Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

This blog is © Miklos. Do not copy, download or mirror the site or portions thereof, or else your ISP will be blocked. 

22 novembre 2020

Apéro virtuel II.21 – dimanche 22 novembre 2020

Deux jambières à spirales en bronze (fin du bronze moyen, vers 1250 avant J.C.).
Musée de l’archéologie nationale.

Jean-Philippe, Françoise (C.), Sylvie, Léo et Françoise (P.) étant arrivés, Michel présente le musée de l’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, en diffusant la jolie petite vidéo décrivant brièvement son intéressante histoire, « de demeure royale à écrin de la préhistoire », suivie des photos qu’il y avait prises lors d’une brève visite (contrainte temporelle…) il y a 6 ans : objets extraordinaires par la « modernité de leur design », alors qu’ils datent, pour certains de plus de 3000 ans en marbre, bronze, verre… : la fluidité des corps, de la vaisselle décorée finement, la complexité des motifs géométriques (à l’instar des jambières ci-dessus ou des dodécaèdres, photo n° 30), l’humour – du moins pour nous aujourd’hui, alors cela avait peut-être un sens profond – (photo n° 31). Comme le montre ce musée, la sculpture quasi « abstraite » de l’époque a influencé des sculpteurs contemporains (image n° 34).

À une question de Sylvie concernant les tablettes zodiacales (photos n° 28 et 29) qui lui semblent être en bois alors que la légende indique de l’ivoire, c’est bien de l’ivoire, comme précisé sur le site du musée pour cet objet. Le lieu lui-même mérite la visite (terrasse, parc…), ajoute Jean-Philippe, qui mentionne, entre autres objets dont Michel n’a pas parlés, la Dame de Brassempouy (et non la Vénus de Brassempouy…), excep­tion­nelle œuvre d’art préhistorique (cf. à droite), datant d’il y a 20 000 – 22 000 ans… En ce qui con­cerne la préhistoire, Jean-Philippe signale aussi l’exceptionnel musée national de la préhistoire aux Eyzies (en Dordogne), à proximité des principaux sanctuaires de l’art pariétal inscrits au patrimoine mondial de l’humanité, et créé au début du XXe siècle.

La moitié des présents étant membres actifs de chorales, Michel cite alors quelques Petites vacheries entre musi­ciens, réunies dans un livre par le compositeur Jean-Yves Bosseur et édité par Minerve et Fluide glacial, genre : Quelle différence y a-t-il entre le chef d’une chorale et un chimpanzé ?Il est scientifiquement prouvé que les chimpanzés sont capables de communiquer avec les humains., ou encore : Comment fait-on chanter deux chanteurs à l’unisson ?On en descend un., voire Pourquoi les chanteurs ne disent-ils jamais du mal des musiciens ?Parce qu’ils sont trop occupés à parler d’eux-mêmes., et enfin Combien de chanteurs faut-il pour changer une ampoule ?Un seul. Il tient l’ampoule et le monde tourne autour de lui.. Françoise (C.), une des choristes, demande alors : Quelle différence y-a-t’il entre une soprano et un piranha ?Le rouge à lèvres.. Sylvie, autre choriste et bachelière en mathématiques, pose l’énigme suivante : Un orchestre de 120 musiciens exécute la 9e Symphonie de Beethoven en 40 minutes. Combien de temps durera l’exécution de cette œuvre par 60 musiciens ? Soit M le nombre de musiciens et T la durée de l’exécution…On vous laisse faire le calcul tout seul comme un grand.

De là, la conversation glisse de la règle de trois à son apprentissage parfois difficile à l’école, agrémenté, comme le rappelle Françoise (P.), de problèmes con­cer­nant des baignoires et des trains… Léo, lui, dit n’en avoir jamais fait, ce qui fait demander à Michel s’il était allé à l’école, à quoi il répond que oui, mais tardivement. Il se souvient d’un autre problème, « Quelle est la plus longue distance d’un point à un autre ? »

Puis l’on évoque (de nouveau) les divers systèmes de désignation des classes : 11e, 10e, 9e, 8e, 7e, 6e… ; CP, CE1, CE2, CM1, CM2, 6e… en France, alors qu’en Israël et les pays anglophones par ordre numérique croissant ; on peut voir comment cela se passe dans bien d’autres pays dans ce tableau. Le système français confusionne Michel (et il n’est pas le seul, sans pour autant avoir été un petit Suisse, comme l’indique Léo) qui n’a connu que la méthode numérique décroissante (11e, 10e,…) ; confusion idem pour les diplômes universitaires français (DEA, DEUG, DESS, Maîtrise…), alors que durant ses études en Israël puis aux US il n’a connu que trois niveaux clairement identifiés : Bachelor, Master, Doctor. « On est en France », répond Sylvie, et en plus du système universitaires, on a les grandes écoles… Elle dit ne pas être sûre que l’unification « LMD » soit une bonne chose. Pour en revenir aux appellations des classes en France, on n’a pas trouvé de quand elles datent, mais on trouvera ici un article intéressant sur Les grandes lignes de l’évolution des institutions scolaires au XXe siècle. De son côté, Léo consultera son exemplaire du Patrimoine de l’éducation nationale pour tenter d’y trouver quand ces cycles ont été créés.

Après lecture de ce compte-rendu, Léo écrit ceci : « En ce qui concerne la distinction : CP, CE, CM, etc., pre­mières traces dans l’Arrêté sur l’orga­ni­sation péda­gogique et le plan d’études des écoles primaires publiques de Jules Ferry du 27 juillet 1882. »

D’accord, mais de quand date le décompte des classes de 11 à 1 (ce qui présuppose qu’il y avait déjà au moins onze classes à l’école) et (ensuite ?) le rajout d’une douzième, qui a dû s’appeler terminale pour éviter de renu­mé­roter toutes les classes précédentes ?

