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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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28 juillet 2014

Ha ! ha !

Classé dans : Langue, Lieux, Littérature, Peinture, dessin — Miklos @ 2:59

Les Québécois, et surtout les Louisiens d’entre eux, ne souriront même pas à la lecture de ce titre (pour autant qu’il y ait un Québécois qui le lise) : il leur évoquera sans nul doute Saint-Louis du Ha ! Ha !, petite municipalité de quelque 1 300 habitants – les Louisiens en question – du Témiscouata (vous êtes bien avancés, hein ? allez, cliquez ici), non loin de deux petites villes, Trois-Pistoles et de Rivière-du-Loup, toutes deux situés sur la rive sud du Saint-Laurent. À une vingtaine de kms de Trois-Pistoles se trouve aussi une des baies du Ha ! Ha ! (parce qu’il y en a plusieurs).

Si je suis passé il y a bien des années par ces trois bourgades, ce n’était qu’à cause de leurs noms, et surtout pour ce Ha ! Ha ! là. C’est une raison comme une autre, et c’est ce qui m’avait aussi fait passer à la même époque par Odessa, pas celle d’Ukraine (où ma mère est née et que j’aurais aimé voir, mais les circonstances…) mais celle de l’État de New York. Soit dit en passant, il y a plus d’une douzaine d’Odessa aux US, dont deux dans le seul État du Dakota du Nord, et une quinzaine de Paris (je ne compte pas dans le lot les New Paris), et si vous cherchez des localités aux noms réellement originaux, il y a bien Truth or Consequences dans l’État du Nouveau-Mexique.

Ce que je viens d’apprendre c’est qu’il existait à Paris une rue du Ha-Ha (l’actuelle impasse Guéménée). Voici ce qu’en dit Henri Sauval, dans son fameux Histoire et recherche des antiquités de la ville de Paris :

«La rue du Ha-ha est un cul-de sac-qui n’est guère moins beau que la rue de la Cerisaie, mais qui a encore trompé bien plus de monde qu’elle : car il est long, large, rempli de portes cochères, et comme il est placé dans la rue St Antoine à côté de la Place Royale, une infinité de personnes y ont été attrapées, pensant y aller par là; et parce qu’en ces sortes de surprises, et lorsqu’on trouve tout le contraire de ce qu’on s’est imaginé, aussitôt on s’écrie, ha ha.

On tient que c’est ce qui est cause que le peuple lui a donné ce nom. II est certain qu’elle faisait autrefois partie de l’Hôtel des Tournelles ; on y montre encore la salle où mourut Henri II du coup de lance qu’il reçu en joutant contre Montgommery à la rue St Antoine :» et dans ce logis-là même où se voit cette salle, est mort il y a quelques années Claude Mydorge, l’un des premiers mathématiciens de notre temps.

Le haha désigne aussi, en français comme en anglais, une « ouverture exé­cutée dans un mur de clôture, avec un fossé au dehors, pour prolonger une pers­pective ou dégager une vue » (TLFi) ; c’est sans doute la raison pour laquelle on trouve, ou trouvait, une allée du haha dans des parcs, à l’instar de celui du château de Sceaux (selon le Dictionnaire historique de la ville de Paris de Hurtaut et Magny, 1779) ou une allée des hâ-hâ (ou Ha ! Ha !) dans les jardins du château de Versailles, voire une rue qui porte ce nom à Londres (cf. photo à droite, cliquer pour agrandir).

Pour finir, on citera le Poème à crier et à danser de Pierre Albert-Birot (1876-1967) :

(source : Robert Sabatier, Histoire de la poésie du XXe siècle. Révolutions et conquêtes.)

26 juillet 2014

Hajj, le pèlerinage à la Mecque.


Entrée de l’exposition Hajj, le pèlerinage à La Mecque à l’Institut du monde arabe.
Autres photos ici.

