Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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30 septembre 2007

Scène de la vie parisienne

Classé dans : Arts et beaux-arts, Lieux — Miklos @ 13:56

Fontaine Stravinski © Michel Fingerhut 1985Le petit groupe de touristes, visages tournés vers le Centre Pompidou, écoute la guide, qui leur explique en hébreu avec une péda­gogie appliquée la signi­fication des couleurs des tuyaux, visibles et invi­sibles. Puis, se tour­nant vers la fontaine aux auto­mates, elle attire doctement l’attention de son trou­peau sur ses person­nages, qu’elle affirme être « l’œuvre du sculpteur Miró qui est exposé au Centre Pompidou » et fort repré­sen­tatives « de son style si typique ». Elle ajoute que la fontaine, réalisée en l’honneur du célèbre compo­siteur Igor Stravinski, joue plusieurs fois par jour des extraits de sa musique. Lorsque je lui glisse à l’oreille qu’il ne s’agit pas de Miró mais de Niki de Saint Phalle, et que la fontaine est musi­calement silen­cieuse, elle me répond d’un air étonné : « Ah ! ce n’était pas ce qu’on m’avait dit ». Ces légendes sont tenaces, comme me le confirmera quelques instants plus tard l’aimable patronne de Dame Tartine (dont je vous recom­mande vivement en passant le tartare de saumon et le pavé au chocolat).

Le rêve de Job

Classé dans : Littérature — Miklos @ 13:08

« Pourtant, j’en eus assez. Je me laissai tomber. J’attendis. Mais j’en eus assez d’attendre et décidai de sourire sans tarder. Cette décision en vaut une autre. Mais sourire me fatigua. J’inclinai la tête sur mon épaule, l’inclinai davantage encore et je sentis, les yeux clos, comme une brûlure soudaine, que j’en avais assez de tout. Un vent inconnu soufflait autour de moi et mes cheveux balayaient en tout sens mon visage. J’en eus alors assez d’avoir assez, de me le dire, me le répéter dans la tiède porosité de mon crâne. Je grommelai je ne sais plus quoi, rouvris les yeux, regardai autour de moi avec une soudaine vague d’intérêt, de tous côtés puis me redressai en riant aux éclats, les yeux pleins de larmes, oscillant frénétiquement sur mes pieds, tout mon corps moucheté d’une grosse et mystérieuse lumière grise rose et verte. » – Jean Demélier, Le rêve de Job, NRF, Gallimard, 1971.

29 septembre 2007

Déception amoureuse

Classé dans : Musique — Miklos @ 22:13

Il arrive qu’on aille voir un spectacle pour des raisons impérieuses mais finalement secondaires : c’est ce qui m’avait fait prendre des places pour Eros y muerte, le tour de chant d’Angélique Ionatos au Théâtre de la Ville qui se terminait hier. Je l’avais découverte dans son spectacle Alas pa’ volar, en 2003 à ce Théâtre de la Ville que j’aime tant : chanteuse d’origine grecque, de ce pays qui a donné deux Marias – Callas et Farandouri –, grandes voix intenses et boule­ver­santes, chacune dans son genre ; hommage à la vie et à l’œuvre de Frida Kahlo, artiste à la vie et à l’œuvre passion­nantes ; et surtout, mise en scène par le très génial et extraordinaire Omar Porras, celui « dont chaque spectacle est une découverte exultante et jubilatoire ». Mais le chant, la voix ? J’en avais été bien moins marqué.

Hier, il n’y avait quasiment plus de prétexte. Sitôt assis, on perçoit le bourdonnement lancinant de la régie, dont les parois vitrées, destinées à isoler du bruit, sont grandes ouvertes sur la salle. Dès que les musiciens (bandonéon, violon et contrebasse) se mettent à jouer, on constate que le son est amplifié à un volume destiné à un espace bien plus grand que la petite salle du Théâtre des Abbesses, tout en étant aplati, tronqué ; on comprendra plus tard que ce triste artifice était sans doute nécessité par le manque d’ampleur vocale de la chanteuse. Son entrée dramatique en scène, mince figure au visage de tragédienne méditerranéenne – cheveux bouclés plus noirs que naturel, visage coupé à la serpe – et drapée d’une belle robe d’un rouge sanglant, ne manque pas d’effet, mais tourne très vite à un maniérisme minaudant, gênant. L’interprétation est très inégale : les chansons grecques sont émouvantes, la voix bien placée, le style, le rythme et l’émotion authentiques, tandis que celles en espagnol sont artificielles à tous égards : inexactes et faibles dans le registre élevé, interprétées sans l’articulation énergique et la dynamique auxquels on s’attendrait, manquant du sentiment que les textes exigeaient. Et il n’y avait pas d’Omar Porras pour sauver le spectacle.

