Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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18 février 2006

Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre

Classé dans : Cinéma, vidéo, Nature — Miklos @ 10:03

Enfin, ce n’étaient pas exactement des pigeons. Ils étaient tous deux du sexe fort. L’amour les saisit dans la nature, et ils s’aimèrent durant de longues années, envers et contre tout. Jusqu’à ce que l’un des deux se trouva une compagne. L’autre tomba en dépression. Finalement, il se maria, lui aussi.

Non, il ne s’agit pas non plus de ces deux cowboys qui s’étaient rencontrés à Brokeback Mountain, mais de deux vautours mâles du zoo de Jérusalem, ville où tous les miracles sont possibles, qui avaient construit leur nid ensemble et avaient élevé trois nourrissons adoptifs, après avoir couvé des œufs discrètement posés par des experts du zoo. C’est en 2005 que le couple battit de l’aile et se sépara, après dix années de vie commune. (Source : TSR)

Quant aux deux cowboys du film en question, la situation et son développement sont, somme toute, convenus. Ce qui en fait surtout l’originalité est le genre – le « grand » cinéma genre Hollywood – et donc son circuit de diffusion et sa visibilité. Heath Ledger joue le rôle d’un cowboy de peu de mots et mal à l’aise avec la parole, surtout au début, mais c’est son jeu que je trouve laborieux et peu convainquant. Le vrai héros du film est finalement la nature, presque inhumaine dans son immensité et sa beauté grandioses, monde en marge du monde, paradis sur terre d’où le couple sera chassé vers la réalité.

C’est aussi un homme « nature » et de peu de paroles, le trappeur Jed Cooper, que joue Victor Mature dans The Last Frontier (La Charge des tuniques bleues). Cet excellent film d’Anthony Mann, datant de 1955, vient d’être montré sur le splendide écran de la Cinémathèque française (dans le cadre d’une rétrospective) dans une version très bien restaurée. Quel jeu que celui de Cooper ! Ici aussi, il s’agit d’un homme pris dans ses contradictions – entre son besoin de solitude et l’appel de la nature, d’une part, et le sort qui le place dans un milieu antithétique, celui de l’armée, de ses règles et de sa hiérarchie, d’autre part. Ce personnage est loin d’être unidimensionnel et fait montre de profondeur, d’humour et de sentiments tout en se débattant dans un réseau complexe de circonstances historiques et sociales auquel sont convoqués des personnages de tragédie grecque : le Colonel (Robert Preston), d’une rigidité inhumaine et mortifère qui dissimule mal son sentiment d’infériorité et d’inadéquation ; sa femme (Anne Bancroft, récemment décédée), d’un excellent milieu, qui, après avoir aimé son mari malgré tout, en méprise la dure faiblesse et tombe amoureuse du trappeur qui s’humanise à son contact ; le jeune et beau Capitaine (Guy Madison), qu’on aurait pu croire destiné par des conventions de casting à convoler, tel un jeune premier, avec la toute aussi jeune et belle Colonelle, mais que nenni : il représentera l’honneur de l’armée et son humanité. Ce sont les Indiens dépossédés feront les frais de l’utopie américaine.

16 février 2006

Ne plus entendre, ne plus écouter

Classé dans : Environnement, Sciences, techniques — Miklos @ 8:10

De nouvelles études indiquent que l’écoute de musique sur des lecteurs portables nuit de plus en plus à l’ouïe : les écouteurs sont placés directement dans l’oreille, ce qui a pour effet de l’exposer à un niveau sonore plus élevé ; mais comme ils isolent moins bien du bruit ambiant, les usagers en augmentent encore plus le volume. D’autre part, leurs piles ont une durée de vie plus importante, ce qui favorise de plus longues écoutes ininter­rompues.

Mais il s’avère que le genre de musique joue aussi un rôle : le rap et le rock sont en général écoutés à un niveau sonore beaucoup plus élevé que la musique classique ou country. C’est ce que confirme Pete Townshend, le guitariste légendaire des Who, qui annonce sur son site web qu’il souffre de troubles auditifs causés par l’utilisation d’écouteurs en studio. Il ajoute : « j’ai malheureusement participé à inventer et à développer un genre de musique qui rend ses principaux acteurs sourds. La perte de l’ouïe est une chose terrible, car elle est irréversible. Si vous utilisez un iPod ou quelque chose de ce genre, il se pourrait que ce soit OK, mais mon intuition me dit que cela entraînera des troubles terribles ».