«Mecque (La) , ville de l’Arabie heureuse, célèbre pour avoir été le berceau du mahométisme. Mahomet n’est pas le premier qui l’ait illustrée. On prétend que c’est dans ce lieu qu’est placé le tombeau d’Abraham. Si l’on en croit Nicolas de Damus, le fameux chêne de Mambré, sous lequel ce patriarche conversa avec trois anges, était ce qui attirait à la Mecque ce concours de peuples voisins, païens, juifs et chrétiens. Les succès de l’islamisme n’ont fait que lui donner un nouveau lustre. Elle voit arriver tous les ans des caravanes nombreuses de pèlerins, dont une des plus belles est celle du Caire, et qui viennent dans ce sanctuaire de leur religion rendre leurs hommages à Mahomet. Ce concours cessera d’étonner, si l’on réfléchit que la loi de Mahomet fait un devoir rigoureux de ce pèlerinage ; et cette opinion est si fortement inculquée dès l’enfance, que les femmes même l’entreprennent avec leurs maris, et même seules. Toutes ces caravanes, se trouvant rassemblées, se rendent un certain jour, sur la montagne d’Arafat, à six lieues de la Mecque, où ils croient qu’Abraham offrit à Dieu le sacrifice de son fils lsaac. La fête qu’ils célèbrent dans cet auguste lieu se nomme Korban-bairam, ou le second Bairam ; mais les Arabes l’appellent Je al Korban, et Je al Adha, c’est-à-dire, la fête du sacrifice : parce que, dans ce jour, on immole une multitude prodigieuse d’animaux de toute espèce.

C’est dans ce lieu que les pèlerins: se rasent la tête et le visage, et prennent le bain. Après avoir fait leurs prières, ils s’en retournent à la Mecque. Ils visitent la maison d’Abraham, qu’on appelle la Kaaba et les autres lieux consacrés par la religion des mahométans. On place dans la grande mosquée le pavillon nouvellement apporté du Caire, et on en retire le vieux, qu’on remet entre les mains de l’émir-hadgi.

La ville de la Mecque n’étant pas assez grande pour contenir une multitude si prodigieuse d’étrangers avec leurs équipages, les caravanes sont obligées de camper aux environs de la ville, et séjournent sous des tentes pendant l’espace de neuf à dix jours. Il se tient là une foire des plus considérables du monde, et le commerce qui s’y fait est prodigieux. On admire surtout le silence et la tranquillité qui règnent dans ce concours étonnant de marchands et de pèlerins.

Ceux qui avaient, avant Mahomet, la présidence du temple de la Mecque, étaient d’autant plus considérés, qu’ils possédaient, comme aujourd’hui, le gouvernement de la ville. Aussi Mahomet eut la politique, dans une trêve qu’il avait conclue avec les Mecquois ses ennemis, d’ordonner à ses adhérents le pèlerinage de la Mecque. En conservant cette coutume religieuse qui faisait subsister le peuple de cette ville, dont le terroir est des plus ingrats, il parvint à leur imposer sans peine le joug de sa domination.

La Mecque est la métropole des mahométans, à cause de son temple ou kiabé, maison sacrée, qu’ils disent avoir été bâti dans cette ville par Abraham ; et ils en sont si persuadés, qu’ils feraient empaler quiconque oserait dire qu’il n’y avait point de ville de la Mecque du temps d’Abraham. Ce kiabé, que tant de voyageurs ont décrit, est au milieu de la mosquée, appelée haram par les Turcs ; le puits de Zemzem, si respecté des Arabes, est aussi dans l’enceinte du haram.

La ville, le temple, la mosquée et le puits, sont sous la domination d’un shériph, ou, comme nous l’écrivons, chérif, prince souverain comme celui de Médine, et tous deux descendants de la famille de Mahomet ;» le grand seigneur, tout puissant qu’il est, ne peut les déposer qu’en mettant à leur place un prince de leur sang.

Fr. Noël, Dictionnaire de la fable, ou mythologie grecque, latine, égyptienne, celtique, persane, syriaque, indienne, chinoise, mahométane, slavone, scandinave, africaine, américaine, iconologique, rabbinique, cabalistique, etc. Quatrième édition. Paris, 1823.

