Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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31 décembre 2008

Le 22 à Asnières

Classé dans : Sciences, techniques — Miklos @ 0:22

« Ce rézeau me retient : ma vie est entre tes mains ;
Vien dissoudre ces nœuds. »

— La Fontaine, Le Chat & le Rat

« Le meilleur moyen de ne pas être dérangé au téléphone, c’est d’être en dérangement. » — Fernand Raynaud

« … je te donnerai, (…) un joli carnet de chèques, avec un crédit de trois mille francs. C’est ça qui est chic, mon petit. Au lieu d’avoir les poches chargées de billon, tu entres dans un magasin, tu achètes ce que tu veux et, au moment de payer, tu détaches un chèque. » — Francis de Miomandre, Écrit sur de l’eau, 1908, p. 189.

Selon les versions anglaise et française de la Wikipedia, le téléphone aurait été inventé par Alexandre Graham Bell dans les années 1860. Lisons pourtant le texte qui suit, paru en 1858 dans L’Année scientifique et industrielle de Louis Figuier, qui mentionne une invention datant de 1842 :

Il faut donc chercher, pour ce cas [les besoins de la communication en mer], un autre genre de signaux, un moyen de transmission du son dont la portée soit très-considérable. Remettons au jour, s’il-le faut, le téléologue des anciens, qui transportait le son à de prodigieuses distances, et que les Phéniciens et les Carthaginois; ces peuples essentiellement navigateurs, avaient emprunté aux Égyptiens. Demandons à notre puissante industrie de composer, avec l’air comprimé ou la vapeur, un instrument sonore que l’on pourrait appeler le téléphone. (…)1. L’agent de transmission une fois trouvé, tous les cas sont prévus, toutes les difficultés sont levées (…).

C’est la note de bas de page qui est particulièrement intéressante :

1 Un instrument de ce genre a été imaginé par M. Sudre, et essayé au mois de mai 1842 (…)

Dans un article du National, du 13 mai 1842, M. Gustave Hecquet donnait au sujet de cet instrument de M. Sudre, qui fut essayé dans la salle Herz, les renseignements que nous allons rapporter :

« (…) Cet instrument, que M. Sudre a appelé téléphone, est, sans aucun doute, le plus puissant qu’on ait jamais inventé. (…) Ce formidable appareil est, au surplus, d’un assez petit volume; il n’occupe que peu d’espace, et ne serait d’aucun embarras sur un vaisseau. »

Il ne s’agit évidemment pas du téléphone électrique que nous connaissons, mais le mot a été inventé en 1842, et le commentaire de Louis Figuier, « l’agent de transmission une fois trouvé », était prémonitoire, mais pas dans le sens où il l’imaginait. Voici ce qu’en disait Le Larousse pour tous au début du siècle dernier :

Comme bien d’autres inventions, le téléphone s’est subrepticement introduit dans notre vie quotidienne. Il y prend dorénavant une place prépondérante ; il nous accompagne partout, bien plus qu’un chat domestique ou qu’un chien de compagnie. Il nous sonne, il nous réveille, il nous indique le chemin dans la ville et nous permet de surfer sur le web, il nous propose de jouer tous seuls quand personne ne veut jouer avec nous, il fait office de lecteur Mp3 et de téléviseur ; quand on ne veut y parler, son clavier exerce nos pouces comme ceux des autres primates supérieurs et simplifie enfin notre langue. Il soulage les mamans qui peuvent à tout instant appeler leurs bambins de 7 à 77 ans, il relie à distance et facilite les ruptures. Il est l’appareil photo discret qu’autrefois seuls des James Bond pouvaient s’offrir, il enregistre discrètement une remarque déplacée, il conserve les adresses des amis, des amours et des amants. Bientôt, webcam/visiophone, il téléportera notre regard comme il le fait déjà pour nos voix. Bref, il est le fluide vital de l’homme moderne.

Mais comme dans un autre fluide tout aussi vital – l’eau –, la pollution n’a pas tardé à s’y mettre. Voici un SMS qu’on vient de recevoir du numéro 0630895320 :

Vous avez ete tire au sort a 9h09 et gagnez le CHEQUE n 4748438 ! App le 08997825** pr en connaitre le montant et le retirer !Merci

Pour ceux qui ne le sauraient encore : c’est un genre d’arnaque qui a cours depuis bien plus d’un an : le montant du chèque – pour autant qu’il y en ait un… – sera bien inférieur à celui que vous payerez en appelant le numéro indiqué qui est surtaxé (on le reconnaît à son préfixe 0899 – c’est le plus notoire et cher, mais il y en a d’autres). La seule réaction raisonnable et civique est de le signaler.

Les numéros surtaxés ont fait la fortune des fournisseurs d’accès internet, qui les ont choisis pour leurs lignes de support téléphonique. Cela continue pour certains, malgré la récente loi Chatel : celle-ci requiert que le temps d’attente aux services après vente des opérateurs internet soit gratuit (si l’appel est passé à partir d’une ligne fournie par l’opérateur), mais rien ne les empêche – et ils ne s’en privent pas – de facturer le temps de service, qui peut être fort long. Certains fournissent des alternatives : forums, chats avec un technicien… mais on peut se demander s’ils sont plus efficaces que les appels téléphoniques, sinon comme moyen d’évacuer sa rancœur à l’égard d’un service de qualité parfois douteuse, malgré leur obligation de résultat.

