Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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30 novembre 2005

Ni pub ni soumis

Classé dans : Publicité, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 0:13

Je n’ai jamais aimé la publicité. Est-ce par cet esprit de contradiction qui, au dire de ma mère, me caractérisait dans mon enfance et qui, je l’espère, s’est au moins transformé en esprit critique (celle-ci pouvant être élogieuse, comme on aura pu le voir) ? En tout cas, j’ai du mal à apprécier ce que l’on m’impose, il est vrai. En ce qui concerne la publicité, elle est de plus en plus omniprésente : dans les boîtes aux lettres « papier » (à tel point qu’il arrive que l’on perde par mégarde des courriers des impôts, qui ressemblent étrangement à des mailings jetables), sur des affiches sur les trottoirs, sur des voitures, au bord des rues et des routes, dans votre journal favori (si ce n’est pas Le Canard enchaîné), à la radio (sauf sur Radio Classique), à la télévision et au cinéma… et, évidemment, véhiculée par l’internet, sur un nombre croissant de sites, et – pour fermer le cercle – dans les boîtes aux lettres électroniques. À tel point qu’il arrive qu’en y faisant le net on se débarrasse malencontreusement de courriers importants (comme cela m’arrive parfois) : doit-on (et peut-on) s’intéresser à tout, peut-on tout lire pour tout trier ?

Gageure impossible : les modes de communication actuels (internet, mais aussi téléphone portable) nous rendent directement accessible à des millions, voire à des milliards d’individus communicants. C’est bien plus que la surcharge informationnelle des médias de tout ordre – ceux que l’on choisit de lire autant que les autres –, c’est un déferlement potentiellement incessant venu des quatre coins de la planète dans un babil de langues souvent incompréhensibles et sur des myriades de sujets dont la plupart nous est totalement étrangère.

On ne peut plus se prémunir actuellement de ce phénomène, sauf en se renfermant dans un château fort électronique qui ne serait ouvert qu’à un cercle de correspondants connus (mais là aussi, on peut passer outre, pour le moment). Faut-il accepter avec résignation la poubellisation de ce médium, comme l’a été celle des médias précédents, accompagnés d’une noble utopie lors de leur apparition et finalement récupérés pour les finalités des uns et des autres sans égard ni respect pour leurs cibles ?

La loi pour la confiance dans l’économie numérique tentait pourtant d’établir un modus vivendi dans ce domaine où règne une anarchie croissante : l’article 22 ne dit-il pas :

Est interdite la prospection directe au moyen d’un automate d’appel, d’un télécopieur ou d’un courrier électronique utilisant, sous quelque forme que ce soit, les coordonnées d’une personne physique qui n’a pas exprimé son consentement préalable à recevoir des prospections directes par ce moyen.

C’est clair et sans équivoque, et encore plus clair quand on lit le reste du paragraphe. Et pourtant, si cela n’a aucun effet sur les émetteurs situés hors de l’Hexagone, cette loi ne refroidit pas non plus nombre d’organismes français, pour lesquels la fin (même louable) justifie les moyens1, dans un monde où l’on se bat, de façon accrue, pour des ressources financières en perpétuelle diminution. Tous les moyens sont-ils bons ?

Je ne peux, de mon côté, me résigner à ces comportements, qui non seulement handicapent mon utilisation personnelle et professionnelle de l’internet, mais qui risquent d’y entraîner, par retour, sa segmentation en réseaux distincts, comme il en est des chaînes de radio ou de télévision. N’ayant pas le loisir de trier et de lire un à un les dizaines de pourriels qui arrivent parfois chaque jour, je les réexpédie à un service en ligne qui se charge d’envoyer automatiquement une notification au fournisseur d’accès et/ou à l’hébergeur présumé de leurs auteurs.