1 juin 2014

Vues d’Irlande : Clonmacnoise

Classé dans : Histoire, Lieux, Photographie, Religion — Miklos @ 19:30


Ruines de Clonmacnoise (autres photos ici).
Cliquer pour agrandir.

«Un site du début de l’ère chrétienne fondé par St. Ciarán au milieu du VIe siècle sur la berge Est de la Shannon. Ce site contient les ruines d’une cathédrale, sept églises (Xe – XIIIe siècles), deux tours rondes, trois croix hautes et »la plus grande collection de pierres tombales du début de l’ère chrétienne de l’Europe occidentale. (source)

«Le roi Diarmid, ou Dermott[Diarmait Uí Cerbaill, premier chrétien à être couronné monarque suprême d’Irlande.], monarque suprême de l’Irlande, descendait, comme Columba[Saint Columba of Iona, 521-597.], du grand roi Niall, mais par un autre fils que celui dont Columba était l’arrière-petit-fils. Il vivait, comme tous les princes de son pays, dans une union intime avec l’Église, personnifiée en Irlande, plus encore qu’ailleurs, par l’ordre monastique.

Exilé et persécuté dans sa jeunesse, il s’était réfugié dans une île entourée par un de ces lacs que traverse le principal fleuve de l’Irlande, le Shannon, et il s’y était lié avec un saint moine, nommé Kiéran[Saint Ciarán de Clonmacnoise, ~514-~544.], qui n’était autre que ce fils de charpentier, camarade jaloux de Columba à l’école monastique de Clonard et depuis son émule généreux en science et en austérité. Sur la rive encore solitaire du fleuve, les deux amis avaient projeté la fondation d’un monastère que la nature marécageuse du terrain obligerait de bâtir sur pilotis. « Plantez, » avait dit le moine au prince exilé, « plantez avec moi le premier pieu en mettant votre main sous la mienne ; et d’ici à peu cette main sera sur tous les hommes d’Érin. »

En effet, Diarmid fut bientôt appelé au trône. Il usa aussitôt de son pouvoir pour doter richement le sanctuaire que devait lui rendre doublement cher le souvenir de son exil et de son ami. Sous le nom de Clonmacnoise, ce sanctuaire devint l’un des grands monastères et l’une des écoles les plus fréquentées de l’Irlande et même de l’Occident ; il fut si riche en possessions et surtout en communautés, filles ou vassales de son autorité hiérarchique, qu’un dicton populaire renfermait la moitié de l’Irlande dans l’enceinte de Clonmacnoise. Cette enceinte contenait réellement jusqu’à neuf églises avec deux tours rondes ; les rois et les seigneurs des deux rives du Shannon y eurent, pendant mille ans, leur sépulture sur une hauteur verdoyante qui domine les bords marécageux du fleuve. On en voit encore les ruines tristement pittoresques, et parmi elles une croix de pierre où sont grossièrement sculptés le prince et l’abbé tenant à eux deux le pieu allongé par la pointe, dont la légende a consacré le souvenir.

Situé à sept milles au-dessous d’Athlone, sur la rive orientale du Shannon, Clonmacnoise fut plus tard érigé en évêché, qu’il ne faut pas confondre avec celui de Cloyne, quoique la désignation latine, Clonensis ou Cluanensis, soit identique. — Cette grande abbaye doit sa principale illustration à son abbé Tighernach (1088), historien très-souvent cité et dont les annales ont été publiées au tome II des Rerum Hibernicarum scriptores, d’O’Connor. Elle renfermait dans sa vaste enceinte une communauté de ces moines laïques, connus sous le nom de Culdees, dont nous aurons à parler plus loin, qui avait été créé par un frère convers du monastère, nommé Conn des pauvres à cause de sa grande charité. Plus tard, au douzième siècle, elle fut attribuée aux chanoines réguliers de Saint-Augustin, qui la conservèrent jusqu’à la spoliation générale. O’Curry, op. cit, p. 60. — Le Gentleman’s Magazine, de février 1864, »publie un plan de l’état actuel de Clonmacnoise, avec une notice fort intéressante de M. Parker sur l’architecture de ces ruines.

