Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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27 septembre 2011

J’aime les chats

Classé dans : Littérature, Nature, Progrès, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 0:43

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai été fasciné par les chats tout à la fois lascifs et sur le qui-vive, tendres et féroces, câlins et solitaires, et touché par leurs petits qui se pelotonnent dans le creux de la main d’un adulte ou se lancent avec un acharnement sérieux et maladroit à la poursuite d’une boule de laine ou de leur propre queue.

Et pourtant, je n’en ai eu que deux, Vaska et Jimmy, des chatons dont je me souviens surtout du regard, les yeux grands ouverts, comme toujours étonnés par ce monde qu’ils découvraient avec une insatiable curiosité. Je n’avais pas encore cinq ans, nous habitions un appartement au rez-de-chaussée d’une maison bi-familiale située dans une banlieue qui faisait quelque peu village : il y avait donc de l’espace et ces deux-là pouvaient batifoler à leur guise à l’intérieur comme à l’extérieur. Sauf quand Erit, la grande chienne des voisins d’au-dessus, voulait jouer avec eux, elle en avait tellement envie : d’habitude rapide et agile, elle tentait, prudente et pataude, de glisser une longue patte vers ses voisines qui ne lui arrivaient pas bien plus haut que la cheville. Instantanément, ces petites boules pleines de naïveté et de joie de vivre se transformaient en un arc hérissé et feulant devant ce Gargantua qui reculait, non pas effrayé mais plutôt attristé que ses avances aient été ainsi rejetées. Eh oui, les ogres, même gentils, peuvent faire peur, comme le relate si bien Victor Hugo.

Quelques années plus tard nous habitions en ville. Il n’était pas question d’avoir un animal qu’on appelle domestique (comme les serviteurs autrefois), qui resterait enfermé toute la journée pour satisfaire notre bon plaisir (« et les poissons ? », dites-vous ? nous, on les préférait salés ou marinés, et surtout les harengs). Mais il y avait les chats errants, décharnés, farouches, sales et hurlant à la saison des amours comme des bébés qu’on égorge (ce qui alternait avec les aboiements des chacals qu’on entendait au loin). Je les observais de ma fenêtre, tandis qu’ils cherchaient par tous moyens à s’introduire dans les poubelles pourtant enfermées dans des boîtes en béton, dont ils arrivaient à déver­rouiller le loquet de la porte latérale ou à soulever le couvercle en glissant une patte dans l’anneau qui permettait de les ouvrir. Une fois dedans, il arrivait qu’ils ne pouvaient plus en ressortir, et c’était une symphonie de miaulements bien moins musicale que celle de Rossini (interprétée ici par un duo de chattes racés, Elisabeth Schwarzkopf et Victoria de Los Angeles).

Non seulement l’animal est malin, mais j’ai découvert qu’il pouvait avoir de l’éducation et du goût pour l’art. Autrefois, je fréquentais un restaurant dont le patron possédait un chat que je n’ai connu qu’adulte. Le patron, tel un dompteur, avait maté le matou et le traitait comme un chien (ce qu’il faisait parfois aussi avec ses clients). Le chat, un Diabolo bien triste, errait entre les tables, ne se laissait surtout pas caresser – malgré toutes mes tentatives qu’il ignorait, soit par un mépris tout félin soit, sans doute, à cause de l’abrutissement auquel il avait été réduit et par peur à la vue d’une main d’homme. Pourtant, un jour, sans que je l’aie vu approcher, le voici qui grimpe sur mes genoux, s’assied dans mon giron et commence à lécher le t-shirt que je portais pour la première fois dans ce restaurant : il était illustré d’un dessin de Kliban. Je précise qu’il n’avait aucune odeur particulière (autre que celle de la lessive habituelle dont je me sers).

Mais c’est lors de mon séjour aux États-Unis que je découvre, au début des années 1980, un autre type de chat. Ou plutôt, de chat, comme on l’appelle communément en français (pas celui du Québec, qui parle joliment de clavardage, à l’instar de courriel, ce qui a aussi pour effet d’éviter la surcharge de sens du mot mail). Le réseau Bitnet, un des embryons de ce qui deviendra l’internet, permettait à ses utilisateurs de s’envoyer des messages instantanés et donc dialoguer en direct entre eux d’un bout à l’autre du réseau, d’abord à l’aide d’une commande rudimentaire, puis, dès 1985, via un protocole appelé Relay Chat (ou tout simplement Relay). Quelques années plus tard, s’inspirant de Relay, c’est IRC (« Internet Relay Chat ») qui prendra la relève sur l’internet (j’en avais été le premier utilisateur francophone – ou européen ? – et avais contribué à sa toute première documentation), où il est encore utilisé en tant que tel. Plus récemment, nombre de réseaux sociaux intègrent des dispositifs permettant à leurs usagers de communiquer ainsi entre eux, à l’aveugle comme à l’aube des temps des chats ou, comble de la modernité, en visiophonie grâce aux webcams (appelées caméras au Québec).

