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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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25 septembre 2013

La rirette, la rirette…

Classé dans : Littérature, Musique — Miklos @ 15:58

C’est grâce à Jeanneton que j’ai fait la connaissance de cette grande figure littéraire et républicaine de la fin du 19e siècle que fut Juliette Lamber(t) que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam (Adam est par ailleurs le nom qu’elle portera en ville puisque c’était le patronyme de son second et dernier mari) : c’est dans Mon Village, recueil de récits qu’elle publie en 1860 sous son nom de plume Juliette Lamber (sans t, qu’elle avait d’ailleurs puisqu’elle décèdera quelques mois avant son centième anniversaire ; « Lambert » avec t était son nom de jeune fille) que l’on trouve une version de la « chanson du vieux berger » :

Jeanneton prend sa faucille
Et s’en va couper du jonc,
Mais quand sa botte fut faite
Elle s’endormit tout du long.
 
Las ! pourquoi s’endormit-elle,
      La petiote Jeanneton ?
Las ! pourquoi s’endormit-elle,
      La petiote Jeanneton ?
 
Mais quand sa botte fut faite,
Elle s’endormit tout du long.
Voilà qu’il passe près d’elle
Trois cavaliers de renom.
 
Las ! pourquoi s’endormit-elle,
      La petiote Jeanneton ?
 
Voilà qu’il passe près d’elle
Trois cavaliers de renom.
Le premier mit pied à terre
Et regarda son pied mignon.
 
Las ! pourquoi s’endormit-elle,
      La petiote Jeanneton ?
 
Le premier mit pied à terre
Et regarda son pied mignon.
Le second fut moins timide,
Il l’embrassa sous le menton.
 
Las ! pourquoi s’endormit-elle,
      La petiote Jeanneton ?
 
Le second fut moins timide,
Il l’embrassa sous le menton.
Mais ce que fit le troisième
N’est pas dit dans la chanson !
 
Las ! pourquoi s’endormit-elle,
      La petiote Jeanneton ?

Ceux qui connaissent une version plus contemporaine de cette célèbre chanson, connue aussi sous les noms de « La cueilleuse de joncs » ou « Figarette » constateront qu’il y manque plusieurs éléments : le fameux La rirette, la rirette, un cavalier (ils sont quatre, de nos jours), mais surtout sa conclusion fort leste qui n’est pas laissée à l’imagination de l’auditeur dans quelques couplets supplémentaires qu’on trouve chez Aristide Bruant (pourtant contemporain de notre Juliette Adam) et qui comprend une recommandation aux curieuses, une morale et la morale de cette morale.

On trouve une version un chouia moins sage dans un amusant ouvrage publié trente ans plus tôt, en 1830, Manuel complet des jeux de société, renfermant tous les jeux qui conviennent aux jeunes gens des deux sexes [on se demande si l’auteur ne faisait pas un peu d’ironie, là] tels que jeux de jardin, rondes, jeux-rondes, jeux publics, montagnes russes et autres, jeux de salon, jeux préparés, jeux-gages, jeux d’attrape, d’action, charades en action : jeux de mémoire, jeux d’esprit, jeux de mots, jeux-proverbes, jeux-pénitences, et toutes les pénitences appropriées à ces diverses sortes de jeux ; avec des poésies fugitives, énigmes, charades, narrations, exemples d’improvisation el de déclamation, la plupart inédits ; et suivi d’un appendice contenant tous les jeux d’enfants, publiés par une autre femme de lettres, Élisabeth Celnart (nom de plume d’Élisabeth-Félicie Bayle-Mouillard, à qui l’on doit aussi d’autres ouvrages bien plus sérieux même si le titre ferait sourire aujourd’hui, à l’instar de son Manuel du zoophile, ou l’Art d’élever et de soigner les animaux domestiques, contenant l’art de connaître, nourrir, dresser convenablement, de soigner et de guérir les bœufs, brebis, chèvres, ânes, volailles, pigeons, etc. (suivi de bien d’autres manuels).

Dans cet ouvrage, l’auteure présente cette chanson – qu’elle intitule Les Rubans ou la petite Jeanneton – comme une ronde particulière. Voyez donc :

«Cette ronde, empruntée à la Provence, est encore imitée d’un très joli jeu en usage dans l’île de Sandwich. Voici la manière de l’exécuter : on fait planter au milieu d’une cour, d’une clairière de parc, d’un boulingrin, un très gros pieu, pour figurer un petit mât de Cocagne. On attache au sommet de ce mât autant de rubans que la société compte de personnes. Ces rubans, de diverses couleurs, tombent jusqu’à terre. Ces préparatifs faits, la troupe joyeuse vient au pied du mât ; chacun prend un ruban, et tout le monde tourne autour du mât, en sautant et chantant la ronde suivante, que l’on peut au reste remplacer par tout autre chant propre à marquer des mouvements rapides.