Comte de Montalembert, Les moines d’occident depuis Saint Benoît jusqu’à Saint Bernard. Tome III : Conversion de l’Angleterre par les moines. 1866.

30 mars 2014

Ce pauvre corbeau…

Classé dans : Histoire, Lieux, Littérature, Photographie — Miklos @ 14:57


Street art.

« À goupil endormi rien ne chet en la gueule. » Se disait autre­fois d’une personne qui se livre à la paresse lorsqu’elle aurait besoin de travailler pour vivre.

« Sois la queue du lion plutôt que la tête du renard ». Dicton talmudique (הֱוֵה זָנָב לָאֲרָיוֹת וְאַל תְּהִי ראשׁ לַשּׁוּעָלִים).

La rue du renard longe la face arrière du Centre Pompidou. C’était, comme on l’avait vu, un quartier assez mal fréquenté au Moyen Âge, et la situation, comme on pourra le lire ci-dessous, ne s’était pas amé­liorée avec le temps. Ce n’est sans doute que la réhabilitation du quartier dans les années 1970 qui l’a transformée en une artère à la circulation dense et aux relents de pots d’échappements et dont les trottoirs étroits sont bordés de commerces destinés principalement aux touristes pressés.

Ce n’était d’ailleurs pas la seule rue qui portait ce nom : en 1492, une rue au Goulier, dite du Renard reliait les rues Bertin-Poirée et Thibault-aux-Dez (l’actuelle rue des Bourdonnais) dans le 1er arrondissement, presque en face de la rue Jean-Lantier ; elle fut ensuite fermée par des grilles à ses deux extrémités, puis transformée en cul-de-sac, et enfin supprimée. (sourceJ de la Tynna, Dictionnaire topographique, étymologique et historique des rues de Paris. Paris, 1812.). Au fil des siècles, elle a porté d’autres noms : Jean L’éveillé, Jean l’Esguillier, Jean le Goulier, Trois-Visages… Plus haut, une rue du renard-Saint-Sauveur, auparavant appelée rue percée, reliait les rues Saint-Denis et des Deux-Portes-Saint-Sauveur (l’actuelle rue Dussoubs). Enfin, au XVIIe siècle il y avait aussi une rue du renard sur la rive gauche, qui faisait le coin avec la rue de la Huchette près du point Saint-Michel (sourceHenri Sauval, Hist. des recherches des antiquités de la ville de Paris, 1724).

Face à cette prolifération, on peut se demander si le corbeau a eu sa rue à Paris. On en a trouvé peu de mentions (et le service de recherche des rues de Paris mis en place par la Ville de Paris dysfonctionne depuis des années). On signalera une rue du Corbeau dont il est fait état dans un texte plutôt macabre – Rapport sur la marche et les effets du choléra-morbus dans Paris et les communes rurales du département de la Seine – datant de 1834 ; un autre texte mentionne une « rue du Corbeau dans le quartier des Halles », où se trouvait, en 1869, une librairie. Cet oiseau de malheur n’était sans doute pas à l’honneur dans la capitale, mais on en trouve bien plus de mentions en province et notamment dans des villes de l’est et du nord de la France, ainsi qu’en Belgique : Rouen, Reims, Strasbourg, Bruxelles (où elle s’appelait auparavant rue de la pie…), Tournai, Gand…

