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14 janvier 2013

« Quand le soleil se lève, les ténèbres s’évanouissent. »

Classé dans : Arts et beaux-arts, Histoire, Humour, Littérature, Photographie — Miklos @ 2:14


Albert et Alice Delacour (à gauche) ; Hégésippe Simon
Cliquer pour agrandir.

Cette célèbre lapalissade est due à Hégésippe Simon, dit aussi « Le Précurseur » (cf. Paul Birault, Hégésippe Simon, précurseur. Éditions de L’Éclair, 1914). Enfant, j’avais découvert l’existence de cet illustre personnage dans les w.c. de Monsieur et Madame Delacour : y trônait la petite statue d’un grand homme (puisque corpulent et barbu). Sur le socle, on pouvait lire :

À Hégésippe Simon
Le Précurseur

dénomination qui ne manquait de m’intriguer ; j’aurais été encore plus impressionné si j’avais su qu’on le disait même « prophète, ancêtre et champion de la démocratie ». Quant à son nom, je le confondais avec celui du poète Hégésippe Moreau, mort prématurément (il me semble que je comprenais « précurseur » comme indiquant le fait d’avoir disparu jeune après avoir laissé une œuvre importante, ce qui contribuait à la confusion).

Nés l’un comme l’autre dans les années 70 ou 80 du xixe siècle, les Delacour n’en étaient jamais tout à fait sortis. Monsieur Delacour – Daddy – avait une grande barbe blanche rectangulaire comme l’on pouvait en voir arborées par des présidents du conseil et autres personnages de la iiie république (je ne sais s’il aurait apprécié la comparaison, il me semble me souvenir qu’il était bonapartiste). Au dîner, il nouait une grande serviette blanche autour de son cou, et sirotait une tasse, grande et blanche elle aussi, de vin chaud. Ma mère m’avait dit qu’il avait connu Apollinaire. Madame Delacour – Mammy – épluchait les oranges avec un petit couteau en plastic, et aimait bien boire, de temps à autres, un peu de Marie-Brizard.

Monsieur-et-Madame-Delacour – ils semblaient parfois ne faire qu’un – avaient recueilli ma mère adolescente et avaient été en quelque sorte mes grands-parents. Je me délectais dans leur appartement, lieu paisible qui semblait plongé dans une pénombre et où le temps paraissait suspendu. Il contenait, pour l’enfant que j’étais, une infinité de trésors : manuscrits, livres (du xviie au début du xixe s.) et revues (les tous premiers Je sais tout avec les aventures d’Arsène Lupin !) dans lesquels je me plongeais avec délectation, objets désuets ou mystérieux tel cet appareil à visualiser des photos en 3D, vases aux décorations chinoises, meubles Boulle et directoire, un poêle Salamandre que l’on peut apercevoir dans la photo ci-dessus… Julien Gracq écrit d’ailleurs à son propos dans une lettre à ma mère :

J’ai conservé un souvenir très particulier de cet appartement silencieux qui restait un peu en dehors du monde, et où « Monsieur et Madame Delacour » me semblaient aller et venir à l’arrière-plan à l’état de fantômes (bienveillants) éveillés seulement par la parole. Je dois bien avoir écrit deux ou trois pages sur l’atmosphère singulière de cet appartement, où il était difficile de parler autrement qu’à voix basse.

Gracq avait connu les lieux une dizaine d’années avant moi, mais ils n’avaient pas dû changer depuis des décennies.

Comme je l’ai appris bien plus tard, Hégésippe Simon n’a pas existé : il est le produit d’un canular fort réussi du Paul Birault sus-cité ; prenant comme prétexte le centenaire de la naissance de cette personnalité imaginaire, il était arrivé à convaincre, nous dit La Renaissance en 1914 (un an après les faits), « cinquante parle­mentaires, dénués de méfiance et d’esprit critique » à lui faire ériger une « vraie statue en pied et en redingote […] dans les cinquante bourgs pourris où notre astucieux confrère de L’Éclair, M. Paul Birault, l’inventeur de cette mystification, avait pris la précaution de faire naître son homuncule afin d’intéresser plus sûrement à la célébration quelques mares stagnantes et leurs représentants. »

Quant à la phrase en question qui lui est attribuée, elle reprend peu ou prou une remarque de saint Augustin (De consens. Evang., III, 24) selon laquelle « quand le jour se lève, les ténèbres qui restent encore vont en s’abaissant d’autant plus que la lumière gagne davantage. » (Somme théologique de S. Thomas d’Aquin, trad. F. Lachat, 1859)

Comme quoi, La Palisse avait eu un digne précurseur.

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