Air : Du Vaudeville les Vendangeurs.

Ier couplet.

Jeanneton prend sa faucille
Et s’en va couper du jonc ;
Dès que sa botte lut faite,
Elle s’endormit de son long.
Hélas ! pourquoi s’endormit-elle,
      La petite Jeanneton ?

2e couplet.

Mais par là bientôt il passe
Trois officiers de renom :
Le premier lui dit : la belle,
Vous pêchez donc du poisson ?
Hélas ! pourquoi s’endormit-elle,
      La petite Jeanneton ?

3e couplet.

Le second fut plus honnête,
L’embrassa sous le menton ;
Ce que lui fit le troisième
N’est pas dit dans la chanson.
Hélas ! pourquoi s’endormit-elle,
      La petite Jeanneton ?

4e couplet.

Si vous le saviez, mesdames,
Vous iriez couper du jonc ;
Si point d’officier ne passe,
Seriez-vous contentes ? non !
Hélas ! pourquoi s’endormit-elle,
      La petite Jeanneton ?

On conçoit aisément que la bande joyeuse n’a pas célébré la moitié des aventures de mademoiselle Jeanneton, que les rubans tournés et retournés autour du mât l’ont entièrement recouvert ; quelquefois, pour varier ce jeu, on lâche de temps en temps les rubans, et on s’efforce ensuite de les rattraper ; mais cela alors devient un jeu-ronde. »

On trouve ce joyeux La rirette dans d’autres chansons coquines encore plus anciennes : voici pour exemple un Vaudeville fort enlevé qui clôt La Nouveauté, comédie de Marc-Antoine Legrand représentée pour la première fois le 13 janvier 1727 :

Vous qui cherchez à faire emplette
De quelqu’innocente beauté,
Au printemps prenez la fillette,
N’attendez pas jusqu’à l’été,
Si vous aimez riron rirette,
Si vous aimez la Nouveauté.
 
Mon cœur abandonne Lisette,
Dont il fut toujours bien traité,
Pour s’attacher à Colinette,
Qui n’a pour lui que cruauté,
Et le tout pour riron rirette,
Et le tout pour la Nouveauté.
 
Je vois d’Agnès encor jeunette
Un vieux philosophe entêté ;
Elle est sotte, elle est indiscrète ;
Elle n’a grâce ni beauté.
Qu’a-t-elle donc ? riron rirette.
Qu’a-t-elle donc ? la Nouveauté.
 
Laïs, jadis jeune coquette,
Nous vendit bien cher sa beauté.
Il faut désormais qu’elle achète
Et paye autant qu’elle a coûté.
Elle n’a plus riron rirette,
Elle n’a plus la Nouveauté.
 
D’un époux l’on est satisfaite.
Il meurt. Ah ! quelle cruauté !
Pendant un temps on le regrette,
II serait toujours regretté,
Sans l’amour de riron rirette,
Sans l’amour de la Nouveauté.
 
De mes sœurs je suis la cadette,
De la maison l’enfant gâté,
Des joujoux d’enfants qu’on m’achète.
Maman croit mon cœur enchanté ;
Mais j’espère à riron rirette,
Mais j’espère à la Nouveauté.
 
Puisqu’aujourd’hui chacun rejette
Notre vieux jeu trop répété,
Messieurs, du moins grâce au poète
Qui de vous plaire s’est flatté,
Applaudissez riron rirette,
Applaudissez la Nouveauté.

Comme l’écrivait Machiavel dans Le Prince : « Une des premières choses de l’homme, c’est sa fureur pour la nouveauté, deux grands mobiles font agir les hommes : la peur et la nouveauté. »

On se demande si ce La rirette n’est pas dérivé de Land[e]rirette, utilisé de façon similaire plus tôt encore, dans une (fort longue) chanson de Monsieur de Voiture1 (1597-1648) dédicacée à Madame la Princesse [de Condé] :

À Madame la Princesse
Sur l’air des Landriry.

