On ne le répétera jamais assez…
Après le débat d’hier, le terme d’anaphore a fait une petite percée – toute temporaire, on ne va pas rêver – dans le vocabulaire : il s’agit, nous dit Le Trésor de la langue française, d’un procédé de rhétorique « visant à un effet de symétrie, d’insistance, etc., par répétition d’un même mot ou groupe de mots au début de plusieurs phrases ou propositions successives. » Pour ceux qui voudront le placer à plusieurs reprises dans une tirade de salon sans se répéter, on rajoutera que son synonyme est épanaphore et son antonyme épistrophe (répétition à la fin et non au début).
L’anaphore en question est celle de François Hollande, qui a scandé un passage de sa prestation en répétant Moi président de la République, je… en en variant le rythme, la respiration, l’intonation, avec un tel naturel qu’il avait dû nécessiter une longue préparation. Ou qui peut-être démontrait un tel art de l’improvisation qui frise le sublime (de l’art de la scène) qu’on se dit que ce candidat-ci a bien des qualités dans sa manche.
Il n’a pas été le premier à l’utiliser : un modèle du genre est celui qui ouvre les Catilinaires de Cicéron :
Quo usque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ? quam diu etiam furor iste tuus nos eludet ? quem ad finem sese effrenata iactabit audacia ? Nihil ne te nocturnum praesidium Palati, nihil urbis uigiliae, nihil timor populi, nihil concursus bonorum omnium, nihil hic munitissimus habendi senatus locus, nihil horum ora uoltusque mouerunt ?
(« Jusques à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina ? combien de temps encore serons-nous le jouet de ta fureur ? jusqu’où s’emportera ton audace effrénée ? Quoi ! ni la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin, ni les forces répandues dans toute la ville, ni la consternation du peuple, ni ce concours de tous les bons citoyens, ni le lieu fortifié choisi pour cette assemblée, ni les regards indignés de tous les sénateurs, rien n’a pu t’ébranler »).
Et si Hollande n’a pas utilisé la toute première apostrophe en l’adaptant – Quo usque tandem abutere, Nicolas, patientia nostra ? – toute son intervention la sous-tendait.
Quant au leitmotiv – ainsi l’a qualifié Hollande – qu’a asséné Sarkozy, c’est « menteur » sous toutes ses formes et déclinaisons, mais sans aucun style. Hargneux. Pire, sur le fond il a justifié l’adage « c’est celui qui le dit qui l’est », comme l’a déclaré France Terre d’asile. Et France 2 – dont le président a été nommé par l’individu en question – a indiqué avec euphémisme que le dit président en fonction s’était trompé en affirmant qu’il n’était jamais allé à l’hôtel Bristol participer à une réunion de collecte de fonds. Ce que d’autres médias se délectent à démontrer en republiant une photo où on l’y voit en compagnie, entre autres, d’un certain Éric Worth qui n’était alors que trésorier de l’UMP. Non, ce président n’est pas le chef d’un parti.
Ce procédé répétitif était connu et décrit des Grecs (d’où l’origine grecque du terme, qui s’appelait plus simplement repetitio en latin), comme on peut le voir ci-dessus dans cet extrait de La Rhétorique d’Aristote. Le Traité du Sublime, datant du Ier siècle environ (on n’en connaît avec certitude l’auteur) – et dont on tient une traduction de Boileau – utilise ce terme d’anaphore pour la première fois dans ce sens, et mentionne son usage dans un discours de Démosthène, Contre Midas. On en trouve aussi chez Homère ou Sappho par exemple. (source)
Sans remonter si loin dans le temps ni aller si loin en Europe, on connaît tous l’imprécation de Camille :
Rome, l’unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant !
Rome qui t’a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !
Corneille ne s’est d’ailleurs pas privé de l’utiliser ailleurs.
Pour finir sur une note plus incantatoire qu’imprécatoire, on citera Éluard :
Sur mes cahiers d’écolier |
Sur la lampe qui s’allume |