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20 novembre 2010

Alla breve. XXXIII.

Classé dans : Actualité, Alla breve, Musique — Miklos @ 23:16

[230] Écoutez l’opéra Margaret Garner. Margaret Garner était esclave au Kentucky. Parvenue à s’échapper avec sa famille, ils sont découverts et cernés. Pour éviter de retomber en esclavage, elle jure de tuer ses enfants et de se tuer, et parvient à poignarder sa fille âgée de deux ans avant d’être maîtrisée et emprisonnée. Elle n’est pas jugée pour meurtre mais pour dégradation de propriété – en tant qu’esclave, elle n’a ni droits ni devoirs – et est renvoyée en esclavage avec son mari. Sur la base de cette histoire bien tristement vraie, le compositeur Richard Danielpour, lauréat d’un Grammy en 1991 pour toute son œuvre, et l’écrivain Toni Morrison, lauréate du prix Nobel de littérature en 1993 et du prix Pulitzer en 1988, ont collaboré à la composition de cet opéra dont la première mondiale a eu lieu en 2005. Le rôle titre est interprété par la soprano Denyce Graves, pour laquelle Danielpour a composé la partition du personnage. La National Public Radio américaine (dont on n’a de cesse d’apprécier la grande qualité de la programmation) propose l’écoute intégrale de l’œuvre, accompagnée d’éclairages du compositeur et de la librettiste. Celle-ci précise qu’il ne s’agit pas tant d’une histoire concernant le racisme, mais l’esclavage, ce qui n’est pas la même chose. « Tout le monde, chrétien, noir, juif, européen… a eu des esclaves parmi ses ancêtres. Ce n’est pas non plus à propos du fait de l’esclavage, mais de ses conséquences, de ce qui se passe intérieurement, émotionnellement, psychologiquement, quand on est soumis à l’esclavage. Que fait-on pour transcender cette circonstance ? C’est ce que cet opéra s’évertue à révéler. »

[231] Comment voyager avec un violoncelle. Umberto Eco avait étudié une problématique similaire, celle concernant le saumon. Mais le violoncelle, c’est une autre paire de manches, même s’il n’est pas fumé et qu’on n’essaie pas de le mettre dans le mini-frigo d’une chambre d’hôtel : le problème est en amont. Kristin Ostling, membre du quatuor américain Carpe Diem (aucun rapport avec un autre poisson, la carpe), s’est vu refuser l’entrée en Grande Bretagne du fait qu’elle voyageait accompagnée de son violoncelle, avec lequel elle venait accompagner (juste retour de procédé) gratuitement une conférence à l’Université de Leeds. La raison ? Se basant uniquement sur la taille de l’instrument, le gabelou de Sa Majesté en a conclu qu’elle tentait de s’infiltrer subrepticement pour travailler dans son royaume, et qu’il lui fallait donc un visa de travail en bonne et due forme, pour éviter sans doute qu’elle ne se joigne aux milliers de violoncellistes sdf qui saturent les rues de la capitale. Les autres membres du quatuor, équipés qui d’un violon qui d’un alto, ont pu franchir la frontière comme une lettre à la poste. La morale de cette histoire, la rirette, la rirette, c’est que les universités anglaises devront dorénavant bannir de leurs concerts toutes les œuvres comprenant un instrument d’une taille supérieure à, disons, 75cm, ou alors se contenter de violoncellistes britanniques pur jus (si si, il y en avait eu de bons : Jacqueline du Pré, évidemment, mais aussi Felix Salmond, dont le patronyme facilitait sans aucun doute le voyage avec son instrument en le noyant dans l’eau, en quelque sorte). (Source)

[232] Le chien qui chante. Si nous avons en France un chat qui pêche, les Britanniques, dont on vient de voir qu’ils ont un sens de l’humour bien particulier surtout quand il s’agit de musique et d’espèces animales, peuvent dorénavant apprécier un nouvel opéra à propos d’un chien qui chante. C’est l’histoire d’un chien errant, battu et affamé : « J’ai tout vécu, je suis résigné à mon destin, et si je pleure maintenant, c’est seulement à cause du froid et de la douleur physique, parce que mon âme n’est pas éteinte… c’est vivace, une âme de chien. » Elle est vivace, l’âme russe. Il sera recueilli par un médecin, qui va greffer au malheureux canidé l’hypophyse et les organes génitaux d’un homme venant de mourir. Et c’est là que tout dérape : la gentille bestiole devient odieuse, car le donateur était en fait un ivrogne grossier et sans scrupule, et se transforme en bureaucrate type. Le médecin finira par lui retirer les organes humains et lui remettre les siens. Cette histoire n’est pas sans rappeler la splendide et terrible nouvelle Des Fleurs pour Algernon, mais la précède de plusieurs décennies : il s’agit de Cœur de chien, la nouvelle satirique de Mikhaïl Boulgakov, écrite en 1925 et qui a sans doute inspiré Orango de Chostakovitch (voir brève suivante). Le texte, dans une traduction française de Vladimir Volkoff, est disponible en Livre de poche. L’opéra éponyme a été composé en 2008-2009 par le compositeur russe Alexander Raskatov (fils d’un journaliste connu du célèbre magazine satirique russe Krokodil) sur un livret de Cesare Mazzonis. La première mondiale avait eu lieu à Amsterdam, et il est actuellement représenté pour la première fois à Londres, au English National Opera. Dépêchez-vous, c’est jusqu’au 4 décembre. Pour vous aider à vous décider, voyez ceci. Le chien s’appelle, dans l’opéra, Charik (ce qui veut dire en russe « boulette ») et son rôle est tenu par trois personnes, la soprano dramatique Elena Vassilieva pour sa voix audible de chien, le contre-ténor Andrew Watts pour ses pensées et le ténor Peter Hoare pour sa voix humaine. (Source)

