asseyait, ouvrait, fermait les portes.
                    Alphonse allait.

    amusant écho au mot de VH qui a déclenché cet échange.

    Commentaire par Miklos — 4 janvier 2008 @ 23:17

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