On vient d’en avoir encore un exemple. Une gigantesque panne a affecté une bonne partie du réseau tentaculaire de Free dans la nuit de lundi à mardi : pas de communication avec le reste du monde pendant plus de deux heures, à partir de 0h30. Plus de 120 messages se sont alors échangés entre les usagers frustrés dans le forum de Free consacré au dégroupage jusqu’au retour graduel du service – de lui-même ou non, impossible de le savoir, cette Grande Muette-ci n’ayant pas réagi aux nombreuses questions qui lui étaient posées. N’y avait-il personne à l’écoute, ou était-ce un refus systématique de reconnaître un disfonctionnement de leur service ? La page web de Free destinée à afficher l’état de son réseau a imperturbablement indiqué « aucun problème réseau détecté » durant toute la panne…

Quant au chat avec leurs techniciens, un des malheureux clients a raconté son dialogue laborieux, au petit matin, avec l’« assistance », humains programmés tels des robots à poser des questions-type même après qu’on leur en ait fourni la réponse et à répondre avec une amabilité de rigueur et par formules convenues (« Suivant les informations que vous m’avez communiqué et les constatations que j’ai effectué sur nos outils il s’avère que ce souci et d’ordre général. Nous vous invite de bien vouloir patienter le temps que nos vérifications aboutissent merci de votre compréhension ») pour finalement renvoyer le désespéré vers le site affichant l’état (prétendument excellent) du réseau…

On est curieux de savoir si la stratégie de cavalier seul de Free aura une quelconque influence sur la qualité de l’interopérabilité avec les autres opérateurs. En tout cas, on espère que la qualité de la relation client d’Alice, récemment rachetée par la maison mère de Free, aura une influence positive sur celle de sa grande sœur. Mais de sombres suppressions d’emplois sont prévues. Elles s’accompagnent de doutes voilés émis par certains syndicats sur la capacité de dialogue social de l’acquéreur. C’est dans l’air du temps, et le fond de l’air effraie (titre d’une affiche du Caveau de la République en 1990).

11 septembre 2008

Ça presse

Classé dans : Livre, Sciences, techniques — Miklos @ 1:18

« Les pauvres yeux atterrés se firent violence pour retenir leurs grosses larmes. » — Eugène-Melchior de Vogüé, Les Morts qui parlent, 1899.

« Quotidianum da nobis hodie. »

« Si la presse n’existait pas, il faudrait ne pas l’in­ven­ter. » — Honoré de Balzac, « Les Jour­na­listes. Mono­gra­phie de la presse pari­sienne », in La Grande ville, nouveau tableau de Paris, comique, critique et philo­so­phique, t. 4, p. 87-208, 1843.

Gaudeamus igitur, Google communique sur son entreprise de numérisation en masse de milliards de pages d’articles de presse publiés dans des journaux depuis plus de 200 ans à la surface du globe et de les mettre en ligne indexés. Ils se sont aussi associés aussi avec quelques grands éditeurs de presse (à l’instar du New York Times et du Washington Post) qui détiennent déjà des archives numériques. Ces documents historiques se rajouteront à leur service d’accès à la presse quotidienne actuelle. On rêve des recherches et des découvertes qu’on pourrait y faire…

Entreprise démesurée ? En tout cas, à la mesure de son intention affirmée d’« organiser toute l’information du monde », et ils y mettent les moyens. L’annonce fournit l’adresse du nouveau service en version « beta » (c’est ainsi qu’ils avaient procédé pour le lancement d’autres projets). On peut effectuer des recherches dans les textes (et titres) des articles, la restreindre à une période spécifique, à ne vouloir obtenir que les réponses gratuites – certaines étant fournies par des archives payantes de partenaires du projet. Mais on n’a aucune indication claire du corpus disponible – il s’agit de toute évidence de quelques grands éditeurs américains, de documents juridiques de la Cour suprême (curieuse définition de la presse…) et d’un nombre de journaux nord-américains plus ou moins connus – ni de la période couverte – on retrouve quelques documents (une douzaine parmi les gratuits) datant du XVIIIe s., mais rien de systématique.

On aurait aimé lire les échos de la Révolution française dans la presse américaine de l’époque, mais rien n’est encore entré à ce sujet dans (la partie gratuite de) l’archive. En avançant dans le temps, on trouve trace de Napoléon ; ainsi, la Gazette de Pittsburgh datée du 26 mai 1807 rapporte les revers militaire de « l’invincible Napoléon » (italiques dans le texte) face aux Russes, et ajoute : « When tyrants meet with a reverse of fortune suspicion always haunts them. The invincible Napoleon imputing his want of success to his officers, is said to have accused several of them of treason. His former favorite Duroc is reported to have incurred his displeasure, and to have been sent back to France under an escort of gens d’armes. » À cette époque, le torchon brûlait entre les États Unis et Sa Majesté Britannique : le journal rapporte dans le même numéro que le Président [Jefferson] avait enjoint à un navire de guerre britannique de ne jamais entrer dans les eaux territoriales américaines, et que ce bâtiment avait enfreint à l’interdit.