Qu’en deviendra-t-il de la publicité ? Finira-t-elle par nous envelopper dans un tourbillon de papier, virtuel et physique, et nous y faire disparaître, à l’instar de Robert de Niro dans le film Brazil ? Accroîtra-t-elle par son omniprésence le cycle éperdu de la consommation, comme le décrit J.G. Ballard dans sa nouvelle L’Homme subliminal ?

Je n’ai jamais aimé la publicité. Sauf quand elle est amusante, ironique, intelligente et décalée. Mais même alors, elle ne m’a jamais incité à consommer ce qu’elle promouvait.


1 Comment en serait-il autrement, quand une publicité électronique pour le compte d’un ministre et chef de parti majoritaire est venu récemment donner l’exemple ?

29 novembre 2005

Le cœur qui danse

Classé dans : Danse, Photographie — Miklos @ 10:21

Il suffit parfois de nommer les choses pour leur donner un sens. C’est ce que l’ouvrage de Dominique Frétard, consacré à la danse contemporaine, a fait pour moi avant même que je n’en commence la lecture à propos d’un certain genre de danse contemporaine qui, malgré mon amour quasi inconditionnel pour la chorégraphie actuelle, m’a laissé froid ou m’a indigné par une indigence et ce que je pense être une sorte de mépris du public – le comble, pour un spectacle (bien qu’Arthaud soit passé par là). Intitulé Danse et non-Danse. Vingt-cinq ans d’histoires, il identifie ainsi ce qui m’y parle et ce qui m’y rebute. Réaction à la prééminence étouffante, surtout en France, de « la figure du ballet classique, dévoreuse d’espace », à tel point qu’on n’y trouve personne qui veuille « s’affronter à sa puissance », contrairement aux grands talents de la danse contemporaine qui ont émergé des « habités par la force des grands anciens ». Ici et maintenant, on rejette tout1, « on refuse naïvement de s’inscrire dans l’histoire de la danse », que peut-il donc rester ? Créer à tout prix. Et le prix ? des danseurs en couche-culotte qui illustrent bien l’état infantile (Frétard, plus généreusement, dit « juvénile ») d’une certaine mouvance actuelle. Mais il y a encore, bien heureusement, de la danse qui se crée sur des assises solides sans pour autant sombrer dans un classicisme académique.

Sidi Larbi Cherkaoui : la foi dans l’homme

C’est le Théâtre de la Ville qui m’a fait découvrir Sidi Larbi Cherkaoui (dont j’ai parlé plusieurs fois avec admiration), preuve que la valeur n’attend pas le nombre des années. Si ses spectacles précédents mettaient en scène une troupe, Zero degrees, ce soir d’octobre, fut un long pas-de-deux fort, tendre, intérieur, élégiaque, le sien et celui d’Akram Khan – d’ailleurs, plutôt un pas-de-quatre, puisqu’il y avait deux poupées articulées de taille humaine, ombre des danseurs et parfois presque insufflées de vie autant qu’eux. Ce duo d’hommes, belle méditation sur l’homme et sur l’autre, sur la mémoire et sur le présent, sur l’identité et le rejet, et finalement sur la compassion, poursuit ainsi le parcours de ce chorégraphe qui doit être profondément croyant ainsi que son compère dans ce spectacle, sans pour autant jamais tomber dans une religiosité étriquée ni, à l’inverse, dans un syncrétisme fade.

