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3 février 2008

Romances judéo-espagnoles

Classé dans : Musique — Miklos @ 22:17

À notre connaissance, il n’existe malheureusement pas d’importants florilèges écrits1 et notés du patrimoine chanté judéo-espagnol. Il comporte pourtant un nombre conséquent de très belles mélodies qui accompagnaient toutes les étapes de la vie de la naissance à la mort, et des styles variés qui reflètent l’étendue de la diaspora des juifs d’Espagne. Partis sur tout le pourtour méditerranéen, ils se sont installés notamment en Bulgarie, en Grèce et en Turquie d’une part, en Afrique du nord d’autre part, où ils ont emmené leur langue et leur culture, qui s’est mâtinée différemment selon leurs pays d’accueil. On y trouve une grande variété de styles : joyeuses ou tristes, tendres (les berceuses, à l’instar de Durme, hermozo hijico ou de Durme, querido hijico), douces, nostalgiques, exaltées et parfois féroces (surtout lorsqu’il s’agit d’un amour déçu, comme dans Te akodras Sara), souvent lancinantes (comme La Sirena), vives (Puncha, puncha). Certaines d’entre elles combinent plusieurs langues (le ladino et le grec dans Te akodras Sara), plusieurs atmosphères (la solennité de la marche des mariés vers l’autel, la méditation inquiète sur les finances du couple et la joie des participants à la fête, dans Scalerica de oro). Un nombre croissant d’enregistrements – d’anonymes qui ont reçu ce patrimoine avec le lait de leur mère, d’artistes professionnels qui les ont repris à des degrés divers de fidélité et d’authenticité – permet toutefois de les écouter avec grand plaisir. Parmi ceux qui nous ont marqué jusqu’ici, on citera :

Esther Lamandier : Romances séfarades2 et chants araméens. Aliénor, AL 1012. Enregistrement en tous points exceptionnel : le répertoire représentatif de cette variété dont nous venons de parler ; la voix d’une grande beauté, riche et pleine jusqu’au sommet de son registre, d’Esther Lamandier, qui s’accompagne avec art à la harpe, l’orgue, l’épinette et ou la vièle. Ceux qui l’ont vue sur scène – nous avons eu cette chance – pourront témoigner, à l’instar de Panorama musiques de 1980 : Esther Lamandier s’accompagne elle-même sur les instruments les plus divers ; sa voix ravissante se joue de tous les mélismes avec une virtuosité diabolique. Voix céleste, pourtant rayonnante parce qu’irradiée. Ange ou démon, qu’importe ? » Si le disque ne peut restituer la présence scénique enchanteresse, il permet d’en écouter la voix. Et quelle voix ! S’il n’y a qu’un disque à posséder, c’est bien celui-ci : les airs lancinants n’ont de cesse de nous poursuivre.

Brio: Romance. Dorian Recordings DSL-90708. Étrangement bel enregistrement de cet ensemble accompagnant, sur instruments renaissance et baroque, occidentaux et orientaux, la voix surprenante, agile et expressive, et finalement très attachante, du contre-ténor brésilien José Lemos, dans un très beau choix de romances : comment ne pas être sous le charme de Las Estreyas si proche du flamenco (même s’il pousse un peu trop dans A la una yo nací), de la tendre et lyrique Esterica Sarfatí ou de la mélancolique et belle Adío querida (que l’on pourra écouter via la page d’Abeille Musique consacrée à ce disque) ? Son interprétation ne donne pas dans le maniérisme ou dans un polissage trop calculé pour ce genre de répertoire populaire, et bénéficie d’excellents élocution et accent, ce qui compte évidemment pour beaucoup pour la compréhension du texte. Un disque qu’on aime plus encore au fur et à mesure de ses réécoutes.

Voice of the Turtle : From the Shores of the Golden Horn et Bridges of Song. Titanic Ti-173 et Ti-179. Ces deux disques sont consacrés respectivement aux musiques séfarades de Turquie et du Maroc. Fruits d’un travail scientifique très sérieux et d’une recherche remontant directement aux meilleures sources (informateurs connaissant ce patrimoine de première « main », enregistrements d’archives) – ils donnent l’impression d’une authenticité de style et de genre qu’on ne retrouve que rarement dans les enregistrements du commerce. Les quatre remarquables interprètes de l’ensemble Voice of the Turtle jouent d’instruments typiques et chantent (parfois a capella) avec expressivité et avec des voix « naturelles » qui rendent bien le côté populaire de ce répertoire (écoutez Esturulu !). On remarquera particulièrement le parfait accent de Judith Wachs, directrice artistique de l’ensemble. Difficile de faire un choix dans cette collection : tout est de grande qualité, tout se vaut, impossible de se décider à réécouter une chanson ou à passer à la suivante. Peut-être La prima vez ou Te akodras Sara ? Non, vraiment ; le tout.

