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15 avril 2010

Life in Hell : ça ne rigole pas

Classé dans : Actualité, Politique, Société — Miklos @ 0:22


Chaque matin, Akbar enfourche une bicyclette pour une promenade d’une demi-heure et de quelques milliers de kilomètres, parfois plus. Étonnant, dites-vous ? À le voir comme ça, on ne se serait pas douté que… Stupéfiant, même, lorsqu’on apprend qu’il fait du sur-place. Tout s’explique quand on constate que c’est en salle, les yeux rivés sur le mini-téléviseur qui diffuse les programmes de la chaîne Planète : ils lui font visiter la Terre d’un bout à l’autre, du Ténéré à la Mongolie, des déserts d’Australie aux jungles amérindiennes. D’ailleurs, si vous êtes un lecteur assidu des aventures de notre héros, vous n’êtes ni étonné, ni stupéfait :
vous le saviez déjà.

Akbar ne regarde plus Planète : à l’heure de sa balade roborative, la chaîne diffuse des séries, genre épreuves d’endurance quasi initiatiques pour une équipe d’occi­dentaux plongée dans une culture étrangère, de préférence tribale et colorée, émissions dont le principe est parfois trop répétitif (malgré les changements de paysage) et les intentions transculturelles simplistes.

Dorénavant, il se branche sur Public Sénat. Voici qu’il tombe sur Déshabillons-les. Après son passage dans les vestiaires de la salle où il vient justement de se mettre en tenue, Akbar se dit que c’est peut-être la suite ? Eh non, c’est une série de débats consacrés à l’analyse de l’actualité et des comportements de ceux qui la font.

Aujourd’hui, il s’agit de La politique du sourire : qu’exprime un sourire et que cache-t-il, quelle est sa fonction sociale, voire politique ? Comment est-il perçu ? Pour en débattre, quatre experts de ce type de grimace : un spécialiste de l’histoire du corps, de normes et de codes esthétiques (Georges Vigarello au discret sourire), un neurobiologiste spécialiste du cerveau (Sébastien Bohler, au sourire et au regard coquins), un sondeur d’opinion (le très souriant Jean-Daniel Lévy de l’institut CSA) et un psychanalyste (Daniel Sibony, qui vient de publier Les sens du rire et de l’humour, le visage réservé, voire mélancolique ou triste, est-ce du fait de sa connaissance des sombres recoins de l’âme ?).

Aucun humoriste parmi les invités : il ne s’agit pas d’humour, mais de pouvoir et de soumission, de violence et de véhémence, d’atteintes narcissiques et de dénis, de conjurations et de connivences. Le sourire éclatant d’une Roselyne Bachelot souhaitant explicitement à Martine Aubry de se casser la gueule ; le sourire contraint et décalé d’une Ségolène Royal dans son discours de défaite plagié, quant au texte, sur celui de Mitterrand qui lui avait livré le sien d’un air grave et convaincant ; le sourire détendu et amusé d’un Sarkozy visionnant la parodie que fait de lui Laurent Gerra et son sourire carnassier une fois arrivé au pouvoir… Des études ont montré, apprend Akbar, que plus le niveau de testostérone est élevé et plus la position dominante est assurée, moins l’homme sourit. À l’inverse, ceux qui sont soumis y ont recours pour charmer et pour séduire, tel Villepin. Ou, comme l’explicitera Sibony, la femme, qui accueille. Sexuellement. Comme quoi, se dit Akbar, Sibony considère la femme comme soumise à l’homme. Et pourtant il en connaît des qui…

Le sourire est un masque obligé dans une société de plus en plus individualiste où règne la pression d’optimisme, le culte de la réussite et du nous sommes ensemble. Il en devient un outil de déni des problèmes réels. Daniel Sibony conclut ainsi : « Il y a d’un côté le sourire outil de travail, considéré comme outil miracle, et peut-être son utilisation va se moduler et se modérer. D’un autre côté, je crois que la vie politique gagnera beaucoup à se laisser imprégner par ce qui fait vraiment éclater de rire, fait rire réellement, au sens que c’est cocasse, que c’est grotesque, et que peut-être même de petites rigoles de joie peuvent s’infiltrer jusque là. Et la joie, c’est la source du rire la plus éternelle. »

Akbar se demande si un tel spécialiste du sens profond que véhiculent les mots a intentionnellement utilisé « rigole » dans ses deux acceptions… Ce n’est pourtant pas un rigolo, Sibony.

Appliquant ce qu’il vient d’apprendre, Akbar se dit que le niveau de testostérone de l’animatrice doit être très élevé en dépit de son sexe : elle sourit tout le temps, et de sa position dominante interrompt à tout bout de champ ces quatre mâles pour compléter leurs phrases à sa façon à elle et en raccourci, pour fournir elle-même la réponse aux questions qu’elle leur pose ou pour passer la parole de l’un à l’autre. Il n’est pas question de développer une réflexion, on est après tout à la télévision.

Akbar se demande s’il n’est pas préférable qu’il se branche plutôt sur Desperate housewives ou sur Sex and the city, deux séries mentionnées lors de l’émission.

En tout cas, le diagnostic de l’homme non-souriant se confirme expérimentalement sur le terrain : dans les vestiaires, qu’il rejoint après ses efforts physiques à bicyclette et intellectuels à la télévision, il y croise des mâles dominateurs, musclés, muets et le visage figé, quoique déshabillés. Ça ne rigole pas, au sport.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

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