Puis on évoque la place de l’anglais aussi bien à l’école – où l’on commencerait de nos jours son étude bien avant la 6e, ainsi que, du temps de Michel, ce n’était pas le cas – qu’à l’université, où des cours se donnent parfois en anglais (surtout à destination d’étudiants étrangers). Mais est-ce que les jeunes Français maîtrisent-ils mieux cette langue qu’autrefois ?

Léo parle alors de l’introduction de la théorie des ensembles à l’école (en terminale, dans les années 1960) pour illustrer l’ambiguïté des langages – parlé (en l’occurrence par les élèves) et mathé­matique – et la difficulté que cela induit pour la compréhension : « Quel est l’ensemble des x tels que x est une voyelle ? » (mais x est une consonne, voyons !). Comme : « 3 fois plus » – est-ce qu’on parle ici de multiplication (« fois ») ou d’addition (« plus ») ? D’autres problèmes de compréhension concernent le contexte : « Votre père va au travail le matin, il prend le train à 8h16, qui a un retard de 10 minutes ; le trajet dure 30 minutes ; à quelle heure arrive-t-il ? ». Réponse : « Mon papa ne prend jamais le train ! Il prend sa voiture ! ». Il cite enfin une expérience dont parle Stella Baruk et qu’il a refaite qui montre comment l’autorité peut pervertir l’acqui­sition des connaissances : « Dans une classe, il y a 7 rangées de 4 élèves par rangée. Quel est l’âge de la maîtresse ? » 30 % des répondants disent : « Elle a 28 ans ». Pourquoi ? Parce que l’autorité a posé une question, il faut répondre, on s’accroche à toute information dans la question pour ce faire. Michel opine que, pour introduire l’abstrait, il faut savoir le faire à partir du concret, et peu d’enseignants savent procéder de cette façon : on enseigne (ou enseignait) plutôt à apprendre par cœur définitions et théorèmes que comprendre de quoi il s’agit. Sylvie parle alors de son expérience passée dans l’association Droit à l’école, où travaille aussi le beau-frère de Léo, à des jeunes (principalement d’Afrique sub-saharienne) et à qui manquent les bases de l’arith­métique (sans parler du fait qu’ils connaissent mal le français), ce qui fait dire à Françoise (C.) que le chauffeur de minibus qu’elle avait pris en Égypte pour 5 jours ne savait pas multi­plier son tarif quotidien par 5 – et contournait le problème en faisant 4 additions.

À propos de Stella Baruk : elle devrait en intéresser plus d’un(e) des zoomistes, puis­qu’elle est non seulement profes­seure de mathé­matiques et chercheuse en péda­gogie, mais aussi musicienne. On pourra l’écouter parler de la musique des mathé­matiques dans cette émission de France Culture, comme le signale Léo.

La conversation glisse alors sur les deux principaux systèmes de nommage des notes de musique : do, ré, mi… (issue de la première syllabe de chacun des vers de l’hymne à Saint Jean-Baptiste, datant du IXe siècle, avec ut pour le do), alors que dans le monde anglo-saxon la méthodes est bien plus simple : A (correspondant à notre la), B (ou H), C…, G. Ce dernier système a suscité chez nombre de compositeurs de composer des œuvres avec des mélodies construites sur un mot, à l’instar de B A C H, dénotant si, la, do, si (le H comme le B désignant le si), ou les Variations sur le nom « Abegg » pour piano de Schumann (Abegg étant sans doute le nom d’une dame que le compositeur avait rencontré et à laquelle il dédia cette œuvre – il n’avait que 20 ans et c’est son opus 1). Françoise (P.) raconte avoir utilisé ce principe pour faire réaliser des mélodies sur les prénoms de destinataires d’un cadeau d’anniversaire ou de mariage.

Pour finir sur une note plus légère, Léo fait écouter un monologue, sur une si belle soirée « au Théâtre-Français ou au palais de Chaillot, peut être ailleurs. En tout cas, c’était rudement bien joué. Une tragédie. C’était… de Racine ou de Corneille, je ne sais plus. En tout cas, c’était rudement beau. Tellement c’était beau, tellement on était ému. Ma femme surtout, était émue. D’ailleurs je dis ça, c’est des suppositions : ma femme, je ne l’ai pas revue depuis. Elle a dû rester au théâtre, tellement elle était émue. Sur son strapontin. Moi, je peux dire que je suis sorti du théâtre puisque je suis ici, n’est-ce pas ? Mais comment ça s’est fait, je ne peux pas vous le dire. J’ai dû suivre la foule, en somnambule. Je ne me suis réveillé que le lendemain, chez Paulette. C’était tellement beau !…  Le début surtout, on était sous le charme ! C’était… Parce qu’après, vous savez, les vers… On est tellement sous le charme quand ils sont beaux qu’au bout d’un moment on a tendance à s’assoupir. » Et la remémoration qui suit des beaux vers est tellement lacunaire (mais on arrive à compléter, si on connaît la pièce) qu’il en reste plus la mélodie ou le rythme que les paroles.

Il s’agit d’un texte tiré de Tragédie classique de Roland Dubillard, dit ici par André Dussollier, enregistrement disponible dans le livre CD Monstres Sacrés, Sacrés Monstres. Textes et poèmes, ou en ligne, dans cette émission de France Culture.

Chantal et François étant arrivés, on se sépare sur ces entrefaites.

