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30 janvier 2010

L’amour, toujours l’amour !

Classé dans : Littérature, Peinture, dessin, Photographie — Miklos @ 1:51

Piero di Cosimo (1461/2 Florence – 1521 ? Florence), Venus, Mars et Amour (vers 1505), détail.
Gemäldegalerie, Berlin

Vénus, le regard rêveur, la tunique largement ouverte dévoilant ses seins encore gonflés par l’amour et dissimulant à peine son giron, est allongée sur l’herbe, accoudée sur son bras droit. L’autre encercle un petit Cupidon qui se pâme d’extase, les yeux au ciel, les joues toutes rouges d’émotion. Un lapin blanc, animal consacré à Vénus pour sa nature ardente et prolifique, se tient à ses côtés. Un papillon est posé sur le genou droit de Vénus – est-ce Psyché, déesse de la volupté (mais dont Vénus fut jalouse, autant pour sa beauté que la passion que Cupidon avait ressenti pour elle) ?

On n’aperçoit à droite que les pieds de Mars (cette photo est un détail) qui vient de se séparer de Vénus après qu’ils aient fait l’amour. Le dieu, lui, est endormi, épuisé. Les pièces de son armure sont dispersées aux alentours comme s’il s’en était débarrassé à la hâte. Au loin, à droite, un angelot joue avec l’un d’eux.

Tout cela n’avait pas bien commencé. Mars ne semblait pas très intéressé par Vénus, épouse de Vulcain. Mais, comme le raconte Desboulmiers dans son Histoire anecdotique et raisonnée du Théâtre italien… à propos des Filets de Vulcain1 :

L’Amour paraît, badinant d’une manière enfantine, il aperçoit Vénus & court l’embrasser ; Vénus lui fait observer le Dieu de la guerre, qui se tient un peu éloigné. L’Amour va le prendre pour le conduire auprès de Vénus, Mars le regarde avec hauteur & s’en éloigne d’un air de mépris ; l’Amour s’approche encore de lui tendrement, il veut lui faire observer Vénus, Mars détourne la vue, l’Amour le frappe d’un de ses traits & s’éloigne avec vitesse. Mars ressentant des feux qu’il ne connaissait pas encore, s’avance vers l’Amour d’un air soumis, Cupidon prend un air de conquérant, lui donne la main avec hauteur & l’amène comme en triomphe aux pieds de Vénus.

On devine la suite. Mais, comme nous le relate Ovide dans ses Métamorphoses :

L’amour a soumis aussi à sa puissance ce Soleil, qui féconde tout de sa lumière éclatante. Je raconterai les amours du Soleil. Comme le premier il voit tout dans le monde, le premier il avait vu l’adultère de Mars et de Vénus. Il en rougit; et, découvrant au fils de Junon l’opprobre de son lit, il lui montra le théâtre de sa honte. Vulcain consterné s’indigne, laisse échapper le fer que travaille sa main, et soudain il fabrique et lime des chaînes d’airain. Il en forme des rets, tissu léger, délicat, et presque imperceptible. Le lin arrondi sur le fuseau, la toile qu’Arachné ourdit sous de vieux toits, n’égalent point en finesse ce tissu merveilleux. Le dieu de Lemnos en combine avec art les ressorts, qui doivent obéir aux moindres mouvements. Il attache ce piège au lit des deux amants; et dès qu’ils sont réunis, il étend son réseau, les surprend, et les retient dans leurs embrassements. Alors, ouvrant les portes d’ivoire de son palais, à ce spectacle il appelle tous les dieux. Il leur montre le couple enchaîné, honteux, et confus. On rapporte que les dieux rirent de cette aventure. On dit même que, dans un joyeux délire, quelques immortels osèrent souhaiter la même honte au même prix.

Petits voyeurs et sans vergogne, en plus, ces dieux, mais ça, on le savait : quand ils ne faisaient pas la guerre, ils faisaient l’amour (alternative que l’on recommande vivement à nos politiciens et à leurs généraux).

L’histoire ne dit pas qui délivrera le couple, mais ici, plus de trace de ces méchants filets ni du mari trompé. Tout baigne dans un calme d’après la tempête mâtiné de symbolisme (on ne peut voir dans ce détail les deux colombes, une noire, une blanche, qui se tiennent entre les deux amants). Et l’expression détendue des deux protagonistes dément la maxime, attribuée par certains à Aristote et par d’autres à Galien, Omne animal post coitum est triste, et qui connaît plusieurs suites – praeter mulierem gallumque (ce qui expliquerait que Vénus ne soit pas endormie), ou, plus fantaisiste, praeter gallum gallinaceum et sacerdotem gratis fornicantem…

Quant à ce tableau, il fait partie de l’extraordinaire fonds de peinture occidentale des XIIIe au XVIIIe siècles de la Gemäldegalerie de Berlin. Ce musée comprend un tel nombre de chefs-d’œuvre – malgré les centaines de tableaux brûlés pendant la guerre – qu’on en a le souffle coupé et l’esprit exalté, qu’on se trouve tiraillé entre l’envie de rester plus longtemps encore devant chacun d’eux pour mieux y pénétrer et s’en pénétrer, et celle de le quitter pour contempler son voisin, autre monde merveilleux qui s’offre à nos yeux ébahis.


1 Il s’agissait d’une troupe de théâtre, qui présentait au public un répertoire autant italien que français. La pièce en question, Les filets de Vulcain, ou Les amours de Mars et de Vénus, sous-titré Ballet héroïque ou Grand ballet d’action en quatre actes, était une œuvre d’Étienne Lauchery (1732-1820) datant de 1766 environ. Membre d’une famille de danseurs, il est l’auteur d’une cinquantaine d’autres ballets du même style (La fête printannière, ou Les amours de Daphnis et de Philis ; Les incidents favorables à l’amour, ou le Double Mariage ; Le rival imaginaire…) marquant le nouveau style de ballet de l’époque (cf. l’historique de l’académie de ballet de Mannheim).

2 commentaires »

  1. LE VRAI AMOUR

    L’amour authentique (…)

    Commentaire par Raphaël Zacharie de IZARRA — 30 janvier 2010 @ 23:29

  2. Comme il s’agit d’un texte que vous avez déjà publié ici et sur votre blog, j’en fournis le lien, cela réduit le bruit sur l’internet et évite que mon blog serve à démultiplier les textes d’autrui. Comme d’autre part il n’a de rapport avec le billet, qui parle d’art et non d’amour, les lecteurs intéressés pourront aller voir ailleurs ses incarnations (du texte, pas de l’amour).

    Commentaire par Miklos — 30 janvier 2010 @ 23:44

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