DV8 : le spectacle désacralisé

Le nom même de la compagnie britannique DV8 Physical Theatre du chorégraphe australien Lloyd Newson indique bien déjà qu’on est loin du conventionnel, « DV8 » se prononçant, en anglais, deviate. Scène dans la scène, Just for Show est un spectacle tonique qui tourne en dérision la culture du spectacle en en récupérant les icônes qu’il transforme, à l’aide d’une scénographie fine et ironique et des effets jamais gratuits : volutes de lumières années 60, yoga New Age et flower generation, vidéo, hologrammes… tout passe dans ce tourbillon magique plein d’énergie, en des clairs-obscurs et des lumières rasantes rappelant parfois des solarisations de Man Ray. L’image de la star (qu’on collerait bien sur quelques-unes des célébrités d’aujourd’hui) en prend pour son grade : poupée de cire – poupée de son manipulée par son entourage pour être remplacée par un clone au même discours convenu. Le public, lui aussi, n’est pas épargné : la star descendue dans la salle jette son dévolu un spectateur auquel elle offrira le champagne et avec lequel elle regardera une partie du spectacle, tout en minaudant de la façon si agaçante qu’ont certaines pimbêches à se trémousser extatiquement dans des spectacles branchés. Le Théâtre de la Ville ne s’y est pas trompé (il se trompe d’ailleurs si rarement) en nous les amenant en octobre, ce fut un régal. Preuve s’il en est que l’on peut démonter avec art et bon goût des vaches d’or sans sombrer dans le trash et le nihilisme, bien au contraire.

Garry Stewart Australian Dance Theatre : le vol suspendu

Si la photographie est, de par sa nature même, l’art de l’immobile, elle peut donner la sensation du mouvement, et parfois de façon vertigineuse. C’est ce que la photographe américaine Lois Greenfield nous a démontré en live avec art lors du spectacle Held de l’Australian Dance Theatre au Théâtre de la Ville en novembre. Deux grands écrans délimitaient la scène (et, parfois, étaient déplacés de façon à la recomposer entièrement). Greenfield, ouvent accroupie au centre et à peine visible, photographiait les danseurs avec un appareil ultra rapide, avec ou sans téléobjectif, et ses photos apparaissaient sur les écrans deux ou trois secondes plus tard. Prises souvent à l’apogée d’un mouvement, elle en arrêtait ainsi le geste en plein air, et tandis que, devant nos yeux, les danseurs regagnaient la terre, ils restaient en même temps comme suspendus sur les écrans, bien plus grands qu’en réalité. Cette simultanéité de mouvement-immobilité allait à l’encontre de toute notre expérience du réel et induisait deux visions simultanées du monde. À d’autres moments, elle photographiait en gros plan des poses souvent tendres des danseurs enlacés, et ces détails en devenaient des natures mortes épurées et abstraites en noir et blanc. Dans une scène particulièrement saisissante, l’éclairage devenu stroboscopique lui permit de faire des photos superposant, comme l’avait déjà fait Muybridge, la décomposition d’un mouvement, sur la même photo ; un danseur dont les bras démultipliés dessinent leur mouvement dans l’air, un déplacement qui laisse une aura derrière le danseur… Cette démarche poétique à deux voix, celle de la danse et de la photographie, tout aussi originale que celle de DV8 et leur multimédia, utilise ici un principe opposé au leur : la fixation pour l’éternité de l’instant fugace.

Balanchine entre tradition et modernisme


Mikhaïl Loboukhine dans Le Fils Prodigue
 

Danseurs dans La Valse
 

Ouliana Lopatkina et Vladimir Chichov dans La Valse
 
Photos : John Ross, ballet.co.uk
By permission.
La soirée George Balanchine au Théâtre du Châtelet le 28 novembre comprenait quatre œuvres chorégraphiées à diverses époques et interprétées par le Ballet et l’Orchestre du Théâtre Mariinksi de Saint-Pétersbourg (ex Kirov). Après un Quatre Tempéraments académique et ennuyeux (ronds de jambes et fouettés à l’envi) sur une musique de Paul Hindemith créé en 1946, et un Fils prodigue amusant et quelque peu désuet (il s’agit d’un ballet créé en 1929 par les Ballets russes de Diaghilev, avec des décors et des costumes fauves du peintre Georges Rouault) sur une musique de Serge Prokofiev, on a eu droit à un moment de grâce : il s’agissait du dernier mouvement de La Valse de Maurice Ravel (créé en 1951) : dans une salle de bal d’une sobriété saisissante (mur de lumière bleu nuit, minces draperies noires s’élevant vers les cintres), une foule semble danser une valse silencieuse et tourbillonnante, éclairée par le chatoiement des jupes en organdi rouge et noir des femmes, jusqu’à l’apparition finale d’un homme en noir qui enlève dans un pas de deux fatal une femme en blanc, qu’il vêt progressivement de noir et qui finit pas s’écrouler morte dans le paroxysme inéluctable de la musique et de leur tourbillon.

