Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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23 janvier 2008

Raison et logique

Classé dans : Actualité, Société — Miklos @ 8:11

Si les Français ont la réputation d’être cartésiens, on serait en droit de douter parfois de leur logique, ou du moins de celle de certains lecteurs du Figaro. Ce journal rapportait hier la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir refusé à une institutrice célibataire l’adoption d’un enfant du fait de l’homo­sexualité de la requé­rante.

À la lecture des commentaires, et en ignorant ceux qui assimilent l’homosexualité à la pédophilie ou les homosexuels à des sous- (ou non-) humains, il en ressort que, selon eux, l’enfant a « le droit d’avoir un père et une mère » et « le besoin d’avoir un modèle masculin », et que les homosexuels devraient « assumer leur stérilité » et donc ne pas chercher à adopter.

On aimerait demander alors (sans prendre parti sur la difficile question de l’adoption en général) : faut-il alors enlever l’enfant d’un couple dont le père est un coureur de jupons ou au financier véreux, pour éviter que l’enfant se conforme à ce type de modèle masculin ? que « faire » alors d’un enfant en bas âge dont l’un des parents décède ou lorsque ses parents se séparent, phénomène de société de plus en plus courant ? L’enlever au survivant, afin qu’il ne soit pas aux mains d’un(e) célibataire, Dieu préserve ? Ne pas le confier à un autre membre de sa famille biologique qui souhaiterait l’élever, si celui-ci est veuf ou célibataire ? Et où est donc ce fameux « modèle masculin » de père ou celui de couple père-mère dans les orphelinats tenus par des religieuses ou des curés (où je suppose que l’on trouve plus souvent Le Figaro que Libé) ? Un enfant ballotté entre les deux foyers de ses parents séparés puis remariés n’est-il pas parfois « confusionné » entre les quatre adultes chargés de l’élever en alternance ? Et pour celui qui a la chance d’avoir ses deux parents encore mariés l’un à l’autre et qui travaillent tous les deux pour le nourrir, faut-il interdire à ses géniteurs de le confier à une nounou (s’ils en ont le moyen) ou à une garderie pendant l’essentiel de sa jeune vie éveillée ? Quant à l’argument de la stérilité, si on le poursuit à sa conclusion logique, il faudrait aussi interdire l’adoption à un couple hétérosexuel stérile, non pas ? Enfin, la pédophilie n’est certainement pas l’apanage des homosexuels mais se retrouve dans tous les milieux, comme on le sait fort bien.

Finalement, on serait tenter de conclure que les objections soulevées par ce type de commentaires sont de l’ordre d’une utopie : les enfants grandissent rarement au sein d’un couple « idéal » — l’homme est ainsi fait — et il n’y a aucune raison de soulever cette exigence uniquement dans ce cas d’espèce. Le droit accompagne les mutations de la société depuis la nuit des temps en cadrant ici, en encourageant là : du droit de cuissage on est passé à celui du vote des femmes, le divorce a remplacé la répudiation et la peine de mort a été abolie en France et dans un nombre croissant de pays. Ces évolutions se font parfois malgré des résistances d’un autre temps : c’est malheureusement la nature des commentaires en question.