L’exposition continue à la musique n’affecte pas que l’ouïe, mais l’écoute elle-même. Une étude menée par une équipe de recherche à l’université de Leicester sur la direction d’Adrian North indique que les auditeurs deviennent de plus en plus passifs dans leur façon de consommer de la musique. La facilité d’accès implique une indifférence accrue et une dévalorisation de l’expérience musicale. Celle-ci devient un objet de consommation et une activité secondaire, musique de fond en somme. Si notre attitude envers la musique au quotidien est complexe, voire sophistiquée, elle ne serait plus caractérisée par un investissement émotionnel comme par le passé.

Schoenberg, Adorno ou Walter Benjamin avaient déjà analysé cette perte de l’« aura de l’œuvre » et sa transformation en un objet de consommation comme un autre dues à l’apparition des modes de diffusion de masse tel que la radio et celles de reproduction mécanique – qui ne font que se développer à l’ère du numérique.

22 janvier 2006

L’âme hongroise

Classé dans : Lieux, Littérature, Musique — Miklos @ 0:40

Je ne veux qu’un lecteur pour mes poèmes :
Celui qui me connaît – celui qui m’aime –
Et, comme moi dans le vide voguant,
Voit l’avenir inscrit dans le présent.

Car lui seul a pu, toute patience,
Donner une forme humaine au silence ;
Car en lui seul on peut voir comme en moi
S’attarder tigre et gazelle à la fois.
 
Attila József

« La poésie, comme la musique et la danse, convient excellemment à l’expression de l’âme hongroise »1 qui ne cesse de me fasciner. Lors de ma visite au Salon du livre en 2005, j’avais aperçu une édition bilingue d’un florilège des poèmes d’Attila József (1905-1937) et étais tombé sous le charme de ce poète passionné, révolté, blessé, et qui finira par se suicider après plusieurs dépressions. Malheureusement, cet ouvrage était épuisé et l’exemplaire exposé n’était pas vendu. Cette lacune vient d’être comblée par la parution de toute son œuvre poétique (voir note 1), précédée d’une longue présentation très intéressante de Jean Rousselot, qui dit si justement :

Ce que l’on aime tant chez Rutebeuf, chez Villon, chez Corbière, chez Endre Ady dont Attila devait subir fortement l’influence : ces retorsions et distorsions de la vrille du chant autour des choses, ces formules claquées, claquantes, qui font de la syntaxe une sculpture, ce baroquisme douloureux et grave de la couleur et de la plainte, tout cela est chez lui « énorme et délicat », fruste et tendre, fol et gémissant, moins dit qu’aventuré, moins raisonnable que senti, ou deviné, à travers la vapeur affective ou rêveuse qui rampe sur la plus sordide misère comme sur la joie la plus pure.

Cette sonorité, c’est celle du cri du peuple, c’est celle de la langue hongroise à l’accent merveilleux si étrange à nos oreilles (et dont Alain Fleischer parle si bien dans le texte que j’ai cité ici), c’est aussi, c’est donc, le rythme de la musique folklorique hongroise, celle que Bartók aura fait pour préserver et qui irriguera son œuvre. Attila József s’inspirera d’ailleurs à son tour de La Danse de l’ours de Bartók, mélodie dont il ne se lassait pas, pour composer un poème éponyme. Il en fera de même pour la Danse du porcher :

Mes cochons sont des cochons qui
portent leurs queues en mise en pli.
À la hongroise, dans leur groin,
resplendit un anneau d’or fin.
 
J’ai un porcelet qui zézaye
fait la princesse sans pareille
et, je vous assure, soupire,
se penche sur l’eau et s’y mire.(…)