Contrairement au service de livres numérisés, les contenus eux-mêmes ne sont pas forcément hébergés dans les serveurs de Google : c’est le cas pour les détenteurs d’archives numériques, que Google ne fait qu’indexer et référencer et y fournir l’accès (gratuit ou payant, selon le choix du partenaire). Par contre, Google numérise probablement des microfilms d’autres partenaires, et en héberge le résultat avec des degrés très variables de qualité : pour certains, il identifie de façon assez remarquable les contenus (mot par mot) et la mise en page (les titres), ce qui permet d’en retrouver le contenu, de l’afficher et de s’y déplacer aisément en glissant les pages à l’écran (pour autant qu’elles se soient chargée entièrement). Par contre, on y trouve des pages entières noircies, tachées, déchirées, illisibles et donc souvent inutilisables, comme on peut le voir ci-contre : il est patent que le traitement de masse, automatisé, n’est pas suivi d’un contrôle de qualité. Triste comparaison avec la haute qualité de leur numérisation de livres, et probablement due au fait qu’ici ils n’ont pas utilisé les journaux eux-mêmes mais des microfilms de qualité parfois très médiocre. En théorie, il aurait été utile d’en estimer l’état avant le procédé, et de revenir – si possible – à l’original papier si nécessaire, mais il ne semble pas que cela ait été effectué ; vu l’ampleur du projet, il est peu plausible que cela se fasse, et l’on serait alors condamné, dans ces cas, à accéder à une version dégradée d’une mauvaise photographie de l’original.

Un autre défaut, qu’on a aussi identifié dans leur rubrique de livres numérisés (mais dû probablement à d’autres raisons) est l’indexation incorrecte des dates des documents. Le Victoria Daily Standard daté de 1873 se retrouve classé en 1783, et des milliers de journaux, classés de 1600 à 1699, ont été publiés des centaines d’années plus tard (le Mckenzie River Reflection ne date pas du 10 juin 1664 mais du 10 juin 1994, le numéro de la Tribune qui annonce son édition web n’a probablement pas été publié le 4 janvier 1600…).

C’est donc effectivement une version « beta », et on peut s’attendre à – ou du moins espérer – que la qualité technique des contenus et la couverture des fonds (périodes, pays) s’amélioreront. On ne peut manquer d’établir quelques comparaisons superficielles avec des projets similaires. On se souviendra de l’annonce de la Bibliothèque nationale, le 16/2/2005, de numériser rétrospectivement la presse française couvrant la période 1826-1944, « les archives complètes des quatre premiers [Le Figaro, La Croix, L’Humanité et Le Temps] pourront être consultés sur l’internet dès le début d’année 2006 [… sur] Gallica ». On y trouve effectivement des titres en ligne, mais la consultation ne se fait que par date de parution et en « mode image » : il est impossible d’effectuer une recherche dans le contenu des articles, ce qui revient au mode de consultation des exemplaires papier. Quant à Gallica2, la version « beta » de la BnF, elle annonce bien sur sa page d’accueil « Nouveauté : retrouver les périodiques et la presse dans Gallica 2. Près de 1200 titres de périodiques », mais comment diantre fait-on pour les y retrouver rapidement, les feuilleter ou y effectuer une recherche ? Il semblerait qu’il faille, pour ce faire, aller dans la recherche avancée, cocher « périodique », indiquer son nom dans « titre », puis après quelques autres clics trouver finalement le journal en mode image (une recherche d’un mot très visible dans les contenus n’a rien donné). Pas évident…

Quant au projet de réseau francophone de bibliothèques nationales numériques, « né en 2006 parallèlement à la Biblio­thèque numérique européenne » (qui sera inaugurée sous le nom d’Europeana en novembre 2008), il a révélé au public son prototype de portail lors du Congrès mondial des bibliothèques et de l’information, il y a un mois. Par son entremise, on peut accéder aux documents numérisés par les partenaires ; en ce qui concerne la presse, on y trouve un nombre impressionnant de numéros (133 541 de France, 66 670 du Québec, 3639 du Luxembourg, 1311 de Haïti, etc.). Les documents provenant de France (et de Haïti) sont en fait fournis par Gallica (et non pas Gallica2) dans son interface traditionnelle et portent souvent la mention « Le document que vous avez demandé n’est pas accessible » tout en affichant son contenu… Ils ne sont donc pas (encore) indexés mot à mot, mais uniquement accessibles par date.

D’autres projets sont en cours. On lira ce qu’en dit le New York Times dans son article consacré au projet de Google. En tout cas, nous en sommes encore aux balbutiements de l’accès tout numérique aux archives de la presse. On suivra avec curiosité et intérêt ces divers projets qui se pressent (c’est le cas de le dire) pour être…

© Michel Fingerhut, 1985.