Il est indéniable que cette troupe danse bien, même très bien, avec une élégance rare autant dans la chorégraphie que dans les costumes et les lumières ; il suffit de voir la prestation magique de la filiforme Yekaterina Kondaurova dans le rôle de la Diva qui séduit et dépouille le Fils prodigue dansé avec grâce sensuelle par Mikhaïl Loboukhine. Mais c’est une troupe classique vraiment moderne : danseuses anorexiques aux seins plats et aux cuisses de grenouille, danseurs aux cuisses hypermusclées… c’est aussi une troupe moderne très (parfois trop) classique, dans son attitude corporelle sculpturale et dans sa démarche stylisée. Mais dans la Valse, dans cette splendide Valse sépulcrale, on ne le voyait plus.


1 Dans un monde qui évolue, une France figée procède par révolutions et par excès, effaçant tout pour retomber parfois dans les travers du passé.

27 novembre 2005

Savoir raison garder

Classé dans : Progrès, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 12:58

Version revue et corrigée d’un texte publié le 2/6/2004 en réponse à l’interrogation d’une lectrice, qui écrivait : « Je suis assez ignorante des choses du net et de ce qui s’y « trame » et toujours très étonnée des possibilités des diffuseurs de virus, ver et spams. [...] En tout cas, personnellement, cela ravive bien ma méfiance vis-à-vis ce super outil de com­mu­ni­cation qu’est internet.L’évolution techno-scientifique met dans la main de plus en plus de gens des objets techniques, d’une complexité croissante et d’une facilité d’utilisation apparente1. Cette facilité est d’ailleurs destinée à donner à tous les con­som­mateurs (car c’est de cela qu’il s’agit : consommer) le sentiment que tout est à leur portée sans coûts (financiers ou autres) cachés – et donc leur donner ainsi l’envie d’acheter2. Cette « ignorance » du con­som­mateur entraîne souvent une mécon­nais­sance et donc une sous-utilisation des outils qui sont entre ses mains à tel point que, dès que l’on recherche des fonctionnalités supplémentaires, on est amené à acquérir un objet bien plus sophistiqué, tandis que souvent l’outil d’origine aurait suffi, pour peu qu’on en ait eu la connaissance. Or, le seul investissement que l’on soit souvent capable ou disposé à faire est de l’ordre de l’immédiat (télécharger, payer ou non, mais rarement apprendre et se former – pour des raisons souvent très justifiées, et encore plus rarement investir dans son maintien en vie). Cette ignorance est donc souvent encouragée par ceux qui en profitent, et elle est d’ailleurs « naturelle » : les utilisateurs de l’informatique ne sont pas informaticiens, et l’essentiel de leur énergie est investi ailleurs. Mais comme les outils propres à de nombreuses professions (et d’ailleurs à la vie courante) subissent ces évolutions techniques et des mutations permanentes sans toujours se simplifier, la nécessité de se former est un investissement quasi permanent.

Le corrélat souvent financier de cet investissement est masqué par un vocabulaire soigneusement choisi, issu d’une ambiguïté de l’anglais que ne manquent pas d’exploiter les industries et les commerçants de la nouvelle idéologie techno-scientifique : free signifie « gratuit » et « libre ». Comment ne pas adhérer à ces valeurs qui n’ont rien de marchand, comment ne pas être attiré vers des produits qui les représentent ? Mais ce n’est qu’une apparence : ce qui est libre n’est pas forcément gratuit : il suffit de voir l’investissement en temps et/ou en services payants que requiert l’implantation de « logiciels libres » dans des organismes (ou chez des particuliers) qui n’ont pas forcément les compétences techniques pour s’en occuper ; en d’autres termes, le coût de leur exploitation pendant leur durée de vie est ignoré (voire masqué) lors de leur acquisition, qu’elle soit gratuite ou non. À l’inverse, ce qui est gratuit est parfois un lourd esclavage qui peut revenir fort cher : il suffit pour cela de faire le compte des heures passées sur la hotline téléphonique d’un certain fournisseur d’accès qui s’est affublé de ce terme…

