Les cris de Paris
Un brouhaha indescriptible régnait dans la salle. Tout le monde criait à tue-tête, gesticulait, huait, applaudissait. Des petits groupes scandaient un nom ou un autre qui se détachait un instant au-dessus du tumulte assourdissant pour être tout aussitôt recouvert par le vacarme qui reprenait de plus belle. Un nom fusait ? un autre s’y superposait et puis un autre, et puis un autre…
S’agissait-il d’un débat au parlement ? d’un meeting politique ? ou peut-être d’un match de boxe ? quoi d’autre alors ? de courtiers sur le plancher de la Bourse, du public de la bataille d’Hernani, de la création du Sacre du printemps, de celle de Parade ou encore de celle des Paravents ? Un peu des deux en quelque sorte, sauf qu’ici on n’en était pas venu aux mains et l’atmosphère était très bon enfant, les yeux pétillaient et les visages souriaient.
Car on était au concert, à un concert très classique – rien de contemporain je vous assure – à la salle Gaveau, celui de l’orchestre de chambre de Toulouse sous la direction de Gilles Colliard. Alors pourquoi ces hurlements ? dites-vous d’un air étonné. Eh bien, parce que c’était un concert à la criée : le programme était composé à l’instar d’un menu en cinq parties, chacune d’elles proposant plusieurs œuvres que le public devait choisir à la carte. Le chef les présentait brièvement, et le public choisissait bruyamment. Si bruyamment qu’il fallait parfois passer au vote à la main levée qui n’était d’ailleurs pas plus concluant que les hurlements qui l’avaient précédé, mais une fois le choix annoncé par Gilles Colliard, tout le monde applaudissait.
Voici donc ce fameux menu (où l’on a corrigé les fautes d’orthographe qui le dépareillaient), où l’on a indiqué les œuvres qui ont été finalement choisies (vous remarquerez qu’il y a eu du rab) :
Amuse-bouche (offert)
→Vivaldi, Concerto alla rustica.
Entrées (3 au choix)
→Rameau, La Timide et deux Tambourins.
→Purcell, Chacone.
J.C.F. Bach, Sinfonia en ré mineur
→Marais, Trois danses
Destouches, Chaconne
Vivaldi, Concerto pour violon op. 3 n° 9.
Rebel, Les caractères de la danse.
Plats (3 au choix)
Locatelli, Il pianto d’Arianna
Vivaldi, Concerto L’Été des Quatre saisons
Haendel, Concerto grosso op. 6 n° 8
C.P.E. Bach, Sinfonia en do majeur
→Telemann, Don Quichotte
Dall’Abaco, Concerto grosso op. 2 n° 4
Mozart, Symphonie Linz
→Mendelssohn, Symphonie n° 10
Grieg, Suite Holberg
→Turina, La oración del torero
Fromages (2 au choix)
→Dvorak, Bagatelle n° 2
→Britten, Playful pizzicato de la Simple Symphony
Holst, The Dargason de la Suite Saint Paul
Rodrigo, Cançoneta
→Joplin, The Entertainer
→Saint-Saëns, Aquarium du Carnaval des animaux.
Desserts (1 au choix)
Strauss, Pizzicato polka
→Kreisler, Liebeslied – Chagrin d’amour
→Khatchatourian, La danse du sabre
Ce programme indiquait quelles œuvres avaient été « arrangées » par Gilles Colliard, mais omettait de signaler les autres auteurs de transcriptions, par exemple : Joplin avait composé son rag pour le piano et la Bagatelle de Dvorak (l’une des cinq de l’opus 47, que j’aime tant) était écrite pour trio à cordes et harmonium.
Sur le fond : l’orchestre a joué avec beaucoup de joie et d’énergie, et d’une façon incisive – ce qui convenait aux œuvres anciennes interprétées sur des violons baroques, mais trop incisive (et trop rapide) pour les œuvres romantiques notamment (et en particulier le Dvorak) qu’on aurait aimées plus lyriques, plus caressantes, mais aussi, par exemple, pour le Joplin. Quant au choix – celui de la majorité, forcément –, il était trop conservateur à mon goût, et j’espère n’y voir aucun mauvais augure pour la prochaine échéance électorale.
Mais ne boudons pas plus cette soirée musicale, chaleureuse et amusante : on en gardera un bon souvenir.