22 janvier 2008

Les Xipéhuz au Centre Pompidou

Classé dans : Photographie — Miklos @ 19:57


Arrivée d’un Xipéhuz au Centre Pompidou
«Les Xipéhuz sont évi­dem­ment des Vivants. Toutes leurs allures dé­cè­lent la volonté, le caprice, l’as­so­ciation, l’in­dé­pen­dance par­tielle qui fait distinguer l’Être animal de la plante ou de la chose inerte. Quoique leur mode de pro­gres­sion ne puisse être défini par compa­raison – c’est un simple glis­sement sur terre – il est aisé de voir qu’ils le dirigent à leur gré. On les voit s’arrêter brus­que­ment, se tourner, s’élan­cer à la pour­suite les uns des autres, se promener par deux, par trois, mani­fester des pré­fé­rences qui leur feront quitter un compa­gnon pour aller au loin en rejoindre un autre. (…) Je ne sais pas s’il faut dire que les Xipéhuz sont de diffé­rentes formes, car tous peuvent se trans­former succes­sivement en cônes, cylindres et strates, et cela en un seul jour. Leur couleur varie conti­nuel­lement, ce que je crois devoir attribuer, en général, aux méta­mor­phoses de la lumière depuis le matin jusqu’au soir et depuis le soir jusqu’au matin. Cependant, quelques variations de nuances paraissent dues au caprice des indi­vidus et spécia­lement à leurs passions,» si je puis dire, et consti­tuent ainsi de véritables expressions de physio­nomie, dont j’ai été parfai­tement impuis­sant, malgré une étude ardente, à déter­miner les plus simples autrement que par hypothèse.

J.-H. Rosny Ainé, Les Xipéhuz (1867)


Des Xipéhuz dans le Centre Pompidou

L’universalité de la langue et la particularité du langage : amours, délices et orgues

Classé dans : Langue — Miklos @ 9:32

«Tout le monde sait que le langage transporte aux choses inanimées un caractère emprunté du règne animal. Il fait considérer les unes comme des femelles, les autres comme des mâles, en appelant par exemple, certaine semence une graine, certaine autre un grain, certain amas de pierre une montagne, certain autre un mont, certaine excavation une fosse, certaine autre un fossé. Cette distinction peut sembler étrange ; mais elle est utile, ne fût-ce que parce qu’elle sert à marquer entre les noms les plus semblables, quant à la forme et au sens, une différence assez considérable. En signalant cette différence entre les substantifs synonymes à radicaux communs et terminaisons peu ou point significatives, nous ferons connaître la raison générale qui a guidé le sens commun dans l’imposition de l’un ou de l’autre genre à tels ou tels substantifs.

Le féminin est toujours plus général, le masculin toujours plus particulier. Les noms, auxquels convient le premier genre, renferment dans leur signification quelque chose de plus étendu, de plus vague, et de plus indéterminé que leurs synonymes du genre masculin. Et ceux-ci ont un sens précis et spécial : ils expriment les mêmes choses, mais les font considérer comme ayant des bornes, une destination ou une forme particulière, qui les sépare de tout ce qui n’est pas elles, quelque chose enfin qui leur donne une existence distincte. Dans celui des deux termes synonymes qui est au féminin, la chose apparaît comme un tout ou un genre, dont le substantif masculin n’exprime qu’une partie ou une espèce, mais bien caractérisée, ou, comme une substance, une matière, une étoffe sans forme et sans destination précise, qui en reçoit une dans le substantif masculin : c’est ainsi que la barre devient le barreau, la terre le terrain et le terroir, la pâte le pâté, etc. Le mot orge est féminin, quand on ne spécifie pas de quel orge il s’agit, et masculin dans les expressions, orge mondé, orge perlé, orge moulu (Boss.), orge mondé et pilé (Roll.) ; vivre d’orge grossièrement pilé et à demi-cuit sous la cendre. (Marm.) Le pendule est dans la pendule une partie seulement. Les mots aide, enseigne, garde, sentinelle, manœuvre, pris au féminin, désignent des abstractions, des actions vagues. Au masculin, ces mêmes mots signifient des hommes qui ont tel emploi, qui font ces actions par état ; ils deviennent plus précis en donnant à l’idée une forme concrète.

Le substantif féminin est donc l’expression mère ; il signifie le genre, et le substantif masculin l’espèce. Voilà pourquoi, dans les synonymes de cette sorte, le masculin peut toujours se définir par le féminin, mais non pas réciproque ment. Le barreau est une espèce de barre, le pâté une espèce de pâte, le terrain une espèce de terre, le limaçon une espèce de limace ; mais non pas, la barre une espèce de barreau, la pâte une espèce de pâté, la terre une espèce de terrain, la limace une espèce de limaçon. Si le masculin se définit par le féminin, c’est qu’il exprime la même chose que lui, plus certaines qualités ou circonstances qui le déterminent ou le spécialisent. Que si le féminin ne peut à son tour se définir par le masculin, c’est qu’en effet il ne réunit pas ces qualités ou ces circonstances qui appartiennent eu propre au masculin, qui le déterminent et le spécialisent.