20 novembre 2020

Apéro virtuel II.19 – vendredi 20 novembre 2020

Classé dans : Arts et beaux-arts, Cinéma, vidéo, Histoire, Musique, Théâtre — Miklos @ 23:59

Cette fois-ci, c’est Françoise (C.) qui arrive la première à l’apéro, suivie de Léo – que Françoise reconnaît, l’ayant aperçu à une soirée chez François – auquel se joint Chantal, faisant leur première apparition ici. Les présentations consistant en un échange de prénoms, et Michel informant Léo de la multiplicité des Françoises (pas comme dans Les Sabines de Marcel Aymé, précédemment évoquées) et d’un François (ex Didier), Léo mentionne la « créativité » de ses parents, qui lui ont donné, à sa naissance, le prénom « Léopold », suivi du prénom « Léo ». Michel s’en étonne : avant la loi du 9 janvier 1993 (et Léo est né un peu avant), « la législation française était particulièrement stricte sur la question, autorisant uniquement les prénoms tirés du calendrier ainsi que quelques autres, inspirés de la mythologie grecque, des usages régionaux ou de diminutifs notamment. Les officiers d’état civil restaient seuls décideurs de la validité d’un prénom, ce qui pouvaient donner lieu à des différences d’appréciation selon les lieux… » (source). Or à sa connaissance, il n’y a pas de Saint Léo… Il ne savait en fait pas que ce prénom existe en France depuis le XIXe siècle (source). Quant à lui, ses parents lui ont raconté qu’ils avaient eu du mal à le faire inscrire sous le prénom de « Michael », mais ils ont réussi.

Sur ces entrefaites, Jean-Philippe, puis Sylvie arrivent, cette dernière connaissant Léo (et réciproquement).

Avant que de passer à l’explication de la partition musicale qui s’affiche derrière lui et qu’on voit ci-dessus), Michel fait entendre et voir une interprétation magnifique d’un bref extrait de l’opéra Norma de Vincenzo Bellini, « Squilla il bronzo del Dio » (« Le bronze de Dieu résonne »), interprété par la grande soprano Joan Sutherland (voix splendide mais élocution souvent incompréhensible) et l’orchestre de l’opéra national du Pays de Galles dirigé par Richard Bonynge (incidemment, époux de Joan Sutherland).

Ensuite, il révèle que la partition en question n’est pas celle de 4’33″ de John Cage (dont on peut voir ici une excellente interprétation), mais une œuvre d’Alphonse Allais, qui se présentait au salon des Incohérents en 1884 comme « Artiste monochroïdal. Élève des maîtres du XXe siècle » – et dire que c’est lui qui a devancé les Malevitch, Klein (dont lui et ses contemporains sont le sujet d’une exposition actuelle au Centre Pompidou-Metz), Soulages ou Cage (à propos desquels Michel a parlé dans un article de son blog)… mais aussi Carelman, dont il est en train de numériser le premier volume de son Catalogue des objets introuvables et dont il a montré quelques autres images, notamment la machine à écrire pour égyptologues à l’intention de Françoise (C.) vu sa pratique des hiéroglyphes, et la bouteille pour alcoolique en voie de désintoxication pour ceux qui lèveraient trop souvent le coude durant nos apéros.

Jean-Philippe ayant signalé hier que le 20 novembre – aujourd’hui – était la journée mondiale des droits de l’enfant, Michel recommande la lecture d’un article dans le (très bon) quotidien de langue anglaise The Guardian, selon lequel des études laissent à penser que le confinement peut servir à améliorer la paternité du fait de la présence accrue des pères auprès de leurs enfants à domicile (télétravail et/ou chômage partiel…).

Enfin, Michel signale aussi que l’exposition Marc Chagall, le passeur de lumière, devait s’ouvrir demain samedi au Centre Pompidou-Metz. Du fait du confinement, cet organisme en propose une visite virtuelle avec Elia Biezunski, commissaire de l’exposition, ce même jour à partir de 11 heures, qui dévoile à cette occasion les coulisses de l’exposition et ses secrets, accompagnée de Meret Meyer, petite-fille de Marc Chagall et de Benoît Marq, maître-verrier, fils de Charles Marq et Brigitte Simon, maîtres-verriers de l’Atelier Simon Marq.

Sylvie présente alors cette performance du célèbre bafouilleur Pierre Repp (1909-1986), qui joue avec beaucoup de maestria avec les mots – prestation qui ne convainc pas vraiment Léo, qui dit en voir toutes les ficelles. La vidéo terminée, Sylvie précise que celle de ses performances qu’elle préfère est La recette des crêpes. Michel remarque que lors de son bref passage à l’anglais il y a fait aussi des jeux de mots, notamment un où il bafouille « nipples » (tétons) à la place de « people » (personnes).

Quant à Jean-Philippe, il fait un glissement osé vers l’actualité : les difficultés d’apprentissage correct de l’élocution chez les enfants, du fait qu’ils sont masqués en classe, ainsi que leur instituteur (quoiqu’on parle de leur fournir des masques transparents) : les mimiques, composantes essentielles dans la compréhension et l’apprentissage, sont dissimulées. Il rajoute qu’il parle d’expérience : ses parents étant sourds et muets, sa première langue fut la langue des signes, et ce n’est que peu après qu’il a appris le français parlé.

Léo évoque l’article « L’œil écoute BABA + GAGA = DADA » de Jean-Louis Lavallard, publié dans Le Monde le 26 janvier 1977 : il rapportait des expériences où l’on prononçait un son (par exemple « ga ») tandis que les mouvement des lèvres suggéraient un autre son (par exemple « ba ») ; eh bien ce qui était perçu par l’auditeur était ce que les lèvres semblaient prononcer.

Michel raconte qu’à son arrivée aux USA il avait plus de mal de comprendre ce que ses interlocuteurs lui disaient au téléphone que face-à-face : en face-à-face, si on avale des syllabes, les lèvres « complètent », mais au téléphone ? Françoise (C.) confirme ce constat pour ses interactions actuelles en Italie : en face-à-face, elle comprend presque tout, mais quasiment rien au téléphone (Michel rajoutant que c’est parce qu’en Italie ils parlent aussi avec les mains).