Les réseaux – et pas uniquement informatiques – sont de fait des vecteurs de circulation, de diffusion et de démultiplication de phénomènes, intentionnels ou non3, susceptibles de se propager de façon quasi exponentielle du fait de la capacité de réplication à l’identique ou à muter en fonction des « circonstances » et de la multiplicité des interconnexions (et en temps réel pour ce qui en est de l’informatique) vers une infinité de systèmes, pour certains vitaux, et donner ainsi lieu à des nuisances à large échelle (le premier virus informatique date de 1980), voire de catastrophes (comme l’ont analysé entre autres Paul Virilio et Joël de Rosnay4 ; cela a été le cas avec des réseaux financiers, par exemple :

« L’accroissement du flux financier circulant dans le monde relève plus de mouvements spéculatifs que de réels investissements dans la production. Le secteur financier se déconnecte de l’économie réelle et se présente de plus en plus comme une économie virtuelle. Un crash financier pourrait faire boule de neige et amener l’écroulement de tout le système. »5

Mais les réseaux ne se réduisent pas uniquement à leur dangers : ils sont aussi des vecteurs de circulation, de diffusion et de démultiplication de supports du savoir et de la culture. L’ouverture à ce mode de communication offre d’une part des richesses insoupçonnées – qui s’accompagnent, il est vrai, d’aléas souvent imprévisibles, de la récupération marchande à la nuisance pour le plaisir de nuire6. Il est un fait que la prolifération des spams (et des virus, des vers et des attaques de tout genre, s’il faut préciser) semble mener vers une fermeture – relative, on l’espère – de ce qui était une ouverture extraordinaire. Peut-être que le prix en aura été trop élevé, et que l’utopie d’un espace virtuel absolument « libre et responsable » ne tient pas la route face à ceux qui en abusent7 : un réseau réparti ne se maîtrise (de l’intérieur) ni ne se contrôle (de l’extérieur) facilement (ce qu’exploitent d’ailleurs les réseaux humains de tous ordres, pour contourner les contrôles des états et contrecarrer leurs armées).

En résumé, en ces temps hypermodernes8 il est préférable d’être informé et lucide plutôt qu’ignorant et méfiant ou idéaliste et aveugle, et malgré l’accélération du temps et de sa course parfois effrénée savoir raison garder.


1 Dues, entres autres mais pas uniquement, à la miniaturisation et à l’utilisation du numérique.
2 Et peut-être de l’utiliser, mais bonjour la surprise lorsque l’on se retrouve seul devant un objet muni d’un manuel en charabia pseudo-français parce que traduit automatiquement en Extrême Orient, ou farci de termes techniques.
3 Les erreurs de conception (bugs, en anglais) de systèmes simples ou complexes, peuvent contribuer autant à son arrêt, à son disfonctionnement qu’à son emballement. C’est ce qui était arrivé au Golem, dont le concepteur n’avait pas prévu un cas d’utilisation…
4 Ce dernier en revendique d’ailleurs l’antériorité pour en avoir parlé en 1975.
5 Document de l’organisation internationale du travail.
6 La liberté et la connaissance ont un prix, comme on le sait depuis l’affaire Adam-et-Eve, ou, comme on le dit efficacement en anglais, there is no free lunch.
7 Ce qui est aussi vrai de la cité en général, nonobstant Rousseau.
8 Gilles Lipovetsky, « Les temps hypermodernes ». Éditions Grasset & Fasquelle, 2004.