27 août 2008

Les références du Monde

Classé dans : Actualité, Musique — Miklos @ 22:39

« Bon navet se sème en juillet. » — Dicton populaire.

Florence Foster Jenkins doit sa notoriété à avoir été le parangon de la cantatrice désaccordée et désinhibée : aux antipodes de la planète de ceux qui prétendent à l’oreille absolue, elle chantait absolument faux, et – ce qui la distingue de tous les autres amateurs du même acabit – avait les moyens de le faire en public, et pas n’importe où : elle arriva même à donner un récital à Carnegie Hall. Le disque The Glory (???) of the Human Voice, disponible depuis de longues années, a préservé la trace de son interprétation si particulière d’une dizaine d’arias. Peut-on vraiment l’écouter entièrement, et plus encore le réécouter ? pour une oreille musicale, c’est atroce, et pour tous, c’est le comble de la dérision. Autrement dit, l’antithèse de l’humour. « Avant l’apparition de l’humour, on riait sans vergogne des handicaps », dit Alain Finkielkraut lors d’un entretien publié dans le Magazine Littéraire de cet été consacré à « L’humour, cette insoutenable légèreté des lettres ». Il ajoute : « La France d’aujourd’hui (…) ne veut plus Perceval, mais Jacquouille. . . . Le rire qui revient actuellement, c’est précisément tout ce que l’humour a su congédier et qui fait retour aujourd’hui par une forme de spirale, pour le liquider sous ses sarcasmes satisfaits. . . . Ce rire-là n’est pas solitaire : il est malgré tout une variante du lynchage. Il est le rire de tous ceux qui se regroupent pour se moquer de ce qui ne leur ressemble pas »

Il n’est donc pas très surprenant qu’un récent DVD soit consacré à Jenkins. Il se vendra bien : il est dans l’air du temps, et surtout, Le Monde lui consacre un article (25.8.2008), bien qu’il soit, selon le critique, « un peu ennuyeux dans sa forme et son récit ». Pourquoi alors en parler, est-ce du fait que l’on soit encore en été, saison des navets ?

Mais il n’y a pas que le choix du sujet qui nous interpelle à la lecture de l’article. Il commence ainsi :

On ne peut faire mieux que Wikipedia, l’encyclopédie d’Internet, pour présenter l’une des chanteuses lyriques les plus célèbres du XXe siècle : « Florence Foster Jenkins (1868-1944) était une soprano américaine, célèbre pour son incapacité totale à chanter correctement. »

Si le terme « l’encyclopédie d’Internet » est curieux (« Internet » devenu un label de marque reconnue, à l’instar de « l’encyclopédie Britannica » ou de « l’encyclopédie Larousse »), ce qui l’est encore plus est ce en quoi cette citation varie de l’original malgré les guillemets : la WP française écrit : « Florence Foster Jenkins (26 novembre 1868 – 1944) est une soprano américaine. . . . », tandis que la WP anglaise annonce : « Florence Foster Jenkins (July 19, 1868–November 26, 1944) was an American soprano. . . . », comme le font d’ailleurs toutes les autres versions, de l’allemand au suédois : le 26 novembre est le jour de son décès, non pas celui de sa naissance. Le reste de l’article que consacre la WP française à Jenkins sonne, mutatis mutandis, aussi mal que les arias de la dame en question : il est patent que c’est une traduction littérale et laborieuse de la version anglaise qui en conserve les tournures tout en y rajoutant des faux amis (interview traduit par entrevue et non pas par entretien, etc.).

On est aussi étonné que l’encart consacré aux « chanteurs de série B ou C » dans cet article du Monde ne mentionne pas la géniale soprano Cathy Berberian, à la voix agile et polymorphe – de Monteverdi à Stravinsky et Berio (son mari, pendant un temps), aux Beatles et aux BD (Stripsody que l’on peut écouter sur le site qui lui est consacré), via les chansons populaires italiennes, Debussy ou Kurt Weill – qui a parodié Jenkins en interprétant à sa façon l’aria Nymphs and Shepherds de Purcell avec un brio extraordinaire. Berberian avait un tempérament solaire et joyeux, ainsi qu’une grande intelligence musicale : il est donc d’autant plus remarquable qu’elle ait pu chanter intentionnellement faux, et avec une telle exubérance. Du grand art. On ne pourra que conseiller à ceux en mal de musique et d’humour d’acheter le CD magnifiCathy – the many voices of Cathy Berberian.

16 août 2008

Regards croisés

Classé dans : Photographie — Miklos @ 22:30

La carrière du photographe Richard Avedon a commencé avant la naissance d’Annie Leibovitz et s’est achevée au début des années 2000 (il est décédé en 2004). À première vue, les expositions qui leur sont consacrées simultanément à Paris invitent la comparaison : photos de mode glamour mondialement connues pour les mêmes magazines, portraits de célébrités, d’inconnus et de membres de leurs familles.