Léo mentionne Un mot pour un autre, saynette de Jean Tardieu qu’il avait jouée à 25 ans à Medem, dans laquelle des mots étaient remplacés par d’autres, et pourtant on comprenait l’intention initiale : « Dans le commerce des humains, bien souvent les mouvements du corps, les intonations de la voix et les expressions du visage en disent beaucoup plus que les paroles, et aussi, que les mots n’ont par eux-mêmes d’autre sens que ce qui nous plaît de leur attribuer ».

Sylvie se lance alors dans un discours, dans lequel elle annonce de but en blanc : « Je vous signale tout de suite que je vais parler pour ne rien dire. Je sais, vous pensez qu’elle n’a rien à dire – elle ferait mieux de se taire… » Françoise (C.) s’exclame alors : « Raymond Devos ! », eh oui. Sylvie poursuit et achève ce discours, qui curieusement, tout en étant dans le non-sens, lorsqu’il parle de « catastrophe », peut faire écho à la crise actuelle que nous vivons (ou à toute autre crise).

Ce discours rappelle à Michel un autre article (en anglais) qu’il a lu plus tôt aujourd’hui, sur l’impossibilité inhérente de faire des prédictions/prévisions exactes (et encore moins : parfaites), la plupart s’avérant après coup erronées, ou, comme le disait Dénes Gábor, « Le futur est imprévisible », parce que le présent est chaotique, impossible à saisir dans sa totalité infiniment complexe et notre compréhension du présent est extrêmement lacunaire. L’article mentionne un ouvrage très récent de John Kay et Mervyn King, Radical Unvertainty: Decision-making for an Unknowable Future, qui affirme que la plupart des outils que les analystes utilisent pour prédire le futur sont faux et donnent un sentiment de sécurité et des certitudes erronées. Mais alors, comment décider, faire des choix et agir ?

La mention de la catastrophe dans le discours de Devos rappelle à Léo une citation : « Nous étions au bord d’un gouffre, nous avons fait un grand pas en avant », dont il ne se souvient pas de l’auteur. Quelques brèves recherches n’ont pas permis encore de l’identifier avec certitude, entre « Un homme d’État étranger », « Presque tous les chefs d’États africains » (Sylvie pense qu’il s’agit d’un politicien algérien), Léopold (tiens !) Sédar Senghor, Félix Houphouët-Boigny, Guy Mollet et d’autres.

Jean-Philippe souhaite évoquer la mémoire d’une personnalité extraordinaire décédée aujourd’hui même à l’âge de 100 ans : il s’agit de Daniel Cordier. Révolté en juin 1940 à l’écoute à la radio du maréchal Pétain demandant l’armistice, il rejoint dès juin 1940 de Gaulle à Londres, et malgré ses opinions de droite voire d’extrême-droite devient le secrétaire personnel de Jean Moulin. Après la Libération dont il était l’avant-dernier Compagnon, il ouvre une importante galerie d’art à Paris – il avait été initié à l’art par Jean Moulin… On pourra lire ici un récent article sur le parcours extraordinaire de ce personnage hors du commun, et écouter l’émission À voix nue de France Culture dans laquelle il se confiait, en 2013, au micro de Jérôme Clément.

L’évocation de l’histoire de Cordier rappelle à Michel celle de Georges Loinger – collègue puis ami du père de Michel (qui l’a donc connu) dans les années 1956-1964 –, qui, pendant la guerre, avec l’assistance de son cousin Marcel Mangel, plus connu sous le nom de Mime Marceau, a fait passer des enfants juifs clandestinement de France en Suisse>. Il est décédé fin 2018 à 108 ans. Michel l’avait revu – après un hiatus d’un demi-siècle – à la veille de ses 100 ans, et été frappé par sa forme physique et mentale inchangée… Léo l’avait rencontré sans avoir été un de ses familiers.

Sylvie se demande si Daniel Cordier avait connu Pierre Dac qui, durant la Seconde Guerre mondiale, avait été dans la Résistance et était arrivé à Londres en octobre 1943, après plusieurs arrestations. Or Daniel Cordier aurait quitté Londres pour être parachuté en France en 1942, il est possible qu’ils ne se soient pas croisés.

À propos de Pierre Dac, Léo mentionne Bagatelle pour un tombeau, réponse de Dac à l’attaque de Philippe Henriot à son encontre sur Radio-Paris.

Sur ces entrefaites, Françoise (P.) fait son apparition.

Avant que de se séparer, Jean-Philippe rappelle que lors d’un des apéros virtuels du premier confinement, on avait joué un spectacle à plusieurs voix (après répétitions hors apéro !). C’était en avril, il s’agissait de Jonas ou l’amour en baleine de Cami, saynette en deux actes et cinq personnages dans la distribution qu’on peut voir ci-contre. Il demande si l’on pourrait renouveler l’expérience mais autrement, peut-être une sorte d’atelier-théâtre à mi-chemin entre impro et texte écrit. L’idée plaisant à tous, Michel charge Sylvie de la réalisation et de la mise en scène future. Dans la brève discussion qui s’ensuit, Michel rappelle que deux personnes ne peuvent parler (ni chanter) ensemble sur Zoom, à quoi Sylvie répond qu’on peut tout à fait avoir des dialogues (ce qu’on avait d’ailleurs eu dans Jonas) où l’un parle (ou chante) tandis que l’autre se tait, et quand le premier a fini, le second répond, genre Le Duo des chats de Rossini que l’on peut écouter ci-dessus dans un amusant montage effectué par Sylvie pour un apéro en avril, où l’on peut lire que le compositeur est probablement autre que Rossini…

Quel qu’en soit l’auteur, on pourra aussi écouter ce génial duet avec deux sublimes (opinion toute personnelle de Michel) cantatrices).