23 novembre 2005

Le futur de la bibliothèque – la bibliothèque du futur

Classé dans : Livre, Sciences, techniques — Miklos @ 1:35

Une version étendue et plus récente de ce texte est disponible ici.

L’évolution des techniques de fixation, de production, de stockage et de diffusion de la production de l’esprit humain amène les bibliothèques à remettre en question périodiquement leurs périmètres d’action – et ceci bien avant l’arrivée de l’informatique, des technologies du numérique et de leurs capacités de production, de traitement et de diffusion –, sans pour autant renier leurs missions de base classiques : créer et organiser des collections et y fournir l’accès au public.

Ce sont tous ces périmètres qui sont transformés actuellement avec l’arrivée de nouveaux outils disponibles sur le Web et ailleurs pour tous, partout. C’est en les analysant que l’on peut faire le constat des nouveaux usages, souvent bien mieux que par l’entremise d’études de besoins qui s’effectuent dans des conditions de laboratoire stérile :

• Les lieux physiques : depuis l’apparition des catalogues informatisés sur le web, le public peut les consulter à distance. Avec la numérisation de certains documents (sonores, textuels, visuels), il peut aussi accéder à distance à des contenus. Les collections elles-mêmes ne sont plus uniquement localisées dans la bibliothèque, avec la réalisation de catalogues communs à des organismes distincts ou le rajout de « ressources externes » (par exemple : bases de données de périodiques numérisés, sites Web…) au catalogue. Quant aux services de médiation, si certains se faisaient déjà par téléphone, le courrier électronique se banalise et certaines bibliothèques offrent dorénavant un service à distance 24h/24.

• La nature des collections et leur disponibilité : la numérisation a élargi (tout en la rendant plus floue) la notion de document édité (tout document en ligne est « édité », en quelque sorte), et, de ce fait, gommé des frontières autrefois immuables entre bibliothèques et archives. De toute façon, le public ignore ces frontières, et va chercher les contenus concernant le domaine qui l’intéresse là où ils se trouvent, que ce soit dans une bibliothèque ou dans des archives  les Canadiens ne s’y sont pas trompés, lorsqu’ils ont fusionné leur bibliothèque nationale et leurs archives nationales en 2004. D’autre part, entre la disponibilité physique et numérique d’un même ouvrage, il choisira cette dernière, et s’il ne le trouve pas en ligne, il tentera souvent d’en trouver l’équivalent ou un substitut, ce qui risque de faire tomber en désuétude des pans entiers de collections, ceux qui n’auront pas été numérisés, pour quelque raison que ce soit, et d’encourager la désaffectation des bibliothèques. Quant à la nature même des documents constituant la collection, elle continue à se diversifier pour inclure aussi bien l’éphémère que le durable, sans pour autant que les outils aient intégré la capacité à gérer cette temporalité différente. Enfin, si le prêt de documents (pour les bibliothèques qui l’effectuent) est une fonctionnalité intégrée aux systèmes actuels, ce n’est pas encore le cas pour celui des documents électroniques.

• L’organisation de la connaissance : traditionnellement, c’est le bibliothécaire (ou le documentaliste) qui organise les contenus présents dans son rayon d’action, par le moyen de l’indexation qu’il fournit dans les notices du catalogue, que ce soit à l’aide d’un thésaurus standard ou particulier au fonds. Or deux évolutions ont vu le jour depuis : d’une part, les capacités informatiques à analyser automatiquement les contenus numériques (et pas uniquement textuels) pour fournir des typologies et des cartographies pertinentes ; d’autre part, le phénomène des blogs, qui permettent à tout un chacun de devenir auteur et de s’autopublier, mais aussi de se créer sa propre taxonomie (phénomène appelé si efficacement en anglais folksonomies) pour classer sa production qui reflète finalement sa construction individuelle et collective du sens1. Ce lecteur-auteur-éditeur ne se satisfait plus d’une représentation hiérarchique par disciplines distinctes qui fragmente notre vision du monde ; les réseaux sont passés par là, risquant à l’inverse de mêler irrémédiablement tous les genres.