Bien que je fréquente les chats depuis une trentaine d’années, je leur préfère de loin les chats : les dialogues en ligne n’ont finalement rien à voir avec le dialogue en face-à-face ; c’est rarement du tac-au-tac, chaque interlocuteur menant souvent de front un grand nombre de conversations en parallèle ; pris par une envie soudaine ou un besoin urgent, il peut s’absenter du clavier sans prévenir, pour revenir parfois quelques jours plus tard poursuivre l’échange là où il s’était abruptement arrêté en queue de poisson (ce qu’un chat apprécie, mais qu’on déteste dans un chat). Quant aux chats, eux, quand ceux-ci s’en vont tous seuls, au moins on le voit immé­dia­tement, et on peut tenter de les rappeler. Je rappelle rarement un interlocuteur disparu sur le chat. Je préfère les petits ou gros chats aux goujats.

24 août 2011

Life in Hell: I plout dè boûr et dè froumage.

Classé dans : Cuisine, Lieux — Miklos @ 13:51

Jeff et Akbar sont à Bruxelles une fois pour la deuxième fois en moins d’un an.

La première fois, la ville était couverte de neige à tel point qu’on (surtout Jeff) ne pouvait ni marcher sans se casser la margoulette (comme disait Flaubert si joliment) ni prendre les transports publics qui, eux aussi, ne pouvaient plus marcher sans glisser. Normal, c’était fin décembre. Jeff apprécie modérément. Akbar adore.

Là, le pays est sous l’eau (non, pas soûlot, malgré la quantité et la qualité de ses bières) : des trombes de pluie, voire de grêle, tombent sans discontinuer, jusqu’à la dévastation. Les transports publics en ville en sont encore une fois affectés. Normal ? c’est la mi-août (et malgré ce miaulement, pas de quoi mettre un chat de Geluck dehors).

S’armant de courage et de parapluies, ils partent à l’aventure dans la ville et dans le pays. Voici ce qu’ils y aiment :

– la brasserie Het Anker à Malines : ses bières Gouden Carolus (parce qu’en Belgique, une brasserie, c’est un endroit où l’on fait des bières, pas comme en France), son coucou de Malines à la bière (Jeff) et sa salade niçoise au thon (Akbar), un grand pavé épais et tendre légèrement grillé à perfection (et pas quelques miettes de thon cartonneux en boîte), son sabayon à la bière, tiède avec une boule de glace, léger, parfumé, délicieux (Jeff et Akbar) ;

– les huitres (Jeff) et la coupe de champagne au marché de la place Flagey à Bruxelles ;

– les frites de chez Antoine (bien qu’on dise que ce n’est plus comme avant, mais comme avant ils n’y étaient pas allés, impossible de savoir, et pis d’ailleurs, rien n’est jamais comme avant) ;

– les târtes al Djote chez Au p’tit boulanger de la Grand’ Place à Nivelles (ville connue aussi pour ce fameux – ou infâme, c’est selon – personnage dont on disait « être comme ce chien de Jean de Nivelle(s) qui s’enfuit comme on l’appelle » à tel point qu’il a donné lieu à des chansons dont la mélodie se retrouve chez ce bon enfant de Cadet Rousselle… Eh, Akbar, tu la refermes, cette parenthèse ? s’écrie Jeff exaspéré), pour leur goût et pour l’accueil si généreux et discret ; ils ont aussi fort apprécié la guide à la collégiale Sainte-Gertrude dont ils étaient les seuls « clients » et qui leur a consacré une heure et demi fort intéressantes à visiter cette église millénaire de fond (les églises qui l’ont précédée, depuis le VIIe siècle) en comble (la salle haute, dite impériale) ;

– la truite aux fines herbes (Akbar) et le jambonneau rôti façon Bister (Jeff) de chez La Besace à Crupet ;