Pour finir, Michel raconte à Chantal et à Léo que, durant le premier confinement, on avait tenu plus de 50 apéros virtuels, chaque soir (les comptes-rendus de plus d’une vingtaine sont en ligne sur ce site). Françoise (C.) exprime alors le souhait que le confinement actuel se poursuive au moins aussi longtemps…

29 septembre 2018

Ici et là


Façade du château de Versailles.
Cliquez pour agrandir.


Façade latérale du palais Garnier.
Cliquez pour agrandir.


Plafond de la chapelle royale du château de Versailles.
Cliquez pour agrandir.


Grand foyer du palais Garnier
Cliquez pour agrandir.


Pierre Laviron et Louis Le Conte : Bacchanale. 1679-1682. Château de Versailles. Cliquez pour agrandir.


Georges Clairain : Bacchanales. Plafond de la rotonde du Glacier, palais Garnier. Cliquez pour agrandir.


René-Antoine Houasse : Allégorie de la Magnanimité et de la Magnificence royales inspirant et récompensant les Arts. Plafond du sale de l’Abondance, château de Versailles. Cliquez pour agrandir.


Diane Chasseresse dite Diane à la biche ou Diane de Versailles. Cliquez pour agrandir.


Peinture murale de Georges Clairain, 1878. Rotonde du Glacier, palais Garnier. Cliquez pour agrandir.

Autres photos ici.

15 juillet 2014

Fyestas i alegriyas sefaradis

Classé dans : Actualité, Cuisine, Danse, Judaïsme, Langue, Musique, Photographie, Théâtre — Miklos @ 15:22


Lina Lisa

Cette joyeuse manifestation, organisée par Aki Estamos – Les Amis de la Lettre Sépharade, vient d’avoir lieu à Paris. Au programme, des ateliers de danse, de chant choral, de musique, de théâtre, de langue, de conversation, de cuisine et de culture.

Quelques photos prises sur le vif témoignent de la bonne humeur dans laquelle ont baigné des plus petits au plus grands et comprennent aussi des recettes de délices réalisés sur place.

17 février 2014

Des cabales, des machines applaudissantes, des coteries et de l’actualité littéraire en général

Classé dans : Actualité, Littérature, Société, Théâtre — Miklos @ 2:20


Honoré Daumier : entracte à la Comédie-Française.

Bureau d’esprit. Se réunir à certaines heures, en certain lieu, avec l’intention arrêtée d’avoir ou de faire de l’esprit, dans un local et pour un temps donné, c’est ce qu’on appelle tenir un bureau d’esprit, comme de toute autre mar­chan­dise qu’on mettrait dans le com­merce. L’expression est assu­rément aussi juste que pitto­resque. Des gens qui, soit par une vanité excessive, soit au contraire par défiance de leurs forces, n’aimaient pas à avoir affaire au grand et véritable public qu’ils regardaient, les premiers comme un juge trop grossier, les autres comme un juge trop sévère, ont imaginé de se faire un petit public à leur usage, une coterie qui offre le double avantage, aux uns de pouvoir passer pour un esprit brillant et aux autres de promettre l’indulgence que garantit toute camaraderie (voy. ce mot). Mais pour se dédommager de cette contrainte imposée à l’envie en dedans du cercle convenu, on se montrait impitoyable envers les gens du dehors, et on jetait au rebut tout ce qui n’était pas marqué au timbre de la petite académie. Comme les membres de ces associations s’occupaient de leur affaire avec beaucoup de chaleur, et que les femmes, qui presque toujours en avaient la direction, exerçaient alors mille moyens d’influence, on finissait souvent par surprendre au vrai public la confirmation des arrêts rendus par le docte aréopage, et les réputations les plus importantes ont souvent été à la merci d’autorités fort peu compétentes. À l’époque dont nous parlons, les principaux théâtres de ces tripotages littéraires ont été l’hôtel Rambouillet où régnait Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet ; plus tard les hôtels de Marie-Anne de Mancini et de la duchesse du Maine, de Mme de Tencin, de Mmes Duchâtelet et du Bocage, du Deffant et Geoffrin, et enfin celui de Mmes Necker et Fanny de Beauharnais. Nous renvoyons à chacun des articles biographiques qui concernent ces femmes célèbres, l’indication du rôle que jouait chacune d’elles dans le bureau dont elle était présidente, et de la direction spéciale qu’elle y donnait aux esprits, afin d’avoir un cachet et de faire école.

Il n’y a plus de bureaux d’esprit aujourd’hui, par ces raisons, trop souvent déduites, qui font que nous n’avons plus de salons ; mais la funeste influence des coteries n’en subsiste pas moins en littérature, »et elle s’exerce peut-être plus fatalement que jamais dans la presse périodique où hommes et femmes se sont donné rendez-vous en disant adieu aux salons.

P. Lavergne, in Encyclopédie des gens du monde, répertoire universel des sciences, des lettres et des arts. Paris, 1834.

Cabale (théâtre). On désigne également sous ce nom les moyens déployés par un auteur ou un acteur pour faire applaudir ses pièces ou son jeu, parfois aussi pour faire siffler ceux d’un confrère ou d’un camarade, et l’ignoble milice chargée de ce soin. L’origine de la cabale théâtrale est plus ancienne qu’honorable ; elle remonte à l’un des tyrans les plus odieux qui aient pesé sur le genre humain : Néron, le premier, organisa une troupe de cabaleurs qui devaient provoquer et même contraindre les applaudissements lorsqu’il venait se donner en spectacle aux Romains. Plaute et Térence n’avaient point eu besoin d’un tel appui ; ils sollicitaient franchement les témoignages de l’approbation publique (plaudite cives!), et laissaient à leurs ouvrages le soin de les obtenir.