• L’appropriation : traditionnellement, le lecteur pouvait prendre des notes manuscrites (ou sur son portable), recopier des extraits des contenus des ouvrages auxquels il avait accès sur place ; puis il a pu en photocopier certains. L’informatique y a rajouté la capacité numériser, puis à accéder rapidement et à naviguer non seulement dans des collections, mais aussi dans des documents individuels complexes (par exemple : de longs enregistrements sonores), selon des structurations diverses et des aides (documentaires ou dérivées automatiquement des contenus – index, résumés…). Elle lui permet de copier des documents ou des parties de document d’un clic, et, ce qui est bien plus important, finalement, de les annoter2, de les transformer, de les citer et de les utiliser pour ses propres productions, à l’instar d’un DJ.

• Les réseaux sociaux : si le bouche-à-oreille a toujours été un moyen de diffusion de la « connaissance de la connaissance » (par les pairs, par les médias…), la technique a permis de mettre en œuvre des outils pratiques de diffusion de « l’information sociale » à propos de contenus : lorsque l’on consulte la référence d’un ouvrage chez Amazon, on voit quels autres ouvrages ont « intéressé » (la mesure de l’intérêt étant réelle : l’achat) ceux qui ont acheté l’ouvrage en question (on peut y voir aussi quels ouvrages sont cités dans le corps de l’ouvrage en question, autre réseau à ne pas ignorer). Des techniques comme le RSS (syndication informatique) permettent, à l’instar de la DSI du « passé » (diffusion sélective de l’information), de se maintenir au courant, de façon informelle, de ce qui se publie dans des sources choisies intéressantes et pertinentes.

Dans les pages qui suivent, je me demanderai comment passer de l’uni-versité telle qu’elle existe, une uni-versité centrée exclusivement sur les théories, catégories et méthodes développées par les penseurs occidentaux, à la multi-versité telle qu’elle devrait exister dans un monde globalisé, c’est à dire à une multi-versité dans laquelle la tradition intellectuelle de l’Occident est mise en dialogue avec les autres traditions de pensée et de savoir, qu’elles soient d’Asie, du Moyen-Orient, d’Afrique ou d’ailleurs. Je reconnais qu’il est extrêmement difficile, exigeant et complexe pour des philosophes, des politologues, des économistes, des historiens, des psychologues et des spécialistes des sciences sociales de maîtriser l’ensemble des traditions intellectuelles au moment justement où les connaissances explosent dans chacune des disciplines en même temps qu’elles se sur-spécialisent.
 
Gilles Bibeau, Séminaire sur l’interdisciplinarité et l’application, in Programme de doctorat en sciences humaines, Université de Montréal, année académique 2005-2005.
Pour ma part, je pressens l’évolution nécessaire du système d’information de la bibliothèque comme plus proche de ce qu’Amazon met en place que Google (et peut-être pour ce que fera Microsoft avec les fonds de la British Library qu’ils numériseront en 2006) : un dispositif intégré3, polymorphe, extensible, recomposable et personnalisable, prenant acte de ces évolutions, pour le référencement, la gestion, l’organisation, la circulation et la diffusion de documents de nature différente (pour certains numérisés pour d’autres non) et de ressources numériques choisies4 ; contenant des métadonnées de bonne qualité5 ; proposant des moyens de recherche multiples (par index, par texte intégral, par langage naturel, par réseaux sémantiques et sociaux…), intuitifs ou avancés ; permettant à chaque utilisateur de s’en faire « son » catalogue, qu’il pourra renseigner sur la pertinence des réponses fournies, et ainsi l’orienter vers ses propres critères plutôt que ceux du dispositif sous-jacent ; lui offrant les moyens de s’approprier les contenus, de les organiser et de les enrichir ; de communiquer à propos de ces contenus avec d’autres usagers, sur place ou à distance.

