Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

This blog is © Miklos. Do not copy, download or mirror the site or portions thereof, or else your ISP will be blocked. 

2 février 2008

Des plus longues musiques au monde et d’un beau concert injustement sifflé à Pleyel

Classé dans : Musique — Miklos @ 14:33

Il est indubitable que la plus longue composition musicale connue, à ce jour, est Longplayer, pour bols chantants et gongs tibétains. Très méditative, son exécution, commencé le 1er janvier 2000, se poursuit toujours. Elle est conçue pour s’achever le 31 décembre 2999, et reprendre tout aussitôt. Afin de prévenir les critiques qui ne manqueront d’être soulevée par les syndicats de musiciens interprètes, on précisera immédiatement que c’est un ordinateur qui joue cette œuvre, que l’on peut écouter sur l’internet et en divers endroits dans le monde : Londres, Alexandrie (Égypte), Brisbane (Australie)… Jem Finer, le compositeur et un des membres fondateur des Pogues, l’a conçue pendant quatre ans en tant que processus (ou algorithme) basé sur un enregistrement « réel », découpé et recombiné en temps réel selon une méthode précise, de façon à produire ce flux ininterrompu, cohérent et qui ne se répète pas pendant précisément 1000 ans.

L’œuvre pensée en tant qu’ensemble particulier de règles destinées à être exécutées par un être humain ou par un ordinateur ne date pas de l’invention de ce dernier, et foisonnait déjà au XVIIIe s., comme l’explique bien Denis Lorrain dans un article présenté lors d’une conférence consacrée à l’informatique musicale. Ce n’est pas étonnant : la composition savante – qu’elle soit occidentale ou orientale – comprend de nombreuses règles qui déterminent des cadres tels que la forme (« sonate », « fugue »…), la tonalité, l’harmonie, etc. La tentation d’en produire d’autres plus contraignantes susceptibles de faire émerger la réalisation d’une œuvre particulière (ou l’une de ses réalisations possibles) n’était pas loin, et se retrouve dans d’autres genres : l’Oulipo en est un parfait exemple en ce qui concerne la littérature.

Mais même une œuvre écrire offre une liberté grande à l’interprète : on connaît les différences de tempi entre ceux d’Otto Klemperer et d’Arturo Toscanini. Mais il y a mieux : une œuvre de John Cage, Organ2/ASLSP (en français : « orgue au carré, aussi lentement que possible ») a donné lieu – pardon, donne lieu – à une réalisation particulièrement originale. Composée en 1987, elle est l’adaptation d’une autre œuvre de Cage, ASLSP pour piano (ASLSP voulant dire « as slow as possible »). Jouée « normalement », elle aurait une durée d’une vingtaine de minutes. Mais quelques années après le décès du compositeur (en 1992), un groupe international de musicologues et de philosophes a souhaité interpréter son injonction le plus littéralement possible, en proposant son exécution sur un orgue particulier, celui de l’église de St Burchardi à Halberstadt en Allemagne, sur une durée de 639 ans. Ce chiffre a été choisi en fonction de l’âge de l’orgue qui s’y trouvait, construit en 1361 et considéré comme le premier orgue à clavier moderne. Débutée le 5 septembre 2000 (88e anniversaire de la naissance de Cage), cette performance se poursuit. Un dispositif mécanique a dû être mis en place pour tenir les notes, mais le passage de l’une à la suivante se fait manuellement, le cinquième jour de chaque mois, en souvenir de l’anniversaire de Cage.

Plus miniaturiste (tout est relatif) est l’opéra chinois Le Pavillon aux pivoines, composé au XVIe et représenté en France en 1999. Il ne dure que 19 heures (nous en avons vu une des six périodes, découverte intéressante et supportable, à cette dose). Pour les pusillanimes, on recommandera le Second quatuor pour cordes de l’américain Morton Feldman, composé d’un seul mouvement de six heures : son enregistrement n’a pas été à la mesure de tous les ensembles qui auraient souhaité le faire (un membre du Kronos Quartet nous avait avoué qu’ils s’en étaient sentis physiquement incapables), et a nécessité une édition sur DVD, la capacité d’un disque compact aurait obligé d’en interrompre l’écoute (tel qu’on le faisait au temps des 78T). On peut aussi signaler l’Opus Clavicembalisticum du compositeur britannique Kaikhosru Shapurji Sorabji, œuvre pour clavier seul qui comprend 12 mouvements autour d’un thème et de 44 variations, et d’une passacaille et de ses 81 variations : quatre heures et demi de musique sur cinq disques compacts. C’est tout de même moins long que le Piano bien tempéré du père de la musique minimaliste, LaMonte Young : 5 heures, 1 minute et 49 secondes.

Dans la musique symphonique, qui nécessite la mobilisation d’un nombre souvent important de musiciens et donc un budget conséquent, on trouve des œuvres d’une durée moindre, bien que monumentales par leurs effectifs : la Huitième Symphonie en mi bémol majeur de Gustav Mahler est surnommée « la symphonie des mille », et pour cause : sa première exécution américaine, en 1916, sous la direction de Leopold Stokowski, avait réuni 1068 musiciens et choristes. Ce n’est pas la plus longue de Mahler : sa Troisième Symphonie peut durer, selon l’interprétation, 1h35. Ces deux œuvre palissent en comparaison avec la (très belle !) Symphonie n° 1 « La Gothique » du britannique William Havergal Brian, dont l’interprétation en 1980 a nécessité plus de mille musiciens pendant près de deux heures.

Le concert d’hier à la salle Pleyel se rapprochait, dans sa durée (1h30), des œuvres de Mahler dont nous venons de parler, mais avec un effectif plus modeste. Il s’agissait de la Turangalîla-Symphonie d’Olivier Messiaen, que nous avions déjà entendu plusieurs fois en concert avec les interprétations canoniques de Jeanne et Yvonne Loriot. La qualifier de monumentale pourrait laisser entendre qu’on lui trouve un caractère imposant ou monstrueux, ce n’est pas le cas. C’est une œuvre exubérante qui passe du tendre et lyrique à l’explosion jazzique, qui embrasse de nombreux styles sans paraître hétéroclite, et qui est constituée d’une très riche palette de couleurs chatoyantes, d’une variété de tonalités, d’harmonies, de rythmes, de timbres et d’expressions. En bref, une énergie vitale cosmique et joyeuse, voire extatique. C’est bien l’interprétation qu’en ont donné les musiciens de l’orchestre de la SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, sous la direction survoltée et maîtrisé de Sylvain Cambreling, et avec Valérie Hartman-Claverie aux ondes Martenot dont le son se mariait avec bonheur aux cordes pour monter parfois à des hauteurs étonnantes, et surtout l’extraordinaire Roger Muraro au piano, qui semble se jouer des difficultés techniques pour donner une interprétation d’une grande musicalité.

On aura regretté d’entendre, tout au long du concert, dans ses moments les plus silencieux (heureusement qu’il y en avait peu), un léger sifflement de haute fréquence et donc particulièrement gênant. C’est vraiment dommage : ni l’œuvre, ni les interprètes, ni le public ne méritaient ça.

Pas de commentaire »

Pas encore de commentaire.

Flux RSS des commentaires de cet article. TrackBack URI

Laisser un commentaire

XHTML: Vous pouvez utiliser ces balises : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>

The Blog of Miklos • Le blog de Miklos