Rien de plus facile à justifier que cette règle. Dans chaque espèce animale, la femelle contient et produit le mâle, comme dans le langage le féminin comprend le masculin. De son côté, le mâle se distingue par son individualité ; les caractères de l’espèce ne brillent qu’en lui, ou brillent en lui beaucoup plus que dans la femelle. C’est la femelle, plus certaines qualités que le mâle possède seul, comme la beauté du chant, la vivacité des couleurs, les cornes, la force, etc.

Cette même règle va recevoir des faits une justification plus éclatante encore. Nous la verrons d’abord appliquée aux substantifs qui ont la même terminaison au masculin qu’au féminin.

AMOURS (f.), AMOUR (m.). Passion d’un sexe pour l’autre.

Le mot amour, généralement masculin, prend quelquefois le genre féminin ; mais cela n’arrive guère en prose, suivant l’Académie, si ce n’est quand le mot est au pluriel ; nouvelles amours, ardentes amours, folles amours. Or, évidemment le pluriel est bien plus compréhensif que le singulier : revenir à ses premières amours, n’indique pas l’objet d’un premier sentiment, n’exprime pas qu’il ait été unique, avec autant de précision que, revenir à son premier amour. Ensuite, l’amour désigne un sentiment, et le sentiment seul ; les amours présentent cette idée mêlée avec beaucoup d’autres ; elles font songer aux assiduités, aux petits soins, aux doux propos, aux témoignages d’affection. « Ce Lapon nous dit qu’il lui en avait bien coûté, pendant ses amours, deux livres de tabac et quatre ou cinq pintes de brandevin. » Regn. De plus, et c’est une autre condition dont l’Académie ne parle pas, le mot amour, au pluriel, n’est employé comme féminin que quand il est précédé et non pas suivi de son adjectif : de folles amours, et non des amours folles ; comme de sottes gens, et non des gens sottes. L’adjectif étant mis après, amour, quoique au pluriel, resterait masculin : des amours brutaux (Pasc. Volt.) ; froids, honteux, déplacés, odieux, lascifs (Volt.) ; particuliers (Cond.) « Il est des amours emportés aussi bien que des doucereux. » Mol. C’est qu’en général l’adjectif se place avant le substantif dans les locutions vagues, et après dans les locutions précises. Voy. ci-après Synonymie des expressions qui ne diffèrent que par l’ordre des mots : savant homme, homme savant.) Si donc le mot amour n’est féminin qu’au pluriel et après l’adjectif, la raison en est qu’alors seulement il tient de ces deux circonstances le caractère décidé de vague et d’indétermination qui est propre au féminin.» — Délice et orgue, masculins au singulier, sont aussi féminins au pluriel, même sans avoir besoin, comme amours, d’être précédés de l’adjectif : délices pernicieuses (Boss.), orgues portatives. (Acad.)

B. Lafaye, Dictionnaire des synonymes de la langue française
avec une introduction sur la théorie des synonymes.

Paris, Hachette, 1884

Une bonne journée de travail

Classé dans : Récits — Miklos @ 2:53


M.C. Escher : Le Ruban de Möbius
B*** mourut sans s’en apercevoir dans la nuit de dimanche à lundi, après un repas vraiment trop riche. Il faut dire que ses amis avaient préparé une grande fête surprise pour ses soixante ans : victuailles en tous genres et vins de bonnes années. C’était un gros mangeur, et, malgré les aver­tis­sements répétés de son médecin alarmé par son taux de choles­térol croissant, il ne s’était pas privé.