Mais la différence est profonde, tout d’abord par le parti pris de chacune d’elles. La présentation de l’œuvre d’Annie Leibovitz est organisée de manière à mêler, à intégrer, à tisser le public, l’anonyme et le privé tels qu’ils le sont d’ailleurs dans sa vie ; le choix et l’agencement sont construits par l’artiste (quelques panneaux illustrent la façon dont elle s’y est prise), sorte de mise en scène des mises en scènes que sont chacune de ses photos, et qui fait ressortir le sens profond qui lie le tout au fil des quinze années représentées à l’exposition (on se rappellera des immenses photos de Monument Valley comme érigées à la mémoire de son père et de Susan Sontag, et suivant immédiatement leurs photos sur leurs lits de mort). À l’opposé, dirait-on, l’œuvre d’Avedon est organisée en deux parties – photos de mode des années 50 d’une part, et portraits de célébrités puis surtout d’anonymes d’autre part, choix méthodique qui exclut presque totalement des pans entiers de son œuvre, moins connus.

C’est là encore une différence entre les deux approches : si l’un et l’autre sont connus pour leurs photos iconiques – Annie Leibovitz pour John Lennon agrippé nu à Yoko Ono et Richard Avedon pour la frêle et élégante Dovima en robe de Dior entre deux éléphants qu’elle semble repousser tel Samson les colonnes du Temple, par exemple – la première permet de découvrir son grand talent de portraitiste allant à l’intime, tandis que la seconde, s’ouvrant justement par deux des œuvres les plus connues (Diovima et ses deux éléphants et les deux portraits de Samuel Beckett), ne s’écarte que trop rarement du systématique et du hiératique pour en montrer l’exceptionnel, telle cette photo de Marguerite Duras en petite fille malicieuse qui vient de jouer un mauvais tour qui l’amuse beaucoup, ou cette autre photo bien plus curieuse (et amusante) de Diovima entre ses deux éléphants, où les trompes des deux pachydermes et le bras droit de la modèle s’élèvent en un même geste, comme pour un élégant pas de trois.

Les photos de mode des deux artistes – d’une grande élégance dans leurs genres respectifs – sont essentiellement différentes. La mise en scène d’Avedon saisit le mouvement dans sa lancée, la robe qui froufroute, le pied qui va se poser : ses sujets ont l’air pris inopinément, tels Suzy Parker et Robin Tatersall en patins à roulettes place de la Concorde (habillés par Dior, ce n’est pas un détail), la même Suzy Parker (habillée par Balmain cette fois) sortant du Café des Beaux-Arts, sa cape volant au vent, les pieds élégants flous du fait de leur mouvement rapide, Elise Daniels (en Balenciaga) jetant un regard de côté à des acrobates et musiciens de rue dans le Marais. L’élégance du mannequin qui contraste souvent avec le décor en décrépitude ou canaille et le mouvement saisi – bien plus féminins et racés que les déhanchements stéréotypés et mécaniques des défilés de mode actuels – ne manquent pas de mettre en valeur l’œuvre du grand couturier qu’elle porte et de montrer comment elle se déploie dans l’espace (même s’il doit être particulièrement difficile de produire ces fabuleux effets de cape volant au vent sans une batterie de ventilateurs judicieusement disposés pendant la prise de vues). Leibovitz, quant à elle, immobilise, en quelque sorte : elle photographie la personne posée, « floute » l’arrière-plan, et nous montre un moment d’éternité tout en faisant appel à notre affect. Heureusement qu’Avedon se départit parfois de sa posture essentiellement esthétique pour laisser cours à son humour, comme dans la photo de Suzy Parker – toujours elle – penchée sur un flipper à la Piscine Deligny. Sa robe de soirée Lanvin-Castillo se relève coquinement à l’arrière comme invitant le passant à la trousser.

Ce qui fait, entre autre, l’art de ces deux photographes c’est leur talent de mise en scène, mais cela ne suffit pas pour assurer la qualité d’une photo. Il est intéressant à cet égard de comparer les portraits d’un même sujet effectués par les deux artistes : celles de William Burroughs ou de Susan Sontag, par exemple. Avedon cadre de façon très originale le premier, à gauche de la photo, en partie mangé par la marge (symbolisme élémentaire, mon cher Watson), le reste est le fond blanc, le tout avec le cadrage typique à Avedon, une bordure noire en deux parties, un « U » pour trois des côtés, surmonté d’une barre horizontale qui ne le touche pas ; Leibovitz le prend (aussi) de profil, et en fait ressortir le côté monumental et de mort-vivant. Quant à Susan Sontag, grâce à – ou malgré – la proximité entre la photographe et son sujet, les portraits qu’en fait Leibovitz font ressortir l’intensité, la passion et l’intelligence de l’écrivain (et, dans l’intimité, la Passion que fut sa fin de vie), tandis qu’elle n’est qu’un portrait parmi d’autres pour Avedon (ce qui n’est pas le cas de tous ses portraits, comme on le verra plus loin).