Quant à la bibliothèque, elle maintiendra ses missions, mais c’est son fonctionnement qui continuera à évoluer, pour une meilleure collaboration dans la production, la validation, l’organisation et l’utilisation de la connaissance entre le bibliothécaire et l’usager, avec l’assistance de la technique, pour assurer le difficile mais passionnant rôle de médiation, de pôle de référence et d’équilibre entre le local et le global, le privé et le public, le physique et le virtuel, l’instantané et le durable, dans un réseau transdisciplinaire et transculturel en perpétuelle mutation.

Dans un entretien accordé récemment au Magazine littéraire, le poète et essayiste Nimrod disait :

La perspective, inventée au xvie s. dans le domaine de la peinture, viendra hiérarchiser les plans. Mais la perspective n’est pas une vision naturelle, elle est reconstruction. Il faut revenir à Platon pour retrouver toutes ces implications (…), le Platon du Sophiste qui serait du côté de l’art byzantin où tous les plans se chevauchent, bouleversent la perspective et nous avec.

La modernité nous fait paradoxalement changer de perspective et regarder bien loin en arrière pour mieux avancer, et il faut en prendre acte.


1 La seule fonctionnalité qu’offrent certains catalogues en ligne est le panier de notices, sorte de taxonomie à deux éléments (rarement plus, et pas hiérarchiques) : dedans ou dehors.
2  Et d’annoter aussi les métadonnées (les notices descriptives des ouvrages dans les catalogues en ligne).
3 Et non pas une juxtaposition de catalogues, de bases de données, d’annuaires… distincts.
4  Incluant, par exemple, l’équivalent automatique du récolement des ressources électroniques externes.
5  Je ne crois pas à la disparition des métadonnées professionnelles, bien au contraire (de même que ce n’est pas parce que la conduite d’une voiture se simplifie que le moteur disparaît). Mais il est d’autant plus nécessaire d’adapter leur format pour permettre une description plus aisée des « nouveaux documents » et de leur gestion, d’y inclure de nouvelles fonctionnalités (la gestion numérique des droits, par exemple) et d’automatiser, autant que faire se peut, leur mise à disposition (pour éviter d’avoir à cataloguer).

18 novembre 2005

Google recrée la planète

Classé dans : Environnement, Musique, Progrès, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 8:59

L’extrait de La Machine à remonter le temps est présent dans la splendide exposition virtuelle de la Bibliothèque nationale de France consacrée aux Utopies : la quête de la société idéale en Occident, qui analyse bien le tournant déci­sif qu’a pris cette litté­rature au xxe s., où l’antici­pation d’un futur idéal se transforme en un regard inquiet, voire paniqué, avec le constat de la course souvent folle induite par le progrès. Voir aussi Livre et liberté.La manne des petites annonces de recrutement de Google continue : dans l’envoi d’aujourd’hui, on remarquera qu’ils recher­chent un expert en ingénierie logicielle spécialisé en cryptographie et en sécurité informatique (s’orien­te­raient-ils vers le commerce en ligne ?) et surtout un spécialiste d’infographie, pour travailler sur « la stéréoscopie, la détection d’objets dans une image, la création de la plus grande image numérique jamais faite d’une taille de l’ordre de peta-pixels1, une mosaïque en 3D de la Terre en résolution multiple, voire la modélisation en 3D de tous les bâtiments sur la planète ».

La réalité virtuelle à cette échelle – avec la téléphonie IP en sus – avance à grands pas pour nous lier tous derrière nos claviers : on pourra atteindre chaque recoin de la planète – sauf évidemment forêts, lacs ou rivières (qui auront probablement bientôt disparus) – sans avoir besoin de sortir de chez soi, pour devenir des « futilités simplement jolies », tels les Éloïs dans La Machine à remonter le temps de H. G. Wells. Sommes-nous destinés à devenir les Gilbert Gosseyn du Joueur Google ?


1 Le peta est égal à un milliard de mégas.

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