«J’avais entendu parler de madame M…, née d’une famille très distinguée et très connue, qui loge rue du Renard, près de Saint-Médéric. Comme je connais peu Paris, il ne me paraissait nullement étonnant de n’avoir jamais ouï parler de la rue du Renard ; mais je disais, les gens d’une éducation vulgaire disent Saint-Merry pour Saint-Médéric, et puisque madame parle comme les gens bien élevés, il faut croire que sa maison répond à son éducation et à son rang. Je me rendis donc à la rue du Renard. Ah! Monsieur, est-il possible qu’une dame qui sait fixer à son gré la roue de la fortune se loge dans la rue du Renard ! Quelle rue ! celles de Brienon ne sont pas belles; mais la rue du Renard !… Je vis bien qu’il y avait là de la finesse, et je me mis en garde contre les procédés de madame M… […]

Quoique l’approche de la rue du Renard eût d’abord effrayé mes yeux et révolté mon odorat, je résolus néanmoins de vaincre mes préjugés, et de forcer son entrée noire, obscure et boueuse. Je me rappelai que la Sybille de Cumes, cette illustre prophétesse qui a eu l’honneur d’accompagner un héros aux enfers, n’habitait qu’une grotte beaucoup moins brillante que les réduits de la rue du Renard. Je fis réflexion que les personnages extraordinaires étaient sujets à des bizarreries qui les distinguaient des esprits vulgaires. Je m’acheminai donc, en me tenant sur la pointe du pied, jusqu’au n° 4 de la rue du Renard. […]

Je vous ai dit, Monsieur, que j’avais eu d’abord quelque défiance des calculs de madame Je sens maintenant combien j’ai tort. Il me semble évident que personne ne compte mieux que cette dame. Je suppose que dix admirateurs des prodiges de Paris, aussi confiants que moi dans les lumières de madame viennent chaque jour la trouver et lui remettre la petite offrande provisoire qu’elle est dans l’usage d’exiger de ses fidèles clients ; comme cette offrande est de cent francs, il s’ensuit que madame gagnera mille francs par jour,» ce qui fait trois cent soixante-cinq mille francs par an. Voilà assurément une excellente manière de jouer à la loterie, un moyen sûr de ne pas habiter longtemps la rue du Renard.

J. B. S. Salgues, De Paris, des mœurs, de la litté­rature et de la philosophie. Paris, 1813.

29 mars 2014

Mais il est délicieux, ce marmot !


Kindlifresserbrunnen (fontaine du dévoreur d’enfants), Berne.

Les ogres russes ont un appétit insatiable, comme on vient de le voir avec la Crimée dont ils n’ont fait qu’une bouchée. Cela ne date pas d’hier : Victor Hugo, dans son Bon conseil aux amants, nous racontait déjà au XIXe siècle l’édifiante histoire de cet autre ogre natif de Moscovie, qui avait, lui aussi, une faim évidemment irrésistible, et dont la fin est inévitablement tragique.

Je ne sais si Freud en a parlé dans Le mot d’esprit et son rapport avec l’inconscient, mais il y a de quoi se lécher les babines à analyser la confusion qui était à l’œuvre dans la petite tête de ce géant amoureux. Pour ceux qui n’auraient pas saisi, voici quelques explications de texte (assorties d’illustrations de circonstance et de commentaires personnels entre crochets). Si vous trouvez qu’elles se contredisent, c’est normal, c’est le propre du subconscient que d’être truffé de paradoxes.


Claudine Bouzonnet-Stella (1641-16970, La Mouche (source).
Cliquer pour agrandir.

«MARMOT, s. m. du grec μορμώ (marmó), spectre. Gros singe, petite figure grotesque, petit garçon.

Marmot est le nom qu’on donnait autre fois aux petits singes. De là, dit M. de Paulmy, on a appelé les petits garçons marmots, et les enfants marmailles. [On signalera en passant à nos amis des bêtes que bambin est dérivé de babouin. « Un babouin a dû très facilement se comparer à un petit enfant », selon le Vocabulaire analytique du Jargon du XVe siècle d’Auguste Vitu.] De là encore marmotter, pour dire parler entre ses dents, sans rien prononcer, comme font les singes.