Rien n’indique non plus que les célèbres poètes dramatiques du siècle de Louis XIV aient fait usage d’une pareille ressource ; on sait qu’une cabale de grands seigneurs fut alors formée en faveur de la Phèdre de Pradon contre celle de Racine. Sa tactique fut d’amener à ses frais à la première un grand nombre de spectateurs, et de louer beaucoup de loges à la seconde pour les laisser vides pendant plusieurs représentations. Ce genre de cabale n’est pas à la portée de tout le monde, et l’on n’en pourrait pas citer beaucoup d’exemples.

C’est vers le milieu du siècle dernier que la cabale applaudissante et sifflante prit pied dans nos spectacles. Un certain chevalier de La Morlière, auteur de quelques mauvais romans, en fut le chef au Théâtre-Français ; redouté des écrivains dramatiques, il leur imposa des tributs, auxquels Voltaire lui – même dut parfois se soumettre. Néanmoins comme le public n’avait pas encore perdu l’habitude d’exprimer lui-même sa satisfaction ou son mécontentement, la petite armée du chevalier pouvait rarement décider seule une chute ou un succès : il lui fallait se borner à rendre l’une plus prononcée ou l’antre plus éclatante.

Aujourd’hui la cabale a perfectionné ses moyens et accru outre mesure le nombre de ses troupes (voy. Claqueurs) : aussi marche-t-elle dans tous nos théâtres le front levé. Chaque directeur, chaque auteur, chaque acteur a la sienne ; ce que l’on qualifiait jadis de honteuse manœuvre n’est plus qu’une utile précaution. On rirait à présent de l’ingénuité de ce couplet d’une pièce jouée il y a une trentaine d’années:

Loin cette ressource banale !
Un auteur qui sait s’estimer
Peut bien souffrir d’une cabale,
Mais ne doit jamais en former.
Si le parterre l’encourage,
Son talent seul en a l’hommage ;
Et le mérite de l’ouvrage
Est la cabale de l’auteur.

L’honnêteté consiste maintenant à n’employer la cabale que pour s’assurer une réussite, en s’abstenant d’en faire une arme offensive contre ses émules ; et cette honnêteté-là n’est pas encore une vertu des plus vulgaires.

Quelques bonnes gens, qui ignorent que les cabaleurs amis forment toujours la majorité du parterre à une première représentation de quelque importance, font encore quelquefois entendre le cri de à bas la cabale ! à la porte la cabale ! Heureusement la cabale ne prend pas la chose au sérieux ; »car s’il y avait conflit, il lui serait facile de mettre elle-même à la porte le public, ou du moins le public payant. Il faut lui savoir gré de sa modération.

M. Ourry, in Encyclopédie des gens du monde, répertoire universel des sciences, des lettres et des arts. Paris, 1834.

Camaraderie littéraire. Quand M. H. de Latouche s’avisa de lancer sous ce titre un manifeste auquel la Revue de Paris servit de héraut, une protestation privée contre l’abus et le ridicule d’un charlatanisme devenu trivial, l’à propos de sa critique suffit à consacrer une expression jusque là inusitée dans le sens qu’il y attacha. Mais cette alliance de mots, pour être un néologisme, ne s’appliquait pas moins à une chose aussi vieille que le monde. Lucien décoche quelque part une de ses vertes épigrammes à ces vendeurs de complaisances réciproques fort à la mode de son temps, et Martial n’épargne pas les Maevius et les Bavius, effleurés par Virgile et trop ménagés par la fine raillerie d’Horace.

Le proverbe thérapeutique Passe-moi la casse et je te passerai le séné[La casse et le séné sont deux purgatifs, mentionnés avec la rhubarbe (elle aussi agissant ainsi…) dans Le Médecin malgré lui. L’expression signifie « Donnant donnant ».], est applicable à presque toutes les conditions et à tous les états ; mais nous le voyons justifié d’une manière incroyable dans l’histoire de la république des lettres, surtout à certaines époques plus rapprochées de la nôtre. Il n’est personne qui n’ait ouï médire à juste titre de ces réunions soi-disant littéraires de l’hôtel Rambouillet, devenu si fameux par la morgue et le pédantisme de ses familiers, par leur esprit exclusif, leurs proscriptions, leur argot, et surtout par l’inconcevable exagération de leurs apologies et de leurs ovations. Combien d’astres sont restés sur l’horizon de cette pléiade de beaux esprits, organisée en cour suprême et qui prétendait de bonne foi imposer ses burlesques arrêts au goût à venir sur la foi des dupes contemporaines ?

De nos jours la camaraderie littéraire a reçu d’immenses développements ; mais il est digne de remarque que ces coalitions transitoires d’intérêts opposés, ces parades d’amitiés mielleuses et emphatiques entre des puissances rivales, ont presque toujours pour résultat infaillible quelque réaction violente et contradictoire. Fatigués de leurs encensements mutuels et ne pouvant plus se regarder sans rire, les acteurs de ces comédies, dès qu’ils ont touché le prix banal réservé à leur fraternité de coulisses, se dédommagent des secrets ennuis de leur rôle par l’aigreur des récriminations publiques et la franche manifestation de leurs antipathies ; une inimitié déclarée succède à ces flagorneries de commande et les choses se passent à peu près comme dans la scène de Molière entre Vadius et Trissotin. Oh ! les bons camarades ! Ce mot pourtant, qui peint à l’esprit de riantes et affectueuses idées, qui rappelle de touchants souvenirs de la jeunesse, »cadrerait si bien avec l’intimité noble et généreuse dont il serait consolant de voir les littérateurs donner l’exemple. Voy. Coteries.

V. de Moléon, in Encyclopédie des gens du monde, répertoire universel des sciences, des lettres et des arts. Paris, 1834.