Après Vienne

Classé dans : Architecture, Lieux, Musique — Miklos @ 14:13

Vienne la baroque est une orgie de tartes à la crème montées d’un Éverest de Chantilly : l’architecture exubérante de ses monuments et le décor intérieur de ses églises en donnent le sentiment et ses cafés le goût. Les palais majestueux à la splendeur délirante de cette petite ville de province qui fut le cœur d’un empire se retrouvent dans des rues régulières bordées des façades sobres de maisons bourgeoises aux fenêtres surmontées d’un fronton surbaissé ou encadrées de bas reliefs de colonnes, grandeur néoclassique oblige. Sur bruit de fond omniprésent d’une musique de valse hypnotisante, tout y est propre et fonctionne comme sur du papier réglé, les gens sont aimables, souriants, et bien de leur personne. Les autres – mendiants ou drogués – savent se tenir dans l’ombre, à leur place. Il ne s’est rien passé ici, il y a 60 ans.

La ville est organisée efficacement, pour un touriste (sans pour autant atteindre la folle utopie des quartiers de Brasilia) : tous les musées sont regroupés dans le gigantesque palais Hofburg ou ses alentours. Parmi ceux-ci, l’Albertina, qui abrite une richissime collection d’arts graphiques. J’espérais y voir le merveilleux Jeune lièvre, les extraordinaires Mains en prière et d’autres chefs-d’œuvre de Dürer, de Léonard de Vinci ou de Michel-Ange : las, les murs des splendides salons d’apparat des Habsbourg qui viennent d’être restaurés et ouverts au public n’en affichent que des reproductions de qualité inégale. L’exposition en cours, dans une autre partie du palais, « de Monet à Picasso », permet d’admirer les traces des principaux courants artistiques de l’époque charnière entre le classicisme et l’art contemporain : impressionnisme et post-impressionnisme (un très expressif et curieux portrait d’animal, Le Cheval blanc « Gazelle », de Toulouse-Lautrec), expressionnisme allemand (le mouvement Cavalier bleu), les Fauves et les Nabis, l’avant-garde russe (peut-on ne pas aimer Chagall ?), les surréalistes (un très beau Paysage aux lanternes de Paul Delvaux), jusqu’à Yves Klein, Mark Rothko, Roy Lichtenstein ou Francis Bacon (auquel on a préféré de loin Le Portrait d’Annette d’Alberto Giacometti, moins mortifère et tout aussi fort)… Fruit d’une collection privée (celle de Rita et de Herbert Batliner), cette exposition ne se veut pas exhaustive, mais dessine d’une façon très pédagogique un panorama d’un siècle d’art à cheval sur les 19e et 20e s. (où, comme on le sait, les seules guerres furent les batailles rangées qui se sont tenues entre mouvements artistiques).

Quant à la collection des instruments de musique anciens, hébergée à l’étage du corps principal du palais impérial, on y arrive par de majestueux escaliers qui devaient voir défiler des dames en grandes robes froufroutantes. Des instruments à vent anciens de toutes formes (sans oublier le serpent) et matériau, de nombreux claviers – orgues positifs, épinettes, pianos – dont certains célèbres pour leur facteur ou leur propriétaire, d’autres étranges (combinant orgue et cordes, ou permettant de jouer toutes les tonalités en tempérament égal), des cordes frottées (depuis le rebec de la Renaissance aux grands violons italiens) et pincées (on peut y admirer barytons et doubles guitares) : collection hors du temps dans un lieu mythique, qui évoque d’autres musées d’instruments de musique, avec leur part de merveilleux : celui de la Vleeshuis (maison des bouchers) d’Anvers, qui possède des clavecins flamands au son tout aussi splendide que leur décoration ou celui de Ringve en Norvège, où l’on peut voir, aux côtés d’instruments historiques (depuis un virginal italien des années 1600 jusqu’à un synthétiseur Subharcord II) des instruments de musique traditionnels norvégiens. La musique est sans aucun doute l’une des activités créatrices les plus anciennes de l’homme, et c’est celle qui reste parfois quand il a tout perdu.

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