– les fraises cultivées en pleine terre de Wépion, non loin de Crupet ; Jeff et Akbar sont d’accord avec Miklos, qui disait d’elles qu’elles « sont belles, d’un rouge profond qui rappelle celui de natures mortes flamandes, elles sont parfumées, elles sont tendres sans êtres molles, elles sont succulentes. Cela vous changera des succédanés stéroïdés et artificiels, rouges pâle ou blanchâtres, croquants et aqueux, sans goût, qui portent le nom de ce fruit mais n’ont aucun rapport avec lui. » ;

– les glaces naturelles à l’ancienne, chez le glacier framboisier Doré de la rue du bailli à Bruxelles : rien d’artificiel dans les couleurs, les parfums et les goûts, qui ravissent les palais pourtant si différents de Jeff et d’Akbar ;

– la brioche si tendre et les pâtisseries si légères et parfumées de la boulangerie-pâtisserie Mommaert-Derynck à Rhode-Saint-Genèse, quelques kilomètres avant cette morne plaine de Waterloo, à gauche quand on vient de Bruxelles et qu’on n’a pas fait un des multiples détours dus aux travaux qui ont la particularité de vous ramener, si on suit fidèlement les flèches, à votre point de départ, comme il l’était arrivé à Harris et à un de ses cousins de province dans le labyrinthe de Hampton-Court ;

– le café liégeois à Liège (bien que cette ville n’en soit pas à l’origine), chez le vénérable et chaleureux Amon Nanesse ; il n’a rien à voir avec celui auquel Akbar avait été habitué jusqu’ici, un café froid dans laquelle a coulé corps et biens une boule de glace et surmonté de chantilly industrielle : ici, c’est quasiment une mousse au café, c’est léger, c’est délicieux (Jeff ne peut qu’être d’accord, une fois n’est pas coutume, une fois) ;

– les gaufres, liégeoises elles aussi mais à Bruxelles, un comble, de chez Dandoy, et surtout celles de chez La Porta Pasta rue Walstraat à Bruges, petite échoppe étroite qu’on remarque à peine, mais où tout est fait maison, y compris les lasagnes végétariennes (Akbar) et bolognaises (Jeff), et où le service est fort sympathique, ma foi une fois ;

– et, ultimo ma non meno, l’accueil toujours généreux et chaleureux de leurs hôtes.

Maintenant, qu’on n’aille pas dire qu’on est toujours des râleurs, conclut Akbar après une ultime lampée de Mort subite.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

17 août 2011

L’ange gardien des ordinateurs se trouve à…

Classé dans : Architecture, Lieux, Littérature, Photographie, Sculpture — Miklos @ 10:30

Bruges: entrée du béguinage. Autres photos ici.

…Bruges, à l’entrée du béguinage (quand avez-vous effectué votre dernière sauvegarde, cher lecteur ?). La ville, à l’instar de Venise ou du Mont Saint-Michel, mérite bien son titre de Bruges-la-Morte, figée qu’elle est en grande partie dans un splendide passé, muséifiée, et conséquamment envahie de troupeaux de touristes las qui y grouillent en prêtant à peine l’oreille à un guide ou l’œil figé dans le viseur de leur caméra numérique, se déplaçant tel le flot d’une lave de boue dans les ruelles pullulant de commerces de bouche, du fast food au plat prétendument typique et surtout cher, de chocolatiers et de gaufriers, de magasins de souvenirs se succédant porte à porte.

Et malgré tout, comme l’écrit Émile Verhaeren à propos du roman Bruges-la-Morte (1892) de Georges Rodenbach,

J’entendais dire : Bruges-la-Morte n’est point le vrai Bruges que les voyageurs rencontrent en débarquant là-bas. (…) Bruges fut chantée par Rodenbach parce que, parmi toutes les villes de la terre, il la croyait le mieux d’accord avec sa mélancolie. Il lui importait peu d’être exact, il lui importait beaucoup d’être ému. Son livre est une peinture attendrie et pieuse. Des églises, des places, des palais, des canaux, des quais, des étangs, des ponts de Bruges, il avait la nostalgie, il la communiqua au public.

Il le fit aussi dans un autre roman, Le Carillonneur (1897) – métier encore très vivace en Belgique, où l’on peut même entendre les cloches d’une cathédrale sonner un tango argentin… – :

À s’isoler, à fuir sans cesse dans la tour, Borluut ne goûta plus que la mort.