[…]

[« Ah ! vraiment, va, mes parents qui vont venir dans un moment, sauront tes véritiés, sac à vin, infâme, tu ne bouges du cabaret, & tu laisses une pauvre femme avec des petits enfants, sans savoir s’ils ont besoin de quelque chose, à croquer le marmot tout le long du jour. » Molière, La jalousie du Barbouillé, sc. xi.]

« Je me fis annoncer comme successeur de Don Valerio ; ce qui n’empêcha pas qu’on ne me fit attendre plus d’une heure dans l’antichambre. Monsieur le nouveau secrétaire, me disais-je pendant ce temps-là, prenez s’il vous plaît patience. Vous croquerez bien le marmot, avant que vous le fassiez croquer aux autres. » Lesage, Gil-Blas, liv. viii, ch. 3.

« Croquer le marmot, c’est faire avec du charbon et de la craie diverses figures sur ces statues de marbre, ou d’autres pierres, qui sont dans les vestibules, ou sur les degrés des grandes maisons, ce qui convient assez à un pauvre diable qu’on fait attendre et qui s’ennuie. Les Gascons disent croquer le mouset, qui se dit par aphérèse pour marmouset, diminutif du bas-breton marmous, synonyme de marmot. » Ducatiana, t. ii, pag. 489, Amsterdam, 1738.

« On dit proverbialement : garder le mulet ; compter les clous de la porte ; faire le pied de grue ; et croquer le marmot. Ces quatre expressions signifient, à quelques nuances près, attendre longtemps à la porte d’une maison, ou dans un lieu quelconque. Les trois premières s’expliquent facilement; ainsi je ne m’arrêterai qu’à la quatrième qui, selon moi, doit son origine à une espèce d’instrument (si je puis l’appeler ainsi) qui était autrefois fort en usage, et que j’ai encore vu dans mon enfance à la porte principale de plusieurs antiques manoirs. Voici comment était disposé cet instrument qui tenait alors lieu des marteaux et des sonnettes dont on se sert à présent : un gros morceau de fer crénelé était attaché à la porte en forme de poignée; dans cette poignée était passe un gros anneau de fer qu’on pouvait aussi faire mouvoir du haut en bas, et du bas en haut de la poignée. La porte en cet endroit était garnie d’un gros bouton de cuivre qui représentait une de ces figures grotesques, qu’on nomme ordinairement marmots. Voulait-on se faire ouvrir la porte, on agitait l’anneau contre les crénelures de la poignée, et ce frottement produisait un bruit, ou plutôt un craquement assourdissant qui se faisait entendre dans l’intérieur de la maison.

» Je pense donc que croquer le marmot tire son origine du frottement dont je viens de parler. Quand une personne avait longtemps attendu à la porte, elle pouvait dire : J’ai longtemps frotté l’anneau ; ou plutôt : j’ai longtemps craqué (usant de l’onomatopée) ; et comme pendant ce frottement, ce craquement, le marmot attirait l’attention, ou peut-être rendait un son, on l’aura associé à cette action, en disant : j’ai longtemps craqué le marmot.

» Vous m’objecterez sans doute, Monsieur, que l’on ne dit pas, craquer, mais croquer le marmot, et que ces deux verbes n’ayant pas la même signification, on ne peut reconnaître dans ce que je viens de dire, l’origine de croquer le marmot ; je suis d’accord avec vous sur ces deux points; mais n’est il pas possible que l’a de craquer se soit changé en o dans croquer, comme celui d’armoire que le peuple prononce ormoire. Je suis d’autant plus fondé à croire ce changement, que j’ai souvent entendu des anciens dire : craquer le marmot. » Manuel des Amateurs de la langue française, pag. 373, Paris, 1813.

« L’origine de l’expression croquer le marmot, donnée dans le n° 3 (du Manuel des Amateurs de la langue française), n’est point satisfaisante ; en voici une que nous croyons meilleure : si une personne, qui en attend une autre, s’impatiente, elle murmure entre ses dents et imite, en quelque sorte, »la grimace du marmot ou du singe ; elle croque comme le marmot, elle croque…. le marmot. » A. Boniface, Manuel des Amateurs de la langue française, n° 5, pag. 153.