Mais revenons à la mise en scène d’Avedon : dans la salle qui suit la période mode des années 50, on tombe sur une immense fresque murale composée de trois panneaux raccordés. Y sont représentés certains des artistes de The Factory, le studio créé à New York dans les années 60 par Andy Warhol, où se retrouvait l’avant-garde de l’époque. Tout en étant savante et fort bien calculée, la composition ne manque pas de piquant dans un jeu de symétrie/dissymétrie et se lit à divers niveaux. Les personnages, debout, de trois-quart ou de profil et regardant tous la caméra à l’exception de celui à l’extrême droite – c’est Andy Warhol, le maître de céans, qu’on aurait pu bêtement représenter au centre tel Jésus et ses apôtres (ils sont treize, sur la photo) – sont disposés en quatre groupes : deux groupes de deux aux extrémités, deux groupes de quatre et de cinq au centre. Dans celui du centre-gauche, quatre hommes nus leurs vêtements jonchant le sol, mais avec des variantes : celui de gauche est la star transexuelle « pre-op » Cindy Darling, et celui de droite, l’acteur Tom Hompertz1, tient sa veste du bout des doigts, comme s’il venait de la retirer et allait la laisser tomber. Le groupe de centre-droite est composé de trois hommes – le poète, photographe et réalisateur Gerard Malanga, le réalisateur Paul Morrissey dont on n’aperçoit que la tête et l’acteur Taylor Mead – et de deux (« vraies ») femme – les actrices Viva et Brigid Polk2. Ils sont tous habillés, à l’exception du sein droit de Polk. À l’extrême gauche, Paul Morrissey derechef, en cap et habillé en noir, et le célébrissime Joe Dallesandro dans le plus simple appareil (tenue dans laquelle il s’était fait connaître). À l’opposé, le même Joe Dallesandro en noir, aux côtés d’Andy Warhol en train de sortir du portrait. Et comme pour souligner le propos, face à cette fresque une photo du couple de poètes de la beat generation, Peter Orlovsky et Allen Ginsberg (qui n’est pas que l’auteur du bouleversant Kaddish ou de Howl à la gloire de ses amis), enlacés, nus.

Les tableaux de groupe ne sont pas une invention de la photographie : La Ronde de nuit de Rembrandt, Louis XIV présentant le Dauphin à la Cour ou La Cène de Salvador Dalí en sont quelques exemples. Avedon (et Leibovitz de son côté3) innove dans le genre, comme il l’avait fait plus tôt pour les photos de mode. Andy Warhol and members of The Factory en est un bel exemple dans un genre, mais aussi, différemment, la photo des Générales des Filles de la Révolution américaine4 ne manque pas de saveur : des dames d’âge canonique, toutes habillées comme la Reine d’Angleterre, se préparent à poser ; elles sont placées classiquement : deux d’entre elles assises au premier plan le regard vague, les mains croisées sur leur giron et la traîne savamment drapée autour d’un pied de leur fauteuil, huit de leurs compagnes disposées en demi-cercle à l’arrière, certaines finissant d’ajuster leur robe de soirée, tandis leur imposante Présidente Générale, au centre, tourne le dos à la caméra, probablement en train de donner ses dernières directives à ses troupes. Photo volée ou non, elle ne manque pas de cocasse. Avedon l’avait d’ailleurs fait aussi dans quelques-unes de ses photos de mode : celle prise au comptoir de chez Maxim’s en 1959, composée de trois couples – les femmes en robe de soirée blanche, les hommes en costume noir en des poses gentiment outrées ; au centre, la si mignonne Audrey Hepburn avec l’humoriste Art Buchwald, chapeau à la tête. Sur le mur du fond, deux gravures de mode… Tout pour mettre en valeur sans y paraître les robes de Balmain, de Dior et de Patou.

La seconde grande partie de l’exposition propose une quantité de portraits de célébrités et d’inconnus, bien trop systématique à notre goût, la grande majorité prise dans les mêmes conditions que l’on pourrait qualifier de cliniques (voire d’anthropométriques) : le sujet, impassible, fait face à la caméra, et le fond est blanc. Dans cette (con)fusion, on remarque pourtant des photos fort intéressantes : le triptyque Stravinsky, où la seule – mais cardinale – différence entre les photos est le regard : baissé et comme absent à gauche, relevé au centre et perçant à droite ; les regards de Jean Renoir ou de John Ford ; une Marilyn Monroe en tenue de soirée mais le visage dénotant un profond désarroi, loin des photos glamour de l’actrice ; trois photosa, b, c très originales du pianiste Oscar Levant – dont le rêve tendre et cocasse, dans le film Un Américain à Paris, est celui de tout musicien : être en même temps le soliste, le chef, tous les musiciens, voire tout le public… – avec une expression et, dirait-on, un maquillage de clown… Pour l’intime, à l’opposé Leibovitz qui en montre les traces tout au long de la période couverte par l’exposition, on ne verra que quelques photos du père du photographe, fort âgé, bien mis et le regard se détournant de l’objectif, ou la main dissimulant sans doute un rire.