Du haut du beffroi, la ville apparaissait plus morte, c’est-à-dire plus belle. Les passants s’effaçaient. Les bruits cessaient en route. La Grande Place s’allongeait, grise et nue. Les canaux reposaient ; leurs eaux n’allaient nulle part ; ils étaient veufs de tout bateau, inutiles aussi, et semblaient posthumes.

Au long des quais, les demeures étaient closes. On aurait dit que, dans chacune, il y avait un mort.

Impression funéraire, unanime ! Borluut exultait. C’est ainsi qu’il voulut Bruges. Naguère il ne se voua à restaurer, éterniser toutes ses vieilles pierres qu’avec la conscience et la joie de sculpter son tombeau.

Le carillon lui-même, il l’ambitionna et l’accapara pour mieux célébrer et annoncer la mort de la ville aux horizons. Maintenant encore, quand il jouait, promenant ses mains sur le clavier, il se faisait l’effet à lui-même de cueillir des fleurs, de les arracher, avec de durs efforts, à des tiges résistantes, s’obstinant quand même, complétant sa moisson, saccageant le parterre des cloches, et alors d’effeuiller des corbeilles pleines, des bouquets de son, des guirlandes de fer, sur la ville au cercueil.

Ne fallait-il pas qu’il en fût ainsi ? C’était la beauté de Bruges d’être une morte.

Et c’est ainsi qu’on l’avait vue, une fois en plein hiver, sous la neige. Pas un chat, pas un touriste. Un silence, non pas de mort mais de paix, recouvrait la ville, à l’exception de l’église du béguinage, d’où sortait le chant des bénédictines. Le temps s’était arrêté.

Bruges : le béguinage. Autres photos ici.

14 août 2011

Fluctuat nec mergitur

Classé dans : Lieux, Photographie — Miklos @ 9:11


Une façade à Liège. D’autres photos ici.

Les Belges n’y vont pas par quatre chemins, ils n’y vont pas non plus par trois, même pour ces dames : ils ont carrément nommé une de leurs villes Liège. Ce n’est pas qu’un matériau « remarquablement isolant et résistant » (Arts et litt., 1935) – caractéristiques dont peut s’enorgueillir l’ex capitale de la principauté éponyme, détruite en 1468 par Charles le Téméraire (et le très sanguinaire), sujette à des révoltes intérieures puis à la « bienheureuse révolution » qui lui fait incorporer la France en 1792 dont elle est séparée en 1815 et intégrée à la Hollande pour finalement faire partie d’une Belgique indépendante en 1830, et récipiendaire de la Légion d’honneur en 1919 – mais surtout connu pour sa légèreté et sa capacité à flotter sur l’eau, qualités essentielles en cet été pourri où il pleut jour et nuit sans discontinuer en Wallonie. Comme on dit chez eux, S’i plût, dju frans coume a Pari, dju lêchrans plûre, tout en souhaitant à nos chers lecteurs parisiens qu’il ne pleuve pas à Paris autant qu’à Liège.

Truite aux fines herbes

Classé dans : Cuisine, Langue, Lieux — Miklos @ 3:02

Bondjoû, lès soçons !

Le menu de l’auberge dol besace à Crupet propose, entre autres plats succulents, une truite aux fines herbes ainsi que sa recette traditionnelle en wallon. Afin de vous en faciliter la compréhension, voici un bref lexique de quelques mots-clé (pour les autres, faites appel à votre imagination ou jetez un coup d’œil à cette savoureuse anti-sèche) :

a

ail

brâmint

beaucoup

brèle

ciboulette

crauche

gras

dragone

estragon

emantchi

emmancher (mettre en train)

frisse

fraîche

l’mwin

la main

nin rovyi

ne pas oublier

pérzin

persil

Dommage que de nos jours ils la servent sans les grossès frites côpéyes à l’mwin comme on les y faisait ainsi que le prétend la recette…

Et pour le dessert, on ne peut que vous conseiller très vivement de faire un tour à Wépion et d’y acheter une (ou plusieurs) barquettes de vraies fraises du coin, cultivées en pleine terre : elles sont belles, d’un rouge profond qui rappelle celui de natures mortes flamandes, elles sont parfumées, elles sont tendres sans êtres molles, elles sont succulentes. Cela vous changera des succédanés stéroïdés et artificiels, rouges pâle ou blanchâtres, croquants et aqueux, sans goût, qui portent le nom de ce fruit mais n’ont aucun rapport avec lui.

On trouvera ici quelques autres photos de la région.

À dji n’sé nin quand !

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