Claqueurs. Nous avons dit à l’article Cabale de théâtre (voy.) que Néron, auteur et acteur, s’assura le premier le honteux appui de ces machines applaudissantes. C’est sans doute ce qui leur a fait donner de nos jours, avec le sobriquet de chevaliers du lustre, celui de Romains. On a vu que ce nouveau genre d’industrie commença à s’exercer chez nous dans le dernier siècle ; aujourd’hui c’est une lèpre attachée à tous nos théâtres, et qui, si l’on n’y porte remède, finira par entraîner leur ruine. On sait, en effet, que le public véritable n’applaudit plus, afin de ne pas être confondu avec les gens chargés de cet emploi ; qu’il ne siffle guère davantage pour ne pas s’exposer à leurs fureurs stipendiées. Qu’en résulte-t-il ? Qu’aux premières représentations l’opinion publique ne peut se faire jour, que tout réussit en apparence, et que les spectateurs payants ne protestent que par leur absence contre ces prétendus succès.

Le métier de claqueurs, ou du moins de chef des claqueurs, est devenu aujourd’hui une ressource des plus productives. Dans une petite pièce jouée en 1783, La Harpe faisait dire à un M. Claque, représentant de cette honnête corporation :

Et je gagne en bravos mes vingt écus par mois.

Nos MM. Claque actuels souriraient de dédain à cet aveu ; il en est tel d’entre eux qui, avec la rétribution des directeurs, des auteurs, des acteurs et actrices, la vente d’une partie des billets gratis et autres profits de son commerce, s’est acquis une fortune en quelques années et en se retirant a vendu fort cher sa clientèle. Il est vrai que l’art a fait dans ce genre de grands progrès. Au principal corps d’année, toujours composé de bruyants claqueurs, un chef habile a soin d’adjoindre un détachement de pleureurs et un autre de rieurs. Ces dernières fonctions surtout exigent beaucoup de talent et de naturel.

Il est d’usage que, pour faciliter son travail du soir, le claqueur en chef ait assisté le matin à la répétition générale : il y prend note des passages qui devront faire éclater les applaudissements, les sanglots ou le rire. Des gestes convenus transmettront à ses troupes le signal de ces diverses manœuvres. Il est de règle aussi que, par une entrée particulière, les claqueurs soient introduits dans la salle avant les autres spectateurs, afin de choisir leurs positions et de préparer leur ordre de bataille. Ceci est le secret de la comédie, comme du vaudeville, du mélodrame, etc., etc.

Devant éprouver presque journellement cet accès d’enthousiasme qui lui fait demander l’auteur à grands cris, le claqueur doit être pourvu de poumons aussi robustes que ses mains ; cependant, en cas d’enrouement, un redoublement d’activité de ces derniers et un trépignement frénétique de pieds à la chute du rideau peuvent suppléer à son silence obligé.

Plusieurs fois des écrivains dramatiques, des directeurs de spectacle, ont témoigné l’intention de renoncer aux applaudissements achetés ; »mais les premiers ont vu le corps des claqueurs fortement constitués triompher de leurs efforts isolés ; et, il faut le dire, aucun des seconds n’a eu le courage difficile d’attacher franchement le grelot.

M. Ourry, in Encyclopédie des gens du monde, répertoire universel des sciences, des lettres et des arts. Paris, 1834.

Coterie, mot français très ancien et qui signifiait société, compagnie. Quant à son étymologie, on le dérive du mot latin quot, combien.

Au XIIIe ou XIVe siècle, lorsque les petits marchands voulaient faire quelque entreprise commerciale, ils formaient une coterie, c’est-à-dire une association partielle, car de tous temps les associations furent la meilleure ressource des petits. Chacun apportait sa quote-part d’argent ou de marchandises, et chacun devait de même recueillir sa quote-part du succès ou du bénéfice.

Lorsqu’il y eut un certain nombre d’amateurs de la gaîté, c’est-à-dire dans les intervalles entre les guerres civiles (car il n’y a pas de joie là où parents sont contre parents et amis contre amis), il se forma des coteries de plaisir : celles-là se sont maintenues et multipliées. On y statua qu’on se verrait familièrement pour se livrer à des exercices bachiques ou gastronomiques, qu’il y aurait des jours d’assemblée, de grands festins si c’était entre personnes riches, et des pics-nics (voy.Expression empruntée de l’anglais où elle est formée de pick, choisir, et nick, instant précis, et signifie choix judicieux où tout se rencontre bien. On se sert aussi en français de cette locution pour désigner un repas où chacun paie son écot, ou bien auquel chacun contribue en fournissant un des plats.) si c’était entre personnes mixtes.

Enfin, lorsque l’on eut une littérature, il y eut des coteries littéraires ou plutôt de beaux-esprits, car les beaux-esprits ne sont pas toujours littéraires. Telle fut la société de l’hôtel de Rambouillet, qui fit la guerre à Racine, à Corneille, à Molière. Alors apparurent diverses associations d’envieux, d’esprits de travers qui se coalisèrent contre quelques hommes de génie isolés, pour les empêcher d’être connus ou d’avoir des succès [voy. Camaraderie et Cabale). De bonne heure il y eut des gens qui se dirent entre eux : « Nul n’aura de l’esprit hors nous et nos amis. » La religion même fut dénaturée par des coteries d’hypocrites, de bigots, d’hommes à bénéfices, qui, exploitant les préjugés et les esprits crédules, abusaient du besoin de croire et faussaient les sublimes vérités du christianisme.

Les coteries, hélas ! c’est presque l’histoire du monde ; tous les partis n’ont-ils pas été des coteries dans leurs commencements? Mais, à proprement parler, il n’y a eu que ces trois espèces de coteries permanentes : celle ou chacun apporte sa quote-part de fonds ; la seconde, où chacun apporte sa quote-part de gaîté, et la dernière, où chacun apporte sa quote-part d’esprit vrai ou d’esprit prétendu, de bons ou de méchants mots de prose, de vers, et d’écrits qui ne sont ni l’un ni l’autre. Plus les temps se sont avancés, plus le terme de coterie est tombé en défaveur, parce que les coteries commerciales ont été réglées par les lois, que les coteries de plaisir ont ébranlé les mœurs, et que les coteries d’esprit ont produit la discorde et le ridicule ; et cependant toutes les coteries possibles sont encore fort innocentes, comparées aux coteries politiques. Mais tous les partis ont l’habitude de qualifier de ce nom les réunions de leurs adversaires, et ils se le sont constamment renvoyé les uns aux autres.