C’est ce lien inextricable entre l’œuvre « savante » de Bartók et la musique populaire hongroise (et roumaine) que le concert enchanteur qui s’est donné aujourd’hui au Théâtre de la Ville a illustré d’une façon remarquable. L’excellent quatuor Takács y interprétait le Quatuor à cordes n° 4 (sur lequel la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker a créé un spectacle de danse), trois Duos pour violons Sz 98, la Sonatine et les Danses roumaines, tandis que l’ensemble Muzsikás a joué (et chanté) les mélodies folkloriques dont Bartók s’était inspiré, voire qu’il a citées, utilisées, transformées. Le concert a débuté par la diffusion d’un enregistrement de terrain que Bartók avait effectué il y a 100 ans, suivie par quelques œuvres populaires (dont des Danses de porcher qui ont inspiré Attila Jozsef) interprétées sur des instruments typiques de la région : violon, alto, contrebasse, percussions – et aussi le gardon (cf. image), instrument hongrois à cordes pincées et frappées, et une longue flûte de bois au son étouffé. Les mouvements du splendide Quatuor – œuvre incisive, rythmé et pleine d’humour, conjuguant modernité et tradition – ont été interprétés en alternance avec les musiques et les chansons populaires qui y sont évoquées. Même si cette présentation iconoclaste a éveillé l’ire d’un spectateur ahuri et quelque peu désorienté, elle a permis d’écouter le Quatuor d’une façon inattendue : simultanément à ses sources, éclairage enrichissant et pourtant fidèle, qu’il est d’autant plus rare (et utile) de trouver dans le cadre d’un concert consacré à une musique réputée (à tort) comme difficile. Cette alternance s’est poursuivie jusqu’à la fin du spectacle. Ainsi, le premier mouvement, Cornemuse, de la Sonatine, était précédé d’une chanson folklorique a capella dans laquelle Márta Sebestyén imitait l’instrument (rythme, sonorité), et dont le second mouvement, la Danse de l’Ours qui avait inspiré Attila József, était suivie par sa source folklorique. Enfin, les Danses roumaines au rythme enlevé ont, elles aussi, été présentées entrelacées avec leurs contreparties populaires. Quel plaisir, que ce concert intelligent et joyeux !


1Jean Rousselot : « Présentation d’Attila József », in Attila József : Aimez-moi. L’Œuvre poétique ». 703 p. Éditions Phébus, 2005. La qualité de la reliure laisse malheureusement à désirer, il est préférable de ne pas trop ouvrir l’ouvrage pour éviter que les pages ne s’en détachent.

22 décembre 2005

Carpe diem, ou pourquoi la planète continuera à se réchauffer

Classé dans : Nature — Miklos @ 9:09

On a beau jeu de critiquer vertueusement les Etats-Unis de continuer à polluer la terre de façon irréversible et sans vergogne quand, en dépit de l’avis des scientifiques relayés par la commission européenne, ses états membres viennent d’arriver à un accord sur l’augmentation des quotas de pêche au cabillaud dans la partie orientale de la Baltique, là où le stock est dans le plus mauvais état. La France, de son côté, a obtenu l’autorisation de continuer la pêche à l’anchois dans le Golfe de Gascogne à la hauteur des quotas que demandaient les pêcheurs, tandis que les stocks y sont au plus bas.

Les intérêts – purement financiers – sectoriels et à court terme sont toujours les plus forts. Ils prennent le dessus par les moyens les plus démocratiques du monde aux dépens du bien-être des habitants de la planète. On l’avait vu avec l’amiante, là où industriels et autorités étaient conscients depuis des dizaines d’années de sa nocivité léthale.

Cette capacité à s’auto-détruire est-elle inscrite dans les gènes de l’espèce humaine ?

Sources : France 2, RTL.

18 novembre 2005

Google recrée la planète

Classé dans : Environnement, Musique, Progrès, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 8:59

L’extrait de La Machine à remonter le temps est présent dans la splendide exposition virtuelle de la Bibliothèque nationale de France consacrée aux Utopies : la quête de la société idéale en Occident, qui analyse bien le tournant déci­sif qu’a pris cette litté­rature au xxe s., où l’antici­pation d’un futur idéal se transforme en un regard inquiet, voire paniqué, avec le constat de la course souvent folle induite par le progrès. Voir aussi Livre et liberté.La manne des petites annonces de recrutement de Google continue : dans l’envoi d’aujourd’hui, on remarquera qu’ils recher­chent un expert en ingénierie logicielle spécialisé en cryptographie et en sécurité informatique (s’orien­te­raient-ils vers le commerce en ligne ?) et surtout un spécialiste d’infographie, pour travailler sur « la stéréoscopie, la détection d’objets dans une image, la création de la plus grande image numérique jamais faite d’une taille de l’ordre de peta-pixels1, une mosaïque en 3D de la Terre en résolution multiple, voire la modélisation en 3D de tous les bâtiments sur la planète ».

La réalité virtuelle à cette échelle – avec la téléphonie IP en sus – avance à grands pas pour nous lier tous derrière nos claviers : on pourra atteindre chaque recoin de la planète – sauf évidemment forêts, lacs ou rivières (qui auront probablement bientôt disparus) – sans avoir besoin de sortir de chez soi, pour devenir des « futilités simplement jolies », tels les Éloïs dans La Machine à remonter le temps de H. G. Wells. Sommes-nous destinés à devenir les Gilbert Gosseyn du Joueur Google ?


1 Le peta est égal à un milliard de mégas.

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