François Noël et L. J. Carpentier, Philologie française, ou dictionnaire éty­mo­logique, critique, histo­rique, anec­dotique, lit­té­raire, t. 2. Paris, 1831.


Le croquis des croqueurs, pot-pourri national, ou Almanach croustillant pour la présente année. À Croque-Marmot, chez Croquant, Libraire, rue Croquée, vis-à-vis d’une marchande de croquets. 1790.

«Cette locution est synonyme de Garder le mulet, et l’abbé Tuet que j’ai consulté les explique toutes les deux. « Garder le mulet, c’est s’ennuyer à attendre quelqu’un. Le mulet était la monture de nos ancêtres. Quand un maître avait affaire dans une maison, il faisait garder son mulet à la porte. Cette fonction n’était pas amusante, quand il fallait attendre longtemps. De là est venue l’expression familière Garder le mulet… Un babillard, qui se promenait avec un de ses amis, entra dans une maison où il n’avait, disait-il, qu’un mot à dire. L’ami l’attend à la porte, et assez longtemps pour perdre patience. L’autre, revenu enfin, lui dit d’un ton plaisant : Vous gardiez donc là le mulet ? — Non, reprit l’ami un peu piqué, mais je l’attendais. Croquer le marmot, autre expression familière qui signifie la même chose que Garder le mulet. Elle vient peut-être de ce que les enfants que l’on fait attendre dans une rue, s’amusent à croquer, c’est-à-dire à dessiner grossièrement sur les murailles quelques marmots, ou ce qu’ils appellent des bonshommes…. Marmot est le nom qu’on donnait autrefois aux petits singes. » […]

— On lit dans le Dict. des Proverbes français, de Quitard, p. 526 : « Croquer le marmot. Attendre longtemps. L’origine de cette locution est fort controversée. Les uns la font venir d’une fable d’Ésope, imitée par La Fontaine : Le loup, la mère et l’enfant. Les autres la rapportent à l’habitude qu’ont les compagnons peintres de croquer un marmot (de tracer le croquis d’un marmot) sur un mur, lorsqu’ils sont obligés d’attendre. Je crois qu’elle fait allusion à l’usage féodal d’après lequel le vassal qui allait rendre hommage à son seigneur devait, en l’absence de celui-ci, réciter à sa porte, comme il l’eût fait en sa présence, les formules de l’hommage, et baiser à plusieurs reprises le verrou, la serrure ou le heurtoir appelé marmot, à cause de la figure grotesque qui y était ordinairement représentée. En marmottant ces formules, il semblait murmurer de dépit entre ses dents, et en baisant le marmot, il avait l’air de vouloir le croquer, le dévorer. Ainsi il fut très naturel de dire figurément Croquer le marmot, pour exprimer la contrariété ou l’impatience qu’une longue attente doit faire éprouver, tette explication est confirmée d’ailleurs par l’expression italienne Mangiare i catenacci, manger les cadenas ou les verrous, qui s’emploie dans le même sens que la nôtre.

— M. Édouard Fournier consacre à cette expression la note suivante : « […] D’autres veulent y voir une allusion aux amants morfondus qui, faisant le pied de grue à la porte de leurs maîtresses, se consolaient à baiser le marteau sculpté en marmot grotesque. Cette opinion peut se justifier par la miniature d’un roman du XVIe siècle, reproduite dans le Bibliographical Decameron, de Diddin, t. I, p. 216, où l’on voit un jeune homme baisant ainsi le marteau de la porte de la maison où demeure sa dame ; et aussi, par plus d’un passage des auteurs du XVIe et du XVIIe siècle, notamment par une phrase de la comédie des Petits maîtres d’été (1696), qui nous représente »ces Narcisses modernes passant l’hiver « à se morfondre sous les fenêtres des dames et à baiser les marteaux de leurs portes. » […]

L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, Ire année, Paris, 1864.

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