Madame vous trouverez bon
Qu’on vous écrive sur le ton
De Landrirette,
Qui court maintenant à Paris,
Landriry.
      Votre absence nous abat tous,
Quelques-un en sont demi-fous,
Landrirette,
Les autres n’en sont qu’étourdis,
Landriry.
[…]

La structure de cette chanson a été explicitement reprise en 1859 par Théodore de Banville dans ses Odes funambulesques, recueil « précédé d’une lettre de Victor Hugo » qui écrit à l’auteur :

Cher poète,

Je viens de lire vos Odes. Donnez-leur l’épithète que vous voudrez, (celle que vous avez choisie est charmante,) mais sachez-bien que vous avez construit là un des monuments lyriques du siècle. J’ai lu votre ravissant livre d’un bout à l’autre, d’un trait, sans m’arrêter. J’en ai l’ivresse en ce moment, et je me dirais presque que j’ai trop bu ; mais non, on ne boit jamais trop à cette coupe d’or de l’idéal. Oui, vous avez fait un livre exquis. Que de sagesse dans ce rire, que de raison dans cette démence, et sous ces grimaces, quel masque douloureux et sévère de l’art et de la pensée indignée ! Je vous aime, poète, je vous remercie d’avoir sculpté mon nom dans ce marbre et dans ce bronze, et je vous embrasse.

Victor Hugo.

Si le grand Victor Hugo l’affirme…Goûtons-donc à quelques gouttes de ce breuvage, la rirette, la rirette :

Chanson
Sur l’air des Landriry2

Voici l’automne revenu.
Nos anges, sur un air connu,
      Landrirette,
Arrivent toutes à Paris,
      Landriry.
 
Ces dames, au retour des champs,
Auront les yeux clairs et méchants,
      Landrirette,
Le sein rose et le teint fleuri,
      Landriry.
[…]

Comme celle de Voiture, celle longue chanson concerne l’actualité de l’époque. À son tour, elle n’aura pas manqué d’inspirer un autre poète, Lemercier de Neuville (1830-1918) qui la reprend plus légèrement dans I Pupazzi – « livre composé de reflets, de personnes et d’actualités, très inégal comme facture, à moitié travaillé, à moitié improvisé », écrit-il – sans omettre de citer sa source (pratique tombé en désuétude en cet âge du copié-collé), puisqu’il s’agit d’un à la manière de :

Autre
Sur l’air des Landriry3.

Voici donc l’hiver revenu
Avec le plaisir inconnu,
      Landrirette,
Avec l’amour qui l’est aussi,
      Landriry.
 
On va chanter, on va danser :
Mon Dieu ! que l’on va s’amuser !
      Landrirette,
Sans sa femme ou sans son mari,
      Landriry.
[…]

On se doit de revenir au siècle de Voiture pour signaler aussi son emploi dans le Virgile travesti, parodie de l’Énéide écrite par Paul Scarron (1610-1660), et publié après la mort de Voiture, qui a donc l’antériorité à défaut de la célébrité. En voici un extrait :

Certes un homme de mon âge,
Quand il va vite n’est pas sage.
Après cette réflexion,
On se mit en dévotion,
Une hymne par mon père faite
Sur le chant de landerirette,
Fut chantée à Dame Pallas
Pour nous avoir, recrus et las,
Laissé prendre port en sa terre,
Au lieu de nous faire la guerre,
Et puis d’un voile sur le nez
Étant tous bien embéguinés,
Suivant la mode phrygienne
À Dame Junon l’Argienne,
Nous dîmes quelques Oremus
Comme m’avait dit Helenus.

On pourrait aussi en citer d’autres savoureux usages à cette époque, tel celui d’Alexis Piron (« Songez donc que je suis amant / Landerirette ; / Et que je ne suis pas mari, / Landeriri ») ou celui, plus politique, d’un chansonnier qui ironisa sur les lettres patentes autorisant en 1717 Law (oui, celui-ci même) à créer la Compagnie d’occident ou Indes occidentales, ou plus simplement Compagnie du Mississipi4 :

Célébrons l’établissement
De la compagnie d’Occident,
      Landerirette,
Dite autrement Mississipi,
      Landeriri.
 
Pour lui donner plus de crédit,
On met à sa tête un proscrit5,
      Landerirette,
Qu’on voulut pendre en son pays,
      Landeriri.

Si d’aventure un lecteur perspicace trouve une partition ancienne de cet Air de landerirette (on connaît celui de La rirette, la rirette…), on en sera ravi, Landeriri.


Source : Comptines et chansons pour enfants. Pour enfants ?

______________
1. Tallemant des Réaux dit de lui : « Voiture étoit fils d’un marchand de vin, suivant la cour. Il faisoit son possible pour cacher sa naissance à ceux qui n’en étoient pas instruits. »

2. L’assonance et la rime par à peu près y sont de tradition ; voyez Voiture. [Cette note fait partie du texte publié par Banville]

3. Odes funambulesques. — Michel Levy, 1859. [Cette note fait partie du texte publié par Lemercier de Neuville]

4. Charles Nisard, Des chansons populaires chez les anciens et chez les Français. Paris, 1867.

5. Law fut forcé, dit-on, de quitter son pays, à la suite d’un duel. [Note d’origine]

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