Au matin, quand le réveil sonna, il s’étira puis se leva, un peu surpris mais content de ne pas avoir la gueule de bois ni l’estomac lourd. Il trouva qu’il faisait parti­cu­lièrement froid. Il resta plus longtemps que d’habitude sous le jet chaud et caressant de la douche. Ensuite, il s’ha­billa puis se rasa sans même se regarder dans le miroir : il avait une telle habitude de ces gestes qu’il répétait quotidiennement depuis qu’il était sorti de l’adolescence qu’il pouvait les faire mécaniquement, sans même y penser. Il n’avait d’ailleurs pas beaucoup de sujets qui lui occupaient l’esprit, à part son travail et la nourriture. Plus le temps de se faire un café, il en prendrait un plus tard à la cantine. Il enfila son manteau, prit sa sacoche et fila au bureau.

Quand il se glissa dans l’ascenseur bondé qui devait le mener au 17e étage, personne ne répondit à son « bonjour ! » lancé à la cantonade. Il en avait l’habitude : dans son entreprise, les collègues le croisaient sans le regarder ni a fortiori le saluer, à l’exception de Madame de W***, qui, très myope, faisait par précaution une révérence surannée à tout ce qui bougeait. Mais il ne pouvait se résigner à les ignorer. « Ah, ces jeunes ! », grommela-t-il dans sa barbe.

Après avoir accroché son pardessus et son chapeau à une patère, il s’installa à son bureau. La pile de dossiers était toujours aussi haute, malgré son rendement généralement efficace même après un week-end bien arrosé : quelqu’en soit le nombre qu’il avait traité, il en retrouvait autant à son arrivée. Il disposa sur la table stylos, tampons et agrafeuse, puis se mit au travail.

Il prenait, l’un après l’autre, le dossier qui se trouvait au sommet de la pile. Il le plaçait à l’équerre devant lui, brossait avec sa manche la poussière qui le recouvrait, puis l’ouvrait ; le document qu’il consultait en premier comprenait en général une longue liste de chiffres : les salaires de toute une vie professionnelle, accompagnés de justificatifs variés. Il vérifiait leur adéquation et en examinait les variations au fil des années. Une trop grande différence attirait son attention : s’il en trouvait la raison (une promotion documentée, par exemple), il la cochait avec le stylo noir ; sinon, il l’encerclait de rouge. À la fin de cet examen, s’il n’avait trouvé aucune anomalie, il calculait la pension de réversion. Ce n’est qu’alors qu’il prenait la fiche d’état civil de la personne qu’il venait de « traiter », comme ses collègues disaient cliniquement, et reportait méthodiquement cette somme dans le grand registre des ayants droit. Puis il tamponnait le dossier « Liquidé », et le plaçait ensuite sur le chariot qui l’emporterait aux archives.

Ce lundi-là, B*** arriva à traiter tous les dossiers qui l’attendaient. Quelque peu étonné de ne pas avoir ressenti la petite faim qui le menait, presque toutes les heures, vers le distributeur de friandises, il mit cela au compte de l’indigestion de la veille. Mais il fut au comble de la surprise lorsqu’il aperçut le nom dans le dernier dossier de la journée qu’il venait de liquider : c’était le sien.

Le lendemain, il ne repartit pas travailler. Ce fut la femme de ménage qui le trouva, quelques jours plus tard, mort dans son lit.

21 janvier 2008

Homonymies

Classé dans : Actualité, Sciences, techniques — Miklos @ 14:38

Microsoft vient d’annoncer le recrutement de Tony Scott en remplacement de Stuart Scott1 au poste de responsable de ses systèmes d’information internes. À la coïncidence des patronymes se rajoute celle de leurs passés respectifs : Tony chez General Motors et Stuart chez General Electric.


1 Viré en novembre, officiellement pour manquement aux règles de fonctionnement du constructeur. Selon les sources, il ne voyait pas d’un bon œil la mauvaise performance de Vista par rapport à XP SP3, ou voyait d’un trop bon œil son assistante.

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