Quant aux inconnus, ils font partie de la série In the American West prises dans le fin fond de l’Amérique profonde sur une période de six années : femmes au foyer, petites mains, fermiers, ouvriers, sans domicile fixes, aux visages las marqués par leur dur labeur ou le perpétuel combat pour la survie, les habits tâchés par la matière qu’ils manipulent et qui les dévorent, ceux que nul n’aura pris la peine de regarder jusqu’à ce qu’Avedon l’ait fait pour nous, à l’instar de celui du sdf Clarence Lippard, dont la peau ressemble à la terre desséchée du désert ; malgré cela, son regard perçant fixe la caméra, et sa belle chevelure semble comme disposée par un vent caressant ; le jeune mineur de fond James Story se tenant tel un forçat ou un martyr épuisé… Mais il n’y a pas que des laissés pour compte qu’il y a photographiés : un propriétaires à l’air arrogant, une femme au foyer bien dans ses pompes, une ouvrière couverte de billets de un dollar le jour de son anniversaire…

Cette exposition fort remarquable laisse toutefois un sentiment mitigé non pas sur l’œuvre d’Avedon mais sur le parti pris de l’exposition, où la systématisation et l’esthétisme ont pris le dessus. Ce dernier est particulièrement dérangeant dans la série In the American West, où, à force d’admirer les photos présentées à la queue-leu-leu on en oublie le sujet – ce qui n’est pas le cas pour celles de Leibovitz, présentées chacune comme unique et distincte de ses voisines, et qui attirent l’empathie. La systématisation a aussi exclu bien d’autres portraits faits par Avedon de certains des sujets exposés ici et plus intéressants : sans doute ne correspondaient-elles au critère de pose quasi unique (impassibles face à la caméra) qui a semblé présider au choix. C’est dommage, mais il ne faut pas en bouder la visite.


1 Le catalogue orthographie incorrectement son nom « Hempertz » dans la légende de la photo.
2 De son vrai nom Brigid Berlin.
3 On se rappellera de la photo du gang cabinet Bush dont nous avons parlé ailleurs ou de celle de la photographe Cindy Sherman prise en compagnie de huit sosies ; Leibovitz explique que sa collègue n’aimait pas être prise en photo, et c’était la seule façon qu’elle avait trouvé pour la convaincre de poser. Mais aussi, le second degré des tableaux de la série des couvertures pour Vanity Fair tels que Master Class (avec non moins que Nicole Kidman, Catherine Deneuve, Meryl Streep, Gwyneth Paltrow, Cate Blanchett, Kate Winslet, Vanessa Redgrave, Chloë Sevigny, Sophia Loren et Penelope Cruz… !), Ben Stiller, Owen Wilson, Chris Rock et Jack Black avec quatre pingouins, ou enfin le tryptique Boys’ Town – clin d’œil au tryptique de La Factory d’Avedon ?
4 Fondé en 1890, c’est un ordre héréditaire composé exclusivement de descendantes de personnes ayant contribué à l’indépendance des États-Unis, et ayant pour vocation de « garder l’Amérique forte en promouvant le patriotisme, conservant l’histoire des US et soutenant des programmes pédagogiques ».

17 juin 2008

Retour en arrière vers le futur

Classé dans : Progrès, Publicité, Sciences, techniques — Miklos @ 19:21

« (…) il [le philosophe en son Ecclésiaste] dit que, bien qu’arrive parfois quelque chose qui semble nouveau, cela pourtant n’est pas quelque chose de vraiment nouveau, mais est arrivé dans des siècles fort antérieurs bien qu’il n’en demeure aucune mémoire ; car, comme il le dit lui-même, il n’est aucune mémoire des choses anciennes chez ceux qui vivent aujourd’hui, et de même aussi la mémoire des choses d’aujourd’hui n’existera plus pour ceux qui viendront plus tard. » — Spinoza, Traité Théologico-politique (cité par Pierre Macherey, « Spinoza, la fin de l’histoire et la ruse de la raison », in Spinoza: Issues and directions. The Proceedings of the Chicago Spinoza Conference, 1990).

« Quant à la toile d’araignée, c’est aussi un fil qui lie, d’autant plus efficace qu’il enferme sa proie pour ne plus jamais la relâcher. » — Francine Saillant et Françoise Loux : « “Saigner comme un bœuf” : le sang dans les recettes de médecine populaire québécoises et françaises », in Culture vol. XI n° 1-2, 1991.

Dans sa dernière lettre d’information FYI France consacrée à la globalisation de Wikipedia, Jack Kessler évoque « plusieurs commentaires fort intéressants [sur les listes de diffusion Biblio-FR et COLLIB-L], pour et contre mais de façon croissante situés vaguement entre ces deux extrêmes, émergent dans les discussions actuelles, tandis que c’était la passion qui y régnait au début ».

Il est utile de rappeler que les discussions à propos de la Wikipedia ont débuté dans le forum des bibliothécaires francophones en 2004, et qu’alors comme aujourd’hui elles concernaient en général (i) ses aspects participatifs, (ii) le volume de ses contenus et (iii) la qualité de ses contenus (couverture – exhaustivité – et exactitude – véracité). Ce n’est pas en France que le débat sur la WP avait commencé : pour le mettre en contexte lors de son émergence ici, j’avais cité l’article de Hiawatha Bray qui soulevait déjà la question de la nécessité d’un « processus éditorial formel », voire d’un « comité éditorial composé d’experts dans des domaines divers » pour obtenir une meilleure qualité.