La Rondinella : Songs of the Sephardim. Dorian Recordings DIS-80105. Choix très généreux (27 romances) d’une grande variété, interprétées avec charme. On y retrouve le Hija mia, mi querida interprété ici sur un ton élégiaque et lent, contrairement à la version qu’en donne Esther Lamandier, qui exprime toute l’urgence d’une mère morte d’inquiétude au désir exprimé de sa fille désespérée d’amour de se jeter à la mer (thème qui semble revenir souvent dans les romances séfarades). On aura particulièrement aimé l’émouvante et tendre berceuse Durme, hermozo hijico et la lyrique En la mar hay una torre, tout en regrettant un certain manque de caractère et de punch dans certaines autres romances, et l’accent de la soliste (ainsi que sa respiration à certains endroits importuns), tout en appréciant le beau timbre de sa voix et son élocution claire. Disque somme toute fort intéressant.

David Saltiel : Jewish-Spanish Songs of Thessaloniki. Oriente Musik RIEN CD 14. Ce disque a une double particularité : il est consacré à des chants provenant d’une seule région, le nome de Thessalonique, et il est exécuté par un chanteur populaire, accompagné par un groupe de musiciens grecs sur instruments populaires : plus authentique tu meurs. Il est ainsi très intéressant de comparer sa version de La Serena (que l’on peut écouter ici) avec l’interprétation qu’en donne La Rondinella (sous le titre qui nous semble plus correct de En la mar hay una torre). David Saltiel, né en 1930, habite là où il est né. Durant la guerre, il s’était caché avec les siens dans les montagnes. Une fois revenu chez lui, il devint petit commerçant. Son répertoire lui vient directement de sa mère, autrefois célèbre pour sa voix. Les notes accompagnant le disque relatent le déroulement du projet de réalisation de ce disque remarquable. Un must.

…et bien d’autres dont on parlera ultérieurement. Magnifique patrimoine à préserver et à faire connaître : peut-être que le Théâtre de la Ville… ?


1 Parmi ceux-ci, on doit citer celui d’Alberto Hemsi, Cancionero sefardi, publié en 1995.
2 Ce terme dénote, en hébreu, l’Espagne. Il apparaît une fois dans l’Ancien testament, chez Abdie (ou Obadiah) 1:20 : « Et les exilés de cette légion d’enfants d’Israël, répandus depuis Canaan jusqu’à Çarefat, et les exilés de Jérusalem, répandus dans Sefarad, possèderont les villes du Midi ». Le premier terme (« Çarefat », ou plutôt « Tsarefat ») dénote la France. Inutile de rappeler qu’aucun de ces pays n’existait à l’époque où ils sont apparu ; cette identification date probablement du Moyen Âge.

5 commentaires »

  1. presque le charme des bardes d’Ouessant….

    Commentaire par francois75002 — 4 février 2008 @ 23:29

  2. D’autant plus qu’il est impossible de chanter ce répertoire dans certaines parties de l’île…

    Commentaire par Miklos — 4 février 2008 @ 23:54

  3. Bien qu’ayant une chef de « choeur » soit argentine et nous enseigne parfois des chants judéo espagnoles, je ne connais aucune des romances que tu cites…je ne doute pas qu’elles soient belles

    Commentaire par betty reicher — 18 février 2008 @ 13:42

  4. J’ai été bercé toute mon enfance par l’interprétation d’Esther Lamandier des romances séfarades. Cependant m’étant procuré le CD je n’ai pas retrouvé un titre qui existait dans le 33T (celui de mon enfance). Je me souviens uniquement de l’air, et plus ou moins de l’histoire (quelques paroles me reviennent en mémoire) : il s’agit d’un jeune homme qui pour aimer une demoiselle d’ici de cet endroit doit demander … à son père. Le 33T ayant disparu je ne sais comment de chez ma mère peut-être pourriez vous me dire quel est son titre et comment me le procurer. Cependant votre article est très alléchant et je pense que je vais passer quelques heures d écoutes musicales délicieuses. Merci

    Commentaire par Idesbald — 20 septembre 2008 @ 0:08

  5. Je vous conseille de vous rendre sur le site d’Esther Lamandier (que j’avais signalé dans le texte ci-dessus) ; vous y trouverez une adresse électronique pour la joindre (page d’accueil, marge de gauche). D’autre part, vous trouverez ici une liste (impressionnante ! il y a beaucoup d’enregistrements que je ne connaissais pas) de ses anciens disques, en vente, semblerait-il.

    Commentaire par Miklos — 22 septembre 2008 @ 0:38

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