[233] Création mondiale d’un opéra de Chostakovitch. Ou presque. Orango est un opéra « satirique sous forme de fable futuriste » que Dimitri Chostakovitch avait commencé à composer clandestinement en 1932, sur la base d’un livret de l’écrivain Alexis Tolstoï (1882-1945) et le critique littéraire Alexandre Startchakov (né en 1892 et fusillé en 1938). Sujet éminemment séditieux – inspiré partiellement, semble-t-il, de la nouvelle Cœur de chien de Boulgakov dont nous venons de parler –, comme on peut le lire dans l’article du Devoir de mars 2009 qui relate la découverte récente de larges fragments de l’œuvre dans les archives du compositeur au musée de la culture musicale Glinka à Moscou. C’est l’Orchestre philharmonique de Los Angeles sous la direction d’Esa-Pekka Salonen qui aura l’honneur de donner en 2011 la première mondiale de l’orchestration qu’en a effectué le compositeur et musicologue britannique Gerard McBurney, spécialiste de musique russe : il avait étudié au Conservatoire de Moscou et a publié de nombreux articles et textes savants sur la musique russe et soviétique (on peut lire ici un article qu’il a consacré à Chostakovitch à l’occasion du centenaire de sa naissance). On ne sait exactement pourquoi Chostakovitch n’a pas achevé son projet. Salonen émet l’hypothèse qu’on lui a donné le conseil amical de se consacrer à un autre projet, s’il souhaitait rester en vie. (Source)

[234] La nuit des Mayas. La nuit dernière, France 3 a rediffusé un concert de l’Orchestre de Paris sous la direction de Kristjan Järvi (le mardi 27 octobre 2009 au Théâtre du Châtelet), intitulé La Nuit des Mayas… au cœur de la musique sud-américaine. Il tire la première partie de son titre d’une œuvre du compositeur et chef d’orchestre mexicain Silvestre Revueltas (1899-1940), La noche de los Mayas, suite orchestrale (1939) ; il s’agit en fait de la musique pour le film éponyme de Chano Urueta. Plusieurs éditions en ont été publiées après sa mort, notamment une sous forme d’une suite en quatre mouvements par José Ives Limantour, et une autre en deux mouvements par Paul Hindemith. Contemporain moins connu car plus discret d’intellectuels et d’artistes très actifs après la révolution culturelle, à l’instar de Diego Rivera ou de Frida Kahlo, sa musique n’était pas uniquement joyeuse ou exaltante, satirique ou ironique, selon l’analyse qu’en fait le poète Octavio Paz : elle est profondément imbue d’une empathie joyeuse pour l’homme, l’animal et les choses, bien plus signifiante que nombre d’œuvres de ses contemporains. L’enregistrement qu’a fait Esa-Pekka Salonen avec l’Orchestre philharmonique de Los Angeles d’un CD consacré entièrement à Revueltas a gagné un Diapason d’or en 1999 (on peut le voir diriger ici le quatrième mouvement de La noche de los Mayas). Le concert de l’orchestre de Paris comprenait, en sus de cette œuvre, Estancia, quatre danses d’Alberto Ginastera, la Suite pour guitare à sept cordes et orchestre de Mauricio Carrilho et le Concerto pour bandoneon et orchestre d’Astor Piazzolla. Très enlevé et swingant, comme concert. Les notes de programme du concert fournissent des détails fort intéressants sur les quatre œuvres et sur le contexte de leur composition. Pour les anglophones, on conseillera aussi la lecture des notes de programme du Kennedy Center consacrées à cette œuvre. (Source)

[235] L’Italie paie l’Europe pour un concert. Ça ne rigole plus à la Commission européenne : celle-ci a ordonné à l’Italie de lui payer la coquette somme de 720.000 €. Cette somme, prise sur des financements régionaux européens, avait été utilisée par les autorités locales pour organiser un concert d’Elton John au festival de Piedigrotta à Naples en septembre 2009. La raison : ce type de subvention peut servir à soutenir la culture, mais uniquement lorsqu’il s’agit d’investissements structurels à long terme, tels qu’une exposition d’œuvres d’art, la construction d’équipements culturels ou la restauration d’anciens bâtiments. La vache à lait européenne commence à se tarir… (Source)

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