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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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3 mai 2012

On ne le répétera jamais assez…

Classé dans : Actualité, Langue, Littérature, Médias, Politique — Miklos @ 21:55

Après le débat d’hier, le terme d’anaphore a fait une petite percée – toute temporaire, on ne va pas rêver – dans le vocabulaire : il s’agit, nous dit Le Trésor de la langue française, d’un procédé de rhétorique « visant à un effet de symétrie, d’insistance, etc., par répétition d’un même mot ou groupe de mots au début de plusieurs phrases ou propositions successives. » Pour ceux qui voudront le placer à plusieurs reprises dans une tirade de salon sans se répéter, on rajoutera que son synonyme est épanaphore et son antonyme épistrophe (répétition à la fin et non au début).

L’anaphore en question est celle de François Hollande, qui a scandé un passage de sa prestation en répétant Moi président de la République, je… en en variant le rythme, la respiration, l’intonation, avec un tel naturel qu’il avait dû nécessiter une longue préparation. Ou qui peut-être démontrait un tel art de l’impro­visation qui frise le sublime (de l’art de la scène) qu’on se dit que ce candidat-ci a bien des qualités dans sa manche.

Il n’a pas été le premier à l’utiliser : un modèle du genre est celui qui ouvre les Catilinaires de Cicéron :

Quo usque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ? quam diu etiam furor iste tuus nos eludet ? quem ad finem sese effrenata iactabit audacia ? Nihil ne te nocturnum praesidium Palati, nihil urbis uigiliae, nihil timor populi, nihil concursus bonorum omnium, nihil hic munitissimus habendi senatus locus, nihil horum ora uoltusque mouerunt ?

(« Jusques à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina ? combien de temps encore serons-nous le jouet de ta fureur ? jusqu’où s’emportera ton audace effrénée ? Quoi ! ni la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin, ni les forces répandues dans toute la ville, ni la consternation du peuple, ni ce concours de tous les bons citoyens, ni le lieu fortifié choisi pour cette assemblée, ni les regards indignés de tous les sénateurs, rien n’a pu t’ébranler »).

Et si Hollande n’a pas utilisé la toute première apostrophe en l’adaptant – Quo usque tandem abutere, Nicolas, patientia nostra ? – toute son intervention la sous-tendait.

Quant au leitmotiv – ainsi l’a qualifié Hollande – qu’a asséné Sarkozy, c’est « menteur » sous toutes ses formes et déclinaisons, mais sans aucun style. Hargneux. Pire, sur le fond il a justifié l’adage « c’est celui qui le dit qui l’est », comme l’a déclaré France Terre d’asile. Et France 2 – dont le président a été nommé par l’individu en question – a indiqué avec euphémisme que le dit président en fonction s’était trompé en affirmant qu’il n’était jamais allé à l’hôtel Bristol participer à une réunion de collecte de fonds. Ce que d’autres médias se délectent à démontrer en republiant une photo où on l’y voit en compagnie, entre autres, d’un certain Éric Worth qui n’était alors que trésorier de l’UMP. Non, ce président n’est pas le chef d’un parti.

Ce procédé répétitif était connu et décrit des Grecs (d’où l’origine grecque du terme, qui s’appelait plus simplement repetitio en latin), comme on peut le voir ci-dessus dans cet extrait de La Rhétorique d’Aristote. Le Traité du Sublime, datant du Ier siècle environ (on n’en connaît avec certitude l’auteur) – et dont on tient une traduction de Boileau – utilise ce terme d’anaphore pour la première fois dans ce sens, et mentionne son usage dans un discours de Démosthène, Contre Midas. On en trouve aussi chez Homère ou Sappho par exemple. (source)

Sans remonter si loin dans le temps ni aller si loin en Europe, on connaît tous l’imprécation de Camille :

Rome, l’unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant !
Rome qui t’a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !

Corneille ne s’est d’ailleurs pas privé de l’utiliser ailleurs.

Pour finir sur une note plus incantatoire qu’imprécatoire, on citera Éluard :

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J’écris ton nom
 
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
 
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
 
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
 
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
 
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
 
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
 
Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
 
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
 
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
 
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes raisons réunies
J’écris ton nom
 
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
 
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
 
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
 
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
 
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attendries
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
 
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
 
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
 
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
 
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
 
Liberté

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