Il me semble que, contrairement à ce que soutient Jack Kessler, les discussions n’ont pas vraiment évolué, puisque la Wikipedia n’a pas réellement évolué dans ses modes de fonctionnement, quelle qu’en soit l’opinion que l’on en a. Il est plus intéressant de constater son effet : des encyclopédies « établies » s’installent de façon croissante sur l’internet, baissent les prix de l’accès, voire le fournissent gratuitement (à l’instar de l’Encylopaedia Britannica – pendant un an, pour ceux qui écrivent en ligne – et, plus récemment, Larousse). Ceci ne « tuera » pas la WP – il serait futile de le souhaiter1 – mais fournit déjà une alternative bien nécessaire ; mais seront-elles aussi bien indexées que la WP dans Google, porte d’entrée unique à tous les contenus du réseau pour la grande majorité des internautes ?

Il est aussi intéressant d’établir des parallèles avec Google dans ses intentions totalisantes (pour ne pas dire hégémoniques : « toute l’information du monde pour un accès universel », que Jack Kessler avait détaillées après avoir participé à la réunion de ses actionnaires) et dans ses rapports avec la publicité. Concernant cette dernière, Nick Carr (dont je cite régulièrement le blog extrêmement intelligent et perceptif) nous avait rappelé en décembre 2005 que les fondateurs de Google avaient « mis en question la compatibilité de la publicité avec la mise en service d’un moteur de recherche efficace et non biaisé », allant jusqu’à les citer : « Nous prévoyons que les moteurs de recherche financés par la publicité seront biaisés de façon inhérente vers les publicistes et non pas vers les besoins du consommateur ». On sait ce qu’il en est advenu.

Wikipedia a aussi une relation chaotique à la publicité. Suite à l’article que j’avais consacré au séminaire public de Sciences Po autour du livre Révolution Wikipedia. Les encyclopédies vont-elle disparaître ?, la présidente de la Fondation Wikimedia, Florence Nibart-Devouart, avait réagi en affirmant que « Wikipédia n’a jamais utilisé la publicité, contrairement à la quasi totalité du contenu que l’on trouve sur internet. Depuis 7 ans, nos millions de pages sont dépourvues de la moindre publicité. » Mais qu’en est-il de l’accord de partenariat signé en 2005 entre WP et Answers.com qui concerne la syndication de contenus WP et le partage de revenus de publicité entre ces deux partenaires ? Qu’en est-il des réactions très virulentes des Wikipediens à l’apparition en 2006 du logo de la fondation Virgin Unite sur les pages de la Wikipedia (suite à un don). Il est vrai qu’en 2005, elle écrivait déjà « I generally do not support use of advertisment » (« En général, je ne soutiens pas l’utilisation de la publicité », formulation qui laisse plus de perspectives que son affirmation de l’année précédente, selon laquelle « The products are to be provided to the public free of charge and with no advertising » (« Les produits [Wikimedia] doivent être fournis gratuitement et sans publicité »). C’est oublier ce que son prédécesseur, Jim Wales, avait déclaré en 2001 : « Il y aura un jour de la publicité sur la Wikipedia. Soit ça, soit on devra trouver une autre façon de financer, mais je n’en connais pas. Ça ne sera pas pour bientôt : à cette date du 9 novembre 2001, je pense qu’il faudra encore attendre six mois ou un an. » Il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Google et la Wikipedia sont des phénomènes sociaux et économiques qui soulèvent les questions du sens profond de la notion de liberté, des frontières mouvantes entre démocratie et médiocratie, de l’individualisme croissant dans la cité et de son effet sur le tissu social, et, à l’inverse, de la traçabilité et de l’inscription accrues de l’individu dans les réseaux numériques de tous ordres (internet2, téléphoniques, RFID, cartes de crédit et autres) – qui se densifient avec les innovations technologiques, et de la réduction de la constitution et de l’accès à la culture et aux savoirs à des clics et à des statistiques. Et le politique, dans tout ça ? Il est souvent utile, pour avoir une perspective qui dépasse le présent perpétuel et l’avenir radieux, de relire les classiques : Joseph Schumpeter3 (l’économiste) et Jacques Ellul4 (le sociologue), et, plus près de nous, Philippe Breton.


1 Certains observateurs ont noté des tendances intéressantes dans son évolution.
2 Il est finalement prémonitoire que le terme web dénote principalement, et soit illustré par, une toile d’araignée…
3 See e.g., Joseph Schumpeter: Capitalism, Socialism and Democracy, 1942, ou Lucien-Pierre Bouchard: Schumpeter – La Démocracie désenchantée, Michalon, 2000.
4 La technique ou l’enjeu du siècle, Armand Colin, 1954 (republished 1990). In English: The Technological Society, Knopf, 1964.

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