Les coteries qui se forment contre le talent ou le mérite, celles qui se forment entre les intérêts de quelques hommes contre les intérêts de tous, sont méprisables et odieuses. »Malheureusement elles n’en sont pas plus rares, et il ne faudrait pas aller bien loin pour en trouver des exemples.

Pierre-Marie-Michel Lepeintre-Desroches, in Encyclopédie des gens du monde, répertoire universel des sciences, des lettres et des arts. Paris, 1834.

Public, un des mots les plus usités de notre langue, et l’un des plus difficiles à définir. Qu’est-ce que le public ? l’universalité des citoyens ? un choix parmi eux ? les lecteurs de tel journal ? les claqueurs de tel drame ? l’auditoire de tel orateur ? les prôneurs de tel médecin ? les détracteurs de tel artiste? Demanderons-nous avec un moderne combien faut-il de sots pour faire un public ? L’appellerons-nous avec un ancien : Vox Dei ? La voix de Dieu ! Le public ne fut-il pas personnifié par les anciens sous le nom de la Renommée, aussi empressée à tenir pour le mensonge et la calomnie qu’à répandre la vérité ? Tout yeux, tout oreilles, tout langues, que voit-il ? qu’entend-il ? que dit-il ? Si l’on écoute, mille bruits incohérents s’élèvent. Devant un fait quelconque, le public dit blanc, le public dit noir ; il nie, il affirme ; il blâme, il approuve. Demandez un avis au philosophe, il vous conseillera de mépriser le public, et vous le surprendrez bientôt après gueusant des voix et mendiant des admirateurs !

Si vous vous mêlez à la foule, si vous passez d’un groupe à l’autre, vous ne tarderez pas à reconnaître .que le public se fractionne en publics d’opinions diverses, et que ces publics n’en font pourtant qu’un. Grâce au jeu des passions humaines, le monde est le plus étrange des spectacles. Pêle-mêle de prétentions audacieuses et d’acquiescements faciles, il a des enthousiasmes ridicules et des mépris immérités ; théâtre d’une lutte éternelle entre les vanités, il est l’une des plus frappantes images du beau absolu, si le beau n’est, comme on l’a dit, que la variété dans l’unité. Quelle variété piquante, en effet, que ces publics de toute nature, de tout étage, de toute dimension ! public de l’antichambre et public de la rue ; public du parlement et public des tavernes ; public qui caresse et rampe ; public qui a sa cour et ses flatteurs ; public ingrat et trompé, défiant et crédule, despote et victime ; public qui a tout ce qui est dans son élément (l’homme), une raison qui commande et des passions qui la font obéir, raison souveraine, quelque peu ressemblante aux rois constitutionnels dont la volonté plie au gré des Chambres: elle aussi règne et ne gouverne pas.

Que si nous consultions l’histoire, nous verrions le public naître et grandir avec la civilisation, partout présenter un fonds semblable, partout recevoir des empreintes diverses dans les divers climats, partout avoir entre les traits qui le différencient un trait spécial, l’aptitude à être dupe. De là ses travers, son inconstance, ses caprices, sa faiblesse, ses antipathies, ses adorations ; de là ses croyances aveugles et ses émancipations réactionnaires, ses respects absurdes et ses émotions fécondes en ruines ; de là et son abjection dans le servilisme, et ses transports dans le triomphe, et les directions étranges qu’il subit ; de là enfin l’inconséquence de ses révolutions, qui tendent à le mettre en possession de la vérité et qui le montrent sans cesse dans de nouvelles phases de l’erreur. Curieuse comédie, que le spectacle incessant donné par le public ! car toujours il est en scène, et, s’il en faut croire Oxenstiern, « les hasards composent la pièce, la fortune distribue les rôles, les théologiens gouvernent les machines et les sages sont les spectateurs ; les riches occupent les loges, les puissants l’amphithéâtre, et le parterre est pour les malheureux ; les femmes portent les rafraîchissements à l’entour, et les disgraciés de la fortune mouchent les chandelles ; les folies composent le concert, et le temps tire le rideau ; la pièce a pour titre : Mundus vult decipi: decipiatur[« Le monde veut être trompé, qu’il le soit donc. » Attribué à Pétrone.] ! » En sera-t-il toujours ainsi? Nous ne le croyons point. Non, certains rôles ne seront pas toujours l’objet de la brigue-,des pygmées ne tiendront pas toujours la place de géants ; les coulisses ne recèleront pas toujours d’odieux secrets ; le public ne sera pas toujours ce docile automate dont le charlatanisme tire en tous sens les molles ficelles. Telle est l’espérance, telle est la foi des sages, qui, dès à présent, se rangent parmi le peuple de cette épigramme :

Ce monde-ci n’est qu’une œuvre comique
Où chacun fait ses rôles différents.
Là, sur la scène, en habit dramatique,
Brillant prélats, ministres, conquérants.
Pour nous, vil peuple, assis aux derniers rangs,
Troupe futile et des grands rebutée,
Par nous d’en-bas la pièce est écoutée ;
Mais nous payons, utiles spectateurs,
»Et, quand la farce est mal représentée,
Pour notre argent nous sifflons les acteurs.

(J.-B. Rousseau.)

J. Travers (à Caen), in Encyclopédie des gens du monde, répertoire universel des sciences, des lettres et des arts. Paris, 1834.

The Blog of Miklos • Le blog de Miklos